chapitre xii

Blythe et Eden finirent par rebrousser chemin quand le soleil commença sa descente vers l'horizon. L'air s'était rafraîchi mais ils étaient trop obnubilés par la présence de l'autre pour y prêter attention.

Le trajet du retour fut complice. Blythe ne lâcha pas la main d'Eden, s'amusant de voir le jeune homme rougir et détourner la tête, gêné, à chaque fois qu'il se penchait pour déposer un baiser bruyant sur sa joue. Il protesta, en vain ; Blythe avait rêvé de pouvoir se conduire ainsi depuis des années, et il refusait de laisser passer sa chance.

Quand ils arrivèrent enfin à Serendipity, le crépuscule était tombé sur la vallée, et Joy les attendait impatiemment devant la porte grande ouverte du hangar.

— Enfin ! s'écria-t-elle quand les deux jeunes hommes dévalèrent le sentier pour la rejoindre. J'ai cru que vous étiez tombés dans un ravin et que j'allais devoir envoyer César à votre recherche !

Blythe s'en voulut de l'avoir inquiétée, et il s'excusa, imité par Eden.

— Qu'est-ce qui vous a pris tellement de temps ? Il y avait un problème avec les instruments ? s'enquit Joy en croisant les bras.

— Non, tout va bien ! Il n'y a rien à signaler au lac, tout est sous contrôle. On a juste profité de l'occasion pour... discuter.

Ils n'avaient que très peu parlé, tout compte fait. Ce n'était pas ce dont ils avaient eu besoin. Ce qu'ils cherchaient était la chaleur et l'attention de l'autre, et cela s'était fait dans un silence entrecoupé de paroles tendres, parfois sans queue ni tête.

— Vous avez disparu toute la journée pour discuter ?

L'expression ahurie et énervée de Joy fondit comme neige au soleil quand elle prit la peine d'observer les deux garçons qui lui faisaient face et qui penchaient la tête d'un air contrit. Ses yeux s'arrêtèrent d'abord sur leurs mains, encore entrelacées, et sur les cheveux de Blythe où Eden s'était amusé à tresser des fleurs et des brins d'herbe. Le jeune homme avait refusé de les retirer, au plus grand bonheur d'Eden.

— Oh, lâcha Joy. Oh.

Elle se racla la gorge.

— Bon, je suppose que ça ira pour cette fois... Mais ne me refaites pas ce coup, les menaça-t-elle. Je ne suis pas rassurée de vous savoir si loin.

— Nous étions en sécurité. Et puis, ce n'est pas comme si nous étions sans défense, souligna Blythe.

Il avait bien pensé à glisser une arme à feu et des munitions dans son sac avant de partir. Il ne supportait pas de la porter à la ceinture, comme le faisait Porter, mais il n'était pas inconscient au point de s'en passer. César avait été inflexible sur ce point : il sortait armé, ou pas du tout.

Le choix avait été vite fait.

— Les balles te seraient inutiles contre une faille, répliqua Joy.

L'enthousiasme de Blythe fut aussitôt douché, et ce fut au tour de Joy d'arborer une grimace d'excuse.

— Ce que je veux dire, c'est que les dangers de la vallée ne s'affrontent pas avec des armes. Il est impossible d'y faire face tout court, expliqua-t-elle.

— Avez-vous souvent été confrontés à des failles à l'exception de celle du lac ? intervint Eden.

— Il arrive que d'autres s'ouvrent le long du sentier. La plus proche qu'il m'ait été donné l'occasion d'enregistrer s'est manifestée à une centaine de mètres du refuge. C'est pour cela que, même si le chemin jusqu'au lac est généralement sûr, la prudence est de mise.

