CHAPITRE 11
Ari avait toujours cru — un peu idéalement — que s'il arrivait quelque chose à Louis, il le sentirait. Il avait imaginé son coeur se serrer, ses membres se mettre à trembler sans aucune raison, sa vue se brouiller, peut-être. Oui, il avait cru... Qu'il y aurait quelque chose. La prescience d'un malheur.
Louis était son âme-soeur, non ? Il avait lu Platon et sa théorie selon laquelle l'humain serait incomplet et qu'il lui faudrait trouver sa moitié, perdue quelque part dans l'immensité du monde. Louis était sa moitié. Il ne pouvait pas en être autrement. Et c'est parce qu'ils étaient liés de cette façon, qu'ils étaient un tout à eux deux, que Ari avait toujours pensé qu'il saurait.
Mais bien sûr, ça n'arriva pas.
La matinée s'était déroulée sans encombre, identique à toutes ses autres matinées. Il s'était levé avec la marque de la bague de Louis inscrite dans sa paume, parce qu'il l'avait serré dans son poing toute la nuit. Il avait déjeuné avec sa soeur, qui ne lui avait pas adressé la parole, et avait même pris soin d'éviter son regard pendant tout le repas. Mais Ari ne s'en était pas formalisé... Ce n'était pas comme s'il était proche de sa soeur. Ce n'était pas comme s'iels avaient quelque chose à se dire. Après le repas, il s'était promené dans le jardin et avait discuté un peu avec Sami qui était allée nourrir les poissons de son père, dans le grand bassin. Puis il l'avait accompagné jusqu'à la buanderie, pour l'aider à plier des grands draps. Il avait ensuite décidé de se rendre aux Thermes — prenant soin d'aller dans ceux où il savait que Nilla et Lima n'avaient pas leurs habitudes. L'eau fraîche lui avait fait un bien fou, mais il n'était pas resté trop longtemps dans la vapeur, préférant aller faire un peu de gymnastique sur la pelouse. Il y avait longtemps qu'il n'avait pas pratiqué d'activité sportive — autre que dans le lit de Louis, bien sûr — et il apprécia s'entraîner au lancer de disques. Il croisa même quelques jeunes gens avec qui il avait l'habitude de parler auparavant, et il fut heureux de constater que ceux-ci ne l'avait pas oublié. Après sa séance sportive, il erra un peu dans les rues de Pompéi, s'attarda sur le forum pour écouter le discours politique d'un homme en toge, descendit la Via Marina et marcha jusqu'au port pour regarder les bateaux partir vers l'horizon.
Lorsqu'il rentra, un peu affamé par sa longue promenade, l'après-midi était déjà bien entamée et le soleil brûlait la terre sèche sous ses sandales de cuir. Pourtant, Ari était heureux. Il se sentait le coeur léger. Il avait hâte de retrouver Louis à l'ombre des arbres, près de la rivière, dans la soirée. Il allait demander à la cuisinière de la maison de lui préparer un panier plein de victuailles. Dans quelques heures, il en était certain, il serait entre les bras de Louis, à respirer l'odeur de sa peau au creux de son cou.
Lorsqu'il rentra dans la maison, Sami lui sauta pourtant presque immédiatement dessus. La jeune esclave avait les traits tirés, et Ari fronça les sourcils.
— Que se passe t-il ?
Pendant un court instant, il pensa à sa mère, qui était si fragile. Elle faisait régulièrement des malaises à cause de la chaleur, et restait parfois des jours enfermée dans le noir de sa chambre, des compresses d'eau humide sur le front, à divaguer et parler toute seule.
Mais Sami ne lui parla pas de sa mère.
Elle l'entraîna dans un couloir un peu plus éloigné du centre de la maison, et se pencha vers lui, chuchotant à son oreille :
— J'ai entendu quelque chose... Au marché.
Ari recula légèrement.
— Qu'est-ce que tu as entendu ?
Sami baissa les yeux, et Ari remarqua qu'elle était en train de triturer le tissu de sa tunique entre ses doigts. Visiblement, elle hésitait à lui répondre, comme si elle avait peur de le blesser. Doucement, Ari sentit son coeur s'emballer.
— Sami ? Dis-moi ?
— C'est... Je ne veux pas vous- enfin, t'affoler inutilement. Mais il y avait cette femme... Elle parlait d'un garçon de son quartier qui a été arrêté hier soir, par deux gardes.
— Quel quartier ?, souffla Ari, la voix légèrement tremblante malgré lui.
— Le quartier près du lupanar. Et... Elle a décrit le garçon. Je crois, je crois que c'était Louis.
— Louis ?, répéta Ari, mais... Pourquoi ? Enfin, Louis... Il n'a jamais rien fait de mal...
— J'ai cru comprendre qu'il s'agissait d'un vol.
Ari la fixa pendant un moment, totalement hagard. Il avait l'impression que le sol venait de se dérober sous ses pieds, le laissant chuter au fond d'un précipice sans fin. Qu'est-ce que c'était que cette histoire ? Louis, son Louis, arrêté pour vol ? Ça ne pouvait pas être vrai.
Sami dut sentir qu'il se sentait mal parce qu'elle se rapprocha de lui et posa une main rafraichissante sur son bras.
— J'ai pu me tromper... Il y a sûrement d'autres garçons comme Louis dans cette ville.
— Oui, c'est vrai, murmura Ari doucement, la voix un peu étranglée.
Il y eut un silence puis il ajouta :
— Je vais aller au lupanar. Je vais voir s'il est là-bas.
Sami acquiesça.
— C'est une bonne idée. Il y est sûrement.
La voix de Sami était réconfortante, et pourtant, Ari sentit malgré lui que, non, Louis n'y serait pas. Et que ce qu'elle avait entendu au marché était vrai.
*
*
*
Louis n'avait pas dormi depuis des heures. Il se doutait que la nuit était sûrement passée, mais dans le noir complet de sa cellule, il avait déjà perdu le fil du temps. Depuis quand était-il assis par terre dans la boue humide ? Quelques heures ? Un jour ? Trois ? Une semaine ? Il avait l'impression de devenir fou et sursautait à chaque infime bruit qu'il entendait et qui semblait venir de l'extérieur.
Un garde était venu pour lui enlever les liens qui serraient ses poignets. Louis avait un peu pleuré quand la corde s'était détachée, parce que sa chair était à vif à certains endroits, totalement brûlée. Le garde l'avait laissé là, ne se préoccupant pas plus de lui, ne lui apportant même pas à manger.
