Chapitre 9 : Une aide impérieuse (2/2)


L'état de Démétria se stabilisait. Sa respiration était redevenue régulière et sa température avait baissé. Le cœur de Remak devint plus léger, la potion s'avérait efficace.

Ses pouvoirs n'avaient pas été suffisants pour lui venir en aide et ça l'inquiéta. Sa consommation du fénétyllium devenait trop dangereuse, il ne pouvait pas se permettre qu'elle meure d'une surdose. Il fouilla les poches de la paladine à la recherche de la drogue et en retira un petit tube blanc.

Remak enleva le capuchon et compta le nombre de cachets restant. Sa mâchoire se serra. Il dut se contenir pour ne pas exploser de colère. Cette inconsciente avait ingurgité la moitié de son contenu ! Sur les dix cachets, il n'en restait que cinq.

Il avait toléré son utilisation jusqu'à maintenant, mais cette fois-ci Démétria avait dépassé les limites. Il ne voulait plus voir ce poison entre ses mains. Elle était une paladine, une fière et puissante défenseure du royaume de Sancturia. Si elle devait mourir ça serait au combat et non à cause d'une dose mortelle d'une drogue utilisée par les lâches.

Irréfléchie. Arrogante. Obstinée et rétive aux conseils. Elle n'avait guère évolué avec les années. Elle se croyait invincible et après avoir vaincu ce monstre son avis ne risquait pas de changer. Il était temps de lui faire comprendre que son ancienne vie était révolue.

Remak jeta le contenu du tube à terre et piétina avec rage les comprimés n'en laissant que de la poussière. Désormais, elle n'en aurait plus besoin.

Bien sûr, cela ne plairait pas à Démétria, et sa colère serait à son paroxysme. Dans ces moments, il ne valait mieux pas discuter avec, mais depuis trop longtemps il se retenait de lui exprimer son fond de pensée pour éviter les conflits. Cette fois, il comptait bien lui dire ses quatre vérités.

Son attention fut soudainement attirée par des bruits sourds. L'artificier se dirigeait vers eux accompagné de son golem de bronze.

Alors qu'il passait à côté du cadavre de la créature, Moji y jeta à peine un regard avant de se figer. Il ajusta ses lunettes sur son nez, puis dit quelque chose d'incompréhensible à Dux en montrant du doigt le monstre.

Sans les quitter des yeux, Remak se demandait ce qu'ils étaient en train de faire. Il vit le golem s'approcher de la bête, lever un bras et l'abattre sur son crâne de toute ses forces. Le coup avait été si puissant, que le corps du mastodonte s'était soulevé et il avait senti le sol vibrer sous ses pieds.

Il ne restait plus qu'un tas de bouillie de la tête. Dux se retourna vers son maître et émit un son métallique résonnant pour le rassurer.

Moji s'agenouilla près du cadavre et commença à fouiller les tripes à la recherche de quelque chose qu'il convoitait. Il plongea son bras dans la créature jusqu'à l'épaule et tira la langue en guise d'effort.

Hadvar et Remak échangèrent un regard interrogateur. Que pouvait bien chercher l'artificier ?

Son bras semblait coincé. Moji s'aida de ses pieds pour se dégager. Il poussa de toutes ses forces, se libéra d'un coup sec et retomba sur le dos après avoir fait une culbute arrière.

Un objet de forme arrondie, englobé d'un sang sombre et visqueux, se trouvait dans sa main. Après un court instant, ses braillements similaires à des cris de joie retentissaient dans les rues, provoquant l'envol des corbeaux perchés sur les toits des maisons.

Qu'est-ce qu'il a bien pu trouver ? se demanda Hadvar.

Une idée fugace lui passa à l'esprit, mais il la balaya rapidement. Cela ne pouvait pas être ce qu'il pensait, ça serait absurde.

Démétria se redressait avec difficulté sur ses coudes. Les beuglements de Moji l'avait réveillée et cela ne la ravit pas. Elle affichait une affreuse grimace.

— Par la Sainte Virginia (1), va-t-il la fermer ? Ou dois-je m'en occuper moi-même ? gronda-t-elle.

