17 | ℙ𝕣𝕠𝕞𝕡𝕥 à 𝕛𝕦𝕘𝕖𝕣
𝕃a jeune femme qui s'élance dans la pièce correspond à la description donnée par Sawyer. Mon souffle de soulagement est toutefois retenu par la fureur inscrite sur son visage rondelet.
— J'espère que vous brûlerez en enfer ! Toi le premier, vocifère-t-elle en se précipitant vers l'homme agenouillé près de l'entrée pour lui cracher à la gueule.
Littéralement.
J'aimerais pouvoir dire que je suis choqué par sa réaction, ou même par son air débraillé, les traces de sang et les ecchymoses qu'on aperçoit sur les parties exposées de son corps. Ce sont malheureusement des choses auxquelles on finit par s'habituer, dans le milieu.
— Hija de perra ! s'enflamme le type en se relevant, prêt à en découdre.
— Hé ! Calmate, Cambron, le somme Sawyer. À choisir entre un crachat ou du plomb au milieu du front, je suis sûr que tu préfères le crachat.
— À genoux, ajouté-je pour reprendre un minimum de contrôle sur cette situation orageuse.
— OK, frangin, obtempère-t-il. Balisez pas. Vous savez comment ces petites salopes fonctionnent. Elles courent plutôt après les centimètres qu'après les sentiments.
Son rire forcé se meurt dans sa gorge face à nos traits fermés.
— Je te le répète une dernière fois, grogne Sawyer. Ferme ta sale gueule.
Défait, le gars hoche la tête en la rentrant dans ses épaules.
— On s'extrait, ordonné-je.
Sawyer tend un bandana aux couleurs du Texas à Strawberry, qui s'était réfugiée derrière lui suite au coup de sang de son agresseur, et lui demande de ramasser les armes à ses pieds. Il lui indique de créer un repli dans son hoodie pour porter les flingues sans y laisser ses empreintes. Elle s'exécute à la perfection. Pendant ce temps, tenant toujours les suspects en respect, je sors mon téléphone de ma poche intérieure et ouvre l'appareil photo.
— Eh ! Un petit sourire pour l'objectif, lancé-je en leur tirant le portrait.
Au point où j'en suis, avec un peu de chance, peut-être que Nehemiah reconnaîtra un d'entre eux.
— Yo ! T'as pas le droit de nous prendre en photo sans notre consentement, s'indigne la grande gueule.
— Wow, m'étonné-je faussement, tu connais donc la notion de consentement ? Tu sais quoi, toi et tes potes n'avez qu'à aller déposer une plainte pour atteinte à la vie privée. Je suis impatient de te voir raconter aux flics dans quelles circonstances on a bafoué ton droit à l'intimité.
Le rire moqueur de Sawyer couvre une partie de leurs jurons.
— On y va ? lance Strawberry en se chaussant en vitesse, plus qu'impatiente de se tirer de cette piaule.
— Je vous déconseille de nous suivre, avertis-je. Sauf si vous voulez qu'on vous fasse danser le Honky Tonk Stomp*.
J'agite le canon de mon arme sous leur nez pour qu'ils comprennent la menace. Le message semble passer mieux qu'une lettre à la poste. Je sors le dernier et continue de sécuriser notre départ, tandis que Sawyer ouvre à nouveau la voie.
Il nous conduit jusqu'à sa Dodge, dans laquelle il saisit un vieux sac en papier portant le logo d'un fast-food.
— Mets les flingues là-dedans. Je me charge de m'en débarrasser.
Strawberry s'exécute, allant jusqu'à ôter le sweatshirt qu'elle porte pour le plonger lui aussi dans le sac.
Par respect, je détourne le regard de sa lingerie déchirée et des nombreuses égratignures qu'elle dévoile.
— Ça empeste son odeur, explique-t-elle sous le regard intense de Sawyer.
Il acquiesce, me rend le fusil à pompe et jette le sac dans sa caisse avant d'enlever prestement sa chemise. Je m'assure qu'aucun mouvement n'émerge du côté de la maison pendant que la petite se change.
— Aucun signe de riposte en vue, mais mieux vaut quitter les lieux aussi vite que possible.
— Ouais. Allez viens, ma belle. C'est plus prudent si tu passes la nuit chez Séra. C'est mon ancien coéquipier et un très bon ami. Tu seras en sécurité avec lui.
Strawberry et moi sommes tous deux frappés de stupeur.
— Quoi ? Mais, Sawyer... tente-t-elle alors qu'il la conduit à mon pick-up.
