Chapitre 4

Point de vue externe

Trois mois plus tard

Une jeune femme, aux cheveux étrangement bleus comme la nuit, s'avance dans l'aube naissante d'un beau début de mois de juin. Un magnifique portail se déploie sous ses yeux d'un noir profond tel des abysses. Ils sont surplombés de très longs cils noirs magnifiques. A présent, elle erre dans les couloirs du lycée ITORY. Cet établissement immense possède un nombre incroyable de couloirs, tellement qu'il est très facile de se perdre, même pour les habitués.

La jeune femme sort de son sac en cuir noir une enveloppe et un téléphone, rose aux bordures blanches avec une pomme croquée au dos, elle aussi blanche. Ce dernier commence à vibrer de façon régulière. La jeune femme appuie sur le bouton vert qui est apparu sur l'écran de son téléphone.

-          Oui, allô... Ah c'est vous monsieur... Où suis-je ? Je ne sais pas moi-même... Comment ça, j'ai un sens de l'orientation bien nul ! Mais vous êtes idiot ! Votre lycée est un manoir, alors à moins d'avoir une carte ou d'y être habitué, on ne peut que se perdre ! Quoi... Attendez, il y a une carte du lycée dans l'enveloppe... Ha, ha, ha... Ah, bon bah... Je vais essayer de retrouver mon chemin... Désolé pour le retard... Oui, oui monsieur, je me dépêche...

Point de vue de Yumi Kamiyoshi

Haaaaaarr... Comment ai-je pu être aussi bête ? Il n'y a que moi pour faire une idiotie pareille. Et puis quelle idée de faire un lycée aussi grand, on dirait qu'un manoir s'est accouplé avec un labyrinthe et le résultat est ce lycée... Et je m'exaspère moi-même à penser à des choses aussi idiotes les unes que les autres...

Récapitulons. Dans cette enveloppe il n'y avait qu'une lettre qui m'indiquait l'heure du rendez-vous, un petit bout de papier avec le lieu, mais pas de plan de cet endroit... Je prends mon téléphone et je regarde l'heure :

-          Merde, dis-je à voix basse

-          Kamiyoshi ! Vous êtes enfin là... Je croyais ne jamais pouvoir vous rencontrer...

Hein... CONNEXION DU CERVEAU EN COURS... Oh non... J'étais devant la porte du directeur depuis le début... Je ne suis qu'une idiote finie.

-          Monsieur, de quoi vouliez-vous me parler ?

-          Dans mon bureau, il faut s'éloigner des oreilles indiscrètes. Après tout, tout le monde sait que les portes ont des yeux et les murs ont des oreilles...

Je suis le directeur Kamiyoshi dans son bureau. Le bureau est simple et dégagé, mais il reste très moderne. De grandes baies vitrées sont dans le fond de la pièce derrière son bureau. Les stores des fenêtres à demi-baissés laissent passer quelques rayons du soleil levant. Le fauteuil de bureau est fait avec un magnifique cuir noir où se reflètent les quelques traits de lumières présent dans la pièce. Pendant que je détaille son lieu de travail, Hibiki a posé ses coudes sur son bureau en verre et il ne cesse d'ouvrir et de fermer sa bouche comme un robot.

-          Mmm... Comment dire... J'ai une proposition à te faire. Mais je te prierais de me laisser finir avant de donner ta réponse.

-          Oui bien sûr ! Pas de problème !

-          Bien... Alors, vois-tu, dans mon établissement, j'ai un élève qui a des difficultés d'audition et par conséquent, il a des problèmes pour suivre les cours ou, et, surtout avec ses camarades de classe...

-          Quoi ?! Tu veux que je revienne dans ce lycée ! Tu sais très bien ce que j'ai vécu ici, ça a déjà été assez difficile pour moi de revenir à ITORY, alors y rester, c'est dans tes rêves les plus fous !

-          Je ne t'avais pas demandé de ne pas me couper ?! hurle mon oncle, car oui cet homme petit avec une grande moustache blanche dont le visage est devenu rouge de colère, est mon oncle.

