Brooklyn

Mardi 10 mai : 14h20.
But du jour : avoir une mort à la Claude François.
Remarque : prendre le temps de me faire un bain.

J'ai vu Alix. Enfin, de dos seulement. Jusqu'ici, je me suis empêché de poser les yeux sur lui. Je me le suis interdit. Parce que sinon, je sais que je vais encore sombrer. Et là, j'essaye du mieux que je peux de retenir mes larmes. Heureusement que je n'ai pas vu ses yeux. Si triste. Je les ai vus, lundi. Quand je l'ai trahi. Quand je me suis comporté comme un connard égoïste. Mais voilà, la vérité c'est que j'ai la trouille. Je l'aime, oui. Ça c'est une évidence. Mais je n'en ai pas le droit. Je ne peux pas l'aimer librement. À cause de mon père. S'il savait que je suis gay, il m'obligerait certainement à faire une therapie de conversion, ces choses horribles qui oblige la personne à devenir ce qu'il n'est pas. C'est ça ou il me chasserait de la maison. Je le sais. C'est ce qu'il m'a toujours dit. Sauf qu'avant, ma mère était là. Elle me disait que peu importe mon orientation sexuelle, elle m'aimait et que je pourrais être qui je suis. Sauf que voilà, elle est morte, ma maman. Ça fait cinq ans et je ne suis toujours pas sûr de m'en remettre un jour.
En somme, je me suis comporté comme le pire être humain parce que... parce que je suis un trouillard. J'ai pourri la vie à la seule personne que j'aime parce que j'ai peur de mon père et de ses idées catholiques qui n'ont fait qu'accroître depuis la mort de maman. Parce que lui plus que quiconque, j'ai besoin qu'il m'accepte. Parce que c'est la seule personne de ma famille qu'il me reste. Mes grands parents sont morts avant que je ne les connaisse, ma mère était fille unique et mon père n'a jamais été proche de son frère.
Je suis figé. J'entends seulement Charlie me dire :
- Merde. J'aurais pas dû te parler ici.
Je ne réponds pas, trop concentré à retenir mes larmes.
Charlie remarque que quelque chose ne va pas et me prend dans ses bras. Des larmes s'échappent.
Elle m'étreint pendant... je ne sais pas, cinq minutes peut-être. Mais cela suffit à apaiser un peu mon coeur. Je sais que ce n'est pas facile pour elle. Elle se retrouve entre moi et Alix. On était un trio et maintenant... on est plus rien.
J'entend la sonnerie qui annonce la reprise des cours. Je fais un signe de la main à Charlie puis je retourne en classe. Tout l'après-midi, je prends grand soin d'éviter de regarder Alix. Mais, à la fin de la dernière heure, je ne peux plus résister. Et même si ça me fait mal, je le regarde. Je regarde ce que j'ai perdu. Au final, on a toujours été un couple plutôt calme. Sans dispute. Ou presque... On en a eu une. Une seule. Qui restera toujours gravée en moi.
