25 | 𝕁𝕠𝕪𝕖𝕦𝕩 𝕓𝕠𝕣𝕕𝕖𝕝

𝔸ffichant un sourire avenant à la taquinerie de Sawyer, Akim le remercie pour son service.

Je le connais pourtant assez bien pour deviner son malaise face à tant de familiarité venant d'un parfait inconnu. Un flic, qui plus est. Le respect envers l'uniforme est cependant profondément ancré dans notre culture américaine. Et s'il y a bien un trait qui caractérise Akim, c'est sa politesse à toute épreuve. Peu importe ses griefs personnels, jamais il ne les exposera en public. Par contre, profiter de l'instant où Sawyer se laisse distraire par quelqu'un d'autre pour m'attirer à l'écart, ça, il n'hésite pas.

— Qu'as-tu révélé d'autre à ton ami à mon sujet ? s'enquiert-il.

Je hausse nonchalamment les épaules.

— Des informations basiques : notre lien familial, ta profession et la raison de ton séjour au Texas. Comme mon aide ménagère n'était pas disponible quand je suis parti te chercher en Louisiane, c'est Sawyer qui s'est chargé de rendre la maison alcool free durant mon absence.

— Je vois...

— J'imagine que son attitude te déconcerte, mais il est amical avec tout le monde. C'est sa marque de fabrique. Et sa mère est sobre depuis plusieurs années, mais elle a aussi souffert de plusieurs dépendances après une grave blessure en service. Alors il ne te jugera pas. Sa famille non plus, si tu choisis de mentionner ta situation.

Akim hoche la tête, toujours un brin perplexe. Je reprends posément :

— Ils nous proposeront de nous joindre à leur déjeuner, puisque j'ai l'habitude d'y aller. Mais si tu n'en as pas envie-

— Séraphin ! Quelle belle surprise.

Cette fois, c'est la matriarche de la famille qui nous interrompt. La petite dame nous rejoint tout sourire et me salue à son tour d'une accolade.

— Bonjour, Minh, lancé-je en lui renvoyant sa chaleureuse énergie. Toujours aussi resplendissante.

— Et toi aussi flatteur ! Qui est donc le beau jeune homme qui t'accompagne aujourd'hui ?

—  Eliakim Día, mon beau-frère.

Minh Haddison, étant la spontanéité incarnée, s'empresse de saisir la main tendue d'Akim.

— C'est un plaisir de vous rencontrer, cher Eliakim. Est-ce votre première fois à la Grâce Éternelle ?

— Oui, et je dois dire que c'est une bien charmante église.

— Vous m'en voyez ravie ! Comment avez-vous trouvé le culte ?

Le reste de la famille arrive à grands pas. Matthew, l'aîné de Sawyer, me serre la main avec un rire amusé.

— Elle est partie pour taper la discute un bon quart d'heure. Alors, quoi de neuf, Séra ? Ça fait un bail.

J'ouvre à peine la bouche que les deux petites terreurs de Matthew débarquent avec son épouse.

— Bonjour Monsieur Séraphin !

— Bonjour, les enfants. Imani, salué-je ensuite leur mère.

— Hey, Séra ! Ça fait un moment qu'on ne t'a pas vu à Granbury, ça fait plaisir. Comment vas-tu ?

Présentations, politesses et petites conversations s'enchaînent dans un joyeux bordel. John, le père de Sawyer, est le dernier à nous rejoindre, mais pas le moins bavard. Comme prédit, Minh et lui nous invitent à déjeuner chez eux. Je suis prêt à décliner quand Akim décrète :

— Avec plaisir.

— Génial ! On se retrouve à la maison, alors. En route, les Haddison !

— On fait la course jusqu'à la voiture ! hurle la nièce de Sawyer.

Elle détale sans attendre, provoquant les plaintes de son frère qui s'élance tout de même à sa suite. J'observe tout ce beau monde partager un rire amusé et répond au signe de main de Sawyer avant de revenir à Eliakim. Il les regarde aussi, pensivement.

— T'es sûr de vouloir aller chez eux ? l'interrogé-je alors que nous montons en voiture. Sawyer est peut-être le plus exubérant, mais les autres ne sont pas en reste. C'est assez déstabilisant de se retrouver au centre de leurs attentions, et crois-moi, tu le seras.

— J'ai cru le comprendre, oui, sourit-il. Mais j'apprécie grandement la dynamique de cette famille et leur mixité témoigne de leur ouverture d'esprit, ce qui me rassure un peu.