Blythe se rappelait cette journée. Il était arrivé à Serendipity quelques mois plus tôt et la menace de la faille l'avait mis dans un tel état qu'il avait supplié César de lui donner quelque chose, n'importe quoi, pour qu'il n'ait pas à affronter la réalité ou ses cauchemars jusqu'à ce que la faille se referme – ou les emporte tous. Il avait passé trois jours assommés par les médicaments et surveillés de près dans l'infirmerie.

Il comprenait la réaction de Joy. Ils étaient plus fort en tant que groupe, et aucun d'entre eux n'aimait quand ils étaient séparés, même si chacun ressentait le désir de se retrouver seul et de quitter le refuge de temps à autres. Les escapades jusqu'au lac étaient l'une des sorties les plus aventureuses que les habitants organisaient, et d'ordinaire seul Blythe s'y confrontait.

— Mais ce qui est fait est fait, soupira Joy. Je ne peux qu'espérer que vous serez plus prudents la prochaine fois.

Ils promirent tous les deux de ne pas refaire la même erreur, même si Blythe mentirait s'il affirmait regretter s'être écarté des règles. Cela en avait valu la peine.

Il semblait qu'ils étaient revenus pile à l'heure pour le dîner. César leur adressa un sourire ravi quand il les aperçut, et Poppy se décala avec plaisir quand Eden lui demanda s'il pouvait s'assoir à côté de Blythe, et non pas à l'autre bout de la table comme il en avait l'habitude. Elle pinça également Isaac quand il eut le toupet de protester. Félix, quant à lui, réagit par un hochement décidé de la tête.

— C'est arrivé au bon moment, déclara-t-il avec certitude. Pas trop tôt, ni trop tard. Enfin, je l'espère.

Sur ces paroles cryptiques, il s'absorba dans son assiette. Blythe interrogea Eden du regard.

— Ne t'inquiète pas, lui répondit-il. C'est comme ça que Félix retranscrit ses pensées. Il est compliqué de le suivre, mais on s'y fait.

Malgré avoir passé presque dix jours en sa compagnie, Félix restait un mystère pour Blythe. Il était très ouvert en apparence, toujours agréable et enjoué, mais comme Poppy l'avait souligné, ce n'était qu'une façade. La seule personne susceptible de connaître le véritable Félix était Eden, et il n'était guère disposer à partager ses connaissances.

Rien ne presse. Il avait retrouvé Eden, il prendrait la peine de découvrir Félix à son rythme. Il n'avait nulle part où aller, après tout.

Le dîner fut animé, comme toujours, chaque habitant partageant ce qu'il avait fait de sa journée. César avait enfin terminé le rangement de l'infirmerie et du laboratoire avec l'aide de Joy, Poppy avait tenté une nouvelle recette qui s'était terminée de manière désastreuse, et Isaac et Félix avaient passé de longues heures à la fabrication d'un long mobile en papier à accrocher au plafond de verre de la salle commune.

— L'air est trop vide, et la hauteur est angoissante, expliqua Félix. Ainsi, on aura l'impression de toucher le plafond et de pouvoir le retenir avant qu'il ne nous écrase.

Tout le monde acquiesça, comme si le raisonnement était limpide. Tant qu'il était heureux, à quoi bon se fatiguer si personne ne saisissait ses réelles motivations ?

Pourtant, Blythe se retrouva à attendre impatiemment la fin du repas. Les habitants lui avaient manqué, bien entendu, mais pas autant qu'Eden. Le garçon qui se trouvait à ses côtés, leurs épaules s'effleurant à chaque mouvement, et qui s'assurait que son verre d'eau soit toujours rempli.

Comme punition à leur retard, Joy assigna Blythe et Eden à la vaisselle. Avant de se retirer pour la nuit, elle saisit la manche de Blythe.

— Il est hors de question que je retrouve quoi que ce soit de compromettant sur le canapé demain matin, le prévint-elle. Suis-je bien claire ?

— Comme de l'eau de roche.

— Parfait. Bonne nuit, les garçons.

