8 | ℂ𝕖 𝕢𝕦𝕖 𝕔𝕖 𝕟'𝕖𝕤𝕥 𝕡𝕒𝕤

𝔼liakim reste figé sur le pas de la porte, ses yeux écarquillés de surprise posés sur moi. Et, bien que ce soit dur à admettre, je n'en mène pas plus large que lui.

« Détendez-vous, les gars, rit doucement Améthyste. Tout va bien se passer. »

Ça, c'est elle qui le dit !

Tandis que je gronde intérieurement, les coups reprennent. De façon plus insistante et ce coup-ci accompagnés de la voix criarde de ma mère.

— Séraphin Lucien Beauchamp, nous savons que tu es ici avec notre Eliakim. Ouvre tout de suite cette satanée porte !

— Qu'est-ce que tu fous ? m'indigné-je alors qu'Akim s'avance pour saisir la poignée.

— À ton avis ? rétorque-t-il, le regard résigné. Nous n'allons tout de même pas laisser tes parents sur le seuil de cette porte toute la nuit.

Non. Bien sûr que non... Seulement jusqu'à ce qu'ils se lassent de faire irruption où ils ne sont pas bienvenus et s'en aillent !

Voilà ce que j'aimerais hurler à Akim.

« Cesse donc de faire l'enfant, Séra. Je suis sûre que cela te fera le plus grand bien de serrer Mummy dans tes bras. »

Rien n'est moins sûr.

J'observe les mouvements d'Akim avec une intensité démesurée. Thys profite visiblement de ma latence pour avancer vers moi. Je sursaute lorsqu'elle me frictionne le dos, redoutant que son contact inattendu ne soit encore motivé par la volonté de m'imposer une vision non sollicitée. Mon esprit demeure toutefois exempt d'intrusion et Améthyste me sourit d'un air avenant, ses yeux clairs plongés dans les miens.

Mon côté pragmatique reprend alors le dessus, s'alignant à la situation. Je me prépare raisonnablement à revoir nos parents. Mais dès qu'Eliakim ouvre la foutue porte, je me prends un violent coup de massue.

J'ai cru, assez naïvement, que rien ne pouvait être pire que d'affronter mes vieux ce soir, après deux nuits blanches, un peu plus de 8 heures de route suivies de mes joyeuses retrouvailles avec Akim, son évaluation psychologique et son passage devant le juge pour acter ce putain d'accord. Eh bien, je me trompais ardemment.

— P-Papa ? s'étonne Eliakim. Que fais-tu ici ?

— Qu'est-ce que moi, je fais ici ? gronde le patriarche.

Nous faisons tous deux abstraction de ma mère, elle aussi debout dans l'entrée, pour aviser le sexagénaire aux cheveux et à la barbe grisonnantes. Du moins, les yeux horrifiés d'Akim font plutôt la navette entre son père et moi. Puis il répète, en panique totale :

— Papa, je te promets que ce n'est pas ce que tu crois.

Mes poings se serrent d'eux-même. Mon corps tout entier se tend lorsque le regard méprisant de Javier Día s'accroche à moi. La vaine tentative d'explications d'Eliakim me renvoie près de vingt ans en arrière. Je revois son connard de paternel m'arracher de ses bras. J'entends ses hurlements enragés comme s'il m'aboyait encore dessus en ce moment même.

***

— Que fais-tu à mon fils ? Sale petit démon dépravé ! Je vais t'apprendre comment je réprouve la perversion dans cette maison !

Pétrifié par ses yeux remplis de rage, je reste prostré sur le sol de la chambre d'Akim alors que Monsieur Día enlève sa ceinture.

Je sais ce qui va se passer. Je suis pourtant incapable de bouger.

— Papa ! Papa, arrête ! C'est pas ce que tu crois.

Malgré les contestations larmoyantes de son fils, les coups de ceintures commencent à pleuvoir, sans qu'aucun de nous ne puisse les éviter.

***

— Pas ce que je crois... maugrée Javier en ramenant son attention vers Akim, face à qui il amorce de grands gestes. Tu n'as donc pas prévenu ta belle-mère que tu comptais quitter la ville avec le dévergondé qui lui sert de fils ? Une information dont tu as osé spoiler ton propre père !

— Je lui ai juste demandé de te l'annoncer après mon départ, parce que je savais comment tu réagirais à la nouvelle.

Je n'apprécie pas la façon dont le regard accusateur d'Eliakim pèse sur ma mère, qui s'excuse dans la seconde.

— Je suis navrée, mon chéri, je voulais juste que ton père ait l'occasion de te dire au revoir.

— Parfaite a fait preuve de considération et de respect, embraye Javier. Ce dont mon fils unique ne semble plus témoigner à mon égard. Alors comment, selon toi, devrais-je réagir ? Hein ? ¡Cómo, dime!

— En tout cas, pas en gueulant bêtement ni en frappant tout ce qui bouge.

J'ajouterai bien la manipulation émotionnelle à la liste des méfaits de Javier Día, mais m'arrête là de peur de ne plus me contenir si je continue à l'ouvrir.

À chaque fois que je vois cet homme, la réaction épidermique est fulgurante. Mes poils se dressent comme les piquants d'un hérisson et ma tension grimpe en flèche.

Je me fiche pas mal de la façon dont il traite son gosse. Ce qui me fait bouillonner de l'intérieur, jusqu'à littéralement en suer, c'est le souvenir de ce qu'il a osé m'infliger à moi.

