9 | 𝕊𝕥𝕣𝕚𝕔𝕥𝕖 𝕧𝕖́𝕣𝕚𝕥𝕖́

𝕁e reconnais d'office Odessa St. Claire, qui débarque en trombe dans la chambre. Une femme on ne peut plus directe, imposante dans tous les sens du terme. Elle s'avère être la tante d'Eliakim du côté maternel et est accompagnée d'un homme que je ne parviens pas à identifier.

- Les seules choses... dont tu as besoin... halète-t-elle, vraisemblablement essoufflée par son ascension active des escaliers menant à cette chambre.

Elle poursuit en prenant les mains de son neveu avec vigueur :

- ... elles sont ici ! Je parle de nous, ta famille, et des groupes de prière où tu pourras te trouver une nouvelle épouse. Une femme noire solide, ancrée à la communauté, qui t'aidera à surmonter ton chagrin.

- Pardon ? s'étrangle presque Eliakim.

« Kouman sa ? braille Améthyste avant de me prendre à partie, toujours en créole. Non mais, quelle mégère, cette Odessa ! Oser lui dire ça alors qu'elle m'a toujours traité comme si j'étais une perle irremplaçable. Je n'en reviens pas ! »

Ha ! D'un coup, cette réunion de famille forcée la satisfait beaucoup moins.

Je l'avise brièvement du coin de l'œil et reporte mon attention sur le seul inconnu de la pièce lorsque ce dernier prend la parole.

- Bonsoir, Révérend* Día. J'éprouve un énorme soulagement à vous revoir sobre, bien que j'eus préféré que cela soit dans d'autres circonstances.

Semblant un brin embarrassé par cette remarque, Akim opine tout de même et accepte de serrer sa main tendue. L'homme reprend ensuite en liant ses doigts devant lui.

- Je conçois que le franc parlé de sœur Odessa vous désabuse, Révérend. Le fond de son message n'en est cependant pas moins éclairé ou bienveillant. Nous croyons encore sincèrement en votre capacité à surmonter cette épreuve.

Entendre Akim se faire appeler ainsi me fout toujours de l'urticaire. Mais même s'il n'exerce plus en tant que pasteur à cause de ses problèmes personnels, l'église ne lui a pas ôté son titre.

- La route sera longue et semée d'embûches, poursuit l'inconnu poivre et sel, mais vous n'aurez pas à l'emprunter seul. Les réponses à votre mal se trouvent dans la force notre congrégation. Vous n'êtes pas sans savoir que le rôle d'une bonne épouse est d'épauler son homme et de l'aider à se construire. Se reconstruire, dans votre cas.

- Amen ! interjecte Odessa, yeux clos, tête penchée en avant et paume levée au ciel.

- Qui est-ce ? intervins-je d'un ton assez sec bien que mon regard en biais, braqué sur le deuxième sexagénaire, suffise déjà amplement à refléter mon opinion quant aux conneries qui viennent de me polluer les oreilles.

« C'est le Pasteur Josiah Dupree, m'annonce Améthyste en même temps que l'intéressé me pond une introduction pompeuse - dont je n'ai rien à cirer - de son ecclésiastique personne. Il a repris la tête de l'Église de la Lumière Divine lorsqu'Eli en a été écarté l'an dernier, à cause de son incapacité à surmonter son problème de dépendance. »

Je l'ignorais.

Constatant que je le fixe toujours aussi durement, ce con de Dupree focalise à nouveau son attention sur Akim.

- Révérend Día, vous êtes mieux placé que quiconque pour savoir que nous sommes tous amenés à livrer nos propres batailles personnelles. Mais surtout que le péché d'orgueil précède la chute. L'entourage est crucial dans ces moments de fragilité. Mes fidèles et moi-même sommes disposés à vous soutenir dans chaque étape de votre rétablissement. En souvenir de toutes les bénédictions dont vous avez gratifié la communauté, mais aussi en mémoire de la charmante Améthyste.

« Oooh, mais je n'ai pas demandé à être remplacée, sale crétin ! »

- Je vous interdit de prononcer son prénom ! s'emporte soudain Akim. Pas après ce que vous venez de dire. C'est tout bonnement... écœurant !

« Exactement ! Merci, mon amour. »

Outragée, Thys se réjouit de la virulence d'Eliakim. Loin d'en être aussi ravi qu'elle, j'amorce un pas en avant et place d'emblée un bras autoritaire devant lui. Anticipant une ruade irréfléchie sur son confrère.

