4 | 𝕄𝕒𝕚𝕟 𝕥𝕖𝕟𝕕𝕦𝕖

— La mort t'aurait causé moins d'emmerdes, rétorqué-je, indifférent à son mépris depuis bien longtemps.

« Séra ! me réprimande Améthyste, ses yeux dorés interloqués. Il a besoin de soutien, pas de méchanceté gratuite. »

Je soupire en me retenant de lever les miens au ciel et reprends :

— Tu te souviens de comment t'as atterri ici ?

— Pas vraiment. Ça doit avoir un rapport avec le fait que ma voiture a dévalé un ravin... Combien de temps suis-je resté dans les vapes ?

— Presque deux jours.

Sa voix, encore faible, est caverneuse à cause de sa fracture du nez. Je détaille les traits fatigués de son visage oblong. Les cernes sous ses yeux. Ses lèvres gercées. La maigreur qui fait anormalement ressortir ses pommettes et ne s'attaque pas qu'à ses joues creuses... Des signes de carences qui ne sont bien entendu pas le résultat de son accident.

La dernière fois que j'ai vu ce salopard, c'était un mari endeuillé pleurant toutes les larmes de son corps. Mais c'était aussi un homme en bonne santé. Son état, critique, parvient à me navrer sans toutefois m'attendrir.

Il n'est pas le seul à avoir perdu un être aimé.

Je sors de ma désolante contemplation lorsqu'Eliakim grogne de douleur. Gigotant légèrement dans son lit, il étouffe un jurons en se rendant compte qu'un de ses poignets y est menotté.

— Peux-tu me libérer de ces horreurs ?

— Petits bijoux, tu veux dire. Et tu te doutes bien que je ne suis pas celui qui te les a passées au poignet.

Il grogne encore.

En vérité, je pourrais soumettre sa requête à l'officier stationné devant la porte. Je n'en ressens juste aucune envie. Ce regard noir que me jete Akim signifie peut-être qu'il en a parfaitement conscience. Mais le simple fait qu'il respire dans la même pièce que moi m'irrite déjà au plus haut point. Alors le voir chouiner en réponse à une situation qu'il a causé...

— Comptes-tu rester assis à me narguer, ou vas-tu au moins me dire ce que tu fiches ici ?

Je me redresse immédiatement et m'accoude à mon siège.

— C'est bien que tu donnes le ton d'office. Je n'avais pas des masses envie de passer par quatre chemins, donc ouvre bien tes petites oreilles ; je viens te sortir du pétrin dans lequel tu t'es fourré. Y'a de grandes chances que t'échappes à la taule si le procureur de NOLA te valide un accord. Mais pour ça, tu vas devoir venir vivre chez moi.

— Tu peux répéter ? s'étrangle-t-il presque.

— Tu m'as très bien entendu, Akim. Tout est détaillé là-dedans.

— Ne m'appelle pas comme ça !

À présent debout près de son lit, je balance sur la table de chevet le dossier que j'ai imprimé et plonge à nouveau les mains dans mes poches.

« Tu sais qu'il ne supporte pas ce surnom, intervient Améthyste. Pas plus qu'il ne tolère ton attitude désobligeante. Alors pourquoi le provoque-tu de la sorte ? »

Car je suis révolté de devoir encore m'infliger la présence de cet homme.

« Œuvres-tu dans le seul but de le voir rejeter ta proposition ? » insiste-t-elle en approchant.

Imperturbable, je continue à soutenir le regard d'Eliakim du haut de mon mètre quatre-vingt-huit.

Améthyste ignore pourquoi il déteste que j'emploie ce surnom. Elle ignore aussi pourquoi je persiste. Pourquoi je le provoque sciemment. Autant dire que ma petite sœur ignore encore beaucoup de choses à propos de ma relation orageuse avec son époux bien-aimé.

Ce dernier retrousse la lèvre supérieure, collant une moue de dégoût sur son visage stigmatisé, et me toise en crachant :

— Regardes-toi, irradier d'orgueil avec ton semblant d'autorité. Pour qui te prends-tu ?

— Je me prends pour Séraphin Lucien Beauchamp, garant de la sécurité publique, et accessoirement ton beau-frère.

— Mon beau frère, ricane-t-il, ses yeux rougis solidement ancrés aux miens. Tu n'es absolument rien ni personne pour moi. Tu ne l'as jamais été. Je pensais qu'après toutes ces années, tu avais enfin fini par le comprendre.

« Séra, ne l'écoute pas ! » s'agite Améthyste.

Elle me saisit la main. Des visions d'Eliakim en pleurs m'assaillent avant-même que je puisse penser à me dérober. Les doigts serrés autour des miens, Thys me force à assister à un condensé de leur romance en avance rapide, avant de s'attarder sur la déchéance de son veuf.

