⌊ᴄʜᴀᴘɪᴛʀᴇ 2⌉







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⌊ᴄʜᴀᴘɪᴛʀᴇ 2⌉


10 ans plus-tard


Je raccompagnai ma patiente jusqu'à la porte puis une fois partie, comme à mon habitude, je commençai à feuilleter mon agenda pour voir la personne suivante que je m'apprêtais à recevoir.

Avant d'accueillir un nouveau patient dans son bureau, il est primordial de réétudier son dossier. Je regardai donc mes notes de la séance précédente rapidement, ça me permettait de planter le décor dans la pièce afin de me préparer.

Il faut savoir mettre la personne à l'aise. Par conséquent, se rappeler de ce que quelqu'un nous a confié est essentiel. Mais c'était avant tout mon travail.

Étant psychologue, je devais aider mon patient à se livrer, le mettre en confiance et trouver un moyen pour lui de s'épanouir. Tout commençait dans la relation entre le patient et le psychologue, un climat de confiance devait régner ou ça ne fonctionnerait jamais. 

Voilà maintenant environ six ans que j'exerçais ce métier. J'étais toujours autant passionnée par cette branche, la psychologie. C'était quand même dur, il faut savoir se mettre à la place de son client et essayer de le comprendre et c'était justement ce qui me plaisait. Découvrir des manières de penser, ce qui nous différencie chacun, tout ceci me fascinait. 

Je distinguais le nom de la prochaine personne que je m'apprêtais à voir et je me rendis compte que c'était un premier rendez-vous. Je ne l'avais donc jamais vue.

Je me rendis en salle d'attente afin d'aller chercher un certain M. Osemat.

— Monsieur Osemat ?

Un homme d'une trentaine d'années, tout comme moi, se leva et me suivit. Nous nous installâmes à mon bureau et je pris quelques rapides secondes pour l'observer et marquer son visage dans ma mémoire. La première impression est très importante pour une personne, ce sont les premières réflexions que nous allons tirer sur quelqu'un, ce qui nous permettra de nous ajuster à la personnalité qu'elle renvoie. Les premiers mots, pas, les premières secondes sont décisives. 

— Je vous en prie, vous pouvez enlever votre veste. On va papoter un peu et on fixera un prochain rendez-vous, si cela vous convient évidemment.

— Merci.

La première séance est probablement une des plus importantes. Elle instaure la confiance, un climat où nous devons tous deux être à l'aise. Elle permet aussi de déterminer si les ondes passent bien entre le patient et le psychologue, autrement, il est inutile de commencer une thérapie. Je devais analyser le comportement de mon patient, tenter de déterminer les points forts de sa personnalité afin de m'adapter. Si le courant passe, c'est beaucoup plus facile pour la suite, et le patient se livrera davantage.

— J'aimerais apprendre à vous connaître. Mon but aujourd'hui est de comprendre pourquoi vous êtes ici et par la suite, vous aider. On fouillera dans votre esprit afin de vous apaiser. Mais évidemment, nous irons progressivement ! commençai-je en sondant sa réaction.

Je l'invitai donc à prendre place sur le canapé, c'était plus confortable et moins gênant. Quant à moi, je m'installai sur mon fauteuil, mon carnet en mains.

— Vous m'êtes familière, je ne sais pas pourquoi, intervint Monsieur Osemat.

Je relevai la tête et rencontrai ses yeux verts. Aussi surprenant que ça ne puisse paraître, je ressentais la même chose. J'avais l'impression d'avoir déjà rencontré cet homme. Mais je ne savais pas où. Peut-être était-ce simplement ma mémoire qui me jouait des tours. Où peut-être aurait-il bien pu être un visage passe-partout, j'avais du mal à en tirer une conclusion.

— Il se peut que nous nous soyons déjà vus, il faut dire que du monde défile. Ce n'est pas une petite ville mais les coïncidences sont fréquentes, j'imagine... devinai-je sans grande conviction.

J'avais élu domicile à Bordeaux, une grande ville urbaine pas très loin de la Méditerranée. Le climat était idéal et je m'y plaisais beaucoup. En vérité, j'avais toujours vécu ici depuis mon enfance, étant très attachée à l'environnement, je n'étais pas partie ailleurs. Certes, j'avais ma famille, mais ce n'était pas tant le facteur responsable de ma totale intégration ici. J'étais restée car je voulais montrer à tout le monde que malgré ce qui s'était passé, je pouvais le surmonter.

— Parlez-moi un peu de ce que vous faites dans la vie, peut-être de votre famille. Tout ce que vous voulez partager, j'écouterai, déclarai-je.

— Je m'appelle Prudence Osemat, je viens de Bordeaux et je suis expert comptable, commença-t-il peu certain de lui. J'ai toujours voulu sauter en parachute, mais je n'en ai jamais eu le courage.