Ses yeux d'assassin, injectés de sang, donnèrent un frisson à Hadvar tandis que Remak en tirait une petite satisfaction personnelle. Il dut se retenir pour ne pas sourire. Il en aurait pris pour son grade.

Moji gesticulait, ses mouvements se composaient de rythmes saccadés lents et fluides, accompagnés par les rebonds de son ventre.

Cette fois-ci, Remak ne put se contenir. La drôle de danse de l'artificier s'expliquait par une joie profonde qui arracha également un léger sourire à Hadvar.

Seule la paladine restait insensible. Elle fixait cet énergumène d'un air mauvais.

— Qu'avez-vous trouvé qui vous mette de si bonne humeur ? demanda Hadvar.

— Une pierre de psynergie !

Tout le monde se figea, excepté Moji.

— Si on m'aurait dit que j'en trouverais une dans les tripes d'une créature, je ne l'aurais pas cru ! Je me demande bien comment elle a pu atterrir là, mais qui s'en soucie, hein ?

Il sortit de sa poche son chiffon crasseux et commença à nettoyer le sang qui la salissait. Une faible, et à peine perceptible, lueur orange en émanait. Une fissure parcourait le cristal de bas en haut et celle-ci s'assombrissait doucement.

— Oh, non ! Non. Non, non ! Elle est inutilisable ! Quel gâchis...

Toute sa bonne humeur disparut subitement pour laisser place à de la tristesse.

— Faites-moi voir, demanda Démétria qui s'était relevée.

Elle se servait du bras de Remak comme appui.

— Cette pierre a été raffinée, répondit Moji, et elle est brisée. Vous ne pourrez rien en tirer.

— Donnez-la-moi.

Le ton de sa voix avait été plus agressif qu'elle ne le souhaitait.

Moji lui tendit la pierre avec hésitation. Il craignait recevoir un mauvais coup.

— Puis-je la récupérer quand vous en aurez terminé ? osa-t-il demander.

La paladine lui arracha le cristal des mains sans lui répondre. Elle le tourna dans tous les sens, cherchant la moindre anomalie ou indice.

L'artificier avait raison. C'était bien une pierre raffinée dont les propriétés avaient été modifiées. La faible énergie qui en émanait, était identique à celle ressentie plus tôt. Pourquoi ce monstre avait-il cette chose en lui ?

— Ceci est à l'origine de ce que nous avons découvert sous l'église.

Elle s'adressait à Remak.

— Alors nous devons avertir la Matriarche de nos découvertes, s'empressa-t-il de dire.

— Nous ne pouvons pas.

— Qu'est-ce vous racontez ? Sa Sainteté doit être avertie au plus vite de la menace !

— Ne m'interrompez pas quand je parle et parlez moins fort ! s'énerva-t-elle.

Démétria frappa l'épaule de Remak avec le peu de force qu'elle disposait. Pourtant, même affaiblie son coup fit reculer le paladin d'un pas.

— Le communicateur a été endommagé lorsque l'église s'est écroulée, reprit-elle. On ne peut plus entrer en contact avec la Matriarche.

Elle posa ses yeux argentés sur Moji.

— Je vais garder cette pierre. Ceci est une preuve du danger qui plane sur cette région, dit-elle d'un ton ne permettant aucune contestation.

— Attendez, et si la même chose se produisait que dans les sous-sols, contesta Remak. C'est trop dangereux Démétria.

La paladine secoua la tête.

— Elle se vide de son énergie. On ne risque rien.

Elle montra le cristal raffiné qui s'assombrissait.

— Hadvar, ne m'aviez-vous pas dit avoir sauvé l'enfant dans une forêt proche d'ici ?

— Si, pourquoi ?

Il ne comprenait pas où elle voulait en venir. Quel rapport avec le cristal ?

— Vous avez également mentionné la présence d'esprits de bois qui rôdaient près de l'endroit où vous l'avez trouvé.

— Oui, et ? Qu'est-ce que ça à voir ? dit-il agacé.

