⌊ᴄʜᴀᴘɪᴛʀᴇ 3⌉


♪ 𝄞 Memories - Conan Gray ♪ 𝄞


⌊ᴄʜᴀᴘɪᴛʀᴇ 3⌉


J'avais toujours trouvé le dimanche comme étant le jour le plus ennuyeux de la semaine. Pour moi, il reflétait la morosité, la solitude, le spleen, en gros, tout ce que j'abhorrai. Alors quand venait le dimanche, je faisais toujours en sorte de m'occuper, pour ne pas errer auprès de mes vieux démons. La matinée était consacrée à un petit tour au marché. L'après-midi, je m'occupais généralement en sortant dans un parc avec un bon livre. Et face au temps pluvieux, il m'arrivait de m'installer dans un salon de thé où j'y dévorais un gâteau accompagné d'une boisson chaude.

Ainsi, avant de rentrer chez moi, je décidais de m'arrêter dans un petit café où j'avais prévu de retrouver ma cousine.

J'entrai dans la boutique et la chaleur me frappa en plein visage. Je jetai un rapide coup d'œil à la salle et repérai Alexana assise à une table.

C'était une femme grande et élancée, sa hauteur se caractérisait d'autant plus par ses talons vertigineux. Elle possédait des cheveux bruns et des yeux d'un marron avec une pointe d'or. On l'enviait pour sa patience et son immense sagesse, ce sens de l'humour inégalable qui l'accompagnait. À trente-cinq ans, c'était une personne extrêmement joyeuse et en bonne santé.

Je m'assis à la place en face d'elle où un café fumant m'attendait déjà.

— Désolée pour mon retard, j'ai un peu traîné au parc, me justifiai-je.

Je posais ma canne contre la table et je fermais les yeux quelques instants. C'était ennuyeux pour moi de beaucoup marcher, malgré les médicaments, mes vertiges menaçaient constamment de me faire tomber. Même si depuis toutes ces années je m'y étais habituée, ça arrivait parfois à me surprendre.

— Pourquoi tu étais au parc ? me demanda Alexana même si au fond elle savait de quoi il en retournait.

— Besoin de réfléchir, marmonnai-je en goûtant mon café qu'elle m'avait commandé.

Elle hocha la tête et après une gorgée de boisson chaude, elle continua à me questionner.

— C'est à cause du procès ? Tu sais qu'aujourd'hui ça fait neuf ans que les poursuites ont été abandonnées.

Je le savais, et chaque année je redoutais ce jour comme on redoute la mort imminente d'un proche. J'essayais de ne pas trop y penser mais ce n'était généralement point un franc succès.

— Non, à propos d'un patient.

— Dis-moi tout.

Alexana se mit à croiser les bras sur sa poitrine l'air de dire qu'elle n'allait pas en démordre avant d'avoir eu le fin mot de l'histoire.

— Un nouveau patient est venu réclamer mes services. Mais tout chez lui me trouble. Son regard me déstabilise, ses propos si mystérieux m'intriguent à un point qui me semble interdit. Je ne devrais pas continuer à penser à lui ni à l'imaginer vaquer à ses occupations pendant que je suis ici. Je n'arrive même pas à soutenir son regard. Comment serai-je capable d'assurer nos entrevues ? débitai-je comme perdue dans mes pensées.

Ma cousine avança ses mains en avant pour m'arrêter. J'avais l'impression qu'elle reprenait son souffle à ma place. Ça faisait probablement beaucoup d'informations en si peu de temps pour elle.

— Je ne t'ai jamais vue dans cet état, dit-elle dans un demi sourire.

Ce n'est qu'après que je me rendis compte que je devais avoir la tête de quelqu'un complètement paniqué par les événements. Ce qui était complètement le cas, soit dit en passant.

— T'as qu'à faire comme si c'était n'importe quel autre patient. Il ne faut pas se laisser déstabiliser aussi facilement.