Le vieux cajun* me jauge d'un air rebuté, le regard sévère, et je le lui rend bien. Je ne suis plus un adolescent de 17 piges, incapable de se défendre d'un adulte pesant deux fois son poids. Au moindre faux pas de sa part, je me ferai une joie de le maîtriser d'une bonne clé de bras et plaquerai sans états d'âme sa sale face de rat blanc contre le parquet de cette foutue chambre.

— Séraphin... Mon grand et si beau garçon, s'exclame d'un coup ma mère en s'élançant vers moi. Je suis tellement heureuse de te revoir après toutes ces années !

« Tu vois, je t'avais dit que ça lui ferait plaisir ! »

Volontairement aveugle à nos fractures, Améthyste se réjouit de ces retrouvailles.

Diluer les tensions familiales dans une rasade de bonhomie, en ignorant sciemment les affronts et les insultes – qui me sont le plus souvent adressés –, c'est du Parfaite Beauchamp tout craché. Elle saisit mon visage entre ses mains et me tire à hauteur du sien pour me faire la bise.

— Ça ne fait que deux ans, Mum, marmonné-je en me redressant.

— Mwen santi kòm si sa fè dix ! Tu devrais raser cette horrible barbe et... Qu'est-il arrivé à tes cheveux ?

Depuis que je suis en âge d'en décider, j'ai adopté un style de rappeur américain des années 2000. Un engouement assez peu conventionnel pour un gosse de protestants, en partie motivé par ma ressemblance frappante avec notre mère.

Nous en sommes tous deux le portrait craché. Tant et si bien qu'Améthyste et moi avons été confondus pour des jumeaux bon nombre de fois dans notre enfance, bien qu'elle soit de 5 ans ma cadette. Il faut dire que j'ai toujours aimé avoir les cheveux mi-longs. J'ai donc fait mon possible pour me démarquer de ma sœur, la petite fille sage. Résultat, mes parents, aussi bien que mes profs de l'époque et même quelques-uns de mes collègues actuels ont souvent qualifié mon style de prédilection de « dégaine de délinquant ». J'imagine que mes dreadlocks accentuent ce stéréotype.

— Ça s'appelle une coiffure. Il arrive que les gens en changent, de temps en temps.

Je serre les dents quand ma vieille me pince aussi fort qu'un bernard-l'hermite.

— Tu es peut-être un adulte, mais je reste ta mère. Ne t'avise pas de me parler sur ce ton condescendant.

Voilà la raison exacte pour laquelle je m'attelle à interagir avec elle le plus rarement possible ! Être témoin de son laisser-faire exacerbant vis-à-vis des autres, quand d'un autre côté je subis ce genre d'ordre ridicules, uniquement basés sur la filiation ou le droit d'aînesse, ça me fout assez vite à cran.

« Ne te fâche pas, grand frère. Tu sais comment est Mummy. Vos échanges seraient sans doute plus légers si tu te montrais patient avec elle. »

Mais bien sûr ! Comme à l'accoutumé, mon caractère est souligné comme étant le seul problème.

Rongeant mon frein, je préfère tendre l'oreille du côté d'Eliakim et Javier plutôt que d'écouter ma mère reprendre ses babillages futiles.

— Inutile de transformer tout ceci en ce que ce n'est pas, papa, plaide Akim. Séraphin est seulement intervenu pour m'éviter de plus gros ennuis après l'accident que j'ai causé. Parfaite a dû te l'expliquer.

— Et alors ! C'est vraiment ce que tu veux faire ? Suivre l'exemple d'un pécheur qui a tourné le dos à sa famille et la couvre depuis de déshonneur. ¿Estás loco?

« Pff, ce vieux grognon raconte n'importe quoi. Il s'adresserait d'ailleurs à nous avec plus d'égards s'il me savait présente ! Quant à maman et papa, ils savent que tu es un des héros de notre belle nation et, crois-le ou non, ils en sont très fiers. »

Fiers de mon statut, à la rigueur, je veux bien le gober. Mais de l'homme que mes choix de vie ont fait de moi, j'en doute fort.

— Non et ce n'est pas ce que je souhaite, assure Akim. Sauf que, Séra–

Je fronce des sourcils, choqué d'entendre mon surnom sortir de sa bouche. Mais il s'interrompt net. Alors j'imagine qu'il a simplement arrêté son élan au milieu de sa phrase, avant de poursuivre de manière plus réfléchie :

— Je suis désolé d'avoir accepté cet arrangement judiciaire dans ton dos, d'accord ? Tu dois tout de même reconnaître qu'il s'agit sans aucun doute de la meilleure issue, compte tenu de la gravité de ma situation.

— Balivernes ! hurle une voix féminine lointaine. Tu n'as nul besoin de quitter les tiens pour être sauvé du démon perfide qui t'a poussé au fond d'une bouteille.

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*Cajun : descendants des colons français qui se sont installés en Louisiane, les Cajuns sont principalement des Blancs.

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Personnages introduits :

• Parfaite Beauchamp / âge non défini / mère de Séraphin et Améthyste / belle-mère d'Eliakim.

 • Javier Día / 60ène / père d'Eliakim / beau-père d'Améthyste.

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Note additionnelle - Le père d'Eliakim est issu d'un métissage français et espagnol, il est typé caucasien. Akim est typé afro-américain, mais est aussi métis (car origines cajun/espagnole coté paternel et créole côté maternel).

Hello !

J'ai encore dû scinder ce chapitre en 2 parties (1600 et 1200 mots) pour faciliter la lecture.

Si tu as apprécié l'arrivée de Javier Día dans l'histoire, tu vas ADORER la suite. 🤭

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