Bien sûr, il avait fini par se calmer. Après s'être traîné jusqu'à la grille de sa cellule pour hurler dans le vide, il avait compris que personne ne viendrait plus le voir. Il était inutile de s'écorcher la voix. Il avait donc fini par se recroqueviller sur lui-même dans un coin, le dos appuyé contre les pierres humides de la minuscule pièce. Le seul objet que le garde avait apporté était une écuelle d'eau, dans laquelle il but un peu avant d'y laisser tremper ses poignets blessés. L'eau ne fit qu'attiser la douleur, mais il eut au moins l'impression d'être un peu désinfecté.
Son genou le faisait toujours souffrir, et il avait un goût de sang dans la bouche qui ne partait pas. Il sentait sa mâchoire gonfler au fil des heures, et il était certain qu'il allait se retrouver avec un hématome. Mais peu importe de toute façon... Personne ne pouvait le voir. Il était seul.
C'était même inquiétant, à ce point là. Il n'y avait donc personne dans les prisons de Pompéi ? Peut-être que les gardes l'avaient mis dans une cellule un peu éloignée... Après tout, il n'avait pas encore été jugé. Qu'allait-on lui faire, d'ailleurs ?
La dernière fois qu'il avait reçu une punition, c'était par son ancien maître, à Rome. Louis avait défendu une jeune esclave de douze ans, en s'accusant à sa place d'avoir mangé les fruits confis ramenés par leur maître d'un voyage en Égypte. Il se rappelait très bien de la honte qu'il avait ressenti lorsque celui-ci l'avait fait se déshabiller devant tous les autres esclaves de la maison, et l'avait fouetté jusqu'à ce qu'il le supplie d'arrêter, le dos et les fesses ensanglantés. C'était peu après qu'il s'était enfui.
Il n'avait vraiment pas envie de revivre ça. Les lanières de cuir qui s'étaient abattues sur sa peau y étaient encore imprimées, et même si Ari ne cessait de lui dire que cela ne changeait rien, qu'il était magnifique avec toutes ces cicatrices, Louis détestait son corps qui portait la brûlure de cette douleur encore bien trop vive dans son esprit.
Il laissa légèrement tomber sa tête en arrière. Ses paupières le piquaient, mais il refusait de s'endormir, de peur de s'évanouir.
Il serra les dents, ravala les larmes qui menaçaient encore de couler au coin de ses yeux et murmura, pour entendre sa propre voix dans le silence de la pièce :
— Ari, je t'en supplie... Viens...
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Ari poussa la porte du lupanar avec fracas, et courut presque dans le petit couloir qui menait à la pièce principale. Evidemment, Julia n'était pas là.
Il tapa du poing sur le bois sombre du comptoir, et attendit qu'elle apparaisse entre les rideaux veloutés qui menaient à ce que Louis lui avait appris être des sortes de vestiaires.
Lorsqu'elle apparut, Ari comprit tout de suite qu'elle était de mauvaise humeur. Ses traits étaient tirés, et elle n'avait même pas pris la peine de recouvrir le sommet de ses paupières de peinture, comme elle le faisait si bien d'habitude.
— Ah, vous !, le salua t-elle sans ménagement,
Ari rentra légèrement les épaules, comme un petit garçon pris en faute. Ce qui était... Stupide. Il n'avait rien fait. Et c'était lui qui venait demander quelque chose, normalement, pas le contraire. Mais Julia ne lui laissa pas le temps de répliquer, se mettant à tempêter derrière le comptoir qui la séparait d'Ari.
— Je suis sûre que c'est vous qui l'avait poussé à faire n'importe quoi ! Ce gamin était insupportable et insolent, mais au moins il rapportait... Qu'est-ce que je vais dire à ses clients maintenant ? Et quelle réputation pour mon établissement ! Plus personne ne va vouloir venir, de peur de se faire voler par mes esclaves !
Ari sentit son coeur dégringoler une nouvelle fois dans sa poitrine. Tout ce qu'il ne voulait pas entendre... Julia était en train de le lui cracher au visage.
Il passa nerveusement une main dans ses cheveux, et balbutia :
— Vous voulez dire... C'est, Louis ?
Il avait prononcé son prénom dans un souffle étranglé, et étrangement, cela sembla calmer Julia. Elle fronça légèrement les sourcils, contourna le comptoir et s'approcha d'Ari.
— C'est Louis, oui ! ... Il ne vous a rien volé à vous, j'espère ?
— Je, non... Bien sûr que non.
À part mon coeur, mais ça, je le lui laisse.
Ari allait s'écrouler.
Il fit quelques pas en arrière, et Julia dû le sentir chanceler car elle l'attrapa avec une poigne solide et le força à s'asseoir sur un des petits bancs disposés dans la pièce. Ari prit son visage entre ses mains. Il fallait qu'il respire... Il allait... Il allait faire une crise de panique, si ça continuait.
Louis.
Louis avait été arrêté. Comment... Comment cela était-il possible ?
Il releva la tête, les yeux brillants, se fichant totalement que Julia le voit dans cet état :
— Qu'est-ce que vous savez ?
La question parut la décontenancer un peu car il y eut un silence avant qu'elle n'avoue :
— Pas grand chose... C'est Athis qui m'a raconté les détails. Elle a vu l'arrestation.
— Qui est Athis ?
— Une de mes esclaves.
— Je peux lui parler ?
Julia soupira, mais devant l'air suppliant de Ari, elle finit par acquiescer.
— C'est bon... La pièce VI. Mais pas trop longtemps, elle a du travail... Déjà qu'il va falloir que je trouve comment remplacer Louis..., bougonna t-elle.
Mais Ari ne l'écoutait déjà plus. Il s'était levé d'un bond et s'était immédiatement engouffré dans le petit couloir. Il y avait plusieurs portes, et il frappa à la VI puis entra, sans même attendre de réponse.
Il n'avait jamais vu Athis avant, mais lorsqu'elle releva les yeux vers lui et lui sourit étrangement, il eut la vague impression qu'il se trouvait devant celle que Louis nommait parfois « La Vipère », en serrant les dents. Pourtant, il ne savait pas pourquoi Louis semblait la détester, il ne le lui avait jamais expliqué, et Ari n'était pas du genre à le forcer à lui raconter tous les secrets de sa vie.