-          Désolé, mais il faut me comprendre... Il faut dire que je m'attendais à tout sauf à ça ! Je ne sais pas si je suis psychologiquement capable de revenir ici... Et puis si tu voulais être discret c'est foutu.

-          Parle-moi sur un autre ton, jeune fille !

-          Désolé mais je te parle comme je veux, je n'habite plus sous ton toit, et tu n'es pas mon père ! hurle-je à mon tour en me dirigeant vers la porte du bureau.

-          Tu ne sortiras pas de mon bureau avant que j'aie fini de te parler ! Peut être que tu n'habites plus chez moi, mais c'est toujours moi qui aie l'autorité parentale... Et cela même si tu es majeure, Yumi Kamiyoshi tu vas donc m'écouter sale petite ingrate ! Je peux comprendre que la perte de tes parents et ton harcèlement plus tard t'aient particulièrement touché, mais arrêtes d'être aussi agressive et sur la défensive avec moi. Je suis là pour t'aider et te prêter oreille attentive, alors si tu veux parler, parles, je t'écouterai avec la plus grande des attentions...

Son ton est presque devenu un murmure.

-          Ce lycée est beaucoup pour moi Hibiki, mais malheureusement ce sont plus de mauvais souvenirs qui me restent en tête que de bons... Je pense avoir du mal, malgré le fait que j'ai été la meilleure de ma promotion d'éducatrice spécialisée, à passer outre mes propres problèmes et mes propres souvenirs. Déjà là. Rien qu'en passant par tous ces couloirs qui se ressemblent, je vis et revis les mêmes instants que lors de mes années de lycée. Le matin on me critiquait parce qu'avec un sens de l'orientation comme le mien, je me perdais sans arrêt même au bout de plusieurs années, en plus ils ont eu raison. Le midi, on me lançait de boulettes de purée ou autres parce que je mangeais beaucoup et que j'étais un peu ronde... Et le soir, on me prenait en photos avec des philtres débiles qu'on postait sur les réseaux sociaux parce que j'avais de grosses lunettes et que j'étais la meilleure élève de toute l'école... Le monde est cruel et c'est partout pareil... On ne peut rien y faire. C'est pour ça que j'ai voulu devenir éducatrice spécialisée auprès des enfants : leur faire comprendre, ne serait-ce un petit peu, que notre monde n'est peut-être pas si ingrat. Leur faire comprendre qu'ils peuvent vivre normalement et cela malgré leurs différents, mais ce que tu me demandes est beaucoup trop... J'ai des blessures qui n'ont pas encore cicatrisés et qui pour certaines saignent encore.

Pendant que je parle, j'observe à travers la grande baie vitrée du bureau de mon oncle, l'immense cour où déjà quelques troupeaux d'élèves se forment selon les affinités. Une main se pose sur mon épaule. Je me retourne alors pour affronter le regard de mon oncle dont le regard reste planté dans le mien quelques instants.

- J'imagine que ta décision est prise Yumi.

- Oui... Trouves quelqu'un d'autre. Je ne me sens pas capable d'aider un enfant alors que je ne suis pas capable de m'aider moi-même. Je suis désolée...

- Bien, alors, je te dis à bientôt. Passe à la maison quand tu veux, tu es la bienvenue.

Je me contente d'un simple hochement de tête et d'un petit sourire, puis je me dirige vers la porte qui signifie entre guillemets « la porte de mon salut ». Ma main s'agite de manière répétée de droite à gauche pour dire au revoir à mon oncle.

Je me retrouve plusieurs minutes plus tard, à déambuler dans les couloirs de mon ancien lycée, à ressasser la discussion que je venais d'avoir avec le directeur. Ce garçon, dont je ne sais rien d'ailleurs, même pas son nom, vit la même chose que moi. Et c'est pour ça que j'ai voulu faire ce métier, tout simplement parce que j'ai moi-même été martyrisé, discriminé et maltraité, parce que personne ne devait subir le même traitement que moi. En plus j'ai toujours eu besoin de me sentir utile auprès des autres. J'ai déjà aidé pas de mal de personne malgré mon âge. Mais là... Aider une personne qui étudie dans mon ancien lycée... Cela me semble impossible, il faudrait déjà que je puisse chasser mes propres démons. Quand je me cogne contre quelque chose, je m'excuse rapidement auprès de la chose contre laquelle je suis entrée en collision, et je me suis replongée dans mes souvenirs...

