⌊ᴄʜᴀᴘɪᴛʀᴇ 4⌉


♪ 𝄞 Nonsense - Sabrina Carpenter ♪ 𝄞


⌊ᴄʜᴀᴘɪᴛʀᴇ 4⌉


J'avais de nouveau rendez-vous avec M. Osemat. Aujourd'hui, il était mon dernier patient de la journée, et j'avais attendu nerveusement ce moment depuis le matin même. J'avais fait un brin de ménage avant qu'il n'arrive, ce que je faisais généralement le samedi soir. Mais nous étions en pleine semaine, plus exactement un mercredi soir.

Prenant mon courage à deux mains et après avoir soupiré un bon coup, je l'accueillis dans mon cabinet. Je le saluai puis nous prîmes place sur les fauteuils. Mon carnet et crayon en main, nous pûmes commencer la deuxième séance.

— Comment allez-vous depuis la dernière fois Prudence ? demandai-je.

— Bien, merci.

— Je vous propose qu'on papote un peu, si à n'importe quel moment vous avez envie de changer de sujet ou simplement de me confier quelque chose, vous êtes libre de le faire.

Un sourire angélique se forma sur son visage pâle. Ses cheveux noirs n'étaient pas coiffés, comme s'il venait tout juste de se lever.

— Parlez-moi de votre famille, avez-vous des frères et sœurs ? le questionnai-je.

Je pris une mèche de mes cheveux qui me cachait les yeux et la plaçait inconsciemment derrière mon oreille.

— J'ai un frère, il s'appelle Julien. Il est plus jeune que moi, et on s'entend plutôt bien. J'essaie de lui téléphoner le plus souvent possible. À vrai dire, continua Prudence, nous sommes presque opposés en tous points.

Je notai rapidement tout ce qui me semblait important et je continuai ma petite enquête. Apprendre à connaître une personne c'est aussi apprendre à connaître sa famille. Certaines réponses demeurent cachées et imperceptibles lorsqu'on se trouve juste en face d'elles. Il faut parfois savoir regarder au-delà afin de les trouver.

— Vous ne vous disputez que rarement j'imagine ? Vous avez beau être différents, vous restez tout de même sur la même longueur d'onde.

— C'est vrai, admit-il. J'aime mon frère tout autant que ma mère et mon père. Il est rare que nous en arrivions aux paroles regrettables.

Je hochai la tête, je souhaitais en savoir plus.

— Comment vous le décririez ? Physiquement et mentalement, en quoi vous êtes similaires ?

— Mon frère est grand, tout autant que moi. Il a des cheveux bruns et des yeux marron. Il aime sortir et rencontrer de nouvelles personnes et il est graphiste. Je me rappelle qu'étants plus jeunes, il passait son temps à dessiner. D'ailleurs, il dessine vraiment bien.

Julien, son frère, semblait être bon vivant. Et compte tenu du fait qu'il était graphiste, je m'interrogeai.

— Vous êtes décidément une famille d'artistes non ?

Prudence réfléchit quelques secondes puis répondit.

— Peut-être pas complètement, mais mon frère et moi avons des goûts similaires en matière d'art. Le peu de choses que j'ai peint, c'est lui qui m'en a donné envie.

— Que voulez-vous dire ?

J'avoue que je ne comprenais pas totalement ce qu'il cherchait à me dire par ses réponses vagues.

— Je ne peignais pas avant, mais une fois j'ai vu mon frère le faire, j'ai simplement voulu essayer disons. Le résultat n'est pas extraordinaire. Je n'ai pas de réel talent, ni pour la peinture ni pour le dessin.

— Vous ne peignez pas souvent ? demandai-je perdue.

— Pas vraiment non, je préfère regarder de vraies toiles plutôt que d'en créer.

Une idée me traversa alors l'esprit. Peut-être que Prudence n'avait pas assez confiance en lui. Il semblait sur la retenue, dans la réserve de sa propre personne. Peut-être qu'il avait tant de choses à extérioriser, que la peinture pourrait être un moyen utile pour lui. Mais visiblement, ça lui faisait peur.

— Vous sous-estimez-vous Prudence ?

Un petit sourire discret naquit sur son visage à la barbe inexistante, mais celui-ci s'évanouit rapidement.

Ses yeux étaient fuyants comme s'il les cachait, ne voulant pas que j'y décèle la vérité. Malheureusement pour lui, tentative vaine. C'était justement mon travail et j'allais le percer à jour, ainsi le soulager de ses peurs et de ses doutes.

— Dire non serait mentir, parfois j'ai confiance en ce que j'entreprends, mais des fois, je n'y crois pas.

— Je vois, c'est un long travail à accomplir sur soi-même. Mais ensemble, nous allons y remédier.

Je lui offris un sourire rassurant.

— Bizarrement, mes parents ont toujours fait plus de compliments à mon frère qu'à moi. On parlait souvent de lui, de ses études et de ce qu'il faisait. Mais, il était rare que l'on parle de moi. Je pense qu'indirectement ça a beaucoup joué pour ma confiance en moi.

Un cas classique, les parents comparent très souvent leurs enfants. Que ce soit dans leurs capacités, leur caractère ou leur façon d'être, mais aussi parfois leur physique. Tout est bon à être jugé. Mais sommes-nous seulement humains si nous ne jugeons pas ?