Aujourd'hui, pourtant, il aurait vraiment aimé savoir s'il pouvait faire confiance ou non à Athis.
Elle s'approcha de lui, resserrant légèrement les plis légers de sa robe blanche, et Ari remarqua qu'elle était pieds nus, et qu'à sa cheville droite brillait une jolie chaine dorée. Elle avait l'air... Sûre d'elle. La tête haute, les yeux perçants, une petite moue adorable sur les lèvres, et ses cheveux lâchés derrière son dos.
La Vipère.
Pourtant, elle était manifestement la seule qui avait vu l'arrestation de Louis. Alors Ari se jeta à l'eau :
— Je ne suis pas venu pour une séance, je...
— Oui, je sais, le coupa immédiatement la jeune femme.
Elle avait une voix piquante et mielleuse à la fois. Mélange étrange qui déconcerta un instant Ari. Et puis... C'était la façon qu'elle avait de le fixer. Il se sentait mal à l'aise, et à la fois irrémédiablement attiré par elle.
— Heu, ah..., bégaya t-il. Tu, enfin, je suis venu pour Louis.
— Évidemment...
Elle soupira, puis fit un mouvement lasse de sa main :
— Vous n'avez que le prénom de l'autre à la bouche, vous deux. Malheureusement pour toi, chéri, je crois que tu ne reverras pas ton Louis de sitôt.
Le coeur d'Ari s'emballa à nouveau, mais il secoua la tête, comme pour repousser les mots qu'elle venait de prononcer.
— Comment ça ?
Athis lui offrit à nouveau un sourire mielleux, avant d'expliquer lentement ce qu'elle avait vu :
— J'habite dans le même quartier que Louis. Je l'ai vu se faire emmener par deux gardes. Je pense qu'il est en prison à l'heure actuelle...
— Mais... Pourquoi ? Pourquoi l'ont-ils emmenés ? Il n'a rien fait !
— Ça, je n'en suis pas si sûre ! D'après ce que j'ai compris, il a été accusé de vol. Il y avait un riche patricien et sa fille qui étaient là. Ils ont récupéré les bijoux que Louis leur avait pris.
Ari recula et se laissa à nouveau tomber sur le premier siège venu, tentant de comprendre la situation. Elle était claire pourtant. Tout le monde lui servait la même version. Louis avait volé, et il avait été arrêté. Simple.
Pourtant, il ne pouvait pas croire à une chose pareille.
Pas Louis.
Alors pourquoi est-ce qu'une petite voix lui soufflait à l'oreille qu'il avait déjà vu Louis piocher fruits et légumes sur le marché et partir sans payer ? Il le faisait en riant. Et Ari riait aussi. Parce que c'était stupide, parce que ça semblait tellement... tellement sans importance. Une pomme, des raisins, trois tomates. Ari s'en fichait. C'était drôle. Et lorsque Louis faisait ça, il ne le voyait pas vraiment comme un voleur. C'était plus un jeu pour eux. Mais peut-être que pour Louis, ça ne l'était pas ? Ils ne venaient pas du même monde après tout. Ari n'avait aucune idée de ce que Louis avait pu faire par le passé. Il avait vaguement compris qu'il s'était enfui de chez son ancien maître, mais la raison lui échappait. Louis ne s'était jamais attardé sur ce détail... Et si... Et si Louis était coupable ?
Est-ce que ça changeait quelque chose ?
Ari n'en savait rien.
Au fond de lui, il sentait qu'il aimerait toujours Louis, peu importe qu'il soit un criminel en fuite ou le pire des voleurs. Mais c'était tellement... décevant. Il avait eu confiance en Louis. Plus qu'en n'importe qui d'autre. Et Louis venait juste de tout gâcher, par un appât égoïste du gain, appât qu'il ne s'expliquait pas. Est-ce que Louis avait manqué de quelque chose et qu'il n'avait pas voulu en parler à Ari, par fierté ? C'était peut-être ça... Il avait préféré voler plutôt que de quémander un peu d'argent à Ari, qui se serait fait une joie de l'aider.
Ari avait envie de croire à cette version.
Il avait envie d'expliquer le comportement de Louis, de l'excuser.
Lorsque Athis s'agenouilla près de lui, il se rendit compte qu'il avait été silencieux très longtemps. Il croisa le regard de la jeune femme, et celle-ci ne souriait plus. Il soupira. Il avait besoin d'une alliée. Il avait besoin que quelqu'un lui confirme que Louis était innocent. Alors il murmura :
— Ils vont l'innocenter, pas vrai ?
Il avait envie de pleurer. Sa voix tremblait comme celle d'un gamin de cinq ans. Pourtant, Athis ne fit aucun commentaire. Elle se contenta de grimacer légèrement, et de baisser les yeux. Une larme roula sur la joue de Ari, solitaire. Et sans savoir vraiment pourquoi, il se laissa tomber par terre et attira la jeune femme contre lui pour la serrer dans ses bras. C'était peut-être une sorte de crise de panique. Dans tous les cas, il se retrouva à respirer bien trop fort, tremblant comme une feuille contre Athis qui restait sans bouger, décontenancée pour la première fois de sa vie. Elle finit par lui tapoter le dos, dans l'espoir de le calmer.
— Ari, s'il vous-plaît... Peut-être que oui, enfin... Je ne sais pas. Il a tout de même volé à une famille riche, ce n'est pas rien.
Ari se détacha lentement de son étreinte, les yeux écarquillés par la terreur qui ne le quittait plus.
— Une famille riche ? Dis-moi qui... Je peux, mon père, il doit les connaître... Je vais, aller leur parler. Et sortir Louis de là.
Alors, Athis se remit à sourire. Et Ari comprit. Il comprit ce que Louis voulait dire en parlant de « la vipère ». Et il eut honte de s'être abandonné contre elle, d'avoir recherché l'étreinte faussement rassurante de ses bras. Parce que dans ce sourire là, ne brillait qu'une méchanceté satisfaite. Ari savait que les mots qui suivaient aller lui broyer le coeur, et il savait que Athis en avait conscience, et qu'elle était ravie.
— Il me semble que c'était ton père et ta soeur, Ari.
Il resta un long moment à la dévisager, incapable de prononcer un mot. Le sourire éclatant de Athis lui brûlait la peau. Il n'avait plus envie de pleurer. Il se sentait juste... Vide.
Alors c'était ça ?