Il y a quelques années

Je cours dans un couloir. J'essaye de fuir mes camarades de classe après notre repas du midi dans le self. J'esquive tant bien que mal les projectiles que me lancent les élèves derrière moi. Mes cheveux bleus dégoulinent de tomates que nous avons eu en plat. Des pépins se collent à mon cuir chevelu. Je pleure à chaudes larmes en me cachant le visage de mes bras. J'entende des bruits de pas me poursuivre inlassablement.

-          Va-t'en ! Barre toi, la grosse ! Tu nous gènes ! Quitte ce lycée, tu rends l'air toxique !

Voilà les paroles que j'entends chaque jour sans arrêt. Je me mets à pleurer de plus belle, enfin, si c'est encore possible. Presque automatiquement, je me suis retrouvée devant une petite porte dérobée qui se trouve dans un couloir peu fréquenté du lycée. J'ouvre la porte à la volée et monte précipitamment les escaliers qui se trouvent derrière. La fin de ces escaliers en colimaçon laisse découvrir un grand espace rempli de gravier délimité par de petites barrières faites de fer et de métal. Ça, c'était mon endroit, celui où je vais quand je me sens mal... C'est-à-dire à peu près tout le temps, sauf pendant les cours. De nombreuse fois, j'ai pensé à stopper ma vie misérable ici même. Sauter. Tel un oisillon, sauter pour la première fois sans attendre ses parents et s'écraser sur le sol et mourir sous le choc. Ou alors, mourir comme un ange, mourir dans le ciel en regardant les nuages. Bon nombre de fois j'ai voulu mourir comme cet oisillon ou cet ange que mon imagination a créé. Mais à chaque fois que je suis en position accroupie sur les barrières, mes pieds et mes mains refusent de bouger. Comme à cet instant. Ils refusent de rejoindre l'air, et de plus tard s'écraser contre le bitume qui se trouve en bas.

Soudain, je ne sens plus rien. Je ne sens plus les barrières de protection du toit. Je ne sens plus que le vide. J'ai réussi à me libérer de ma peur. Et à présent, je plane comme un ange dans le ciel. Je regarde vers les nuages. J'attends le choc de mon corps contre le bitume. Le choc arrive, quelques instants plus tard, alors que j'atterrie droite comme un piquet, mes jambes plus dures qu'un mur de béton. Le choc que je ressens à ce moment là ma paralyse sur place et me coupe brutalement le souffle. La seule chose que je sais, c'est que je ne suis pas morte. Ma vue se brouille, il me semble que mes jambes forment un angle inquiétant et que de petits piques s'enfoncent de part et d'autre de ma peau en traversant mes vêtements. Mon souffle reprend difficilement son rythme et mon cœur bat à un rythme effréné. Une migraine fulgurante me prend alors en m'empêchant de réfléchir clairement et en engourdissant mon cerveau un peu qu'il ne l'était déjà à cause de ma chute. Ma tête tourne, j'ai des vertiges, je peine à garder mes esprits et mes jambes me font souffrir le martyre. Ces dernières se dérobent sous mon poids devenu trop lourd pour elles en laissant ma tête rencontrer le sol, et je suis engloutie par le noir.

Je me réveille dans une chambre toute blanche, seulement vêtue d'une sorte chemise en plastique également blanche. J'entends le bip régulier de machines près de moi. Mon coup a échoué... Je ne suis pas morte... J'ai réussi à sauter, mais, je suis toujours en vie. Je dois juste avoir mes jambes et certaines côtes cassées, avec une grosse bosse sur la tête et avoir énormément inquiété mon oncle... Avant de tomber à nouveau dans l'inconscience, je dis juste :

-        Peut être que la personne qui contrôle tout, de là où elle est, veut que je reste en vie pour une raison et c'est à moi de la découvrir... Et ce malgré toutes les épreuves que je devrai traverser...

Fin du flashback

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