On était allé se promener dans un parc au lieu d'aller en cours. C'était la première fois qu'il séchait. On parlait. Mais il avait l'air un peu ailleurs. Puis, sans m'en rendre compte, je me suis mis à parler de moi. Il commentait de temps en temps. Déjà, il semblait plus intéressé par la conversation. Et là, je me suis dit que c'était le moment. Le moment de lui dire pour ma mère. Il a juste répondu "désolé". Il ne m'a pas pris dans ses bras. Il ne m'a pas embrassé. Il a simplement dit la même chose que les autres. "Désolé". Je ne peux même pas compter sur deux mains le nombre de personnes qui m'ont simplement dit ça après sa mort. Puis il a changé de sujet. Il a dit que ça le stressait de sécher.
En temps normal, je l'aurais rassuré mais là, j'étais tellement déçu de lui que je n'ai pas répondu.
Un silence est passé, puis deux. Jusqu'à ce qu'il dise cette phrase qui m'a mis en colère.
- Tu t'en fous de moi, en fait.
Comment pouvait-il dire ça ? Alors que lui même donnait cette impression !
Je me suis levé, j'étais prêt à partir pour éviter de lui crier dessus. Mais il m'a retenu en me disant :
- Pourquoi tu pars ? C'est ridicule !
Là, je suis sorti de mon calme habituel.
- Ridicule ? Tu te fous de moi ? Je te parle de moi et je te raconte quelque chose qui compte pour moi et tout ce que tu trouves à dire c'est "désolé" ! J'attendais autre chose de toi ! Puis, ensuite, tu me dis que tu stresses parce que t'es pas en cours ? Mais je t'en prie ! Retournes-y !
Il n'a pas répondu. Il s'est levé et est retourné vers l'établissement. Moi, je suis resté là.
Plus tard, il s'est excusé et j'ai décidé de passer outre. Alors on s'est réconciliés.
Alors je le regarde. Il me manque tellement...
Ce soir, je me dépêche de ranger mes affaires et je me précipite dehors. J'aimerais rentrer chez moi le plus vite possible. Éviter tous ces gens.
Mais Charlie m'interpelle :
- Brook ! Attends-moi, enfin !
Je continue de marcher.
- Brooklyn !!
Je l'ignore.
Mais elle finit par me rattraper. Elle m'attrappe le bras et je le dégage violemment. Je vois dans son regard que ça la blesse et malgré tout, j'espère qu'elle va lâcher l'affaire. Sauf que non, elle ouvre la bouche et avant qu'elle puisse dire un mot, je lui dis sèchement :
- Lâche-moi, Charlie. Ce n'est pas le moment.
Je vois son regard se troubler. Non... j'ai tout gâché. Elle m'en veut j'en suis sûr. Quand elle se met à parler, j'en ai la confirmation.
- Écoute. Je suis là pour toi. Tout le temps, tu vois ? Quand t'as lâché Alix comme une merde, j'étais là. Quand vous vous êtes mis en couple, j'étais là. J'étais tout le temps là !! Mais, tu vois, tu peux pas me chasser et me reprendre quand t'en as envie. Alors okay. Je te laisse si tu veux. Mais je reviens pas après.
Elle attend une réponse de ma part. Mais je reste immobile. Mon âme lui crie de rester mais je ne dis rien.
Alors, sans mots dire, elle part.
Moi, je rentre chez moi. Une fois allongé seul dans mon lit, je pleure.
Je pleure ma mère, qui me manque tellement.
Je pleure mon père, qui ne sera plus jamais le même.
Je pleure Alix, que je considérais comme l'amour de ma vie.
Je pleure Charlie, qui était ma meilleure amie.
Et je pleure mes erreurs, qui m'ont amené à être seul.