— Ma douce Strawberry... reprend-il en caressant sa joue, les yeux ancrés aux siens. T'as besoin de calme et de repos et on sait très bien que tu trouveras ni l'un ni l'autre avec moi.
Après un court débat, elle finit par accepter. Sawyer se tourne vers moi, dans l'expectative. Je déverrouille ma voiture, bon gré mal gré. Un œil avisé toujours tourné vers la vielle baraque, je patiente pendant qu'il aide Berry à s'installer confortablement à l'arrière. Il vire ensuite le gilet pare-balles, puis son attention porte à nouveau sur moi lorsqu'il ferme la porte. Je le fixe sévèrement.
— Oui, oui, ça craint de te mettre sur le fait accompli. T'accueilles déjà ton beauf, et tout, mais on a été partenaires sexuels et elle est en état de choc. Je sais ce qu'elle cherchera pour penser à autre chose et toi tu sais combien je suis faible dès qu'il s'agit de cul.
Je continue à le toiser. Il finit par minauder :
— D'accord, je m'excuse aussi d'avoir utilisé le mot en N* ! Mais fallait bien que je les fasse réagir.
Son laïus me tire un soupir las. Je n'ai cependant ni le temps ni l'envie de me prendre la tête avec lui.
— Je t'appelle en rentrant. Sois prudent.
— À tes ordres, Ranger ! plaisante Sawyer avant d'adresser un dernier salut à son amie.
***
— Il a dîné ? m'enquiers-je auprès de ma sœur alors que je prépare des affaires de bain pour mon invitée inattendue.
« Oui, confirme Améthyste. Deux pauvres toasts au fromage, mais cela est déjà mieux que rien. »
— Et ses médocs ?
« Séraphin... soupire-t-elle dans mon dos. Au risque de me répéter, cesse de traiter Eli comme un enfant. La sobriété n'est pas chose facile tous les jours, mais pour l'instant il s'y applique. Je te ferai signe dès que je soupçonnerais des signes annonciateurs de rechute. »
Je lui adresse un regard acariâtre via le miroir. Elle se retient toutefois de le commenter et préfère au contraire désamorcer ma mauvaise humeur grâce à sa douceur légendaire.
« Je suis contente que tu sois rentré sain et sauf. »
Ce à quoi je râle :
— Et moi je ne le serais que quand je m'offrirais enfin une bonne nuit de sommeil.
« Je comprends, rit-elle d'un timbre affectueux. Tu es surmené, cela explique que tu sois aussi grognon. »
Je roule des yeux, réprimant mes bougonnements, et quitte la salle d'eau pour me diriger vers le salon, Améthyste sur les talons.
En avançant dans le couloir, j'entends Strawberry vociférer à propos de ce qui lui est arrivé. Sans doute est-elle encore au téléphone avec Sawyer. Je débouche à l'entrée du salon pile au moment où Akim, debout en retrait près du mur adjacent, souffle doucement :
— Peut-être devrais-tu tout de même réfléchir à ta part de responsabilité dans cette mésaventure.
— T'es sérieux là ? s'offusque la jeune femme.
Ses yeux noisettes lui lancent des éclairs depuis le fauteuil. Retenant un soupir blasé, je dépasse Eliakim. Allant me placer entre eux, je lance, le plus affable possible :
— Ça y est, je t'ai sorti une serviette et quelques affaires propres. Tu peux aller te doucher.
— Merci, soupire-t-elle après avoir mis un terme à sa conversation téléphonique.
Lorsqu'elle avance ensuite vers le couloir, Strawberry cherche Akim derrière moi d'un air mauvais. Fort heureusement, il a profité de mon intervention pour se replier dans sa chambre.
— Séra ?
Je me retourne vers Strawberry, sa mine troublée et sa petite voix incertaine.
— Je pense que... je me sentirais plus en sécurité si je pouvais dormir avec toi ce soir.
Elle s'enlace inconsciemment ; signe qu'elle exprime une crainte sincère. Je lui adresse un sourire amical.
— Ce n'est pas possible. Mais la maison est équipée d'un système anti-intrusion ultra performant et je dormirai sur le canapé, tout près de la porte. Tu pourras te reposer en toute sécurité dans ma chambre.
— OK, acquiesce-t-elle timidement.
Je la regarde disparaitre dans la salle de bains, puis me dirige vers la chambre d'ami.