— Pendant que nous étions dans le laboratoire, j'ai ressenti une puissante énergie identique à celle perçue, lorsqu'un élémentaire de feu a tenté de se matérialiser. Je suis persuadée que ces pierres raffinées permettent d'invoquer des créatures dangereuses d'un autre monde dans le notre après avoir absorbé assez d'énergie. Quelqu'un cherche à nous nuire et nous avons besoin d'en savoir plus. L'enfant devait en avoir une sur lui et ce monstre en possédait une également. Heureusement pour nous, la pierre a été fracturée... car si mon sort avait été absorbé, je n'ose pas imaginer ce qui aurait pu se produire, continua-t-elle pour elle même.

Les deux hommes sentirent leur estomac se nouer. Hadvar et Moji la regardèrent avec incrédulité. S'ils n'avaient pas croisé ce monstre reptilien, ils auraient eu du mal à croire à cette histoire. Néanmoins, la paladine n'avait aucune raison de mentir.

— J'aimerais que vous nous conduisez à cette forêt.

La respiration d'Hadvar se bloqua. Voulait-elle vraiment aller dans cet endroit hanté après tout ce qu'il lui avait raconté ?

— Vous nous montrerez l'endroit où vous avez trouvé l'enfant.

Démétria comprit que l'idée ne plaisait pas au milicien. Elle s'avança vers lui en chancelant. Remak l'agrippa et l'aida à se redresser. Ses maux de tête étaient toujours présents et son corps restait faible.

— Et si je refuse de vous suivre jusqu'à cette forêt, vous allez me tuer ?

— Non, répondit calmement Démétria.

Remak la regardait surpris. Il s'attendait à un sursaut de fureur de sa part. Ce n'était pas dans ses habitudes de se montrer clémente face à un refus.

— Je ne vous obligerai pas à nous suivre, mais vous ne pourrez vous en prendre qu'à vous même si un malheur s'abat sur votre village. Votre aide pourrait préserver la vie de ceux qui vous sont chers. Et je sais aussi que vous ne me dites pas tout.

Ses lèvres formèrent un petit sourire en coin.

Dans d'autres circonstances, elle n'aurait pas hésité à lui ôter la vie pour cette rébellion. Cependant, son compagnon et elle étaient bien trop affaiblis pour lutter contre un golem, si son propriétaire lui ordonnait de se retourner contre eux. La violence n'était pas la solution. Elle devait se montrer plus maligne. Puis, avoir un automate de ce gabarit à ses côtés la rassurerait le temps qu'elle récupère ses forces.

En lui faisant ressentir de la culpabilité, il se sentirait obligé d'aller dans la direction qu'elle voulait qu'il prenne. Et cela fonctionnait. Le milicien réfléchissait et cherchait le soutien de Moji qui haussait les épaules.

Hadvar soupira et à contrecœur, il accepta de guider les paladins jusqu'à la Forêt des Spectres. Il se répétait sans cesse qu'il ne le faisait pas pour les habitants de Bourg-d'Argent. Non, il le faisait pour Rachel, son précieux rayon de soleil.

C'était la seule chose qui lui importait.

* * * * * *

Peu de temps après le départ des gêneurs, les charognards s'étaient jetés sur le cadavre de la créature vautré au milieu de la rue, formant un amas noir de plumes. Ils avaient dû attendre des heures avant de pouvoir y toucher.

Ils se goinfraient tous de ce repas béni. Le monstre avait déjà été bien entamé, car une partie de ses côtes dévoilaient de longs os.

Un puissant croassement retentit. Un grand corbeau se posa au milieu de ses congénères qui s'écartèrent. Aucun n'osait s'en approcher. De son impressionnante taille, il tenait en respect ceux qui oseraient le défier. Son bec noir était plus épais et légèrement courbé, tandis que son cou massif était recouvert de longues plumes ébouriffées teintées d'un bleu sombre.

Il vociféra en direction de ceux qu'il estimait encore trop près en déployant ses longues ailes. Un éclat passa dans son iris brun foncé. Il était le plus fort. Il le savait et en profitait pour s'approprier une plus grande part du festin qui l'attendait.

Oh, comme il avait hâte de commencer...

