À la poursuite du Triton
Ça s'annonçait très mal. Seth, caché derrière un de ses propres canons, regardait les hommes de son équipage, ses camarades, se faire tuer les uns après les autres. Son capitaine était mort depuis un moment, bien avant l'assaut d'ailleurs. C'était le risque encouru par tout pirate qui se respecte : prendre un débris de bois pointu soufflé par l'impact d'un boulet de canon.
Le charpentier du Pearl, bien qu'il sache se battre, était plus fin stratège que manieur de lame, contrairement à celui qu'il cherchait du regard sans le trouver. Ça s'annonçait vraiment mal. Seth s'écarta du canon et courut en direction d'une cale, donc la trappe avait été soufflée par une salve de tir. Il descendit les marches à la va-vite, manquant de glisser par deux fois, et réfléchit. Il lui fallait une solution, et vite. Mais d'abord, il devait retrouver Finn. Il l'avait perdu du regard, et ça l'avait rendu incapable de penser correctement. Avec lui à ses côtés, il serait déjà en position de force, et en mesure de négocier une reddition correcte et sans trop de pertes auprès du capitaine Reigns.
- S-Seth... appela une voix empreinte de douleur.
Le pirate leva les yeux du sol, chercha la provenance de la voix. Il trouva le corps suant à grosses gouttes de Finn, allongé contre les dernières réserves de poudres. Seth se précipita sur lui, et examina rapidement son état. Quelques égratignures, mais un méchant plomb fiché dans le mollet. Ça saignait beaucoup, et l'impact sortant à l'arrière avait l'air d'avoir un peu déchiré le muscle.
- Je suis désolé... j'ai manqué d'attention...
- Finn, arrête de parler, coupa Seth. Économise toi. Tout ira bien, la balle est ressortie, il faut juste trouver de quoi te faire un bandage et...
Finn posa une main sur sa bouche, le faisant taire. Quand le charpentier se fit enfin totalement silencieux, les doigts tremblants du blessé se glissèrent sur sa joue, caressant la barbe hirsute de Seth.
- Il faut que tu t'en ailles, dit Finn. Sauve-toi tant que tu le peux encore.
- Non, je ne t'abandonne pas comme ça.
- Si, tu vas le faire. Le capitaine du Kraken ne laisse aucun survivant. Et je refuse que la dernière chose que je voie soit ta mort.
Seth resta un moment silencieux. Une boule se forma dans sa gorge, et il serra les dents pour ne pas laisser les larmes déborder. Là, c'était le moment de penser, et de penser juste.
- Ils n'ont pas de charpentier, donc ils me tueront si je reste là, murmure-t-il. Mais toi, Finn, tu es un guerrier rapide et agile. Roman Reigns prendra le temps de te faire soigner. Il te gardera en vie.
- Je peux encore nager !
- Non, tu ne peux pas, et tu le sais très bien. Avec un mollet dans ton état, tu n'arriverais même pas à plonger. Et je ne pourrais pas te porter jusqu'à la rive. Il faut que tu remontes sur le pont. Laisse Roman te prendre comme captif, laisse-le te remettre sur pied. Et je viendrais te chercher.
Si Seth réussit à ne pas laisser ses émotions le trahir, il n'en fut pas le cas pour Finn, qui laissa ses joues se noyer sous les larmes de douleur et de désespoir.
- Comment tu sais où tu pourras me trouver ? demanda-t-il.
- Parce qu'il cherche la même chose que nous. Il veut le Trésor de Cuba, mais il lui faut la carte. Et la carte, elle est à Port-Royal. C'est là qu'il va aller, et d'ici, il va mettre une semaine. Si je n'arrive pas à l'atteindre avant qu'il y soit, je vous suivrai.
La gorge de Seth se serra. C'était sa seule chance. Après ça, Roman Reigns n'aura plus besoin de l'équipage récupéré sur d'autres navires, et Finn mourra. À moins qu'il se montre très convainquant, et qu'il guérisse de sa blessure très vite, Finn n'avait aucune chance de survivre sans Seth.
- Je promets que je viendrais te chercher, Finn...
Le pirate s'apprêta à répondre quand des cris se firent entendre à l'entrée de la cale. Seth bondit vers le trou produit par un boulet de canon, et lança un regard vers Finn. Ses lèvres s'articulèrent sans produire aucun son, mais Finn comprit très bien les mots.
"Je t'aime."
Puis Seth plongea, et Finn ferma les yeux, attendant que les hommes de Roman Reigns le soulèvent pour le remonter sur le pont.
Seth nagea jusqu'à l'île la plus proche, où il se laissa échouer lamentablement sur le sable, vomissant le peu d'eau de mer qui avait réussi à se frayer un chemin dans sa gorge. Il se retrouva vite à l'ombre quand une silhouette massive s'approcha de lui.
- Bah alors, t'es un drôle de poisson toi...
Seth recracha une autre gerbe d'eau, et se redressa pour regarder l'homme, hagard.
- Où on est là ? demanda-t-il.
- Arthur's Town, répondit l'homme de sa voix bourrue, caressant sa barbe hirsute. C'est pas trop loin de ton île de pirate.
Par réflexe, Seth cacha la marque au fer imprimée sur son poignet.
- Oh, m'en fous tu sais. Tu m'as l'air mal en point.
- Il faut que je rejoigne Nassau.
- J'me doute bien, t'as rien à foutre sur une île de pêcheurs, mais ça va pas être possible ça.
- Et pourquoi ? rétorqua le pirate. Vous avez des bateaux. Je ne compte pas vous voler.
- Je sais, mais on ne s'approchera pas de Nassau. Trop dangereux.
- Personne ne vous attaquera si je suis à bord. Ils savent que les pêcheurs ne s'approchent pas de l'île, mais s'ils vous voient arriver avec un drapeau blanc, ils vous laisseront tranquille. On n'a peut-être pas les mêmes lois que la Couronne, mais on a un code d'honneur. Et on ne s'attaque pas au drapeau blanc.
Le pêcheur resta silencieux un moment, semblant réfléchir. Il gratta sa barbe, levant les yeux au ciel.
- Tu me promets qu'on ne risque rien ? demanda-t-il finalement.
- Rien du tout. Ils reconnaissent un bateau de pêcheur, et s'il compte mouiller à leur port, ils savent que ce n'est pas dans un but offensif. Et je suis prêt à payer le prix que tu veux pour que tu m'y amènes.
- Et qu'est-ce qui est si important pour que tu sois prêt à t'amputer de ta fortune ? ricana le pêcheur.