Louis avait été arrêté à cause de son père et de sa soeur.
Louis était en prison à cause de sa famille.
Son père. Avait fait arrêter. La personne qu'il aimait plus que tout au monde.
Il se redressa lentement, et il vit le sourire d'Athis s'effacer. Peut-être parce qu'il était en train de serrer les poings et la mâchoire, des larmes de rage perlant au coin de ses yeux.
La jeune femme tendit un main vers lui, effleurant sa peau, comme pour le calmer :
— Ari... Tu peux rester avec moi si tu veux, je peux te réconforter. Ça ne sert à rien de te mettre dans cet état... Je ne pense pas que Louis mérite ça. Ce n'est qu'un sale voleur après tout.
Il la repoussa d'un geste sec, et attrapa son poignet. Il ne voulait pas lui faire de mal, mais malgré lui, il sentit qu'il serrait un peu trop sa peau fine. La jeune femme ne dit rien, se contentant de le fixer avec ce qui lui sembla être un dégoût profond. En serrant les dents, il articula :
— Je ne sais pas ce que tu as contre Louis, mais je te promets que si tu l'insultes une nouvelle fois, c'est toi qui ira croupir en prison.
Athis lui rit au visage :
— Pauvre idiot. Crois-tu vraiment que tu vas pouvoir faire sortir ce minable de son trou ? Il est condamné Ari. Il a merdé, c'est son problème.
Ari sentit ses doigts trembler autour du poignet de l'esclave. Il ne voulait pas se laisser envahir par la colère, comme ça avait été le cas avec Marcus. Il ne voulait pas.
Alors il la lâcha, recula vers la porte, et sans la quitter des yeux, il cracha :
— Je me fous de ce que je dois traverser pour sortir Louis de l'endroit où il est enfermé. Je m'en fous, si tu savais.
Athis le fixait, atterrée. Et Ari savait, il savait qu'elle ne pouvait pas comprendre.
— Je m'en fous, répéta t-il alors plus doucement. Je m'en fous, parce que tout ce qui compte c'est lui. Et je pourrais donner ma vie pour sauver la sienne.
Il ne laissa pas le temps à Athis de répliquer. Il referma la porte derrière lui, et la jeune esclave l'entendit courir dans le couloir, et crier quelque chose à Julia.
Elle resta un moment immobile, puis elle secoua la tête et se laissa tomber sur son lit. Elle ferma les yeux. Son coeur battait trop fort.
— Et je pourrais donner ma vie pour sauver la sienne... Idiot. Idiot... Idiots.
Elle se recroquevilla sur lui-même, et murmura, la voix un peu étranglée.
— Idiots... Je crois que je vous envie.
*
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*
*
*
Ari ne venait pas.
Louis était allongé sur le sol de terre battue, et il fixait le minuscule puits de lumière que lui offrait la porte de sa cellule.
Et Ari ne venait pas.
Peut-être que Louis allait pourrir ici. C'était probable, après tout. Il avait déjà entendu des tas d'histoires sur des gens oubliés dans le souterrain d'une prison, et qu'on retrouvait des mois après, trop tard. Il se doutait que le père d'Ari n'avait pas très envie de lui faire un procès. Il allait sans doute se contenter d'étouffer l'affaire, bien content que le garçon avec qui son fils se compromettait soit derrière les barreaux.
Est-ce que Ari allait même être mis au courant ? Peut-être que tout le monde allait réussir à lui cacher la vérité ? Peut-être qu'il allait croire que Louis s'était enfui, avait choisi de disparaitre ?
Il ravala ses larmes qui revenaient — décidément, il aurait pu remplir à lui tout seul la rivière, à force de pleurer — et se redressa légèrement. Il fallait qu'il se reprenne. Ari n'allait jamais croire une chose pareille, parce que... Et bien parce qu'il l'aimait. Et il savait que Louis aussi, était fou de lui. Alors Ari allait sans doute faire tout son possible pour retrouver sa trace, ce n'était pas possible autrement.
Du moins, si le contraire était arrivé, c'est ce que Louis n'aurait pas hésité à faire.
Il imagina Ari à sa place, recroquevillé dans le noir d'une cellule silencieuse, et cela le remplit de colère. Il en était certain, il aurait été prêt à tuer pour pouvoir retrouver le garçon qu'il aimait.
Et il avait confiance en Ari pour remuer ciel et terre.
Ce n'était qu'une question de temps.
Rien ne pourrait les empêcher de se retrouver.
*
*
*
La terre dansait sous les pieds de Ari. Il courait au milieu des nuages de poussière, incapable de s'arrêter. Il y avait dans l'air une odeur étrange de souffre. Il leva un instant les yeux vers le ciel, un ciel bleu, immense, et qui pourtant semblait inquiétant sous la morsure du soleil. Ari ne savait pas si c'était parce qu'il courrait et que son sang battait trop fort contre ses tempes, mais il avait l'impression qu'un orage se préparait. Un orage ou... autre chose. Une tempête peut-être ? Dans tous les cas, l'air était lourd et saturé.
Il dévala le petit chemin qui menait à sa maison et ouvrit la porte principale avec fracas, s'attirant les regards étonnés d'un esclave qui nettoyait le sol. Mais pour une fois, il ne s'arrêta pas pour le saluer, préférant se diriger immédiatement vers le bureau de son père.
Celui-ci était plongé dans une douce lumière. La fenêtre avait été ouverte sur le spectacle reposant des quelques vagues qui venaient s'échouer sur le rivage, au loin, et un oiseau, qui était posé sur un arbuste dans le jardin, s'envola à tire d'aile lorsque Ari entra, faisant claquer le plat de sa main sur le bois de la porte.
Lucius sursauta. Il était assis derrière son bureau, et il avait l'air grave qui faisait si peur à Ari, depuis son enfance. Devant lui s'étalaient de nombreux papiers, et une grande carte maritime jaunie par le temps. Ari connaissait cette carte pour l'avoir apprise par coeur durant ses cours avec son précepteur.
Le jeune homme s'avança d'un pas assuré.
Aujourd'hui, il n'allait pas baisser les yeux.
Son père dût sentir que Ari n'était pas dans son état d'esprit habituel, car il se racla la gorge, visiblement mal à l'aise, et lui proposa de s'asseoir s'il avait quelque chose à dire. Mais Ari secoua la tête lentement, ne le quittant pas du regard.