L'humain a été façonné d'une manière et demeurera tel jusqu'à la fin de l'humanité. Il aura beau changer, s'améliorer, jamais il ne sera transformé. Il restera pour toujours un être créé par Dieu, selon les dires, et que sa volonté évolue, le fruit à l'intérieur aura quoiqu'il arrive la même saveur.

C'était un cas qu'il m'arrivait souvent de gérer. Parfois, j'en convoquais même les parents ; mais c'était surtout chez les enfants que je devais en arriver à un tel stade. Avec les adultes, il fallait simplement leur montrer qu'untel vaut tout autant qu'untel. Que leur enfance est un moteur de vie, mais qu'à tout moment nous avons le pouvoir de changer le cours du temps. Rien n'est pré-défini.

— Vous voyez Prudence, que votre passé ait une répercussion sur votre présent, vous n'en restez pas moins maître. À tout moment, vous pouvez choisir de juger un événement bon ou mauvais, l'oublier ou bien le raconter. Vous pouvez saisir l'essence même de votre monde et le façonner à votre manière. Vous n'avez plus aucun contrôle sur le passé, car vous ne réussirez pas à le changer. Mais vous avez la chance d'être possesseur de votre présent, alors utilisez ce don à bon escient. Vous aurez un futur que vous pourrez apprécier et dans lequel vous vous épanouirez.

— Vous pensez réellement que je peux surmonter les faits qui m'ont forgé ? On n'oublie pas facilement que nos parents se sont plus intéressés à notre frère que nous, rétorque-t-il soucieux.

— Faites-moi confiance Prudence, je vous prouverai que ça vaut le coup. Vos parents vous aiment vous et Julien tout autant. Je suis d'autant plus convaincue qu'ils sont fiers de vous. Même si vous ne le pensez pas, que vous ne le voyez pas, c'est bien réel. Les yeux, malgré ce que l'on croit sont loin de tout voir, le cerveau est loin de tout comprendre. Même l'esprit le plus intelligent peut être incapable de comprendre ou de voir l'amour.

— Donc vous m'aiderez ? demanda-t-il sentant l'espoir renaître.

— Évidemment, je suis là pour ça, dis-je en un sourire.

Il murmura un petit merci que j'ignorais, nul n'avait besoin de me remercier, car c'était mon travail. De plus, je n'avais encore rien fait pour l'aider. Nous commencions tout juste à apprendre à nous connaître.

Il fallait que je fouille, que je trouve la maladie et que je l'éradique. C'était parfois long, mais avec du temps et de bonnes méthodes, on finit toujours par guérir.

— Nous n'avons plus qu'à trouver le fruit pourri qui tente de contaminer les autres ! avançai-je pour conclure.

— Vous pensez donc qu'il y a en moi un fruit pourri, s'étonna-t-il tout en mimant des guillemets avec ses doigts.

J'étouffai un petit rire, mais me repris immédiatement, gênée. J'avais tendance à utiliser beaucoup de métaphores quand j'expliquais quelque chose à mes patients. Des images sont parfois plus parlantes que les choses du quotidien.

Le problème avec les objets, les habitudes, c'est que ce sont des choses que l'on ne sait plus apprécier à leur juste valeur. Tout le temps sous nos yeux, nous les qualifions d'ordinaires. Mais qu'est-ce que l'ordinaire ? Comment le définir ? Sous prétexte qu'une chose n'est pas incroyable, elle serait simplement ordinaire. Mais l'ordinaire a-t-il même une forme, une définition ? Ce que nous jugeons simple ne l'est sûrement pas pour quelqu'un d'autre. Nous avons souvent tendance à l'oublier.

— Oui en quelque sorte, c'est une façon de parler. Mais nous remplacerons ce fruit pourri par un tout frais, m'amusai-je.

— J'ai hâte dans ce cas.

Je mis fin à notre entrevue peu de temps après. Prenant ma canne, je le raccompagnai à la porte et le saluai.

Enfin seule, je m'assis à mon bureau et je pris du temps pour réfléchir. La nuit était déjà tombée dehors et les lampadaires étaient allumés. Je pouvais presque sentir le vent automnal à travers les fenêtres.

Je pensais encore à tout ce que je venais d'apprendre. Prudence se livrait de plus en plus à moi. J'ai pu comprendre que depuis petit, son frère et lui étaient sans cesse comparés par leurs parents. Néanmoins, il semblait avoir eu une enfance épanouie.

Je n'arrivais cependant toujours pas à mettre le doigt sur la raison de sa présence dans mon bureau. Ça m'intriguait et il refusait de me le dire ouvertement.

J'avais compris que le processus jusqu'à la vérité allait être plutôt long. J'avais l'impression que quelque chose d'important avait bouleversé sa vie. Il m'avait également confié qu'il n'avait jamais eu le courage de faire un saut en parachute, peut-être il y avait-il ici un sens caché. J'en restais pas moins dans le flou. J'avais à l'heure actuelle trop peu d'informations pour émettre une hypothèse ou pour prétendre guérir. Puisque je ne connaissais pas la raison de son mal-être.

Il faudrait que je m'attarde un peu plus dessus, et que discrètement, je pose les bonnes questions qui me mèneront aux réponses. Car j'étais certaine que derrière ce visage angélique, se cachait quelque chose de terrible.

Ce n'était même plus l'envie de faire mon travail, mais bien l'envie de tout savoir. Tout connaître sur lui, le pourquoi du comment, tout.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top