On aurait dit une présentation apprise par cœur dans le but d'être servie à chaque nouvelle interaction sociale d'intégration. 

Il lia ses deux mains et regarda ses poings fermés.

C'était une attitude très courante, qui se caractérisait par beaucoup de raisonnements ; généralement, le patient n'ose pas tellement se livrer à cœur ouvert dès la première entrevue. Face à un étranger, il n'est pas facile de parler ouvertement de sa vie, ses projets ou ses envies. Il y a toujours une sorte de mur protecteur qui empêche de trop se livrer. C'est une manière de se protéger émotionnellement afin d'éviter d'être blessé. L'humain est un être complexe et fragile, ainsi, il est le seul à pouvoir se détruire.

Je comprenais que M. Osemat se protège et qu'il n'ose pas me regarder par peur de trouver dans mes yeux un point négatif. Il souhaitait de l'aide, mais il était probablement effrayé à l'idée d'être déçu. Mais un psychologue ne peut pas se permettre de décevoir, je devais être parfaitement attentive et enregistrer tout ce qu'il me disait. En aucun cas je ne devais laisser paraître une quelconque indifférence face à ses paroles. Chaque problème est assez important pour être écouté et pris au sérieux. Dans mon cabinet, il n'y avait pas de niveau de gravité. 

— Pourquoi n'avez-vous pas encore sauté le pas ? Je peux vous appeler Prudence ? m'enquis-je.

— Oui, vous pouvez.

Il prit une inspiration et sembla réfléchir. Dans ce cas-là, soit il cherchait les bons mots, soit il hésitait à me le dire ou n'avait pas confiance en sa réponse.

— Vous pouvez répondre en toute sincérité, dis-je doucement.

M. Osemat releva la tête et ses yeux rencontrèrent de nouveau les miens, d'un vert que je ne saurais décrire, son regard me tourmentait et m'arrachait à mes habitudes. Tant bien que mal, je le soutenais avec intensité.

— J'ai peur quand mes pieds ne touchent plus la terre ferme.

Je vis que son attention se perdait finalement sur mes baies vitrées qui faisaient entrer la lumière dans la pièce. Le soleil d'automne avait frappé à la porte, y installant sa fraîcheur et ses feuilles mortes bordants les routes.

— Qu'aimez-vous faire quand vous avez du temps libre ? demandai-je tout en gardant en mémoire sa révélation.

Tout de suite, je pensais que le frein à la réalisation de son rêve pouvait être intimement lié à la raison de sa présence ici.

Parfois, il valait mieux changer de sujet ou bien revenir sur l'aveu un peu plus tard. Ça peut-être plus confortable pour le patient et moins gênant s'il ne souhaite pas aller au bout de sa pensée.

Mais des fois, le patient peut se sentir offensé, et alors penser que je n'ai pas fait attention à sa réponse, qu'elle m'est égale ou qu'elle ne m'intéresse point. Évidemment, ce n'est pas le cas, cependant afin de cerner mon interlocuteur, je me devais de tenter le coup.

— J'écoute de la musique, je visite des galeries d'art ou des musées. Ça m'inspire, déclara Prudence.

— Vous êtes un artiste, tentai-je en esquissant un sourire.

— Pas vraiment.

Ses épaules se soulevèrent, manifestement peu convaincu par ma théorie. Je le trouvai très détaché, comme absent de sa propre personne. Ça n'allait peut-être durer qu'un temps.

— Peut-être avez-vous un ou plusieurs peintres dont vous appréciez l'art ?

Creuser. Je cherchais à savoir s'il s'intéressait également à l'art en tant que peintre amateur, s'il avait des inspirations ou admirations particulières. De cette manière, je creusais dans la vie et les goûts de mon patient, et j'essayais de savoir ce qu'il aimait ou ce qu'il détestait.

Un faible sourire naquit sur ses lèvres roses.

— J'aime beaucoup Edgar Degas et Paul Signac, leurs tableaux sont d'une beauté remarquable.

Désormais, il me scrutait, comme s'il essayait de me montrer quelques toiles à travers ses pupilles qui féconderaient les miennes. Il me déroutait.

Habituellement, il m'en faillait plus pour devenir mal à l'aise, mais cet homme s'immisçait étrangement facilement, j'avais l'impression que ses yeux me scannaient et m'apercevaient au-delà de la chair.

— Pourquoi ? demandai-je dans un souffle.

Je regardais mes feuilles sur lesquelles j'avais rapidement griffonné ces dires. Je tentais inlassablement de cacher ma gêne.

— Leur peinture est belle et émotive, j'aime beaucoup.

Je dodelinai de la tête, cette séance venait tout juste de commencer et j'avais déjà envie de la terminer. Mais paradoxalement, une soif de le découvrir brûlait en moi, flamboyante dans mes entrailles. Je souhaitais savoir pourquoi il se trouvait aujourd'hui devant moi, qui se cachait derrière cet homme grand aux cheveux d'un noir corbeau. Tout de lui inspirait un immense mystère, comme une quête à entreprendre. 