La colère était en train de revenir, terrible. Il sentit ses membres se mettre à trembler alors qu'il tentait de contrôler les soubresauts de sa respiration. C'était... Le visage de son père. Ce visage qui criait la culpabilité. Ses yeux délavés par son âge, sa peau légèrement transpirante, les cheveux rares le long de ses tempes, son ventre bedonnant, les rides au coin de ses joues, ses lèvres un peu humides. Ari n'avait jamais remarqué comme son père avait l'air vieux, finalement.
— Je te déteste, murmura t-il.
Les yeux de Lucius se voilèrent un instant. Il pinça les lèvres.
— Assieds-toi, Ari.
— Non.
Ari prit une longue respiration. Il ne voulait pas s'asseoir. Il ne voulait pas s'abaisser. Peut-être que c'était méchant, de dire à son père qu'il le détestait. Au fond de lui, il savait pertinemment qu'il ne le pensait pas. Son père avait sûrement ses raisons d'avoir agi comme il l'avait fait... Son père avait toujours cru vouloir le bonheur de son fils, en le forçant à vouloir devenir comme lui. Et Ari n'avait jamais rien dit, parce qu'il avait préféré être lâche.
Et puis, il avait trouvé Louis. Et Louis était devenu son monde entier.
Lucius n'avait pas le droit de le lui retirer.
— Pourquoi est-ce que tu as fait ça ?, demanda t-il finalement, la voix froide.
Son père secoua la tête, un peu agacé.
— Fait quoi Ari ? Assieds-toi s'il-te-plaît, et sois plus clair.
— Je ne veux pas m'asseoir. Et tu sais très bien de quoi je parle.
La voix d'Ari était cinglante. Il ne voulait pas hausser le ton, de peur d'inquiéter sa mère qui devait sûrement se trouver dans une pièce attenante, mais son père ne lui laissait pas le choix. Il détestait sa condescendance, la lassitude dans ses gestes. Comme si ce qu'il avait fait n'était rien, comme si faire jeter Louis en prison n'était qu'une chose anodine qu'il avait déjà oublié.
Devant le silence de son père qui le toisait du regard, il finit par cracher :
— Je te parle de l'esclave que tu as fait arrêter hier.
— Ah, ça..., soupira Lucius. Il nous a volé, c'est tout.
— Louis n'a rien volé. Tu le sais très bien.
Ce fut son père qui se releva. Le geste fit sursauter Ari, qui ne s'attendait pas à un mouvement de colère de sa part. Pourtant, Lucius frappa sur le bois sombre de son bureau, et lui cracha au visage :
— C'est toi qui ne sais rien ! Je pensais t'avoir mis en garde contre ce garçon. Je sais très bien que tu as continué à le... À avoir une relation avec lui ! Et voilà où ça nous a mené ! Il s'est introduit chez nous pour voler des bijoux appartenant à ta mère !
— C'est FAUX ! Je suis sûr que c'est faux et... Et arrête de parler de Louis comme ça !
Ari sentait poindre au coin de ses yeux des larmes de rage mais il ne s'arrêta pas, le visage rouge de colère.
— J'en ai plus qu'assez que tu me dictes tout ce que je dois faire dans ma vie ! J'en ai plus qu'assez de t'obéir la tête baissée, de te suivre pour rencontrer d'autres commerçants, de faire semblant d'avoir envie de mener la même vie que toi ! Ce n'est pas ce que JE veux ! Je n'ai jamais voulu faire ça, jamais, et tu n'as pas le droit de m'imposer TA vision des choses !
Il reprit son souffle, haletant légèrement. Son père s'était tu, la mâchoire serrée par la colère et Ari continua, parce qu'il ne pouvait plus s'arrêter, parce qu'il avait besoin de vider son sac.
— Tu sais très bien que je déteste ça, les comptes, les mathématiques, les relations de pouvoir... Tu sais très bien que ce n'est pas fait pour moi, d'être commerçant ! Je ne suis pas comme ça, j'aime l'art et la littérature, la musique, l'astronomie, la philosophie. Je me fiche des bénéfices que tu peux faire en allant jusqu'en Égypte, si tu savais comme je m'en fiche ! Et... Et j'en ai marre que tu agisses comme si tu savais ce qui est bon pour moi alors que tu n'as jamais, JAMAIS, écouté mon avis. Tu t'en fous de ce que j'aime faire. Tu t'en fous de mes rêves, des choses que j'apprécie...
Son père se laissa tomber sur sa chaise, lasse. Ari ravala sa salive, la bouche sèche, et le regarda balayer ce qu'il venait de dire d'un mouvement de poignet :
— Ari, ce n'est pas ça... Tu sais très bien que je veux ton bien. Tu es trop jeune pour savoir que la vie que je veux pour toi est la meilleure.
— Et toi tu es visiblement trop buté pour m'écouter.
— J'ai une expérience que tu n'as pas, siffla son père comme pour mettre fin à la conversation.
Mais Ari n'en avait pas fini.
— Et ton expérience t'a soufflé qu'accuser injustement un garçon que tu ne connais même pas était la meilleure chose à faire ?
— Ari. Je ne l'ai PAS accusé injustement. Il avait vraiment les bijoux de ta mère dans le coffre de chez lui.
— Je ne te crois pas...
Son père eut un rictus mauvais.
— C'est pourtant la vérité mon fils... Écoute, je comprends que tu te sois attaché à cet esclave. À ton âge moi aussi, j'appréciais les relations avec les hommes. Mais ça te passera, crois-moi. Tu vas vite oublier ce gamin... En retrouver un autre peut-être et puis épouser une femme. C'est la vie.
Ari secoua lentement la tête. Est-ce quelqu'un dans ce monde pouvait cesser d'être aveugle et COMPRENDRE qu'il n'avait pas envie de laisser Louis, tout simplement parce que Louis était...
— C'est l'amour de ma vie.
— ... Quoi ?
Son père fronça légèrement les sourcils.
Ari se redressa. Au loin, il entendait le doux chant d'un oiseau, et le roulement lent des vagues léchant les coques des bateaux. Il plongea ses yeux dans ceux de Lucius, et répéta, en prenant soin d'apprécier tous les mots :
— Louis, c'est l'amour de ma vie.
— Mais... Qu'est-ce que tu racontes Ari ?
— La vérité. Je l'aime, papa.