Jamais les plats ne furent lavés aussi vite. En seulement quelques minutes, la cuisine était parfaitement rangée, et Blythe en profita pour se jeter à l'eau.

— Veux-tu dormir avec moi ce soir ?

Comme Eden le fixait avec surprise, il ne put s'empêcher d'ajouter :

— Juste dormir ! C'est innocent. Oh, mon Dieu, ne me regarde pas comme ça... Vu qu'on a tous les deux du mal à trouver le sommeil, on pourrait peut-être essayer de le chercher à deux.

— Et si je te disais que j'en veux plus ?

Cette fois, ce fut au tour de Blythe de se retrouver sans voix. Eden avait l'air hésitant, mais pas timide.

— Pas ce soir, et probablement pas demain ou dans un futur proche non plus, mais un jour, oui. Je... Je ne suis plus un enfant, Blythe. Je ne veux pas que tu me regardes comme si je n'étais pas un adulte capable de prendre ce genre de décisions.

Blythe parvint à respirer, et il laissa un soupir de soulagement lui échapper.

— Je ne te considère pas comme un enfant. En revanche, je ne peux m'empêcher d'avoir envie de te protéger, parce que tu es plus jeune que moi, et que c'est comme ça que l'on a toujours fonctionné. Tu penses pouvoir le supporter ?

Eden fronça le nez et Blythe dut se retenir pour ne pas l'embrasser. Adorable.

— Je devrais m'y faire, le taquina-t-il. Alors oui, je suis d'accord.

Ils se séparèrent brièvement pour aller prendre une douche. Félix et Eden utilisaient la salle de bains des femmes après que Poppy eut catégoriquement refusé de partager la sienne avec son frère. Ils se donnèrent rendez-vous dans la chambre de Blythe.

Lorsque ce dernier arriva, les cheveux encore humides, Eden était déjà installé sur le lit à observer la pièce. Ses grands yeux scintillaient dans la lumière tamisée de la lampe de chevet.

— Ça te ressemble, conclut Eden quand Blythe referma la porte derrière lui.

Blythe avait fait de son mieux pour s'approprier l'espace. En plus de la fenêtre virtuelle, éteinte pour le moment, il avait meublé un mur avec une bibliothèque où il stockait tous les romans que César et Poppy lui donnaient, ainsi que les souvenirs qu'il avait accumulés au fil des années, comme les origamis qui avaient passionné Isaac pendant un mois entier avant qu'il ne passe à un autre loisir.

— Je le prends comme un compliment.

— C'en est un. Je suis heureux d'être ici.

— Ton bonheur est le mien, répondit Blythe.

Quand Eden ouvrit les bras, ce fut au tour de Blythe d'aller s'y réfugier. Ils tombèrent tous les deux sur le matelas avec un grognement de la part d'Eden quand le coude de Blythe s'enfonça dans ses côtes. Blythe présenta ses excuses sous la forme d'un baiser.

Eden ne l'autorisa pas à le rompre immédiatement. D'une main plaquée entre ses reins, il le maintint en place contre lui, capturant ses lèvres et resserrant son étreinte quand Blythe l'embrassa plus fort en retour. Un gémissement s'échappa de la gorge d'Eden et Blythe se recula, inquiet de l'avoir blessé.

Cela déplut à Eden, qui se redressa avec un froncement de sourcils.

— N'hésite pas à me dire si tu veux que l'on arrête, ou pince-moi si tu ne peux pas parler.

Avant que Blythe ne puisse lui demander des explications, Eden saisit sa taille et inversa leur position. Blythe se retrouva allongé sur le dos tandis qu'Eden se positionnait au-dessus de lui, l'espace les séparant presque réduit à néant.

Ce fut au tour de Blythe de gémir, submergé par la vision qui s'offrait à lui. Eden était juste magnifique. L'éclairage réduit projetait des ombres sur son visage, accentuant la courbe de son nez ou l'arête de sa mâchoire. Ses cheveux étaient désormais assez long pour qu'il puisse les glisser derrière l'oreille, mais une mèche s'était fait la malle et chatouillait ses joues.