Mercredi 11 mai : 7h50.
But du jour : me prendre mes erreurs en pleine face.
Remarque : prévoir un casque (ça risque de faire mal).

Je suis devant le lycée. Je revois la scène. Quand j'ai dit à tout le monde qu'Alix était gay. Quand j'ai retourné ma veste. Comme un idiot. Et je me refais la scène encore et encore. Pourquoi ? J'en sais trop rien... pour me faire du mal peut-être. Je ne devrais pas. Mais je ne peux pas m'en empêcher.
J'arrive devant le lycée. Je suis tellement content de pouvoir retrouver Alix. Il m'a tellement manqué ! J'espère qu'il aura mis le tee-shirt Undertale. Celui que je lui ai offert. Je sourit rien qu'en pensant à la fois où je lui ai fait découvrir ce jeu. Je l'ai installé devant mon PC un jour où mon père était absent. Puis j'ai lancé Undertale. J'ai mis une autre sauvegarde pour qu'il puisse découvrir le jeu par lui-même puis je lui ai montré les touches. Une fois qu'il a eu l'air d'avoir compris, je lui ai dit d'essayer. À la base, il voulait essayer Undertale parce que je lui avais dit que je l'avais fini plusieurs fois. Il a dit qu'il voulait qu'on partage une passion ensemble. Il avait l'air tellement enthousiaste que je n'ai pas pu résister. Pendant qu'il jouait, j'ai attrapé Hamlet et j'ai poursuivi ma lecture. Ça n'a pas duré longtemps. Très vite, j'ai entendu les plaintes d'Alix. Il trouvait le jeu trop compliqué. J'ai regardé sur l'écran et il était déjà mort... Après avoir affronté une grenouille.
J'ai éclaté de rire. Personne ne meurt à cause d'une grenouille ! J'ai mis mes bras autour de lui afin d'accéder au clavier puis je lui ai montré comment faire. Il s'est remis à jouer mais s'est très vite désintéressé pour venir s'installer à côté de moi. J'ai tourné la tête et il m'a embrassé. Un air malicieux dans le regard. Je lui ai dit :
- Alors ? Tu me préfères à Undertale ?
- On dirait bien... Mais je te promets de finir le jeu bientôt !
Et il a respecté sa parole. Quelques semaines plus tard, il m'a dit qu'avec de grandes difficultés, il avait réussi. Pour fêter ça, on est allé chez lui... et on a simplement profité de son lit. On n'est jamais allé très loin. Moi, ça me va bien. Je l'ai lui et c'est tout ce qui compte.
Ainsi, je l'attend devant le lycée. Un groupe de mecs de notre classe arrive devant moi et me salue. Je leur fais un signe de tête.
Ils se mettent quelques pas plus loin. C'est embêtant. Quand je retrouverai Alix, on devra juste faire comme si on était amis. Alors que la seule chose que j'ai envie de faire (alors que je ne le vois même pas) c'est de l'embrasser en le prenant dans mes bras. Je baisse les yeux pour éviter les regards de ce groupe. Je les entends rigoler et, peut être que je suis parano, mais j'ai toujours l'impression que c'est de moi. Et ça me stresse.
Soudain, j'entends des pas s'approcher. Suivis d'une voix :
- Aloooors Brooklyn ! Tu attends Alix ton petit copain ?
Et là, je panique :
- Non.
Tout est venu de là. D'un simple "non" que je n'avais pas réfléchi.
Ils me lancent un regard dubitatif. Je me sens obligé d'argumenter :
- Ce n'est certainement pas mon copain. Je veux dire : "beurk" ! Jamais ! Et puis, ce n'est pas lui que j'attends.
Je sens un haut le cœur. Je me donne envie de vomir. Ça y est. Je vais devenir comme mon père. Un sale homophobe.
Ils ricanent :
- Ah oui ? Pourtant, ça se voit, qu'il est gay !
Dans ma tête je vois rouge. Pardon ? Les gens gays ont des particularités ? Comment osent-ils ?
Je dois répliquer. Leur dire la vérité. Que nous sommes en couple et qu'ils feraient mieux de la fermer. Mais je n'y arrive pas. Je n'ai pas le courage de m'assumer, voilà la vérité. Et je me déteste pour ça. Je ne suis pas à défendre. Je sais que je suis en train de commettre quelque chose d'irréparable. Je ne demande à personne de m'aimer. Ni de me pardonner.
Alors je réponds :
- Il m'a dit m'aimer. J'ai été dégouté ! Il est bien gay !
C'est dit. Je me dégoûte. Je suis détestable.
Tout ça, c'est de ma faute. Je mérite de mourir, putain. Je ne mérite pas d'être avec quelqu'un. Je ne mérite pas le pardon.
Mes larmes coulent. Alors que je suis en plein milieu de la rue.
Je vois la route. Et la mort, alors, me parait tellement tentante...
Je fais un pas, puis deux, en direction de la route où les voiture roulent à toute vitesse.
Une fois au milieu, j'attend la caisse qui me fauchera.
Comment suis-je sensée me regarder en face après ce que j'ai fait ? Je ne peux pas.
Je n'ai pas le droit de vivre.
C'est tellement lâche. Je suis tellement lâche. Je fuis mon acte par la mort. Je ne veux pas survivre parce que la vie après ne vaut pas le coup. Parce que je me détesterai toujours. Et que ma survie sera trop difficile. Lâche. Je me répète en boucle ce mot qui me definit si bien.
Je sais que si je ne meurs pas maintenant, je serais toujours malheureux.
Je me déteste, putain. Je me dégoûte. J'ai tellement honte.
Je vois une voiture bleue foncer sur moi. Je tourne la tête pour voir les passants. Pour voir qui sera témoin de ma mort.
Et c'est là que je croise le regard de Charlie.

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