Cette fois, son père se tue. Peut-être parce que Ari ne l'avait jamais appelé « papa » avant. Peut-être parce qu'il n'y avait plus aucune trace de colère dans sa voix, juste une affection débordante, une douceur dévorante.
— Je l'aime plus que tout au monde. Et... Ce que tu as fait. Je crois que je ne pourrais jamais te le pardonner.
— Ari... Tu n'es pas sérieux ? C'est un esclave et il se prostitue.
— Non. C'est Louis. Avant tout le reste, c'est Louis. Alors peut-être que oui, nous ne sommes pas de la même condition. Peut-être que oui, il a un travail qui offusque les citoyens libres et riches que nous sommes. Peut-être que oui, il habite dans une insula minable. Peut-être que oui, il a dû vivre comme un vagabond pendant des mois, à crever de faim sur les routes, à se laisser voler, frapper, abuser... Mais c'est la personne que j'aime. Entièrement. Tu comprends ? Je n'ai pas honte de lui, de nous. Je n'ai pas honte de lui tenir la main lorsque nous sommes en public. Je n'ai pas honte de dire que je fais l'amour à un garçon qui se prostitue, et je n'ai pas honte de dire qu'il me fait l'amour aussi. Je n'ai pas honte, parce que je l'aime. Infiniment. Et lui aussi, m'aime. Alors pardon papa, pardon si je te déçois. Mais je vais aller jusqu'à cette foutue prison, je vais y aller maintenant, et je vais le récupérer, peu importe par quel moyen. Et ensuite, tous les deux, on partira. Parce que je ne veux pas du futur que tu dessines pour moi. Je veux juste lui, je veux juste sa main contre la mienne, je veux juste sa bouche chaque matin de ma vie, je veux juste sa peau, ses rires, tout, absolument tout. Et peu importe si je suis riche ou pas. Tant que je suis avec Louis, je sais que ça ira.
La colère avait disparu. Les yeux de Lucius brillaient. Il ne dit absolument rien lorsque Ari fit un pas en arrière.
Son fils lui sourit, mais c'était un sourire triste, déjà si lointain. Un sourire qui disait « Tu n'as pas été le meilleur père pour moi, tu as commis l'irréparable, mais tu sais, je pense que je t'aime quand même. »
Ari se retourna. Sa mère et sa soeur étaient debout dans l'entrée du bureau. Il se demanda si elles avaient tout entendu. Sûrement... Sa mère lui prit doucement la main quand il passa près d'elle. Ses yeux lui souriaient. Ils n'avaient jamais été si clairs et lumineux. Ari l'embrassa doucement sur la tempe. Il jeta un regard à sa soeur qui baissa les yeux. Peut-être qu'elle avait honte. Tant mieux, si c'était le cas.
Il ne s'attarda pas. Il quitta la maison, remonta le chemin vers la ville.
Il traversa la foule comme un fantôme, ne croisant aucun regards, ses pas le guidant vers la prison. Lorsqu'il arriva devant le petit bâtiment, il s'arrêta un instant, et baissa les yeux vers la bague que Louis lui avait offert.
Il la serra contre son coeur.
Leva les yeux vers le mont Vésuve.
Ce mont, pour lui, était un peu l'Olympe grec. Enfant, il avait toujours imaginé que les Dieux vivaient à son sommet. Aujourd'hui, la montagne était plongée dans une sorte de brume étrange. Silencieuse, immense, protectrice.
Il pénétra dans la prison.
*
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*
*
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*
Ari se présenta. C'était assez simple, vu son nom de famille. Un garde accepta de le mener jusqu'à Louis, précisant que leur entrevue ne pourrait pas durer plus de dix minutes. Il faisait froid, entre les murs lisses et suintants de l'endroit. C'était étrange. Peut-être que le bâtiment avait été construit sur une ancienne source d'eau. Le garde n'arrêtait pas de parler, mais Ari répondait par monosyllabe, si bien qu'il finit par renoncer.
Il s'arrêta devant une cellule, et sortit une clé. Ari avait envie de se précipiter à l'intérieur, immédiatement, mais il attendit patiemment, juste comme il le lui avait demandé, en tenant la lampe à huile qui allait lui servir à voir quelque chose dans l'obscurité de la cellule. Son coeur battait trop fort dans sa poitrine. Louis était à seulement quelques mètres. Louis était là.
Il entendit d'abord sa voix dans le silence, répondant au garde. Voix qui n'était pas la même qu'il y avait deux jours, beaucoup plus rauque et éraillée. Il se demanda si Louis avait maigri, si on lui donnait à manger dans cet endroit. Il se demanda s'il était attaché, ou s'il pouvait se lever et bouger.
Il allait mourir s'il ne pouvait pas le serrer dans ses bras.
Quand il entra et que le garde eut refermé derrière lui, il mit quelques secondes avant de comprendre que Louis était la forme recroquevillée contre le mur, au fond de la cellule. Ses mains se mirent à trembler. C'était pire que ce qu'il avait imaginé.
Louis était... Il avait l'air d'un animal blessé et apeuré.
Ari se pencha doucement, posa la lampe à huile sur le sol humide. Puis il s'approcha en tendant la main. Les yeux de Louis étaient écarquillés, lui mangeant son visage déjà beaucoup trop émacié.
— Ari, souffla t-il ?
Et Ari sentit les larmes dévaler sur ses joues. Parce que. Louis était tellement faible et petit.
Il se jeta prêt de lui, et prit son visage entre ses mains. La barbe du jeune homme avait poussée, et ses joues piquaient sous ses paumes. Mais surtout, Louis recula avec une grimace. C'est à ce moment là que Ari se rendit compte qu'il avait un bleu énorme sur la joue, et une méchante coupure le long de sa lèvre. Son oeil droit était plus sombre aussi, comme si on l'avait frappé au visage.
— Lou, mais... T'es blessé ? Qui t'as fait ça ?
Louis ne répondit pas, se contentant de prendre les mains d'Ari dans les siennes et de les serrer. Il sourit, un peu effacé, comme s'il était au bord de l'évanouissement. Ce n'était pas normal, pas normal du tout. Louis était toujours si... Si alerte. Vif. Même lorsque Ari l'avait soigné pendant sa fièvre, il n'avait pas le regard aussi trouble.
Ari dégagea doucement ses mains et tenta de le redresser, faisant dévaler son regard sur le corps du jeune homme.
Il fut pris d'un haut-de-coeur en découvrant ses poignets. Lentement, il les prit le plus délicatement possible et les approcha de la lumière.