Ne manquerait plus que « coups et blessures volontaires » s'ajoute à la liste de ses crimes pour qu'il passe directement par la case prison.

Akim se raidit à ma proximité. Lèvres pincées et poings tremblants, ses yeux bruns envoient toujours des éclairs à Dupree. Il recule toutefois comme si j'étais une clôture électrique.

J'étais si consterné par la grandiloquence ridicule du pasteur que je n'ai pas porté attention à Akim. Il commence à tourner comme un lion en cage dans mon dos, exacerbant par la même occasion mon niveau de vigilance.

Je l'espère assez lucide à travers son brouillard de rage pour ne pas attaquer à la première occasion. Il paraît être monté en pression d'un coup, ce qui me surprend assez considérant sa nature pondérée. Enfin, hormis lorsqu'il interagit avec moi. Mais du plus loin que je me souvienne, je ne l'ai jamais vu se bagarrer. J'ai toutefois assisté à l'explosion d'assez de rixes ces derniers mois pour savoir qu'il était à deux doigts de coller une beigne à l'autre abruti.

- Mon chéri, je sais combien cela doit être déplaisant à entendre, mais-

- Économisez votre salive, Odessa, m'agacé-je légèrement. La seule « femme noire solide » dont Eliakim aurait besoin dans sa vie pour l'instant, ce serait une thérapeute.

« Séraphin ! »

- Tu sais que c'est la stricte vérité.

La position actuelle d'Améthyste, très proche d'Akim, me permet de répondre à haute voix sans aucune crainte. Tout le monde pense que je m'adresse à lui, puisqu'il me dévisage aussi d'une mine outrée.

- Être entouré de... de ferventes prières, et de proches parents dont le jugement est faussé par leurs sentiments, ça ne l'aidera pas plus à se sortir la tête de l'eau qu'un deuxième mariage.

- Pour qui te prends-tu ? s'emporte le père d'Eliakim.

Furieux, il amorce un vif mouvement en avant.

En apparence, je reste de marbre. Mais s'il fait un pas de plus, c'est lui qui va se manger une bonne beigne.

- C'est vrai ! renchérit la tante. Sale mal élevé, qui es-tu pour juger de ce qui est mieux pour notre garçon ? Nous l'avons choyé, éduqué, nourri... avons pleuré à ses côtés et consolé son cœur brisé. Nous sommes les seuls à savoir ce qui est bon pour lui !

- Tu te trompes amèrement, crache Eliakim. Je suis le seul à pouvoir décider ce qui est mieux pour mon bien-être et je décide d'emménager au Texas avec Séraphin. C'est ce qu'aurait voulu mon Améthyste.

À ces mots, son père soupire avec dédain.

- Si tu tenais un tant soit peu de moi, fils, tu ne sombrerais pas ainsi, toujours plus profond dans la déchéance.

Le malaise soulevé par cette remarque mesquine flotte quelques secondes dans l'air. Puis Eliakim psalmodie laconiquement :

- J'ai été créé à l'image de Dieu, et c'est Lui qui me guide, même lorsque le chemin à emprunter semble obscur.

À vue d'œil, son insubordination attise la colère de son paternel. Ce dernier ne trouve cependant rien à rétorquer.

« Et toc ! T'es le meilleur, mon cœur ! Je t'aime, je t'aime, je t'aime ! exulte ma sœur en sautillant comme une gamine. Toi aussi, Séra. Je continuerais volontiers à crier sur tous les toits que tu es le meilleur frère du monde. »

Interloqué, par ce revirement, j'occulte la célébration d'Améthyste et me tourne vers Akim.

Nos regards farouches s'accrochent. Il opine. Semblant dorénavant déterminé à accepter mon aide, en dépit des vives contestations de ses proches.

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*Révérend : titre honorifique qui peut être utilisé pour s'adresser à un membre du clergé ; pasteur, prêtre, ministre, etc. Le terme n'indique pas une fonction spécifique, mais plutôt une reconnaissance de leur statut spirituel.

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Personnages introduits :

· Odessa St. Claire / âge non défini / tante d'Eliakim du côté maternel.

· Pasteur Josiah Dupree / 60ène / remplaçant d'Eliakim à la tête de l'Eglise de la Lumière Divine.

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