- Je dois sauver quelqu'un. Quelqu'un de très important.
Le ricanement du barbu se transforma en rire franc, dénué de toute moquerie.
- Et comment s'appelle ta donzelle ?
- Finn. Fieffé forban, tout comme moi.
- Et bien, se renfrogna le pêcheur, tu n'as pas peur du regard de Dieu, toi...
- Dieu ne m'a jamais aimé. Je ne vois pas pourquoi je lui rendrais la pareille.
- Hm. On part dans trois heures, le temps de rassembler des vivres pour trois jours, et de dire au revoir à ma femme.
- D'accord pêcheur, laisse-moi cinq minutes pour vomir mon reste d'eau de mer, et je te rejoins.
Le pêcheur se retourna pour aller vers l'intérieur des terres, puis fit volte-face.
- Le pêcheur s'appelle Braun, au passage.
Finn se réveilla le surlendemain, fiévreux. Sa jambe cuisait, le rendant incapable de la bouger. Sa tête tournait, et la cale du bateau qui tanguait au fil des vagues n'arrangeait rien. La nausée le prit, et il dût se faire violence pour ne pas se vomir dessus.
Finn promena ses mains autours de son corps. Il était allongé sur une table, un coussin à moitié éventré sous la nuque.
- Et bien, t'es un dur toi, grommela une voix près de lui.
Finn réussit à faire le point et regarda l'homme qui se tenait debout près de lui. Il portait de petites lunettes sur le bout de son nez, et avait coiffé sa moustache rousse à la perfection. Le malade bafouilla une question que le médecin sembla comprendre.
- Je suis le Docteur Jack Gallhager, dit le Gentleman, va savoir. Et pour répondre à la question suivante : oui, j'ai réussi à enlever le plomb qui t'a massacré la jambe, mais tu as eu du muscle arraché, et vus nos moyens à bord, j'espère pour toi que tu es assez solide pour guérir. Si la gangrène te choppe le mollet, je serai bon pour te le scier.
Finn laissa retomber sa tête sur le maigre coussin. Il avait mal, la fièvre l'empêchait de rester concentré sur ce qui se passait autour de lui, mais quand il entendit une voix ferme, il parvint à se faire violence pour suivre le nouvel arrivant du regard. Jack recula d'un pas, lissant sa moustache du bout des doigts, et laissa place à un homme massif, à la carrure d'une statue de marbre, dont le bras tatoué de haut en bas attira son attention. Il avait les cheveux longs, mouillés, et collés à sa chemise de lin.
Finn tenta de se redresser pour faire face au capitaine Roman Reigns. Bien que celui-ci inspirait la terreur, Finn ne voulut en aucun cas passer pour un faible peureux. Tout ce qu'il réussit à faire fut de grimacer de douleur et de retomber lamentablement sur la table, se cognant la tête au passage. Le capitaine le toisa, narquois. Finn baissa les yeux, et remarqua la jambe de bois sur laquelle s'appuyait le grand barbu.
- Ménage-toi, soldat, lui dit-il de sa voix bourrue. Sinon tu finiras avec la même que moi.
- Pourquoi vous ne m'avez pas tué ? demanda le malade.
Finn avait une idée de la réponse, mais il voulait l'entendre le lui dire.
- À ton avis ? Pourquoi tu te garderais en vie, si tu étais à ma place ?
Le pirate serra les dents. Jack se penchait sur sa blessure et s'amusait à la trifouiller à coup de pinces, examinant ses chairs nues et bouillantes. Roman Reigns se pencha vers lui, ses longs cheveux mouillés venant caresser sa joue barbue, et il sourit.
- Parce que tu étais le meilleur guerrier de ce fichu rafiot que j'ai peiné à couler. Les vrais pirates comme toi se font rares de nos jours, et je préfère te prendre de force sur un navire concurrent que d'aller acheter un esclave pour trois vieux sous.
- Vous m'avez donc capturé pour faire de moi un trophée ?
- Pas exactement. Je te vois plutôt comme... un outil. Un outil très utile là où on va.
Finn serra les dents une fois de plus, les faisant grincer. Jack se redressa et s'essuya les mains sur son tablier de boucher déjà bien souillé.
- Il va lui falloir du repos, Capitaine, annonça-t-il. À l'heure qu'il est, je ne peux pas vous garantir qu'il sera sur pieds quand on arrivera à La Havane.
- Fais ce que tu peux, répondit le capitaine en se détournant de Finn, dédaigneux.
Roman s'apprêtait à quitter la cabine quand Finn attrapa sa chemise pour le retenir. Il tourna à peine la tête pour le regarder, mais Finn soutint son regard.
- Je ne suis pas un objet, capitaine. Vous apprendrez bientôt à me respecter.
Roman pouffa, amusé, et le força à lâcher sa prise. Finn l'entendit ouvrir la porte, pousser un matelot qui se trouvait là, à les écouter parler, et l'avisa :
- N'essaye pas de t'en faire un jouet, Bray, sinon tu sais ce qui se passera. Tu m'as déjà vu faire.
Le malade réprima un frisson. À côté de lui, Jack avait pâli. Il regardait la porte comme si le diable en personne s'apprêtait à la franchir, mais Bray ne sourcilla pas, et se détourna de la pièce pour suivre le capitaine.
- Je te plains, soupira Jack. Tes jours ici ne vont pas être faciles.
- Pourquoi ça ? demanda Finn.
- Tu n'as jamais entendu parler de Bray Wyatt ? The Fiend ?
Finn hocha la tête, négatif. Jack ne répondit pas. Il lissa une fois de plus un pan de sa moustache, se posta près de sa tête, et posa une main sur son front, fermant les yeux, l'air grave.
- Resquiescat in Pace, camarade...
Seth atteignit la côte de Nassau le jour exact que Braun avait prédit. Il invita le pêcher à venir boire une choppe à la taverne en sa compagnie, lui promettant qu'aucun mal ne serait fait ni à lui, ni à son navire. Le pêcheur déclina, arguant qu'il ne voulait que récupérer assez de vivres pour repartir, et une couchette pour faire sa sieste, avant de remettre les voiles. S'il attendait plus longtemps, vu le ciel, il allait goûter à la tempête. S'il prenait de l'avance, il pourrait encore l'éviter. Seth comprit, mais n'en fut pas moins déçu. Il avait en tête, depuis le début de son périple en compagnie du grand barbu, de lui prouver que tous les pirates n'étaient pas que des vils sans cœur, et que beaucoup sur cette île avaient des principes tenaces.