Je vois Akim poser le genou à terre, tout sourire. Ses prunelles noisettes aimantes rivées à moi, qui le vois à travers celles d'Améthyste. Ses mains, nerveuses, exhibent sous mon nez une magnifique bague. J'entends ensuite son rire joyeux résonner dans mon crâne, toutes les fois où a serré son épouse dans ses bras. Et comme si mes propres souvenirs n'étaient pas assez déchirants, je revois leur mariage à travers elle. Sens la suave odeur d'Eliakim m'enivrer, ses lèvres contre les miennes... Puis survient le drame. Le bonheur vole en éclats. Ma sœur fixe son visage ravagé de larmes en agonisant dans ses bras. Et c'est la descente aux enfers. Les cuites à répétition. Le chaos terrifiant de la perte totale de contrôle quant à ce qu'il reste de sa vie.

Mon cœur s'atrophie. Mon souffle accélère, imperceptiblement, je reste pourtant stoïque de l'extérieur quand ma sœur me lâche enfin.

Les situations anxiogènes, ça me connaît. Autant que les visions indésirables.

« Il dit tout cela pour te blesser, parce qu'il souffre de son côté. Mais je t'assure qu'il n'en pense pas un mot. »

Une fois de plus, Thys patauge dans son ignorance. Son couple n'a jamais été la romance immaculée qu'elle s'imagine et, depuis des années, Eliakim pense chacun des mots qu'il m'adresse en privé dans le seul but de piétiner mon amour-propre.

— Peu m'importe, me forcé-je à répondre, le visage tourné vers Thys, avant de reprendre face aux yeux acérés de son mari. Malheureusement pour toi autant que pour moi, les choses ne sont pas si simples. Ma sœur ne veut pas... ne voudrait pas que tu croupisses au fond d'une cellule.

— Tu penses savoir mieux que moi ce que voudrait ma femme ? se révolte-t-il, tirant inconsciemment sur ses menottes.

Feignant la nonchalance, je soupire et hausse les épaules, les mains toujours enfoncées dans mes poches.

— À moins que l'abus d'alcool ces deux dernières années t'ait grillé les neurones, tu connais parfaitement la réponse à cette interrogation puérile. Ce qui devrait dorénavant accaparer toutes tes pensées, c'est le choix qui se présente à toi concernant ta course sur le chemin de l'autodestruction : mon soutien durant un programme de réhabilitation encadrée au Texas, ou cinq ans derrière les barreaux à regretter d'avoir repoussé une main tendue.

— Vas au diable, Beauchamp !

— Comme tu veux, lâché-je avant de me pincer brièvement les lèvres. Mais tu risques de te brûler les ailes dans les flammes de son royaume bien avant moi.

Je m'assure qu'il me voit le scanner de la tête au pieds, histoire que le poids de ma réplique s'imprime bien dans sa petite tête de con, et m'en vais promptement ranger mon matériel.

Quelle perte de temps...

« Que t'est-il arrivé, Séraphin ? Comment peux-tu te montrer si froid et distant avec une âme en perdition ? »

Restant indolent aux invectives de ma sœur, je charge ensuite mon sac sur mon épaule et me dirige vers la porte. Sans un mot ni un regard en arrière.

« Moi qui ai toujours vanté ton grand cœur, je ne te reconnais plus ! »

— La décision finale ne me revient pas, marmonné-je, main sur la poignée. Je ne peux l'aider en rien s'il s'y refuse.

— Attends !

Je m'arrête sous l'urgence de cette injonction. La voix d'Eliakim s'élève de nouveau, ténue. Incertaine.

— J'imagine... qu'habiter sous ton toit ne sera pas la seule condition.

« Oh, merci mon Dieu ! »

Je me retiens une fois de plus de lever les yeux au plafond en avisant ma sœur du coin de l'œil. Soulagée, elle loue le ciel, les mains jointes sur sa poitrine. Mon regard dévie vite vers Akim et épouse sa silhouette chétive par-dessus mon épaule. Sa colère fait à présent place au désarroi.

 Toujours pas de quoi m'adoucir.

— Évidemment que non. Les termes et conditions du procureur sont juste là, sur la table. Je t'ai fait un récapitulatif pour que tout soit plus clair et allégé des articles de loi évoqués ou autre jargon pénal.

Je ne reviens sur mes pas que lorsqu'Akim prend le dossier sur lequel j'ai passé une nuit entière à me tirer les locks afin d'en peaufiner chaque détail. Il le parcourt vaguement, consulte mon récapitulatif et me lance un regard dépité.

— Est-ce une sorte de revanche pour toi de me voir ainsi acculé, au fond du trou ? Tu y prends ton pied ?

— Tes oreilles prudes n'ont pas envie de m'entendre énumérer toutes les façons dont j'aime « prendre mon pied », mais je peux t'assurer que me réjouir du malheur d'autrui n'apparaît pas sur cette liste. Ceci dit, on s'éloigne du sujet... Cet accord ; oui, non ?

Il observe pensivement le dossier étalé sur ses couvertures et gratte sa barbe en friche de sa main libre.

— OK... Je crois que je peux le faire. Je sais que je dois redevenir sobre, me reprendre en main. Pour Améthyste. Elle...

Au bord des larmes, il renifle, tête basse.

— Elle mérite que j'honore sa mémoire. Pas que je salisse son nom en y rattachant mes conneries.

