Chapitre 5

Je ne sais pas depuis combien de temps je cours. Quelques secondes?  Quelques minutes? Je suis contrôlée par ce besoin de fuir qui me tord de l'intérieur, me forçant à continuer à avancer peu importe où je vais. C'est une force irrationnelle que j'ai commencé à détester au fil du temps, la peur. Mais de qui? De quoi? Pourquoi?

C'est dans un parc que je finis par arrêter, à bout de souffle. Je ne suis jamais venue ici. Où est-ce que je me trouve? Pourquoi ce parc, alors qu'il ne me dit rien?

La vie a décidé que je n'étais pas assez perdue dans ma tête, il faut que je le sois aussi géographiquement. Pourquoi elle s'acharne sur moi? Pourquoi est-ce qu je n'arrive pas à redevenir normale?

C'est tellement calme ici. Presque personne n'a le temps de venir en plein milieu d'une journée de semaine. Un groupe de jeunes enfants de garderie s'amuse dans les modules de jeu sous la surveillance de deux éducatrices. Je les entend rire et crier à l'autre bout du parc, alors qu'ils se courent les uns après les autres. Un couple dans la sexagénaire ou septuagénaire est assis sur un banc regardant simplement devant eux, profitant de la chaleur du soleil. Quelques bancs plus loin, un autre homme âgé lit son journal. Des pigeons mangent les restes d'un repas sur une des tables. Tous ces petits détails paisibles m'aide à me calmer.

Je m'assois au sol, directement dans l'herbe en enlevant mon sac. Après quelques secondes d'hésitation, je sors ma tablette à dessins et l'ouvre sur une nouvelle page. Un crayon à la main, je commence à tracer des lignes sur la feuille. Elles se rejoignent, se superposent, s'entremêlent pour recréer les scènes devant moi. Le parc, les modules, le vieillard, les pigeons. J'enchaine les croquis, c'est un dessin après l'autre, pourtant aucun d'entre eux ne me convient. Par manque de satisfaction, je les retravaille, les perfectionne, passant brusquement d'une page à l'autre.

Je les transforme. Ce n'est plus des reproductions, je réinvente entièrement les paysages. Ils sont trop beaux, trop parfaits, trop paisibles. Je trace, je raye, je griffonne, je crayonne. Il n'y a plus rien de délicat, de posé ou de calme dans mes gestes. C'est de la violence, de la colère à l'état pur J'évacue tout, la haine contre la vie qui s'acharne sur moi, mais aussi contre moi-même pour ne pas être assez forte, la peine enfouie au fond de moi qui me pèse un peu plus chaque jour, la peur de ce que j'ai vécu, de ce qui pourrait encore m'arriver. J'appuis sur le papier sans me soucier du résultat. C'est comme une transe dans laquelle je suis prise sans aucun contrôle.

Je m'arrête brusquement après une dernier trait. J'observe le résultat de chaque dessin. Ils représentent tous une scène de parc, au même moment. On peut reconnaître les paysages autour de moi, même s'ils sont tous différents de ce que l'on voit réellement, beaucoup plus sombres, plus tristes, plus durs. Chaque esquisse comprend une petite fille, la même que la dernière fois. Une petite fille recroquevillée, en larme. Une petite fille impuissante face à au serpent qui lui fait face. Un de ces reptiles rampant, puissant et mortel. Les autres acteurs de chaque scène ne la remarquent pas. Captivés dans leur monde idyllique, presque parfait, ils ne voient pas la détresse dans ses yeux. Ces images reflètent ma vision de ce qui m'entour.

Je les observe une dernière fois, analysant chaque détail, mémorisant chaque ligne, avant de refermer mon cahier, d'enfermer ces image à jamais entre ses pages. Je remet le tout dans mon sac pour essayer de retrouver l'école étant assurément en retard pour le prochain cours.

***

En essayant de revenir sur mes pas, j'ai réussi à trouver assez facilement l'école. Je n'étais pas si loin finalement. Par contre, le cours de français est déjà commencé et mon retard considérable. Je n'ai vraiment pas envie d'y aller. En arrivant aussi tard au premier cours, est une chance assurée de se faire remarquer. Je ne peux pas me permettre de commencer à manquer des cours le premier jour. Je dois passer au travers de l'année, pour papa... et pour maman.

J'arrive devant la porte de la classe, un porte identique à toute les autres classes. La même couleur, la même poignée, la même petite fenêtre en plein centre, même les moulures sont pareilles. La seule différence visible est le petit panneau à la gauche de la porte; «François Dorion». C'est normal, car chaque panneau indique le nom du professeur utilisant la classe pour l'année.

Je suis vraiment ridicule à essayer de retarder le plus possible le moment où j'aurais à frapper contre cette fichue porte.

Rassemblant mon courage, je lève finalement mon poing devant la porte et cogne trois légers coups. La porte s'ouvre sur un homme qui est assurément M. Dorion. Il est de taille moyenne ce qui signifie qu'il est tout de même plus grand que moi. En plus d'être un peu bedonnant, une calvitie commence à paraître dans ses cheveux poivre et sel.

- Alors mademoiselle, on arrive en retard à son premier cours?