Braun lui assura le croire, et quelques heures après sa sieste, il était prêt à reprendre la mer. Seth le salua chaleureusement, lui offrant une bourse bien remplie de shillings, restes d'une prise qui datait de plusieurs mois. Quand le petit navire du pêcheur ne fut plus qu'une tâche à l'horizon, le pirate rebroussa chemin et remua le sable jusqu'à la taverne, en plein Nassau. Il commanda une choppe de bière bien remplie, et intima au barman de lui envoyer tous les marins qui étaient à la recherche d'un équipage à rejoindre. Il but la moitié de sa choppe en silence, observant les forbans chanter à tue-tête et danser en vacillant.
Il était occupé à regarder la mousse s'estomper dans son verre quand une jeune femme en chemise de lin et corset vint s'asseoir en face de lui. Seth leva les yeux vers elle, et fut surpris de voir un visage aussi beau barré par un bandeau noir qui lui servait de cache œil, ou du moins, l'orbite qui lui restait. Elle avait de longs cheveux noirs, et une pipe mal taillée en bouche. Elle frotta les pierres de son briquet pour l'allumer, et attendit patiemment que Seth prenne la parole.
- Je... tu viens pour rejoindre l'équipage ? demanda-t-il.
- J'ai l'air d'être venue par simple courtoisie ? rétorqua la jeune femme.
Seth s'abstint de répondre.
- Je dois juste te prévenir que
- Que tu n'as plus de navire, coupa-t-elle avec un sourire. Tout le monde est au courant de ta mésaventure, capitaine Seth Rollins.
- Fâcheux, murmura-t-il.
- En effet. Surtout quand on sait qui compose l'équipage de Roman Reigns.
- Qui ?
La jeune femme se renfrogna. Elle tira deux longues lattes sur sa pipe et fixa un point lointain, dans le vide.
- The Fiend...
Seth manqua de s'étouffer avec la mousse de sa choppe de bière. Bray Wyatt n'était qu'une légende pour tous les pirates, aucun de ceux étant encore vivant ne pouvant témoigner l'avoir vu. La plupart de ceux qui croisaient sa route mourraient. C'était un fou, un fou avec une carrure de monstre, un esprit de démon, qui prenait les plus faibles pour ses pantins, et s'amusait à leur faire du mal jusqu'à ce que ceux-ci ne le supplient de les tuer.
- Mais t'es pas mal célèbre dans ton genre, capitaine. Et j'ai toujours rêvé de voguer aux côtés d'un forban comme toi, avec des principes.
- Et bien tu es engagée alors, répondit Seth, reprenant ses esprits. À condition que tu me donnes ton nom.
- Banks. Sasha Banks. Comme les endroits où la Couronne planque ses rentrées d'argent. On va chasser le capitaine Reigns, donc ?
- Exactement. Et si on peut chasser son objectif, au passage, ça n'en serait que plus bénéfique.
- Le fameux trésor de Cuba ?!
- Tout à fait.
Seth s'étonnait toujours de la rapidité à laquelle allaient les nouvelles par ici. Mais Nassau voyait transiter tellement de bâtiments aux couleurs noires, que ce n'était finalement pas si surprenant de constater que les gens ici savaient tout sur tout.
Sasha contourna la table pour s'installer à côté de lui, et tous deux passèrent le reste de la journée à recruter des matelots en quête d'argent facile. Par malchance, aucun d'eux ne possédait de navire. Fort heureusement pour lui, il apprit dans la journée qu'un capitaine fort réputé pour poignarder tous ses amis dans le dos, avait justement mouillé le matin même à Nassau. Son navire, un ancien de la marine anglaise, fort élancé, avait fait parler de lui comme étant le navire pirate le plus rapide des sept mers.
Seth se rappela alors de cette fameuse fois où son capitaine, Jack Skeleton (nom choisi pour inspirer la terreur, mais il aurait pu mieux faire) s'était allié avec le capitaine du Scavenger. Ce cher Dolph Ziegler, tous cheveux blonds dehors, lui a assuré être disposé à partager le butin qu'il ne pourrait pas aller chercher seul sur l'île Perdue, comme ils avaient l'habitude de l'appeler à l'époque. Seth était encore bien jeune, mais il comprit vite à la fureur de Jack, ce soir-là, que cet enfoiré de blond l'avait amené sur l'île pour que lui fasse diversion tandis qu'il chargeait la totalité du butin sur le Scavenger, mettant les voiles aussitôt et laissant Jack et le Pearl se démerder tout seul face aux autres concurrents. Le Pearl étant plus résistant que rapide, cette escarmouche ne leur avait coûté que des réparations, et très peu de pertes humaines. Depuis, Jack avait Dolph dans le collimateur. Mais son bien aimé capitaine étant au fond de l'océan, Seth décida qu'il vengerait la mémoire de son capitaine (et du Pearl), en mettant la main sur le Scavenger.
L'équipage attendit que la nuit soit tombée et que la majorité des hommes de Ziegler ait débarqué pour s'offrir du bon temps. Le capitaine étant très permissif quant à la gestion du bateau par ses hommes, Seth ne serait guère surpris de trouver un bâtiment vide en montant sur le Scavenger. Pour éviter cependant que ses hommes ne se fassent tuer en montant tous en même temps sur le pont, Seth demanda à deux d'entre eux de monter la garde, et aux autres de se cacher sur la plage, non loin de là. Lui monta sur le pont en compagnie de Sasha, légère et assez discrète pour assassiner silencieusement.
Ils trouvèrent le pont désert, les cales presque vides. Seuls trois hommes, près des canons, étaient assis à une table et se partageaient une bouteille de rhum. Sasha s'accroupit immédiatement derrière un baril de poudre et Seth se faufila sous les escaliers. S'ils n'étaient que deux, il aurait presque foncé dans le tas, mais ils sont trois. Aucun d'entre eux ne devait s'échapper pour donner l'alerte.
Seth était encore en train de réfléchir quand il vit du coin de l'œil Sasha, qui s'avançait à pas de félins vers le premier, dos à eux. Elle plaqua une main sur sa bouche et d'un geste rapide, lui enfonça son sabre dans le dos jusqu'à ce qu'il ressorte par son thorax. Les deux autres pirates poussèrent des exclamations de surprise et l'un d'eux tomba à la renverse, emportant avec lui la bouteille, qui se brisa. Le plus alerte sortit son sabre de son fourreau et le leva maladroitement devant lui, défiant Seth qui s'était mis en garde. Sasha, en une roulade, se rapprocha du troisième, toujours à terre, et le tua tout aussi facilement. Seth échangea plusieurs coups contre son ennemi, mais la jeune femme, ennuyée, roula des yeux et s'empara de sa nuque pour la briser.