Je souffle encore et croise les bras contre mes pecs.

— Tu dois surtout le faire pour toi. On a beau avoir nos différends, je suis forcé de reconnaître que t'as plutôt un bon fond, Eliakim... Tu mérites de remonter la pente sur laquelle t'as glissé à la mort tragique de Thys. Le souvenir de son amour pour toi, toute l'aide que tu pourras recevoir, ce ne seront que tes outils. Toi seul possède les clés de ton nouveau départ.

Il opine.

— Merci d'être revenu à NOLA pour moi.

Wow ! Il vient de me remercier. Je n'ai pas rêvé. Si je n'étais pas solidement planté sur mes appuis, j'en tomberais sur le cul.

— Pas de gaieté de cœur, souligné-je après m'être râclé la gorge pour me remettre de ma surprise. C'est Améthyste que tu dois remercier, elle veille encore sur ta grosse tête de couillon.

J'adresse une œillade à ma sœur, dans ses petits souliers, tandis qu'Eliakim s'esclaffe sans se douter une seule seconde de sa présence à nos côtés.

— Quand partirions-nous ? s'enquiert-il contre toute attente.

Je dois avouer que je ne m'attendais pas à ce qu'il se fasse si rapidement à cette idée, alors que j'ai moi-même encore beaucoup de mal. Je décroise les bras et me râcle encore la gorge afin de rassembler mes pensées.

— Eum, dès ce soir, je l'espère. Tu devras d'abord te soumettre à une évaluation psychologique, réglementaire compte tenu de la situation, avant que nous puissions envoyer ton dossier complet au procureur. Celui-ci soumettra ensuite l'accord à un juge pour validation définitive. Tu devras évidemment comparaître afin de défendre ton cas et le convaincre d'accepter ta demande d'aide à la réhabilitation.

— Tout cela sonne comme des étapes atrocement longues.

— Elles le sont en temps normal, mais tu m'as comme atout.

« Je ne t'en remercierai jamais assez. »

Améthyste me couvre encore de son regard de cadette remplie de reconnaissance. J'opine légèrement et reprends à l'attention d'Akim, auprès duquel Thys retourne se lover.

— Je veux juste savoir. Tu te sens capable de les franchir, ces étapes ?

Il acquiesce en se rallongeant, le dossier reprenant les termes de l'accord serré entre ses doigts amaigris.

— Tant mieux, soufflé-je, parce que je t'ai mâché le travail, pour être honnête.

« Séra, par pitié. Plus de soutien et moins de piques. »

Je ravale un grognement. Elle a raison... Sauf que, j'ai l'impression d'être physiologiquement devenu incapable d'agir autrement avec ce type.

— Si tu veux que ton avocat jette un œil à la proposition, je peux le contacter.

— Pas besoin.

— OK. Je te laisse te reposer alors. Je reviendrai plus tard pour l'évaluation psychologique. Demande au médecin de me mettre sur la liste de tes proches à tenir informés.

— D'accord...

Je n'ai plus rien à faire dans cette chambre pour le moment et il doit probablement avoir besoin d'un peu de temps pour digérer nos retrouvailles inattendues.

Moi de même, d'ailleurs.

Je quitte enfin la pièce, prends une grande inspiration en refermant la porte et me tourne vers l'officier Thompson.

— Merci de m'avoir permis de m'entretenir avec lui en privé.

— Oh, eh bien, j'en ai reçu l'ordre, rit-il nerveusement.

— C'est vrai. Dites, je sais que ce n'est pas réglementaire, mais le détenu a l'air assez mal en point. Vous pourriez peut-être envisager un geste de clémence et le libérer de ses menottes.

— Je ne sais pas trop, Monsieur.

Il hésite en accrochant sa ceinture, visiblement mitigé entre l'idée de contrarier un ranger et celle d'enfreindre la procédure.

— C'est que, si je le libère, je devrais le garder à l'œil.

— Bien entendu. Vous pourriez maintenir la porte ouverte pour ce faire. Après tout, il ne risque pas de prendre le dessus sur vous même s'il tentait de s'échapper. Ceci dit, je me porte garant de son bon comportement jusqu'à sa comparution devant le juge.

Et même après... Quel veinard je suis.

— Très bien, ranger Beauchamp. Dans ce cas, je crois que ça peut se faire.

— Merci à vous, agent Thompson.

Une poignée de main vigoureuse et je m'en vais, essayant de rester focalisé sur l'idée de me trouver une chambre d'hôtel tandis que le policier ouvre la porte de celle de son prisonnier.

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Personnage introduit :

• Eliakim Día / 34 ans / mari de la défunte Améthyste / beau-frère de Séraphin.

Alors, que penses-tu de ces retrouvailles forcées, des trois personnages principaux introduits jusqu'ici et de ce début d'histoire de manière générale ? 👀

J'ai hâte d'avoir des avis afin d'ajuster la suite de mon écriture donc s'il-te-plaît, si tu me lis, n'hésite pas à commenter ! Le chapitre 5 arrivera sans doute le week-end prochain.

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