— Tant mieux. J'ai oublié de te dire, ils sont tous membres des forces de l'ordre.

— Tu plaisantes ?

Ses yeux s'écarquillent de surprise. Je lâche un léger rire en démarrant.

— Seulement à moitié. Les parents sont à la retraite et le frère de Sawyer a changé la donne en devenant prof d'histoire, mais sa femme est ingénieure militaire.

— Juste ciel...

— Respire, Akim, le taquiné-je. Tout va bien se passer.

***

Durant l'après-midi, les Haddison partagent naturellement leur histoire et leur diversité culturelle avec Akim. La mère de Sawyer est d'origine vietnamienne, son père est blanc, son frère issu de ce métissage et sa belle-soeur afro-américaine*.

Natifs de Fort Worth, ils ont tous économisé pendant des années pour acheter une maison de campagne en périphérie de Granbury. Ils voulaient quelque chose de moderne et d'assez spacieux pour offrir à chaque couple son propre espace. Sawyer, quant à lui, a choisi de s'aménager un studio dans l'immense jardin de leur propriété, notamment à cause de son mode de vie débridé. Malgré leurs différences, il est évident que leur famille est soudée. Ces trois générations vivent paisiblement sous le même toit, depuis un peu plus de cinq ans.

Tout comme moi, Akim a trouvé ça particulièrement admirable. Quand on expérimente la toxicité de parents comme les nôtres, un tel modèle de vie semble presque irréel. Mais les Haddison sont des gens bien ; accueillants, ouverts et d'une rare générosité. L'adoption de Sawyer, ou même l'ancienne addiction de Minh ne sont en rien des sujets tabous. Leur maison reste cependant dépourvue d'alcool, alors j'abandonne Akim sans inquiétude en acceptant volontiers l'invitation discrète de Sawyer à boire un coup dans son studio.

— Tu te souviens de ça ? fanfarone-t-il en m'exhibant ma bouteille de Barbancourt sous le nez.

Assis à son bar, je me laisse aller à un éclat de joie.

— Une des rares merveilles de ce bas monde !

— Je t'ai dit que j'avais ajouté ta tease à ma collection. Tout est sous clé, mais tu passes quand tu veux.

— Merci, j'en ai bien besoin. Je pensais pas que ça me manquerait autant de boire un verre dès que l'envie me vient. Ni que l'envie me viendrait si souvent, d'ailleurs.

— Tiens, c'est à peu près la réflexion que je me suis faite après avoir découvert le sexe.

Je pouffe doucement.

— Doit y'avoir que quand t'es malade que tu ne ramènes pas tout au sexe.

— Et encore ! ricane-t-il.

Sawyer nous sert deux verres de Barbancourt, avec une cuillerée de sucre roux et un zeste de citron. Il s'installe ensuite face à moi, et nous trinquons distraitement avant de commencer à discuter tout en sirotant notre breuvage.

— Alors, comment ça va depuis la dernière fois ?

Je soupire.

— Je me sens sous pression, ces temps-ci.

— À cause de ton beauf ?

— Pas que lui. Y'a mes enquêtes en cours, je vais officiellement reprendre l'affaire Bellacruz, réouvrir six autres cas de disparition suspectes qui y sont peut-être liés et, comme si ça ne suffisait pas, l'avocat de la défense m'a assigné à comparaître au procès lié à ma dernière infiltration.

— Merde, y'a de quoi être tendu.

— Si je croyais aux fatalités, j'aurais juré que mon idée de me tourner vers la procureur chargée de cette affaire pour obtenir mon mandat m'a attiré le mauvais œil.

— Mais ton témoignage devant les jurés a toujours été une possibilité.

— Bien sûr. Je ne m'attendais juste pas à ce que l'injonction vienne de la partie adverse. On sait tous les deux pour quelle raison cette enflure veut m'appeler à la barre.

— Mettre en doute ta moralité et tes méthodes.

— Bingo... Pour couronner le tout, ma charmante mère s'est soudain souvenue de mon numéro. Elle a appelé ce matin.

— Une mauvaise nouvelle de plus ?

— Mh. Elle nous invite à NOLA ce mercredi pour Juneteenth. Par « nous », comprends Eliakim, et par « inviter » qu'elle insiste lourdement. J'ai préféré jouer cartes sur table en l'annonçant à Akim, mais je suis pas chaud.

— Il a répondu quoi ?

— Qu'il allait y réfléchir.

Je suis d'avis qu'il ne devrait pas y retourner si tôt et je ne le lui ai pas caché. Je n'ai moi-même aucune envie d'y aller, mais je comprends qu'il ressente le besoin d'être entouré de sa famille. La décision finale lui revient.