— Dit comme ça c'est simple, mais ça me paraît tout à fait impossible ! m'exclamai-je désemparée.

Peut-être qu'Alexana n'était pas la meilleure pour donner des conseils. Mais il fallait absolument que j'en parle à quelqu'un et que ça sorte. Pour ça, c'était ma meilleure oreille.

Elle haussa les épaules et je fermais les yeux un temps, j'étais assise mais mes vertiges reprenaient de plus belle, prenant le dessus des médicaments. Ma tête se mit à tourner, ma vision à se trouble et quelques bourdonnements ronronnaient dans les oreilles.

— C'est fâcheux, dit-elle.

— Je me sens vulnérable face à lui. Toutes mes pensées s'emmêlent jusqu'à former une bouillie dans mon cerveau. C'était juste quarante minutes, mais elles m'ont rendue folle. Que m'arrive-t-il ?

Comme ça faisait du bien de lui confesser ce que j'avais sur le cœur ! Cette situation me rendait folle car j'avais le sentiment de ne plus rien contrôler. Je détestais ça.

— T'en fais pas Éléonore, c'est le temps que tu t'adaptes à la personne en face de toi. Je suis sûre que ce sentiment bizarre que tu me décris aura disparu quand tu auras entrepris plus de séance avec lui, tenta de me rassurer ma cousine.

Évidemment, espérons qu'elle ait raison. Je n'aimerais pas trainer derrière moi cet état étrange très longtemps.

— Et toi, quoi de neuf ?

Alexana prit une nouvelle gorgée et répondit.

— Nous allons déménager, il nous faut un appartement plus grand. Valentin grandit et sa petite chambre devient trop étriquée. Je pense que Clément et moi avons aussi besoin de changement.

Clément et Alexana s'étaient mariés il y a maintenant plus de quatre ans, leur couple perdurait, pour mon plus grand bonheur. Valentin leur fils, avait six ans et toutes ses dents.

J'étais très proche de ma cousine, à défaut d'être fille unique, en dehors de ma mère et mon père, elle était ma seule confidente. Depuis notre plus jeune âge nous passions notre temps ensemble si bien que l'on ressemblait presque à deux sœurs.

Je n'avais jamais eu beaucoup d'amis, deux ou trois, et ça me suffisait. Je les voyais de temps en temps, histoire de prendre des nouvelles et de s'amuser un peu. Mais rien de plus. Ma capacité à m'ouvrir aux autres était une telle catastrophe qu'elle expliquait parfaitement le fait que j'avais un entourage assez restreint.

— C'est sans doute mieux pour vous, opinai-je.

— Oui, on travaille tous les deux beaucoup donc c'est un peu compliqué de tout gérer, mais ça fait un moment qu'on en parle.

— Vous avez trouvé quelque chose ?

Un sourire se dessina sur son visage fin. Elle sortit son téléphone, pianota dessus et dix secondes plus tard, me le présenta.

— Regarde les différentes photos et dis-moi si ça te plait.

Je pris le cellulaire dans mes mains et me mis à explorer la galerie. Une vingtaine de photos d'appartement et d'intérieur s'offraient à moi. Je les fis défiler une par une, et admirais les différents espaces.

C'était une maison qui semblait être en périphérie de la ville, dans un endroit plutôt mignon de Bordeaux. Un immense balcon occupait la façade du premier étage. Le salon était spacieux et moderne, un carrelage habitait le sol de la cuisine, pareil pour la salle à manger ainsi que dans la salle de bain, qui elle véhiculait une atmosphère de bien-être. Je vis une photo d'une grande chambre parentale avec de hautes fenêtres et une deuxième un poil plus petite aux murs totalement blancs.

— Ça a du charme et un bon potentiel, reconnus-je en lui redonnant son smartphone.

— Et du cachet ! Il faut que nous en rediscutions avec Clément, mais je pense que nous allons faire une offre d'achat. En plus, le prix est compris dans notre budget.

— C'est une bonne nouvelle, souris-je.