— Putain, souffla t-il.
La peau de Louis était totalement boursoufflée, rougie et suintante.
— Louis, mon amour... Qui t'as fait ça ?
Maintenant, il ne pouvait pas s'empêcher de pleurer, ne tentant même pas de retenir les sanglots qui prenaient toute la place dans sa gorge. Louis haussa doucement les épaules.
— La corde, murmura t-il.
— La corde ?
— Hm. Quand ils m'ont traîné dans la rue. Ça m'a arraché la peau.
Ari émit un petit gémissement douloureux. Louis disait ça avec tellement de résignation comme si... comme si tout était normal. Ça ne l'était pas. Du tout. Il devait voir un médecin maintenant, avant que ça s'infecte. Ou alors... Ou alors... Ari ne préférait vraiment pas y penser.
Il prit une petite inspiration et glissa ses doigts dans les cheveux de Louis — qui n'avaient pas leur souplesse habituelle — avant de demander :
— Tu as mal autre part Lou ?
— À mon genou. Mais ça va mieux là.
Ari prit la lampe et l'approcha du genou en question. Il avait un bout de peau arraché et un bleu autour de l'os, mais rien qui semblait aussi alarmant que l'état de ses poignets.
— D'accord. C'est tout ?
— Hm. C'est tout... Tu vas rester avec moi Az ? Tu me manquais. J'avais peur sans toi...
Ari lui sourit à nouveau, au milieu des larmes qui brulaient ses joues.
— Je vais être obligé de partir mon amour, mais je vais revenir très très vite. Je te le promets. Demain. Demain je viens te chercher et te sortir d'ici.
L'idée sembla faire réagir Louis. Il cligna légèrement des paupières, et fixa son regard sur Ari. Puis il avança ses doigts vers sa bouche, comme il le faisait si souvent, et caressa ses lèvres.
— Je savais que tu viendrais. Je leur avait dit, à ces connards.
— De qui tu parles ?
— Les gardes, Athis et... Euh, ton père et ta soeur.
Ari fronça les sourcils. Athis ? Qu'est-ce qu'elle venait faire là-dedans ? Elle n'était pas censée avoir seulement vu l'arrestation de loin ?
Devant son air perdu, Louis expliqua doucement, sa voix toujours aussi lente qu'avant :
— Je n'ai jamais voulu te le dire mais... Athis qui travaille avec moi me faisait du chantage. Elle m'a tendu un piège et lorsque je l'ai rejoint derrière l'amphithéâtre, elle m'attendait avec deux gardes et ton père et ta soeur. Ils m'ont accusés d'avoir volé des bijoux de ta mère.
Soudain, ses yeux s'écarquillèrent et il ajouta, la voix un peu altérée par l'angoisse :
— Ce que je n'ai pas fait, je te jure ! Pas... Pas les bijoux de ta mère. Je n'ai pas fait ça. Je ne sais pas comment mais... Ils étaient pourtant dans le coffre de ma chambre. Alors les gardes m'ont emmené ici.
Ari ferma un instant les yeux. Il s'en voulait tellement... S'il avait été là au moment de l'arrestation, il aurait pu défendre Louis. Et il ne serait pas dans cet état à l'heure actuelle. Pourtant, il y avait quelque chose dans l'explication de Louis qui le troublait.
— Qu'est-ce que c'est que cette histoire de chantage Lou ?
Louis baissa un instant les yeux, mal à l'aise.
— Athis... Elle nous avait vu nous embrasser dans la rue. Elle pensait que tu me payais pour être ton esclave attitré, sans que Julia le sache. Alors elle m'a demandé de lui verser de l'argent et en échange de quoi elle promettait de ne pas parler à Julia de notre soi-disant accord.
— Tu l'as fait ?, demanda Ari, atterré de découvrir ce que Athis avait fait.
— Oui... Je l'ai fait.
— Mais... Comment ? Tu as donné tes économies ?
— Non.
Il y eut un silence. Louis se mordilla la lèvre. Et Ari savait très bien qu'il faisait ça lorsqu'il ne voulait pas dire quelque chose, ou qu'il avait honte. Alors il prit son menton entre ses doigts, le forçant gentiment à relever les yeux vers lui.
— Dis-moi, Lou.
— ... J'ai volé dans une maison. Des bijoux. Mais. Mais pas la tienne, je te jure. C'était une maison du centre, des gens que je ne connais pas.
Ari laissa retomber sa main. Il contempla un instant le visage de Louis, ses yeux qui lui hurlaient de ne pas lui en vouloir, ses yeux brûlants de fièvre et de douleur, ses yeux éclairés par la seule lumière faible d'une lampe à huile.
— Tu as fait... Pourquoi ?
— Je ne voulais pas t'en parler ! J'avais honte de, de me faire avoir comme ça !
La voix de Louis était étranglée, et Ari comprit qu'il allait se mettre à pleurer à son tour. Il secoua lentement la tête, repoussa la main du jeune homme qui s'avançait vers lui.
— Tu sais très bien que je ne t'aurai pas jugé Lou. J'aurai pu te donner de l'argent pour que tu n'aies pas à aller voler à des innocents.
— Je sais, je sais...
Cette fois, il pleurait vraiment, les yeux grands ouverts vers Ari, tremblants à cause des larmes.
— Az, ne m'en veux pas, je t'en supplie. J'ai fait ça pour qu'elle nous laisse tranquille, je voulais pas... Je voulais pas faire quelque chose de mal... C'était pas ça...
— Je sais.
Ari soupira. Il se frotta l'arrière de la nuque, ne sachant pas quoi dire.
Louis avait donc vraiment volé. Mais pas chez lui. Était-ce pour autant pardonnable ?
Il se releva, marcha jusqu'à la porte de la cellule et appela le garde qui avança vers lui en grommelant.
— Il n'a pas d'eau et aucune nourriture. Apportez-lui en s'il-vous-plaît.
— C'est pas une auberge ici.
— Apportez-lui en. Je peux vous payer.
Le garde grogna pendant un moment puis il finit par obtempérer, et son pas s'éloigna dans le couloir.
Ari s'avança à nouveau vers Louis, qui ne le quittait pas du regard, semblant épuisé par les larmes qui le faisaient hoqueter.