— Je vois... Berry m'a raconté son épisode de psychose. Il va mieux depuis ?

— Ça dépend des jours, mais ça c'était vraiment ponctuel. Il est sobre depuis son arrivée au Texas et il met du sien pour faciliter notre cohabitation.

— Cool. Mais s'il était sobre, qu'est-ce qui a causé son pétage de plomb ce soir-là ?

— Sa prise de bec avec son père, l'anxiété liée au déménagement, notre énième dispute... C'était un bon petit cocktail. Son toubib a dit qu'un stress extrême après un sevrage trop brutal pouvait dans de rares cas causer ce genre de délires.

— Wow ! J'en avais jamais entendu parler.

— Moi non plus, raison pour laquelle je lui ai demandé de faire une prise de sang dès le lendemain, avant même de consulter son psy. Il a accepté sans discuter et les résultats ne mentent pas.

— OK. Mais quand même, faut vraiment avoir la poisse pour se retrouver dans ce genre de situation.

— M'en parle pas... Il s'est fait arrêter par erreur, hier. J'espère que les prières de bénédiction du jour l'auront lavé de sa malchance, parce que je tiendrai pas 4 mois de plus à ce rythme.

Sawyer se redresse d'un coup sur son tabouret.

— Attends, pause ! Il s'est passé quoi ?

Je grogne de dépit.

— On a dîné dans une pizzeria après sa réunion. Manque de bol, Akim correspondait à un signalement pour vol avec violence. Et tu sais comment on agit quand on est sûrs de tenir le bon gars. Le policier en charge l'a plaqué au sol et s'est agenouillé sur lui pour le menotter. Je me suis identifié, mais il voulait rien entendre. Akim a fait une crise de panique pendant qu'il était maintenu au sol. Je l'ai entendu dire qu'il n'arrivait plus à respirer. Ça m'a fait flipper, alors je suis intervenu de force.

— Merde... Et il le vit comment, Akim ?

Je soupire à nouveau.

— Tu l'as vu par toi-même, il fait bonne figure. Grandir avec un père abusif l'a poussé à se forger une résilience de fer, mais c'était déjà bien assez dur pour lui en ce moment sans cet incident.

— Oh, il fait aussi partie du club...

— Mh, et son paternel a encore une grosse emprise psychologique sur lui. C'est pour ça que j'ai pas trop envie qu'il retourne en Louisiane.

— Eh beh, tu connais plutôt bien ton beauf, finalement. C'est arrivé en trois semaines, ou bien... ?

Il me fixe avec un sourire en coin, qui vire en éclat de rire quand je le toise.

— Et toi, Haddison, qu'est-ce qui t'arrive en ce moment ?

J'avais grand besoin de vider mon sac, Sawyer m'en a donné l'occasion. Mais je sens que quelque chose de grave le tracasse. Il retrouve son sérieux et m'accroche du regard.

— J'attendais le bon moment pour t'en parler... J'aimerais que tu m'aides avec quelque chose.

— Une enquête ?

— Oui et non, l'enquête est ficelée.

Je fronce des sourcils devant l'intensité de l'émotion qui transparaît soudain chez lui.

— J'ai récemment été appelé dans un immeuble et... les deux gosses... ils ont succombés à leurs blessures avant que j'arrive. C'était horrible de les voir comme ça, tout maigres et tuméfiés... J'ai essayé de, revenir assez loin en arrière pour intervenir à temps... quitte à y aller avant même de recevoir l'appel radio. J'ai essayé jusqu'à épuisement ! Mais j'ai pas pu...

Malgré son explication confuse, je comprends qu'il a été envoyé sur un cas de maltraitance. Ayant lui-même été victime de ses parents biologiques avant son adoption, ce genre de situation est bien plus délicate pour lui. Sans plus y réfléchir, je contourne l'îlot central et l'attire dans mes bras en l'attrapant doucement par la nuque.

— Tu n'as pas à te sentir coupable, Sawyer. Même avec un don comme le tien, tu ne pourras pas tous les sauver.

Bien que son incroyable faculté de remonter dans le temps lui ait permis de sauver de nombreuses vies, elle se limite à quinze ou trente minutes. Quand la situation est déjà critique avant qu'il en soit informé, il n'y a pas grand-chose qu'il puisse faire pour en changer l'issue. Et plus il essaie, plus il s'épuise... en vain.

Les bras serrés autour de moi, Sawyer renifle dans mon cou.