Il becqueta cette chair appétissante et se gava, apaisant ainsi la faim qui l'habitait depuis des jours.

Soudain, il rencontra quelque chose de dur sous les tissus du cadavre. Une lueur orange en émanait. Sa curiosité le piquait au vif, qu'il en oublia son appétit et fut attiré par cette lumière.

Il dégagea la pierre cristallisée coincée entre les os. Un faisceau jaunâtre à l'intérieur du joyau la parcourait de haut en bas. D'autres corbeaux se retournèrent et s'avancèrent. Le charognard ne leur prêtait pas attention, il se trouvait hypnotisé par la beauté de ce bijou.

Il donna plusieurs coups de becs. Son intérêt pour ce mystérieux joyau s'agrandissait. Une douce chaleur s'en dégageait et la lumière émise grandissait lentement.

Puis, tout à coup, elle brilla comme un soleil. Les corbeaux prirent brusquement leur envol, saisis par le flash. De nombreux filaments rouges s'en échappèrent, frappant tous les oiseaux qui tentaient de fuir. Aucun n'avait pu parcourir assez de distance pour s'éloigner de ce piège.

La pierre se nourrissait de leur essence vitale et quand elle eut assez d'énergie, les liens magiques se dissipèrent dans une poussière rougeâtre. Les corps des oiseaux retombèrent dans la boue, telle une pluie noire.

La pierre lévita à quelques mètres du sol. Elle bouillonnait d'énergie. Des fissures s'étendaient sur sa surface lisse et une lumière jaunâtre s'en dégageait. Une explosion retentit lorsque le cristal se brisa. Une brèche apparut à travers la réalité. Elle formait un disque doré, s'étirant sur ses deux extrémités qui fouettaient l'air.

Une silhouette humanoïde à la peau rouge, dont la moitié du visage était brûlée et stigmatisée par un symbole complexe, en émergea. Ses cheveux, d'un noir profond, étaient assemblés en une longue queue de cheval qui retombait sur son épaule. Il ressemblait aux humains. Mais ce qui le différenciait, outre la couleur de sa peau, étaient ses petites cornes en forme de lyre sur le front, ses longues oreilles et ses yeux jaunes.

La faille rétrécissait et se refermait derrière lui, avant de disparaître dans un grondement à peine perceptible.

L'individu regarda autour de lui pour savoir dans quel endroit il avait atterri. Il ne semblait guère surpris. Il balaya d'un revers de main la poussière qui s'était posée sur son manteau pourpre. Une odeur de putréfaction vint agresser son odorat et il ne put s'empêcher de grimacer.

Quelle est donc cette odeur répugnante ? se demanda-t-il.

Il se retourna et aperçut le cadavre du monstre reptilien, autour duquel gisaient les corps sans vie de nombreux corbeaux. La mort de ces animaux n'était pas un mystère pour lui. La pierre avait siphonné leur énergie vitale afin de lui offrir un passage vers ces terres. L'attente avait été longue, mais cela en avait valu la peine.

Leur sacrifice lui permettait de continuer la mission que son maître lui avait confié.

Il sortit du village pour être hors de portée de l'odeur nauséabonde que dégageait le cadavre. L'individu sortit de sa veste une vieille carte de la région ainsi qu'une boussole pour connaître son emplacement.

Une rivière traversait le village. Au nord des terres arides qui l'entouraient, se situait une chaîne de montagnes qui s'étendait vers l'est. L'individu soupira. Sa destination se trouvait à six jours de marche.

Parcourir ce monde avec cette apparence effrayerait les habitants et sa quête nécessitait de la discrétion. Se balader parmi les humains ne posait aucun problème. Il n'aurait qu'à leur donner une perception fausse de la réalité.

Et ça tombait bien, car c'était justement le domaine dans lequel il excellait !

Il sortit de sa bandoulière un masque arlequin qu'il mit sur son visage. Un voile translucide et flouté l'entoura brièvement, le temps de donner une nouvelle apparence qui lui seyait.

Celle d'un modeste humain.




(1) Autre nom donné à la Matriarche.

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