Il s'agenouilla près de lui, et brusquement, il l'enlaça. Louis émit un petit bruit de surprise, mais très vite, il enfouit son nez dans ses cheveux et le frotta contre le haut de sa nuque. C'était doux. Et tellement eux.
Ari promena ses mains le long du dos de Louis, cherchant sa chaleur, celle de sa peau et de son âme. Ils restèrent l'un contre l'autre un long moment, silencieux, et puis Ari approcha sa bouche de l'oreille de Louis et murmura :
— J'ai eu si peur de t'avoir perdu.
La main de Louis se resserra sur les pans de sa tunique et il souffla :
— Moi aussi, tellement. J'étais en train de devenir fou dans le noir.
— Je... Je ne t'en veux pas, tu sais, ajouta Ari d'une petite voix.
Louis renifla.
Ils s'embrassèrent lentement. La bouche de Louis était sèche, mais Ari apprécia la chaleur de sa langue contre la sienne. Ils se touchèrent les joues, les paupières, le menton, le cou, avec une tendresse insupportable.
— J'ai l'impression de ne pas t'avoir vu depuis des années, murmura Louis.
Ari eut un rire humide.
— Est-ce que j'ai vieilli ?
— Non...
Louis se recula légèrement. Ses yeux brillaient dans l'obscurité.
— Tu es toujours aussi beau... Tu es toujours la seule lumière dans la nuit sans étoiles qu'est ma vie.
Ari laissa échapper un petit rire, et se pencha pour embrasser son nez.
— Si tu penses me séduire avec ce genre de phrases... Tu as raison.
Louis laissa traîner sa main sur sa joue, caressant sa peau.
— Je sais. Je sais...
Ils se séparèrent à contre-coeur en entendant le garde entrer. Celui-ci déposa dans un coin une gamelle pour lui et un pichet d'eau propre. Puis il annonça à Ari qu'il allait bientôt devoir sortir.
Louis se jeta sur la nourriture. Ari, pendant ce temps, arracha deux morceaux de tissus à sa propre tunique et les trempa dans l'eau claire. Puis il prit les poignets de Louis et lui fit deux bandages de fortune, espérant que cela empêche au moins sa chair à vif d'être à l'air libre.
— L'idéal, ce serait que tu les changes dans quelques heures, d'accord ?
Louis hocha la tête, et sourit lorsque Ari arracha deux autres morceaux de sa tunique pour les lui laisser.
— Tu es mon médecin préféré, souffla t-il.
Ari lui déposa un baiser rapide sur les lèvres, puis s'assit une dernière fois près de lui, cherchant sa main dans le noir.
— Redemande à manger si tu as faim tout à l'heure... Je n'arrive pas à croire qu'ils t'ont laissé dans cet état sans rien faire...
— Je suis prisonnier, Ari. Ce n'est pas très étonnant.
— Hm... Tu ne vas pas le rester très longtemps.
Louis baissa la voix, fronçant les sourcils :
— Qu'est-ce que tu veux dire ?
— Je veux dire que demain, je reviens te chercher, et cette fois, tu sors d'ici.
— Comment ?
— Je ne sais pas encore. Je vais réfléchir. Mais je te le promets.
Ils se sourirent. Louis jeta un coup d'oeil vers la porte, puis il se pencha une dernière fois vers Ari et l'embrassa longuement.
— Je t'aime.
— Moi aussi, je t'aime.
Ari se releva. Le garde ouvrit la porte, il lui donna un peu d'argent et lui demanda de rapporter à manger à Louis dans la soirée.
Puis, Ari se retourna une dernière fois, jetant un regard vers l'intérieur de la cellule. Louis était recroquevillé comme à son arrivée, mais il n'avait plus l'air aussi apeuré. Ses yeux étaient calmes. Il entrouvrit la bouche, et ses lèvres formèrent des mots qu'il ne comprit qu'en sortant du bâtiment.
J'ai confiance en toi.
Ari s'arrêta au milieu de la rue, et regarda le ciel. Bleu, immense, limpide.
Demain, Louis retrouverait la lumière.
Demain, ils retrouveraient la lumière.
*
*
*
(je mets cette image parce qu'elle est cool mais le volcan ne fume pas autant à cette étape de l'histoire hein !)
*
*
*
Au loin, dans un champ, deux hommes relevèrent la tête vers le mont Vésuve. Cette odeur de souffre étrange... Ils s'appuyèrent sur leurs pioches, se demandant si ça ne venait pas de la fumée qui semblait sortir de la montagne.
Mais il n'y avait aucun bruit, autour d'eux.
Seulement le chant léger des oiseaux dans les arbres.
Alors, ils reprirent leur travail.
Ignorant le calme avant la tempête.
La dernière tempête.
Celle qui allait plonger le monde dans une nuit sans fin,
Dans quelques heures.
/// À SUIVRE... ///
Hello !
J'espère que ce chapitre vous aura plu... Il est bourré de dialogues, et les dialogues sont un peu ma bête noire alors bon, j'ai l'impression qu'il n'est pas super. :(
La fin approche à grands pas... C'est peut-être bizarre, mais sachez que j'ai trèèèès hâte d'écrire le dernier chapitre. Celui de l'éruption. Et donc, celui de la semaine prochaine. J'ai des scènes dans la tête depuis des jours et des jours et j'espère réussir à les rendre aussi belles que ce qu'elle sont dans mon esprit pour le moment.
Ah et, petit question : étant donné qu'il ne reste plus qu'un chapitre + l'épilogue... Vous voulez l'épilogue le même jour que le chapitre ? Ou un jour après, histoire d'avoir un peu de suspens ? Ou carrément la semaine encore d'après ? Histoire d'avoir BEAUCOUP de suspens ? Dites-moi.
Et aussi, merci beaucoup pour vos retours positifs concernant la version papier de Seul l'amant sait quand il mourra ! Je suis en train de travailler la couverture, donc elle devrait arriver assez vite après la fin de la fiction. Et les prénoms ne changeront pas, je pense, tout simplement parce que le prénom de Harry est déjà modifié, et que Louis n'est pas vraiment identifiable étant donné qu'il n'a même pas les tatouages du vrai Louis Tomlinson... Bref voilà. Je vous en dirais plus dans un update fait exprès pour la sortie de la version papier, mais ça devrait être comme ça. 💙
Merci d'avance pour vos retours... Et à la semaine prochaine pour le chapitre tant attendu (ou pas) - et qui risque d'être assez long ! :)
Juliette. 🌋
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