5 | 𝕁𝕦𝕤𝕥𝕖 𝕦𝕟𝕖 𝕗𝕒𝕧𝕖𝕦𝕣

𝕃'évaluation psychologique d'Akim a été retardée par une urgence au sein du service psychiatrique de l'hôpital. L'entrevue avec le juge s'est ainsi déroulée en début de soirée. Et mieux que je ne l'aurais jamais espéré, je dois dire.

J'ai dû ramener mon beau-frère chez lui avant sa comparution, afin qu'il se douche, se rase et s'apprête de vêtements propres. Le débardeur et le jean qu'il portait le soir de l'accident étaient couverts de sang et d'autres fluides séchés que j'ai refusé d'identifier. L'état de sa baraque ne s'est pas avéré plus encourageant. Habits, emballages, restes de bouffe et carcasses de bouteilles en tout genre jonchaient la majeure partie de l'espace, transformant en dépotoir une demeure jadis si accueillante.

Thys m'a alors révélé, les yeux embrumés de larmes, qu'Akim est parti à la dérive depuis un peu plus d'un an. Les efforts acharnés de nos parents et des siens, selon elle déterminés à lui garder la tête hors de l'eau, ont apparemment été vains. Il a perdu son poste à l'église, sa vocation, en même temps que son intégrité et questionne quotidiennement sa foi, autrefois inébranlable... Je ne pensais même pas qu'il parviendrait à se débarrasser de cette puanteur en sortant de chez lui tant elle prend à la gorge. Ni qu'un homme tombé dans une telle misère émotionnelle parviendrait à porter sa croix aussi bien face aux exigences inflexibles de la justice.

C'était oublier quel menteur invétéré s'avère être Eliakim Día.

Ce type parvient sans doute à se convaincre lui-même qu'il est sincère. Il s'en est donc parfaitement sorti, en portant Dieu et la repentance en étendard. Comme à son habitude.

— J'avais dit ne pas avoir besoin d'avocat.

Sa voix nasillarde, accusatrice, me tire de mes songes alors que nous nous avançons vers mon pick-up. Je sors mes clés et tourne machinalement mon attention vers Maître Williams, l'avocat qui s'est brillamment chargé de sortir Akim de la mouise les fois précédentes. Il se dirige lui aussi vers son véhicule, à grands pas, téléphone à l'oreille. Sans doute déjà plongé dans l'affaire d'un autre client.

— J'ai préféré qu'il soit présent pour t'assister. Histoire d'attester qu'un professionnel en qui t'as confiance t'a conseillé, a veillé à ce que cet accord serve effectivement tes intérêts et que t'as accepté de le signer en ton âme et conscience.

Je ne récolte qu'un grognement en réponse, ce qui m'importe peu. Je sais devoir couvrir mes arrières avec lui, aussi altruiste que soit mon implication.

« Eli a tendance à être sur la réserve avec les personnes extérieures à son cercle. Je reste sûre que vous finirez par mieux vous entendre si vous vous décidez enfin à apprendre à vous connaître. »

Améthyste n'a jamais pu s'empêcher de justifier l'attitude distante qu'affiche son mec envers moi... Bien qu'elle n'ait pas foncièrement tort concernant son caractère, elle se trompe sur toute la ligne.

Eliakim me suit en silence. Ma sœur, qui semble ne jamais le quitter d'une semelle, apparaît au centre de la banquette arrière tandis qu'il s'installe docilement à mes côtés sur le siège passager. Je l'avise du coin de l'œil en démarrant. Il croise les bras contre son buste dans une posture protectrice et trépigne d'une jambe. Sa façon d'entailler le coin de ses doigts avec ses ongles, de les ronger ou de mâchouiller ses lèvres, le tout en l'espace de quelques secondes, ne peut traduire que deux hypothèses : soit il est mal à l'aise en ma compagnie, soit il ressent le besoin irrépressible de se bourrer la gueule pour étourdir ses émotions tant elles le dépassent.

L'un n'empêcherait cependant pas l'autre. Dans les deux cas, je dois trouver un moyen de l'occuper.

— T'as faim ?

— Non.

Eh merde.