— Pourquoi vous êtes venu me trouver ? Vous n'êtes pas obligé de tout me dire maintenant, peut-être juste ce que vous ressentez, ce qui vous a poussé à venir ? Nous irons progressivement et selon votre envie, affirmai-je.

Prudence se leva cette fois, ses pas furent légers mais lourds de sentiments et sans doute de confusion, de réflexion. Il s'approcha de la grande vitre et me tourna le dos.

Mes patients sont toujours libres de leurs mouvements, qu'ils aillent où bon leur semble, cela ne m'occupait guère. Je voulais juste qu'ils soient à l'aise et sereins de discuter avec moi. Que Prudence vagabonde était donc plutôt une bonne chose, il s'apprêtait à se confier et à prendre possession de l'espace.

Je calai une de mes jambes sur l'autre et je me préparai à écrire.

— Ma mère m'a poussé à venir. Elle comprend que ça fait des années que je garde quelque chose enfoui en moi, pourtant, je ne me confie pas. Elle est tout pour moi, mon père n'étant plus là...

M.Osemat prit une longue inspiration et je pus apercevoir ses paupières se clore.

— C'est pour elle que je suis venu, elle m'a fait comprendre que ça avait assez duré, que je devais passer à autre chose. Car j'ai beau essayer de me convaincre que c'est du passé, mes souvenirs me hantent et continuent à se cramponner à mon sommeil.

— Reviennent-ils sous forme de cauchemars récurrents ? le questionnai-je tout en prenant note.

— Oui, soupira-t-il.

Je hochai la tête au moment où il se retourna enfin vers moi avec son regard hypnotisant qui me happait la pupille.

— Les cauchemars durent depuis longtemps ? le questionnai-je les sourcils froncés. 

Il répondit par l'affirmative.

— Parfois j'arrive à dormir sans en faire, mais c'est rare. Quand ils surviennent, j'ai tellement peur que j'en suis incapable de me rendormir.

Des problèmes de sommeil, je notais sur mon carnet en l'entourant en gros. Ça me paraissait important.

— Et que faites-vous quand vous n'arrivez pas à vous rendormir ?

Prudence soupire en y pensant, cela avait l'air de réellement l'affecter.

Les troubles du sommeil étaient un problème récurant de notre génération, malheureusement, très souvent, il n'était pas pris au sérieux. Pourtant, un bon sommeil nous est indispensable afin de mener à bien nos journées, il contribue aussi à notre propre épanouissement. Un mauvais sommeil influait forcément sur notre moral. La fatigue nous rend tristes, mous, désespérés d'entrevoir du positif. 

— Généralement, je reste allongé dans mon lit à attendre que ça passe. Mais je ne fais que me noyer dans de sombres pensées, je ne fais que ressasser le passé. Et je veux que ça cesse, je n'en peux plus.

Un appel à l'aide. M. Osemat devait être à un point de non-retour. Je savais pertinemment que si je ne lui apportais pas mon aide, ça allait empirer potentiellement jusqu'au drame.

— Il faudrait que vous essayiez de vous occuper l'esprit dans ces moments, lui conseillai-je. Vous pourriez lire un livre, pratiquer une activité qui vous passionne. Ou faire du rangement chez vous, parfois c'est bénéfique et ça nous permet à la fois de faire du tri là-dedans, dis-je en tapotant mon crâne du doigt.

Il parut réfléchir à ma proposition, étonnement, il n'émit pas d'objection.

— J'essaierai dans ce cas, acquiesça-t-il légèrement.

— Je pense que c'est déjà beaucoup pour aujourd'hui. À moins que vous souhaitiez ajouter quelque chose ?

Je me levai de mon fauteuil, je pris ma canne et je me dirigeai à mon bureau noyé sous les feuilles et les dossiers. Je n'avais généralement pas le temps de le ranger, et je me retrouvais parfaitement bien dans tout ce désordre.

D'ailleurs, je n'étais pas particulièrement une personne mal organisée ni désordonnée, j'avais quelques côtés maniaques et ordonnés. Seulement mon cabinet était comme une dimension parallèle de ma personnalité, une dimension n'ayant rien à voir avec la réalité. Si bien qu'on se demandait l'origine de son existence tant elle semblait paradoxale à la personne que j'étais.

Il secoua négativement la tête, je compris que c'était effectivement assez pour aujourd'hui. Je l'invitai donc à prendre place sur le siège face à moi.

— On peut programmer le prochain rendez-vous si vous êtes d'accord ?

— Oui, ça me paraît bien, il m'offrit un sourire.

Une fois que M.Osemat eut quitté mon cabinet, je consultai l'heure sur mon téléphone. J'avais passé une quarantaine de minutes avec lui. Le temps avait filé et emporté les aiguilles sur son passage.

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