- J'aurais pu m'en sortir tout seul, bougonna Seth.
- Arrêtes Capitaine, tes jambes étaient mal placées, tu te serais battu raide comme un piquet, et il aurait pu prendre l'avantage bien trop facilement. Peut-être que tu aurais réussi à le battre, à l'usure, mais on n'est pas ici pour y passer la nuit.
Elle avait raison. Seth était charpentier, maintenant capitaine charpentier. Il était plus fin stratège que combattant, parce qu'il avait l'avantage non négligeable de bien connaître les points forts et les points faibles des navires, rien qu'en les regardant.
Tous deux partirent vérifier que personne d'autre ne se cachait à bord. Ils eurent le temps de constater que le Scavenger risquait d'être lourd à en juger par la quantité de canon et de poudre bien supérieure à ce qui pouvait se trouver sur le Pearl. Cela risquait de les ralentir. Seth songea un instant à débarquer plusieurs canons et barils afin d'alléger le bateau, mais celui-ci était massif, bien plus que le Pearl qui avait une silhouette plus fine et était conçu pour la vitesse et la résistance aux dégâts, pas à l'attaque. Le Scavenger était un navire de la marine anglaise, lent et créé pour pouvoir attaquer et faire de gros dégâts à distance. Cependant, c'était tout ce que Seth pouvait s'offrir pour le moment. Ce bâtiment ferait donc l'affaire tel quel. S'il se mettait en route sans tarder, il devrait pouvoir combler la distance entre Roman et lui en quelques jours.
Sasha monta sur le pont pour siffler les deux gardes, qui les attendaient toujours patiemment au pied de la passerelle. Ils coururent chercher les autres, et une fois tout le monde à bord, ils mirent les voiles aussitôt, mettant le cap sur Cuba.
Finn mit plusieurs jours, qu'il ne compta pas, à terrasser sa fièvre. Sa jambe demeura cependant rouge, gonflée, et de sa plaie suintait un pu nauséabond et de très mauvais présage. Le docteur faisait tout son possible pour sauver sa jambe, mais plus le temps passait, plus Finn perdait espoir de pouvoir un jour remarcher sur ses deux jambes.
Seulement aujourd'hui était un jour spécial. Aujourd'hui, Finn se sentait suffisamment bien pour oser sortir de la cale, aidé d'une canne de fortune. Poser son pied par terre lui demanda une volonté de fer tant la douleur était atroce. L'air frais marin et le soleil ardent lui firent un bien fou. Personne sur le pont ne prêta attention à lui, ni à Jack qui le suivait de près pour éviter toute chute ou aggravation. Il alla trouver le capitaine Roman Reigns derrière le gouvernail, regardant fixement l'horizon comme s'il tentait d'y découvrir une vérité cachée. Finn savait que Roman l'avait vu, mais il l'observa faire comme si de rien n'était.
- Capitaine, toussota Jack, Finn a demandé à vous parler.
- Et il ne pouvait pas le dire lui-même, mon cher Jack ? La fièvre a emporté sa langue ?
- Absolument pas, coupa le concerné, mais j'ai encore assez de respect pour vous pour ne pas souhaiter vous couper dans votre désir de m'ignorer.
Roman eut un rictus, et tourna légèrement la tête pour le toiser, s'attardant sur son mollet blessé, maladroitement bandé avec ce qu'il restait de coton. Le tissu était déjà jaunâtre, humide de sécrétions infectieuses.
- Et bien, je m'étonne que la gangrène n'ait pas encore eu raison de ta jambe. J'espère pouvoir débattre du fait d'être estropié avec toi.
- Quel sujet de conversation intéressant, maugréa Finn. J'espère que vous continuerez d'en discuter seul.
Roman ne répondit pas sur le champ. Il héla un de ses hommes qui se promenait sur le pont, et lui fit signe de venir le remplacer. Quand il put enfin lâcher le gouvernail, le capitaine boita jusque lui. Jack fuit son regard, faisant mine de coiffer sa petite moustache. Le capitaine s'approcha si près de Finn que celui-ci put déceler des effluves de rhum dans son haleine.
- De l'alcool de si bon matin, capitaine ? Quelle triste vie vous devez avoir pour en être réduit à ça.
- Tu sais, je pourrais ordonner à mes fidèles pirates ici, de te saisir et de te traîner jusqu'à la table qui t'a servi de lit pendant trois jours. Je pourrais me faire plaisir à te verser de l'eau de mer dans le petit trou de merde que tu as dans la jambe, ou je pourrais tout autant leur demander de te bloquer le corps le temps que je scie moi-même ton vulgaire mollet. Alors si je peux me permettre un conseil : parle-moi sur un autre ton, ou je laisserai ton corps pourrir et flotter jusqu'à ton cher ami Seth Rollins.
À l'entente de ce nom, Finn tressailli. L'idée qu'il puisse mourir avant de revoir son amant lui était jusqu'alors inconcevable, et pourtant, c'était toujours une possibilité. Mais le pirate était une forte tête. Il ne se laisserait pas marcher sur les pieds et il ne s'écraserait pas comme un pauvre toutou.
- Battons le fer dans ce cas. Un duel, entre gentlemen. Si je perds, je perds ma jambe. Si vous perdez, vous me laissez guérir en paix. Et vous me parlez sur un autre ton.
Roman serra les dents, agacé. Pourtant l'idée de pouvoir l'humilier une fois de plus lui arracha un sourire, ou du moins, quelque chose qui y ressemblait. Il se détacha de Finn et s'approcha de son subordonné, qui gardait l'œil fixé sur l'horizon. Sûrement une habitude prise à force d'être sous le commandement de Roman. Le capitaine tira la lame de son homme hors de son fourreau et revint vers Finn pour la lui tendre.
Celui-ci se mit en garde sur le champ, faisant fi des soupirs et des marmonnements de Jack, derrière lui, qui n'approuvait pas cette joute. Roman dégaina lui aussi son épée, avec la lenteur d'un escargot. Il jaugeait son adversaire du regard, le toisant avec une pitié certaine, et surtout beaucoup de dédain. Finn s'en fichait. Qu'il gagne ou qu'il perde ne sauverait de toute façon pas sa jambe, il le savait. La douleur se faisait sentir en permanence, à tel point qu'il commençait à s'y habituer. Sans ça, il ne se serait certainement pas encore levé de sa couchette de fortune.