Ça question n'en aie pas une. Il me montre clairement qu'il dirige, que c'est lui qui est en autorité dans cette classe et que je dois respecter ses règles.

- Je suis désolée...

C'est tout ce que je trouve à redire en gardant la tête baissée. De toute manière, c'est certainement ce qu'il veut, qu'on se soumette à sa supériorité donnée par sa condition d'enseignant. Il sourit et ce sourire dominant qu'il affiche me fait comprendre que j'ai raison.

- Quelle est votre prénom, jeune fille?

- Astrée, je lui répond la tête toujours baissée.

Il prend une pause en me regardant de haut, me faisant baisser la tête encore plus. Il profite de la situation, appréciant la domination qu'il a présentement sur moi.

- Veillez à ce que ça ne se reproduise plus.

- Je ferai attention.

Il semble satisfait de ma réponse.

- Très bien, mademoiselle Astrée, vous pouvez aller vous installer au bureau libre à la deuxième rangée. Ce sera votre place jusqu'à nouvel ordre.

Je regarde où est située ma nouvelle place et panique rien qu'en la voyant. Elle est en plein milieu de la classe. J'essaie de ne rien laisser paraître alors que je vais m'installer, mais je suis sûre que M. Dorion l'a remarqué. Il reprend tout de même son cours comme si rien ne c'était passé, alors que moi, je sens les regards dans mon dos. Je sais que plusieurs personnes me dévisagent en ce moment.

Je suis nerveuse et n'importe qui avec des yeux pourrait le remarquer. Je joue avec mes cheveux ou mon crayon et ma jambe gauche sautille. Je n'ai aucun contrôle en ce moment et je ne le supporte pas. Mon angle mort est rempli de personnes qui ont la possibilité de me faire mal.

Les secondes s'égraine lentement avant que l'heure annonçant la fin de mon calvaire arrive. Les couloirs sont relativement vide, peu d'élèves devaient avoir cours cet après-midi, ce que je prend en note dans ma tête. Je retourne rapidement à mon casier range mes cahiers et me prépare à partir lorsque quelque chose attire mon attention.

Une voix!

Je suis presque sûre de la reconnaître, même si je n'arrive pas à savoir à qui elle appartient. Ce n'est pas normal. Le but en venant ici était de faire en sorte de ne connaître personne et que personne ne me connaisse.

Est-ce que quelqu'un aurait aussi déménagé en même temps que moi? Mais qui aurait fait ça? Et surtout, pourquoi?

Lorsque je me retourne, il n'y a que des nouvelles tête, des inconnus, aucun visage que je connais.

Je rentre au campus en marchant. Ça me fait du bien, j'avais besoin d'être à l'extérieur. Dans les couloirs, je croise Max qui me sourit légèrement. Une certaine froideur s'est installée entre nous, depuis l'autre matin, mais ce n'est pas grave, c'est même mieux je dirais. Une relation quelle qu'elle soit ne serait bénéfique à aucun de nous deux.

Après avoir déposé toutes mes choses, je m'installe sur mon lit pour appeler mon père. On s'appelle presque tous les jours. Je sens qu'il s'inquiète malgré ce que je lui aie demandé, mais je le comprend, je ne suis pas très stable. Après trois sonnerie, il répond.

- Allô, ma puce. Comment s'est passé ta première journée?

J'hésite quelques secondes avant de décider de ne pas lui raconter ce qu'il s'est réellement passé. Je sais que c'est mal, mais si je lui dis, il se sentira encore plus coupable qu'il ne l'est déjà. En plus, ce n'est pas comme s'il pouvait changer quelque chose à la situation.

- Très bien, j'ai réussi à me débrouiller. Durant la pause du midi, je me suis promener un peu autour de l'école et j'ai trouvé un parc, j'y suis restée tout l'heure du dîner.

Une chance qu'il ne me voit pas, il aurait tout de suite percé mon mensonge.

- Temps mieux... Tu devrais essayer de te faire des amis, c'est toujours mieux pour s'intégrer.

- Papa... Tu sais que je ne peux pas, je n'en suis pas encore capable. J'aimerais, je te le jure, mais ça m'est juste impossible pour le moment.

- Je le sais ma fille, je le sais. Avance à ton rythme.

Après ces paroles, un silence s'installe. Il n'y a rien de lourd ou de gênant, on sait que l'autre est à l'autre bout du téléphone et c'est suffisant pour me réconforter. Je me rappelle alors de ce qu'il s'est passé avant de quitter l'école.

- Papa, est-ce que tu aurais entendu parler d'un jeune du village qui serait lui aussi venu à Montréal?

- Hum... Je ne me souviens pas avoir entendu parler de quelque chose du genre. Pourquoi cette question?

Je lui parle alors de la voix que j'ai eu l'impression de reconnaître en sortant de l'école.

- Bon, ce n'est pas parce que je n'ai pas eu ouï-dire d'un départ que ça ne peut pas être arrivé. Je garderais les oreilles ouvertes et t'avertirai s'il je découvre quoi que ce soit.

- Merci papa.

On continue à parler encore un petit peu avant que je ne raccroche pour aller me coucher. La journée a été assez épuisante mentalement pour moi.

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