— OK... Vu l'heure, il est préférable qu'on prenne la route pour Fort Worth demain matin. Je vais te ramener chez toi pour que tu prépares tes affaires.

— Suis-je dorénavant sous ta tutelle ?

— Quoi ? Non. Vois ça plutôt comme... un accompagnement dans ton parcours vers la sobriété.

— Un accompagnement des plus pointilleux, j'imagine, ranger Beauchamp.

La condescendance dont il ose faire preuve me titille, mais il vise juste. Je ne prends donc pas la peine de répondre à ce sujet.

— Je n'ai planifié que les étapes essentielles avant ton départ. Une fois tes valises bouclées, tu pourras passer la soirée avec ta famille si tu veux. Sinon, je suis OK pour faire ce que bon te semble pour ta dernière nuit à NOLA.

Je n'ai pas envie de lui imposer un programme dès ce soir. Je grimace toutefois en me rendant compte que ma proposition sonne plus ambiguë qu'elle ne le devrait.

Akim ouvre la bouche, mais je le devance avec un regard intransigeant.

— Rien qui implique un lieu vendant de l'alcool.

Il se renfrogne.

Les lumières excentriques du centre-ville lèchent son visage à travers les vitres teintées. Je remarque qu'elles couvrent de couleurs diverses les bandes adhésives blanches maintenant son attelle nasale au fur et à mesure qu'elles défilent. Je m'aperçois aussi que les dents d'Akim malmènent à nouveau sa lèvre inférieure, puis ses ongles.

J'essaie d'ignorer ses tics en me concentrant sur la circulation. Sauf qu'après quelques minutes de ce manège dans un silence pesant, je finis par craquer. Il lui faut occuper ses mains, et surtout son esprit, autrement qu'en se faisant du mal.

— Je pense que tu devrais déjà commencer par contacter ton père. Il sera soulagé d'apprendre que t'es sorti de l'hosto et que les poursuites à ton encontre ont débouché sur un accord qui prend en compte la globalité de ta situation.

Ce conseil avisé est accueilli par un rire dédaigneux.

— Et tout ça grâce à toi... Tu as rencontré mon père plus d'une fois, Séraphin. Tu sais donc qu'il vaut mieux qu'il apprenne le plus tard possible que je te suis gentiment jusqu'au Texas. Toi, un pécheur éhonté. Il vous exècre au plus haut point.

Super, je me fais toiser en prime...

« Je n'ai eu de cesse de lui répéter d'oublier ces idées du siècle dernier véhiculées par son père ! Le Seigneur t'aime tel que tu es, grand frère, et moi aussi. »

— Mh...

Elle est mignonne, mais les chiens ne font pas des chats. Javier Día est l'archétype parfait du connard intolérant déguisé en homme de foi ; il a façonné son fils à son image.

— Sinon, je... Il y a bien quelque chose que je souhaite du plus profond de mon cœur si je dois quitter NOLA pour une durée indéterminée.

Mes yeux curieux glissent sur ses traits attristés.

— Je suis toute ouïe.

— Promets que tu écouteras mes explications jusqu'à la fin.

Je pensais qu'il demanderait à visiter la tombe de ma sœur. Mais ce genre d'entrée en matière annonce toujours une entourloupe.

— Je viens tout juste de témoigner pour t'éviter une condamnation sévère. Alors je crois avoir déjà assez fait de promesses en ta faveur, Día. Parle maintenant et vois ce que j'en dis, ou alors tais-toi. La décision est tienne.

— Très bien ! Je voudrais me rendre au Big Easy une dernière fois.

— Tu te fous de moi, là ?

Tournant brusquement la tête vers lui, je manque de faire un trop gros écart durant mon dépassement. La voiture qui arrive en sens inverse klaxonne. Je me rattrape de justesse, sans toutefois secouer mes passagers.

— Pas du tout, poursuit-il avec conviction, soudain entièrement focalisé sur moi. Crois-le ou pas, j'ai conscience de ton sacrifice. Je veux dire, je sais que tu n'as pas plus envie de me chaperonner que j'ai envie de passer du temps en ta présence. Si tu le fais, c'est uniquement en mémoire d'Ami. C'est aussi pour elle que j'aimerais me rendre au Big Easy ce soir. C'était son club de Jazz favori.

