Chapitre 7 : Un nouveau mystère (2/3)
— C'est alors que nous avons vu des yeux bleus perçants rivés sur nous. D'après Moji, c'étaient des Esprits de Bois. Nous avons réussi à fuir de la forêt avec l'enfant et quelques heures plus tard, nous vous avons trouvés.
— Des Esprits de Bois, répéta Démétria pensive.
— Vous connaissez ces créatures ?
Démétria se pencha, plongeant son regard argenté dans celui d'Hadvar.
— J'ai entendu des histoires cocasses à propos de voyageurs se faisant agresser par de féroces arbres. En réalité, ce sont des âmes emprisonnées par les dryades. Les Esprits de Bois sont revêtus d'une apparence de végétaux pour tromper leur proie et leur force colossale leur permet de plier les meilleurs armures comme de simples feuilles de papier. Même le plus courageux des guerriers ne souhaiterait pas en croiser un. Quant aux créatures aux yeux rouges que vous avez mentionnées, il est possible que ce soit des hurleurs des lunes. (4) En temps normal, les dryades ne sont pas belliqueuses. Au contraire, elles sont assez timides. Rare sont ceux pouvant se vanter d'en avoir vu une. Tant que vous ne souillez pas leur environnement, il n'y a aucune raison de les craindre.
Hadvar se raidit. Son cœur bondit dans sa poitrine. Apprendre que de telles bêtes vivaient si près de Bourg-d'Argent ne le rassurait guère. Il remercia intérieurement Rhamée de l'avoir protégé. Toute cette histoire renforçait sa détermination de tenir secret l'existence des cristaux.
Des croassements résonnèrent au-dessus d'eux. Attirés par une quinte de toux sèche, les corbeaux s'approchèrent de la charrette, là où l'enfant malade se reposait.
— Du balai oiseaux de malheur ! cria Hadvar, en se dirigeant vers le chariot au pas de course.
Le garçonnet était réveillé.
— Comment tu te sens bonhomme ?
Le gamin crachait abondamment du sang entre une expiration bruyante et saccadée. Son état avait empiré.
Hadvar soupira, impuissant face à cette situation. L'aide espérée du village s'était volatilisée dès leur arrivée.
— Laissez-moi l'examiner, dit Démétria qui l'avait rejoint.
Mais bien sûr ! Pourquoi n'y avait-il pas pensé plus tôt ? Les rumeurs disaient que les paladins possédaient quelques capacités curatives, comme soigner les maladies et poisons grâce à leur magie sacrée.
La paladine monta dans le chariot. Le petit garçon de quatre ou cinq ans était recouvert d'une couverture brune tâchée de traces rouges. Elle s'accroupit près de lui et retira un de ses gantelets.
— Comment t'appelles-tu petit bout ?
— Lucius, répondit-il d'une voix fluette.
— Je suis Démétria, une paladine, connais-tu les paladins ?
— Oui.
Il fut pris d'une violente quinte de toux et recracha une gerbe de sang.
— As-tu des parents ou de la famille ?
Il secoua la tête et ses yeux s'humidifièrent après un instant.
— Ne pleure pas, dit-elle d'une voix affectueuse, alors qu'elle lui séchait ses larmes avec le pouce, la Lumière ne t'a pas abandonné. Cette douleur qui te ronge, je vais t'en soulager. D'accord, Lucius ?
L'enfant hocha la tête.
Démétria sourit chaudement et lui caressa la joue. Elle était froide. Il tremblait, aussi. L'épaisse étoffe en laine ne suffisait pas à le protéger du froid. La paladine pria sa déesse. La Lumière lui répondit et une vague d'énergie douce et pure enveloppa le jeune garçon qui arrêta de grelotter.
Baigné par la chaleur de Rhamée, ses maux s'atténuèrent et il rendit le sourire à Démétria qui le regardait avec compassion. Ils restèrent ainsi, silencieux, pendant un moment jusqu'à ce que la magie se soit dissipée.
— Ceci est un antidote.
La paladine tenait en main une petite fiole verte, dont elle venait de retirer le bouchon.
— C'est un puissant médicament qui t'aidera à guérir, par contre le goût est un peu amer. Bois-le. Doucement, prends ton temps. Ça n'a pas bon goût, n'est-ce pas ? Je suis désolée.
Lentement, les paupières de Lucius se refermèrent. Il se sentit glisser hors de son corps, comme attiré vers les cieux. Une douce voix susurrait son nom.