Ma cousine hocha la tête et m'offrit un sourire.

J'étais sincèrement contente qu'elle se soit autant épanouie. Elle avait une famille, un avenir et une vie. J'avais aussi une famille, ma mère, mon père... Mais je n'avais pas encore créé ma propre famille. Celle que je chérirai, qui restera à jamais le fruit de mon amour, celle qu'on attend inlassablement, celle qui est censée donner un réel sens à la vie.

J'avais aussi un avenir, du moins en quelque sorte. J'avais un travail, un salaire, et ma foi une situation qui n'était pas à plaindre. Mais, et la suite ? Allais-je donc juste vieillir et laisser le fleuve couler, les feuilles tomber sans tenter de faire orienter la Terre de l'autre côté ? Je voulais que ma vie prenne un jour un nouveau tournant, mais je n'étais pas sûre d'être prête. Et si ma vie basculait de nouveau, serait-ce aussi catastrophique que la première tentative qu'on m'eut jadis offerte ?

Je doutais même qu'offerte soit le bon mot vu ce à quoi ça m'avait conduit. Soit une vie de misère.

Et une vie... Mais était-ce une vie que je menais là ? Un train-train quotidien fatiguant, tout autant que le fardeau qui pesait sur mes épaules. J'aimais terriblement ma famille, mais je ne la voyais que rarement. J'aimais mes amis, mais j'oubliais souvent de les contacter. Je me sentais seule, mais c'était probablement mieux ainsi. Les patients comblaient ce vide qui s'était créé en moi il y a dix ans de cela. Un vide que depuis, je n'ai su remplir complètement. Je pouvais encore sentir les petits trous qui planant à la surface.

J'avais arrêté de croire en l'espoir, en l'imaginaire et aux choses peu ordinaires. Car ils me tuaient ; j'avais une vision pure de la dure réalité. Celle d'une trentenaire célibataire à l'oreille défectueuse et à la canne collée à la paume de sa main droite qui tuait le peu de glamour que je possédais.

J'attendais, seulement, ça me fatiguait. Depuis le pire jour de ma vie, je me contentais d'exister, et au plus grand malheur de mes proches, j'avais oublié la signification du mot « vivre ».

J'enviais Alexana, mais je savais également qu'elle était plus forte que moi pour endurer tout ça.

— Je pense qu'il vaut mieux que j'y aille, je ne me sens pas très bien, annonçai-je.

Une migraine pointait le bout de son nez et m'avait fait sortir de mes songes. La fin de journée était toujours le pire moment, je devais rentrer me reposer.

— Tu es certaine que ça va aller pour rentrer ?

— Ne t'en fais pas pour moi.

Je prenais de nouveau ma canne après avoir enfilé mon manteau et je me levais pour quitter le café.

— Fais attention sur la route, et si vraiment tu sens la crise arriver, ne pars pas maintenant, s'inquiéta Alexana.

— Ça va aller cousine, on se voit bientôt.

Je lui fis une rapide bise et je me dirigeai vers la sortie.

J'appelai un taxi qui arriva cinq minutes plus tard, je n'étais pas venue en voiture ce jour-là, car je ne me sentais pas assez en forme pour conduire.


La nuit était largement tombée, pour autant, le sommeil n'était toujours pas venu m'arracher au jour. J'étais prisonnière dans la sombre journée et je n'avais pas encore la possibilité d'explorer la nuit limpide.

Je savais que j'allais être fatiguée le lendemain, mais Morphée ne s'était toujours pas heurtée à mon corps épuisé. Tout de même, j'avais l'esprit occupé et je savais aussi qu'il n'était pas encore prêt à faire une pause.

Je n'y avais pas tant pensé jusqu'à ce que ma cousine m'en fasse part. Cependant, le procès était revenu écorcher mes neurones et les empêcher de se reposer. Il n'oyait mon cerveau d'ondes néfastes qui faisaient souffrir mon encéphale.