Ah... Je comprends d'un coup pourquoi Akim s'est montré si résilient face au juge. Il préparait le terrain pour mieux me manipuler.

« Il dit vrai. Nous avions pour habitude d'y aller au moins une fois par mois. Il a maintenu cette routine au début, jusqu'à ce que mon absence devienne trop lourde à porter... J'imagine que c'est l'endroit où il se sent le plus connecté à moi, alors, s'il te plait, accepte, Séra. »

— C'en est hors de question, craché-je, les yeux rivés à ceux d'Améthyste via le rétroviseur central.

Je suis à deux doigts de lui demander quand elle est devenue si stupide. Mais impossible de m'adresser à elle avec Eliakim à portée de voix.

Contenant l'indignation qui me griffe de l'intérieur, je me reprends et enchaîne :

— Je ne compte pas courir le risque que le condamné sous sursis au nom duquel je me porte garant finisse sa première soirée sous ma surveillance complètement...

Torché.

Ou foutu, compte tenu du fait qu'il ira directement en taule s'il se refait choper en récidive.

— ... englouti par sa peine et sa dépendance, argué-je finalement.

— Ça va, s'agace-t-il, la mine contrariée. Je suis capable de me contrôler. Je te demande juste une faveur. La première et la dernière. Je te jure sur tout ce qu'il me reste de plus cher que ma seule motivation, c'est Ami.

— Sauf que je ne te crois plus sur parole. J'ai bien retenu la leçon.

— Oh, je n'y crois pas ! Comptes-tu vraiment mettre cette vieille histoire sur le tapis, maintenant ?

« À quoi faites-vous référence ? »

Mon regard croise encore celui d'Améthyste à travers le rétro. J'y lis toute sa curiosité quant à cette « vieille histoire » que chacun de nous deux préfère taire, mais qu'aucun ne semble capable d'oublier.

Ce n'est toutefois pas ce soir que ma sœur en prendra connaissance.

— D'accord, écoute, éludé-je, essayons de faire en sorte que cet arrangement ne débute pas à coups de crocs acharnés.

— À mon humble avis, il est bien trop tard pour cela.

— Je te l'accorde, mais y mettre du tien aidera sans aucun doute à limiter nos accrochages. La Rédemption n'est-elle pas ce que tu prêches ?

« Pourquoi continuer à battre un homme à terre, Séraphin ? Lui comme toi avez toujours refusé de me confier l'origine de votre inimitié, très bien ! Mais tu décèles aussi bien que moi la sincérité dans ses prunelles. »

Cette fois, elle voit juste. Mais quelle force a la sincérité lorsque l'on perd sa lutte contre son addiction ?

Je tente néanmoins d'adoucir ma conclusion, en gage d'empathie, et me râcle la gorge avant de lancer :

— Je conçois que tu veuilles te rendre dans ce club pour te sentir plus proche de Thys avant de partir. Et je veux bien croire que tu ne penses pas à mal, ça me paraît juste être une mauvaise idée... Sans être spécialiste, je doute qu'il soit judicieux que tu te retrouves dans ce genre d'environnement les premiers mois de ta désintox. Encore moins avant d'avoir consulté.

Aucune contestation ne s'élève. Les yeux perdus dans les ombres fugaces du paysage urbain défilant par-delà les vitres, Akim me tourne à présent le dos. Muré dans le silence.

Ce n'est pas plus mal.

Nous parvenions aisément à camoufler les raisons de notre antipathie du vivant d'Améthyste. En nous évitant, le plus souvent, ou en évitant tout bêtement de nous lancer des piques en sa présence. Mais la donne a changé, et je suis le seul à le savoir.

Hello, merci pour ta lecture.

Maintenant qu'il y a matière à redire sur le début de l'intrigue et la relation Séra/Eli, Séra/Ami et Ami/Eli, n'hésite pas à commenter !

Si tu as des questions, j'y répondrai avec plaisir.

J'aimerais surtout savoir de quelle façon tu perçois Améthyste afin d'améliorer son personnage.

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