Roman commença à jouer de ses jambes, tournant autour de Finn, qui s'adapta bien rapidement, bien que boitant. Le capitaine alla bien vite au contact de l'épée de son adversaire, tentant un fendu qui fut paré avec facilité. Finn n'avait rien perdu de sa technique. Les coups s'enchainèrent ensuite, le prisonnier se défendant tant bien que mal, jusqu'à ce que, fatigué d'être en mauvaise posture, il réussit à déstabiliser Roman en esquivant un coup, plutôt que de le parer comme il en avait pris l'habitude pendant ce duel. Finn avait bien du mal à se déplacer, le trou dans sa jambe se faisant toujours plus douloureux. Il profita que Roman tombe à la renverse, se retenant de chuter grâce à la rambarde qui le séparait du pont. Le capitaine eut à peine le loisir de pouvoir se défendre contre deux attaques sournoises, mais la troisième le laissa à la merci de la lame de Finn, qu'il pointa sous sa gorge.
Un silence se fit. Jack soupira, presque soulagé que son patient ait réussi à garder l'avantage sur la fin du duel. Roman garda le silence, n'osant se moquer une fois de plus de son prisonnier, qui venait de prouver que même blessé, il restait un adversaire à sa taille.
- J'ose espérer que vous me traitiez avec un peu plus de respect à l'avenir, Capitaine Reigns. Si vous le permettez, je vais prendre congé de vous dès à présent et retourner pleurer ma douleur sur la table d'opération du bon docteur.
Finn n'attendit pas la réponse. Il avait fait son ton acerbe à dessein, et se retourna vers Jack, lui faisant signe qu'ils pouvaient (et devaient) retourner sans plus tarder dans la cabine du docteur.
Quand ils passèrent sur le pont, Finn croisa le regard d'un grand homme qui le regardait avec des prunelles d'un noir abyssal, déstabilisant. Le pirate réprima un frisson, tandis que l'homme, d'une tête et demi de plus que lui, lui adressait un sourire sans joie, presque un rictus de folie que Finn ne souhaita pas approcher, mais qu'il n'eut aucun autre choix que de le côtoyer, deux jours plus tard.
La jambe ne guérissait pas. Finn avait de plus en plus mal. La fièvre était revenue la veille, l'emportant dans un délire qui lui faisait lire des écritures celtiques sur les murs de la cabine. Écritures que Jack le Gentleman s'évertuait à faire semblant d'effacer, ne sachant quoi faire d'autre pour calmer les hallucinations persistantes de Finn. Ce fut quand le docteur s'en alla pour aller lui chercher de quoi manger, que le grand pirate aux yeux noirs s'approcha de lui. Abattu par ses délires, le malade n'eut que la force de le suivre du regard. Il le vit s'emparer de la scie, qui traînait non loin des autres ustensiles de Jack, et se rapprocha de Finn.
- Qui es-tu ? murmura faiblement le pirate.
Pour toute réponse, le grand homme caressa la jambe blessée du bout des doigts, et sans prévenir, enfonça son énorme index dans le trou purulent, arrachant un hurlement de douleur qui alarma les hommes occupés sur le pont, qui rappliquèrent tous, une expression d'horreur sur le visage. Aucun d'entre eux n'osa s'approcher, regardant la scène de loin. Bray étira ses lèvres en un sourire malade, levant la scie à hauteur de son visage. Il retira vivement son doigt de la plaie et se saisit du mollet, qu'il commença à scier, sous les regards horrifiés du reste de l'équipage.
Bray découpait la jambe de Finn sans se préoccuper des cris bestiaux qui sortaient de la gorge du prisonnier, que les autres pirates ne purent que prendre de pitié. Le malade se contorsionnait, ne sachant que faire d'autre pour atténuer la douleur, sans succès. Au-dessus de sa tête, il n'entendit pas la jambe de bois claudicante de Roman s'approcher des escaliers, descendre sur le pont, et entrer dans pièce à son tour, le regard sévère.
- Où est Jack ?! rugit le capitaine.
- Aucune idée, gémit un membre de l'équipage. Il n'était déjà pas là quand on est arrivé pour voir ça.
Roman ne releva pas et s'approcha de Bray, qu'il toisa.
- Ça suffit. Qui t'a permis de perpétrer ce massacre ?
Bray ne répondit rien, et continua de scier follement le mollet de ce pauvre Finn, qui se tordait toujours de douleur. Roman lui enserra le bras, tentant de le faire lâcher, sans succès. Bray tourna la tête vers lui, souriant de toutes ses dents.
- Il. Le. Mérite, mâcha-t-il.
La scie râpa contre la table, et le mollet atterrit dans la grosse main de Bray, qui le brandit comme un trophée.
- Je garde ça pour moi, vous faites ce que vous voulez du reste, grogna-t-il en se dégageant de la poigne du capitaine.
D'un pas assuré, il quitta la pièce sous les yeux médusés de ceux qui avaient encore la force de ne pas détourner le regard de ce massacre. Roman le regarda partir, pâle. Tremblant, il ordonna à son équipage de retourner à son poste, et resta un instant à côté de Finn, délirant, qui gémissait et pleurait de douleur. Il posa une main sur son front, fermant les yeux.
- Je suis désolé, murmura-t-il. Je savais que cet homme était dérangé, mais tous les chiens se tiennent en laisse, normalement.
- Il semblerait que celui-ci ait réussi à briser ses chaines, grogna Jack, passant la porte, un bol de potage à la main. Faites-lui manger ça, si vous êtes désolé, moi je vais tenter de récupérer cette boucherie.
Seth naviguait à toute vitesse. Il ne dormait que quand Sasha le forçait à lâcher la barre, ne se reposant que quand il sentait son énergie s'évaporer pour de bon. Il n'était plus très loin de Roman, il le savait. Mais il avait aussi ce très mauvais pressentiment qui le pressait d'accélérer. Il ne sut de quoi il s'agissait que quand il trouva son équipage sur le pont, médusé, regardant l'énorme filet de pêche qu'ils déployaient chaque jour pour leur fournir du poisson.
Seth était absorbé par l'horizon à cet instant. Maintenant le cap sans se soucier du reste, il ne sortit de ses songes que quand Sasha, pâle au point que même ses lèvres roses avaient pris la couleur d'un fantôme, ne vint lui secouer l'épaule. Son œil unique était exorbité et elle ne put que balbutier quand le capitaine lui demanda de quoi il s'agissait. Elle lui fit signe de le suivre, alors il appela un de ses fidèles marins pour le remplacer à la barre. Sasha passa devant, et Seth put remarquer à quel point ses fines jambes tremblaient, à quel point elle s'approchait du filet uniquement parce qu'elle devait le guider jusqu'ici pour lui montrer. Elle fuyait tout du regard, et Seth commença à paniquer en son for intérieur. Jamais il n'avait vu Sasha de la sorte.