— Ouais, je sais...

Il se redresse ensuite et vocifère :

— Ce qui me fout en rogne, c'est que c'était un cas de maltraitance déjà connu des services sociaux ! Encore une fois, y'a un connard qui n'en avait rien à foutre.

La réalité est bien plus complexe. Les agents des services sociaux sont souvent débordés, et leurs équipes en sous-effectif. Loin de moi l'idée de les disculper totalement de ce drame, mais le problème dépasse largement un seul individu. C'est tout un système qui est en cause. Sawyer en a parfaitement conscience, il est juste trop à cran pour l'admettre.

— Les responsables sont inculpés, renifle-t-il, ils vont être traduits en justice. Je voudrais juste savoir... si ces pauvres gamins sont enfin en paix. Tu vois ? La simple idée qu'ils soient encore coincés dans ce monde pourri me fout la gerbe.

— OK. Donne-moi l'adresse, j'irai sur les lieux.

— Je veux t'accompagner. C'est à Benbrook, on peut y aller maintenant ?

— Ça marche.

Il descend du tabouret, prêt à quitter son studio.

— Une minute. Avant ça, j'aurais besoin d'un bonbec pour me débarrasser de l'haleine aromatisée au rhum.

— Ouais, juste ici, sers-toi.

Quelques minutes plus tard, nous sommes de retour sur la grande terrasse de la maison principale. Sawyer va informer son père de notre départ et j'en fais de même avec Akim, qui s'avère en pleine conversation avec Matthew et sa femme. Les trois lèvent leurs regards vers moi.

— Pardon de vous interrompre.

— Qu'il y a-t-il ? s'inquiète Akim.

Améthyste, debout à ses côtés, m'observe avec le même air en suspens.

— Je vais juste accompagner Sawyer sur une scène de crime, histoire de voir si je peux l'aider. Je devrais être revenu dans moins de deux heures, mais, si tu préfères rentrer maintenant, je peux te déposer. C'est seulement à une quinzaine de minutes de Fort Worth.

L'expression de Thys se relâche. De même que celle d'Akim, qui m'adresse un sourire de façade.

— Oh, d'accord. Ne t'en fais pas pour moi, je suis en bonne compagnie. Tu peux prendre le temps nécessaire pour aider ton ami.

— Sûr ?

— Absolument.

— OK.

— De toute façon, si Eliakim souhaite rentrer avant votre retour, nous pourrons le ramener à Fort Worth, propose Imani.

J'opine alors que son boute-en-train de beau-frère débarque dans mon dos.

— On y va avec ta voiture ? Je conduis, si tu veux.

Sawyer au volant de ma merveille ? Seulement dans ses rêves les plus fous. Un simple regard en biais suffit à le lui rappeler.

Il ricane, déjà en train de saisir les clés de sa Dodge.

— J'aurais essayé !

Enroulant le bras autour de mon épaule, il me chuchote à l'oreille :

— De toute façon, la tienne est peut-être plus grosse, mais la mienne a plus de jus.

— Bon, on y va, éludé-je en le poussant vers la sortie.

Sawyer se marre gentiment. Nous saluons ses parents et nous dirigeons à pas tranquilles vers la cour avant de la maison, où sont garées les voitures.

— En parlant de jus, poursuit-il naturellement, ça te dit qu'on s'organise un plan dans les jours qui viennent ?

La proposition est tentante. J'y réfléchis quelques secondes, avant que le rappel de tout ce qui se passe dans ma vie en ce moment me tire un soupire las.

— Honnêtement, j'ai pas vraiment la tête aux plans cul. Je préfère rester focalisé sur Akim. Sa rémission, je veux dire.

Il hausse indifféremment les épaules.

— Ouais, normal. Je vais me rabattre sur mon cosplayeur, alors. Je t'en ai déjà parlé ?

— Non et je suis sûr que tu vas y remédier, puisqu'on a trente bonnes minutes à tuer.

— Un peu, mon neveu !

___

Afro-américaine* : fait référence à une double origine, africaine et américaine, tandis que "Noir américain" englobe toutes les personnes noires des États-Unis, indépendamment d'une ascendance directe.

Tadaaaaaam !

On avance, on avance et on apprend de nouvelles choses, héhé.

Qu'as-tu pensé de ce chapitre ? De Sawyer, de sa relation avec Séra, et de sa famille ? 👀

Crois-tu que ce serait une bonne chose pour Eliakim de retourner en visite chez la sienne à la Nouvelle Orléans ? 🤭

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