Eden ne semblait pas s'en sortir mieux que lui. Sa bouche était entrouverte tandis qu'il admirait Blythe avec le même désespoir qu'un condamné confronté à son dernier repas.

— Sublime, murmura-t-il.

Blythe l'accueillit avec plaisir quand il l'embrassa à nouveau, se perdant dans la sensation de ses lèvres contre les siennes, de sa langue partant à la découverte de la sienne. Eden embrassait bien, semblant savoir instinctivement quel bouton appuyer pour rendre fou Blythe. Son cœur battait la chamade et il se sentait prêt à imploser.

Le baiser s'interrompit pour qu'ils puissent calmer leur respiration. Blythe ne pouvait s'empêcher de le toucher, faisant courir ses mains le long de ses épaules, sentant sous ses doigts le galbe de ses muscles, avant de glisser dans son dos jusqu'à la limite de son T-shirt. Eden s'arqua sous son toucher, grognant quand Blythe le massa.

— Je peux l'enlever ? haleta Blythe. 

Il n'avait aucune intention d'aller plus loin que ces baisers avec Eden. Le garçon avait exprimé son souhait de garder les choses plutôt innocentes, et Blythe était de son avis. Mais en même temps, il avait besoin de sentir la peau d'Eden contre la sienne.

Et il était curieux.

— Bien sûr.

Blythe dut se débattre avec Eden pour le débarrasser du bout de tissu. Le jeune homme avait décidé de s'attaquer à sa nuque et il se retrouva paralysé, une onde de choc le parcourant de la tête en pied tandis que les lèvres d'Eden s'affairaient à cartographier la zone avec soin. Il était particulièrement sensible à cet endroit, et il mit un long moment à reprendre ses esprits.

Quand il parvint enfin à retirer le vêtement et à le jeter au loin, son souffle se coinça dans sa gorge.

Eden n'était plus l'adolescent qu'il avait perdu quatre ans plus tôt. Il avait grandi et s'était musclé, pour le plus grand plaisir de Blythe. Ses épaules larges contrastaient avec sa taille fine, et Blythe traça les muscles qui se dessinaient sur son ventre. Eden frissonna en retour.

— Je veux aussi te voir, chuchota-t-il.

Blythe n'hésita pas à se redresser pour enlever son T-shirt, impatient de voir la réaction d'Eden. Sans vouloir se vanter, il se savait attirant. Porter le lui avait répété à maintes fois, et il avait semblé apprécier sa stature plus délicate.

Eden ne déçut pas Blythe quand il se laissa retomber sur les draps en se mordant la lèvre inférieure : il jeta la tête en arrière et grogna.

— Tu vas me tuer, se plaignit-il.

— Pas si tu m'achèves en premier.

— Ne me lance pas de défi.

Blythe dut se forcer à ne pas entrer dans le jeu d'Eden et à le provoquer pour découvrir jusqu'où il était prêt à aller. Pas ce soir, patience.

Les prochains baisers se firent moins passionnés, plus tendres, comme s'ils étaient parvenus à évacuer toute la tension qu'ils ressentaient jusqu'à présent. Blythe apprécia le contact de la peau d'Eden contre lui, la sensation de l'avoir à ses côtés.

La fatigue se fit ressentir quelques heures plus tard, quand ils eurent trouvé leur chemin sous les draps. Eden frotta son nez contre celui de Blythe.

— Dors, lui ordonna-t-il. Je serai là pour chasser les mauvais rêves.

Blythe aurait aimé lui promettre qu'il en ferait de même, mais il plongea dans un sommeil lourd. La dernière chose dont il eut conscience fut le souffle d'Eden contre sa joue, son bras passé autour de sa taille, et leurs jambes entremêlées sous la couverture.

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