— Bon sang, ça ne me quittera donc jamais, grommelai-je.

Je rabattis la couette sur le côté, un pied au sol, deux, et j'étais debout. Je marchais tranquillement jusqu'à la cuisine afin de me servir en grand verre de lait.

Quand j'étais petite et que je n'arrivais pas à dormir, mon père me disait toujours de boire du lait, c'était censé m'aider. Depuis, la tradition perdurait.

L'avantage, c'est que chez moi je pouvais me déplacer librement sans ma canne, j'avais moins peur et je maitrisais mieux mon corps.

Après avoir bu, je me dirigeais dans mon petit salon, puis dans le buffet je trouvais une grande boite. La boite de mes souffrances, la boite de mon échec. Elle qui me guettait et qui prenait plaisir à me narguer dès que j'ouvrais le placard.

Je la saisis et je l'emmenai sur la table. Une fois bien installée, j'ouvris la boite.

Une pile de feuille immense, des bouts de journaux et autres babioles se trouvaient dedans. Je pris un article qui avait été découpé aux ciseaux dans mes mains. Une photo sombre occupait le milieu de la feuille, un bus renversé, les roues en l'air, choquait les esprits. C'était à peine si l'on pouvait apercevoir quoi que ce soit d'autre. C'était seulement cet immense véhicule dans le noir avec des milliers de morceaux de verres éparpillés au sol. C'était limite si l'on pouvait y voir une quelconque trace d'humanité. À ce moment, tout le monde savait déjà que ça allait être dramatique.

Nous étions une trentaine dans ce car. Neuf morts, onze blessés grave, et treize blessés. De ce que je me souvenais. Je faisais partie des « chanceux ». Ceux qui n'avaient pas de dommages trop importants, on avait estimé que la maladie de Menière n'était pas un cas très gravissime. Quelques jours après l'accident, un procès contre le chauffeur avait été engagé, mais je n'avais pas encore retrouvé tous mes esprits pour m'en préoccuper réellement. J'avais mes propres problèmes à gérer, une nouvelle vie à mener.

Je soupirai et reposai le morceau dans la boite. J'avais dû témoigner pendant le procès, mais même en y allant, je n'y avais pas cru. Je venais en soutiens, car nous avions tous été dans le même bateau, car j'avais tout de même soif de vengeance. Pourtant, j'avais conscience que tout ceci ne mènerait nulle part, car c'était le destin, et on ne peut rien contre le destin.

Je me souvenais encore toutes les larmes que j'ai pleurées. Elles qui ont mouillé mes vêtements similaires à un torrent. Et j'avais pensé à eux. Tous les gens comme moi à qui on avait changé la vie.

Longtemps, et encore aujourd'hui, j'étais écoeurée de voir à quel point un humain peut être malsain et vilain. Vicieux et égoïste.

En devenant psychologue, j'avais envie de changer les esprits, les purifier et faire triompher la vérité. Je voulais savoir ce que pensent les autres, pourquoi ils vont mal, leurs problèmes, les comparer aux miens. Savoir ce qui fait d'eux un être et ce qui fait d'eux un humain.

J'ai compris, et je continuais de comprendre ce qu'était la vie, comment les autres la perçoivent, ce qu'elle leur apporte, comment ils souhaitent la mener.

Mais en entrant dans mon cabinet, je ne savais jamais à quoi m'attendre. Quelques fois, j'avais l'espoir de croiser une personne comme moi. D'un autre côté, j'aurais probablement peur de l'affronter.

Je ne pouvais pas me montrer faible, ni me dévoiler devant des inconnus, ce n'était pas mon travail. Je devais simplement écouter, creuser, soigner.

Étant finalement épuisée, je n'eus pas la force de fouiller plus la boîte. Je m'interdisais de laisser les souvenirs lugubres m'occuper de nouveau les pensées. Alors je retournais me coucher, tentant d'oublier le procès ainsi que ces yeux verts qui me hantaient depuis dix ans maintenant.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top