Lucius...
Son monde devenait flou. Un sombre et long tunnel se formait. Au bout, une lumière intense et grandissante l'appelait, elle l'entraînait à elle. Elle n'était pas aveuglante, mais plus il s'en approchait, plus il se sentait paisible et calme.
Quand il arriva dans cet halo gigantesque, Lucius comprit que Rhamée venait le chercher. Alors que son cœur cessait de battre, un flot d'amour et de paix indescriptible l'envahit. Le temps ne semblait plus exister. Puis, les bras de la déesse le serrèrent avec tendresse et elle l'emmena avec elle dans la Lumière pour l'éternité.
— Ton supplice est terminé, murmura Démétria.
— Est-il guéri ? demanda Hadvar.
— Je regrette. Je n'ai rien pu faire pour le sauver.
— Comment ? Vous venez de lui donner un antidote et avez fait usage de votre magie, qu'est-ce que vous me racontez ?
Démétria sauta en bas du chariot. Elle remit son gantelet et quand celui-ci fut ajusté correctement, elle le regarda droit dans les yeux sans un mot.
— Attendez... vous voulez dire que ce n'était pas un antidote, mais du...
— Du poison, confirma-t-elle d'un ton détaché.
Il n'en croyait pas ses oreilles. Comment avait-elle pu ? N'était-elle pas un paladin ? Son sang ne fit qu'un tour. Sans réfléchir, il agrippa le col du manteau de la paladine et la plaqua contre la charrette.
— Pourquoi ? cria-t-il. Cet enfant était malade et vous l'avez abandonné ! Vous avez le pouvoir de guérir ! Pourquoi l'avoir tué ? Pourquoi ?
Elle plissa des yeux, mais il continua.
— N'êtes-vous pas censée protéger ceux dans le besoin ? Répondez-moi !
Elle le fixa impassiblement. Il s'écoula quelques instants et le ton fut glacial :
— Cet enfant avait un trouble respiratoire depuis sa naissance. Il a développé une hémoptysie suite à une maladie inflammatoire. Savez-vous ce que c'est ? À voir votre tête, j'en déduis que vous l'ignorez. Vous souvenez-vous du sang qu'il recrachait ? C'est ça, une hémoptysie. Vous devez vous demander comment je le sais, n'est-ce pas ? Je suis une paladine, l'auriez-vous oublié ? Son état était trop avancé pour qu'il puisse être sauvé, alors je l'ai guidé jusqu'à Rhamée sans douleur.
Démétria se dégagea de son étreinte.
— Si je n'avais pas agi, il aurait souffert pendant un jour ou deux. Voir une semaine, peut-être, dans le meilleur des cas.
Un silence total tomba entre eux, et chaque seconde qui passait ne fit qu'élargir le gouffre qui les séparait.
Quand elle reprit la parole, ce fut un ton sans appel.
— Que les choses soient claires, Hadvar. L'Ordre du Jugement n'a pas pour vocation de protéger les faibles et les gens dans le besoin. Ça, c'est le rôle de l'Ordre du Bouclier. Le mien est de faire régner l'ordre et vaincre les ennemis de notre glorieux royaume. Ni plus ni moins.
Un éclat mauvais passa dans son regard.
— Je ferme les yeux cette fois-ci, car vous m'avez sauvée. Mais n'oubliez pas à qui vous vous adressez, je serai moins encline à être tolérante la prochaine fois. Me suis-je bien fait comprendre ?
Hadvar pâlit, son front perlait de sueur. Ses sentiments avaient pris le dessus et sa réaction avait été disproportionnée. S'opposer à un paladin revenait au même que s'attaquer à la Matriarche. Un sort pire que la mort était réservé à ceux qui défiaient son autorité. Il s'estimait chanceux d'avoir eu qu'un avertissement, car les guerriers saints faisaient rarement preuve de clémence.
Soudain, le bruit d'une explosion retentit. Hadvar et Démétria se retournèrent dans la direction du son arrivé à leurs oreilles. Un nuage de poussière noire s'élevait au-dessus du village.
Boum !
Une nouvelle détonation éclata suivie d'une violente onde de choc. L'air sembla se mettre à trembler autour d'eux. Une fumée sombre envahissait les rues. Ils entendirent des cris. C'étaient ceux de Moji.
(4) Loup géant vivant dans de grandes étendues boisées.
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