- O-on... on a trouvé ça dans la pêche du jour... on...
Seth baissa les yeux sur le filet. Quelques bars, des gros poissons. Et au milieu de tout ça, un mollet. La chair fripée, humidifiée à souhait, et quelques morceaux de muscle arrachés. C'était le gauche, manifestement, mais ce qui frappa Seth, c'était le trou au milieu. La personne qui possédait ce morceau de jambe avait dû prendre une balle il y a moins d'une semaine. Et le capitaine ne connaissait qu'une seule personne qui naviguait vers Cuba, et qui ait pris une balle dans le mollet gauche.
Pris de nausée, Seth ferma les yeux, humant profondément l'air marin. Sa tête le tourna, et il crut tomber pendant un court instant. À côté de lui, Sasha demandait aux hommes d'emporter le poisson, de ranger le filet, et de retourner à leurs postes. Elle s'approcha ensuite de lui.
- Capitaine ? Je... je suis désolée, bredouilla-t-elle.
Seth ne répondit rien. La tête basse, il se traîna jusqu'à sa cabine, au fond du bateau. Sasha, inquiète, lui emboîta le pas. Le capitaine ne dit mot, accélérant le pas. Ses mains se mirent à trembler, sa respiration s'écourta. Il se sentit trébucher sur des cordes qui traînaient dans le passage, et quand il parvint enfin à la cabine en désordre, n'abritant qu'un large bureau en chêne, un hamac de fortune, des livres et un ou deux coffres.
Il sembla réfléchir un instant, ne sachant quoi faire. Sasha souffla, presque rassurée, mais assista soudain à la folie de son capitaine, qui commença à tout détruire sur son passage. De ses mains rageuses, il arracha le hamac de sa poutre en hurlant, se jeta sur son bureau, le renversa. Plusieurs cartes qui se trouvaient dessus furent déchirées, et Seth hurla, envoyant son pied rageur dans les coffres, qui tremblèrent. Son poing s'écrasa plusieurs fois dans le bois des murs, et il hurla encore, et encore, et encore, sous les yeux médusés d'une Sasha dépassée, ne sachant quoi dire ou quoi faire pour calmer la crise de nerf de l'homme.
Les yeux écarquillés, il empoigna sa seconde par le large col de sa chemise de lin, et la rapprocha de son visage déformé par la folie.
- Je veux que toutes les voiles soient dehors, grogna-t-il. Je veux chaque marin de ce foutu bateau sur le qui-vive, parce que dès qu'on verra ne serait-ce qu'un petit bout du cul du Triton, je veux que tous les canons soient sortis.
- Mais capitaine... si vous faites couler le navire...
- Je. Ne. Veux. Aucun. Survivant.
Sasha ne sut où regarder tant le visage de Seth lui inspirait la peur.
- Capitaine Rollins, je devine votre rage, je la comprends même... mais vous n'arriverez pas à vous apaiser en cessant d'agir raisonnablement.
Surpris par ces mots, Seth lâcha le col de Sasha, l'autorisant à reculer près de la porte. Derrière le large panneau de bois, tous deux purent entendre plusieurs voix qui débattaient de la situation.
"Ça y est, il est devenu fou..." murmura une des voix.
Sasha ne releva pas, mais les yeux de Seth s'assombrirent.
- Vous n'êtes pas fou, capitaine, rassura la seconde. Mais vous ne prenez pas les bonnes décisions. Accélérer la cadence est peut-être une bonne chose sachant qu'on a gagné du terrain sur le Triton, mais vouloir le décimer sur votre passage ne vous donnera que plus de chances de perdre le propriétaire de cette jambe. C'est votre but ultime, on l'a tous deviné ici. Mais je refuse d'être sous les ordres d'un homme dont la réputation le précède, mais qui a cessé de réfléchir avec sa tête. Alors reprenez-vous, sinon c'est moi qui vous taperai dessus.
Seth resta immobile un instant, pendant lequel Sasha se demanda s'il l'avait bien entendu, s'il était seulement encore présent dans ce monde. Son visage se détendit et se marqua d'une profonde tristesse. Sasha se demanda même s'il n'allait pas se mettre à pleurer.
- Tu as raison, murmura-t-il enfin.
Sasha hocha la tête, puis s'écarta de la porte pour le laisser passer. Il l'ouvrit à la volée, surprenant les curieux qui avaient l'oreille collée contre le bois, et brailla :
- Le prochain curieux que je surprends en train d'écouter aux portes ira pêcher le poisson à la nage, au milieu des requins ! C'est bien clair ?!
Les trois hommes, recroquevillés devant la porte, se firent encore plus petit, si cela était seulement possible, et déguerpirent aussitôt le silence refait.
Le Soleil brillait, haut dans le ciel, quand Finn essayait sa jambe de bois, titubant dans le cabinet de fortune de Gentleman Jack. Celui-ci le regardait d'un œil bienveillant, prêtant une attention particulière à ses progrès. Le capitaine Reigns tenait à ce que Finn reçoive les meilleurs soins de sa part, et avait fait mettre Bray aux fers pour bien lui faire comprendre que torturer psychologiquement ses victimes, quand celles-ci s'apprêtent à couleur avec leur navire, c'était bien, mais pas leur couper la jambe alors que Roman comptait sur eux pour rejoindre les rangs et être leur meilleure chance de mettre la main sur le trésor de Cuba.
Le capitaine était d'ailleurs venu rendre visite à Finn tous les jours, voulant être témoin de sa guérison, et s'assurant que tout allait bien pour lui. Finn avait presque trouvé un ami en lui, jusqu'à ce que le capitaine se retranche derrière sa carapace d'indifférence, et qu'il ne lui rappelle qu'avec ou sans mollet, il devra se battre pour lui de la même façon.
Ce jour-là fut le jour le plus horrible de la vie de Finn, jusqu'à présent, mais aussi le plus beau. Il était en train de faire ses premiers pas avec une prothèse façonnée par le charpentier du Triton, sous l'œil attentif de Jack Gallagher, quand Roman Reigns entra en trombe, faisant claquer la pauvre porte en bois qui n'avait rien demandé.
- Amène-toi, mon bon Finn, il faut que tu assistes à ce spectacle, déclara-t-il, souriant.
- Quel spectacle ? demanda innocemment son prisonnier.
Roman éclata d'un rire franc, presque moqueur.
- Mais moi en train de couler le Scavenger, pardi ! Je parie ma jambe de bois que c'est ton cher capitaine Seth Rollins qui a fait descendre toutes les voiles pour nous rattraper !
Roman remonta illico, tout enjoué, ordonnant à ses matelots de faire sortir les canons, et de les charger. Finn resta pantois, regardant l'embrasure vide de la porte, accusant la surprise, puis la peur grandissante qui s'empara de lui quand il comprit que Seth était vraiment venu le chercher, au risque de sa propre vie. Cette constatation lui arracha un sourire, cependant, car son capitaine avait tenu sa promesse.
Finn fut donc forcé à remonter sur le pont pour regarder le Scavenger leur foncer droit dessus. Dans son dos, Roman ordonna de sortir les canons, et de se préparer à faire feu. Le pirate aurait vraiment eu peur pour Seth, s'il n'avait pas déjà rencontré le Scavenger un jour. Le navire que son capitaine avait volé était fait pour résister à ce genre d'attaque. Et si Seth avait gardé l'arsenal du navire, alors la partie se terminerait certainement en sa faveur.
Roman lui adressa un sourire espiègle, presque moqueur, et s'en retourna donner des ordres à ses matelots, laissant son blessé devant la vision de boulets de canons qui s'élancent vers la coque du Scavenger. Finn serra les dents et pria pour pouvoir remonter sur le bateau avec Seth. Il s'en fichait que Roman se fasse tuer, il s'en fichait du Triton, il se fichait de toute cette fausse gentillesse. Si Finn pouvait ne pas rester une seconde de plus ici, s'il était même capable de nager, il aurait déjà sauté du pont. Malheureusement, avec une béquille et une jambe en moins, c'était peine perdue : il coulerait comme un plomb.
Finn resta là pendant un moment, à réfléchir à un plan d'évasion pour faciliter la tâche de Seth, quand un bras s'enroula autour de sa gorge, le privant d'air, et une main se plaqua sur la bouche, l'empêchant de crier. Dans la surprise, le prisonnier lâcha sa béquille, lui faisant perdre légèrement l'équilibre. Son bourreau le traîna jusque dans la cale.
Sur le pont du Scavenger, Seth tournait comme un lion en cage. Sasha le regardait faire tout en donnant des ordres à l'équipage. Le but, aborder le plus tard possible. Elle savait que son capitaine n'avait pas d'autre choix, alors elle s'y résignait. Elle ne se faisait pas de soucis pour lui ou pour elle, car elle savait que tous deux étaient parfaitement capable, mais le reste de l'équipage avait surtout été engagé pour manier un gros navire, pas pour se battre. Ils avaient jusque-là compté sur la carrure du Scavenger pour éviter à tout prix de devoir débarquer des gens sur le pont ennemi, mais là, c'était une autre histoire. Ils ne pouvaient se permettre d'aborder à deux. Les forbans, de l'autre côté, étaient bien trop nombreux et bien trop prêt à leur couper la tête.
Seth perdit son équipage de vue très rapidement. Ils avaient bien reçu les ordres, il n'aurait pas à s'inquiéter de ça. Quand il posa le pied sur le pont du Triton, son premier réflexe fut de chercher Finn du regard. Il s'attendait à le voir là, au milieu de tous, à se rebeller soudainement pour s'en aller. Mais non. Le pont était rempli de pirates, tous hurlant plus fort que jamais, espérant faire peur à l'envahisseur, mais Finn était absent. En parcourant le pont des yeux, Seth repensa à ce que lui avait dit Sasha à la taverne, peu avant qu'il ne l'engage.
Il y avait le fameux Bray Wyatt à bord du Triton, et cet homme était réputé pour se choisir une victime et la briser avant de la tuer. S'il y avait bien un pirate à éviter à tout prix, c'était lui. Et il n'était pas non plus sur le pont. Seth s'accorda une seconde pour respirer profondément et ne pas céder à la panique. Ceci ne pouvait être une coïncidence. Quand il rouvrit les yeux après avoir humé l'odeur salée de l'océan, Seth s'élança vers la cale.
Quand il se pencha pour ouvrir la trappe qui le mènerait à Finn, une lame se posa sur sa joue et le força à se relever. Il fit donc face à Roman, le regard sombre, qui le toisa comme il savait si bien le faire.
- Tu sais que je ne te laisserai pas faire un pas de plus vers le fond de cette cale, annonça le capitaine de sa voix grave.
- Et tu sais que je ne reculerai devant rien pour sauver Finn, rétorqua Seth. Toi et moi on a navigué ensemble suffisamment longtemps pour que tu saches que je ne laisse pas mourir ceux que j'aime.
- Mais ton cher Finn fait à présent partie de mon équipage.
- Qui te l'a dit ? Lui ? Ça m'étonnerait. Maintenant laisse-moi passer.
- Tu ne fais pas le poids contre moi, menaça Roman. Abandonne maintenant, et je laisserai la vie sauve à ton équipage.
Seth ne répondit pas. Il loucha vers la pointe du sabre de son ennemi, puis le toisa.
- On perd du temps, tu sais. Bray doit être en train de réduire Finn en pièces, et ça n'arrange aucun de nous deux. Donc si tu ne veux pas que je te fasse couler, toi et ton rafiot, laisse-moi descendre le chercher. Si tu me laisses faire, je rappelle mes hommes et on partira sans faire d'histoire. Peut-être même que je te laisserai le trésor qui se trouve dans la grotte, là-bas.
Un éclair de compassion illumina les prunelles noisette de Roman. Sa jambe de bois cogna deux fois contre le bois du pont, et Seth le vit serrer les dents.
- Est-ce que tu es sûr que tu peux le sauver ? demanda le capitaine.
- Il le faut.
La lame de Roman se baissa, et il haussa les épaules avant de faire volte-face, laissant Seth se débrouiller avec ce qui l'attendait là-dessous. Le pirate ouvrit la trappe, jeta un œil en dessous, et réfléchit un instant. Il se félicita d'avoir réussi à ne pas engager le combat. Roman avait raison, il n'aurait pas tenu cinq minutes face à lui. Et il avait même encore moins de chance de tenir une seule minute face à la folie de Bray Wyatt. Mais, quand il revit le sourire de Finn, quand il se rappela les nuits qu'ils avaient jadis passés ensemble, leurs moments de complicité, son cœur déchiré lorsqu'il avait dû le laisser pour mort dans la cale du Pearl, il ne put se résoudre à avoir peur. Il le fallait. Seth devait tenir, pour Finn. Le capitaine du Scavenger s'élança et descendit dans la cale, plongée dans l'obscurité.
Seth marcha pendant presque une minute sans croiser personne. Les pirates qui s'occupaient des canons avaient tous désertés pour aller combattre sur le pont. Il ne trouva qu'un homme, près d'une porte close, le visage perlé de sueur et les yeux paniqués. Quand Seth s'approcha de lui, l'homme se redressa et s'agrippa à lui.
- Quelqu'un doit l'arrêter...
Ces paroles sortirent dans un murmure qui glaça le sang du pirate. L'homme mit un certain temps à le lâcher, portant ses doigts à sa petite moustache, qu'il lissa nerveusement. Seth recula d'un pas pour prendre de l'élan, avant d'enfoncer la porte. De l'autre côté, il trouva Finn, en larmes, allongé sur une table en bois, un homme massif qui ne devait être nul autre que le Fiend, penché au-dessus de lui.
La première chose qui frappa le pirate fut la cicatrice encore saignante par endroits, et la jambe qui lui manquait indéniablement. C'était donc bien ça : la jambe que son équipage avait repêchée était bien la sienne.
- Seth, murmura faiblement Finn.
Bray réagit immédiatement. Il se redressa pour toiser le nouvel arrivant, lui offrant un sourire déformé et des yeux pétillants de folie. Finn ne se redressa même pas pour le regarder entrer. Seth ne répondit plus de rien. La rage qui bouillonnait en lui depuis des jours pris le dessus, et il se jeta sur l'immense corps de Bray, le faisant tomber à la renverse. Il ne vit pas Finn tourner la tête vers lui, lui présentant son visage plein de bleus, et son regard apeuré.
Le pirate abattit son poing dans la figure d'un Bray qui riait aux éclats, hurlant presque de joie alors que Seth le faisait de plus en plus saigner du nez et de la bouche. Il tenta à peine de se débattre, mais finit par abandonner. Son bourreau ne s'arrêta pas pour autant et continua de le frapper, encore et encore.
Seth ne s'arrêta pas quand il sentit la respiration de Bray Wyatt devenir de petits soupirs saccadés, lui faisant recracher le sang qu'il avalait au fur et à mesure des coups. Ses yeux ne le regardaient même plus. Le pirate ne se rendait même plus compte de ce qu'il était en train de faire, des conséquences que ça pourrait avoir. Mais Finn savait que Seth n'était pas comme ça. Ça n'était pas l'homme qu'il aimait.
- Seth, appela-t-il de sa voix faible.
Le pirate abattit à nouveau son poing dans la figure sans forme de Bray, qui avait cessé de rire.
- Arrête...
Seth leva son poing en l'air pour préparer son prochain coup, mais il sembla plus attentif à ce que Finn allait lui dire.
- Ça c'est Bray... ce n'est pas toi, Seth.
Finn s'en voulut d'être dans un aussi piteux état. Pendant que Roman était occupé à essayer de couler le Scavenger, Bray avait traîné Finn jusqu'ici, chassant Jack de son cabinet. Il s'était longuement amusé à trifouiller la cicatrice encore cuisant de son prisonnier, la rouvrant au passage. Et maintenant, Finn sentait la fièvre revenir. La sueur perlait déjà sur son front, il grelottait de froid alors que dans les Caraïbes, en plein été, il devrait mourir de chaud... vraiment, s'il n'était pas à deux doigts de délirer à nouveau, il espèrerait ne pas avoir à se faire encore plus raccourcir la jambe. Là, il y avait plus urgent. Seth abattit une fois de plus son poing dans la joue de Bray.
- Tu as toujours évité le combat... pour éviter de perdre les gens qu'on aime. Et... je n'ai pas supporté tout ça pour te perdre toi.
Le poing de Seth se leva à nouveau, mais resta en l'air. Finn le vit trembler, ou peut-être était-ce la fièvre.
- Je ne pourrais pas endurer ça, murmura-t-il. Je peux tout perdre : mes bras, mes jambes, tout ce que tu veux, Seth. Mais pas toi...
Le poing du capitaine se baissa, et il resta là, tremblant, les épaules rentrées, sans rien dire. Derrière lui, Finn se redressa tant bien que mal, et se laissa tomber par terre. La fièvre l'empêchait de pouvoir se maintenir correctement. Il rampa jusqu'au torse de Seth auquel il se colla.
Quand il sentit les mains fébriles de son amant, le capitaine du Scavenger ne put retenir ses sanglots. Il ferma les yeux, fort, pour ne plus voir le visage sans forme de Bray. Il agrippa ses doigts aux bras de Finn, et il pleura.
- Je suis désolé, répéta-t-il comme une litanie. Désolé, désolé, désolé....
- Tu as tenu ta promesse, coupa doucement Finn. C'est tout ce qui compte. Alors s'il te plait... laisse-le et rentrons à la maison.
Trop fatigué pour continuer, Finn se laissa tomber sur le dos de Seth. Celui-ci l'ajusta correctement, et se releva, le portant. Pressé de retourner sur son navire, maintenant que sa rage s'évaporait petit à petit, il ouvrit la porte à la volée, tombant nez à nez avec un Roman à la fois hors de lui et apeuré. Il brandit son épée sous le nez de Seth, qui le toisa durement.
- Tu ne m'empêcheras pas de partir avec lui, grogna-t-il. Tu ne t'es pas montré respectueux envers ton prisonnier, et ne parlons même pas de ce que Bray a pu lui faire. Tu aurais dû l'en empêcher, et tu n'as rien fait.
Roman ne répondit rien. Il pourrait sortir son pistolet et lui tirer une balle en pleine poitrine, mais Jack lèverait encore une fois les yeux au ciel. Et puis de toute façon, il lui fallait admettre que Seth avait raison.
- Si j'apprends que tu l'as laissé en vie, renchérit le pirate, je vous traquerai tous les deux, et vous irez nourrir les requins.
- Compte sur moi pour réparer cette vieille erreur, répondit Roman à demi-voix.
Le capitaine du Triton jeta un œil à Finn, mal en point, qui peinait à garder les yeux ouverts tant la fièvre le pesait. Il s'écarta d'un pas, vaincu, et laissa passer Seth, qui ramena Finn à bord du Scavenger.
Quand Finn se sentit déposer sur un lit au matelas un peu dur, il esquissa un sourire faible.
- Ça y est, murmura Seth en lui caressant la joue. Tu es à la maison.
Finn se laissa donc emporter dans un sommeil profondément réparateur, son sourire toujours figé sur ses lèvres. Il était enfin chez lui.
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