« Attends ! sursaute Améthyste, déjà en état d'alerte. Je conçois combien sa remarque était inconvenante sur le moment. Ceci dit, si j'en crois ce que j'ai entendu fureter depuis le salon, Eli n'a pas tout à fait tort. »
Ça m'aurait étonné qu'elle pense le contraire.
— Akim, toqué-je une première fois sans réponse.
« S'il te plait, Séra... Il ne pensait pas à mal. La réunion de ce soir portait sur l'introspection, sans doute voulait-il l'aider à sa manière. Mais tu sais très bien quelle éducation Ravier lui a inculqué. Tu l'as rencontré ! »
« Il est rétrograde et... et intransigeant ! Sur pas mal de sujets... »
« Cela m'exaspère d'autant plus quand il accable Eliakim de reproches en assurant qu'il ne tient absolument rien de lui ! Ils ont beau être le jour et la nuit physiquement, Eli a absorbé une bonne partie des mœurs archaïques de son père. Heureusement, sa mère était la douceur incarnée. Sa sensibilité et son altruisme, il les hérites d'elle. »
Je serais de mauvaise fois si je prétendais l'ignorer.
— Eliakim, insisté-je toutefois, sans frapper ce coup-ci. Ne me reproche pas de te traiter comme un enfant si tu te comportes comme tel.
Je lance une œillade sans équivoque à ma cadette, qui me retourne une moue contrariée.
« Ce que tu peux être borné », peste-t-elle.
Des pas lourds et rapides se font entendre, puis la foutue porte s'ouvre sur des traits revêches.
— Je peux entrer ?
Akim s'écarte, à contrecœur, m'y autorisant. J'avance et, après avoir jeté un bref coup d'œil à la pièce, qu'il s'approprie petit à petit, je le prends gentiment entre quatre yeux.
— OK, je ne vais pas passer par quatre chemins. Peu importent tes opinions, tu ne peux pas tenir de tels propos face à une victime.
— Est-il mieux d'agir comme si elle subissait un coup du sort ? rétorque-t-il en croisant les bras, le regard farouche.
— Non. Mais-
— Certes, certaines victimes n'ont rien à voir avec les horreurs qu'elles subissent. Néanmoins, d'après ce qu'il m'a semblé comprendre, cette jeune femme n'a pas été agressée au hasard dans la rue. Se serait-elle retrouvée dans cette situation si elle ne s'était pas rendue chez des étrangers à des fins pécheresses ?
L'homme qui a choisi d'épouser ma sœur, malgré la nature de notre relation passée, Akim est très mal placé pour critiquer la moralité des autres. Je le fixe donc d'un air lassé.
— T'es toujours aussi prompt à juger ceux et celles qui ne se plient pas aux préceptes que tu prônes. Un vrai plaisir, ironisé-je. Quoi qu'il en soit, la culpabilité de tels crimes pèse sur les agresseurs, pas sur leur victime. Ce n'est pas à cette gamine de se sentir honteuse d'avoir pris une mauvaise décision ou fait confiance aux mauvaises personnes. Aurait-elle pu se montrer plus prudente ? Absolument. Ça n'enlève rien au fait que ce sont bien tous les prédateurs en liberté qu'on doit tenir responsables de leurs actes.
Mon ton, sans appel, ne laisse aucune place à la répartie.
— Cela sera donc mon lot quotidien ? réplique-t-il après un silence gêné.
— Comment ça ? soufflé-je, sourcils froncés.
— Exactement, « comment » ? Comment peux-tu penser que je puisse prendre des repères solides sous ton toit si chaque journée ou presque se déroule ainsi ?
Non mais, je rêve ! Plus déflecteur que ce type-là, c'est sûr, tu meurs.
— Donc je suis censé m'excuser de ne pas mener une vie où chaque jour est orchestré à la minute près ? Je suis ranger, je te rappelle, pas pasteur.
Akim se rabougrit sous l'intensité du regard avec lequel je le tient en tenaille.
« Seigneur Jésus, donne leur la force de s'entendre... » supplie Améthyste en se plaquant la main sur la poitrine, elle aussi saturée par nos querelles incessantes.
Ce lâche ne cherche qu'à retourner la situation pour me faire passer pour le méchant. C'est sa façon favorite de procéder, car même au mieux de sa forme, le pauvre gars n'a que rarement le dessus face à moi.
Je le sais pertinemment.
Pourtant, comme un con, je ne marche pas, je fonce carrément tête baissée dans sa combine. Je sais tout aussi bien que je dois arrêter de me borner à répondre à ses attaques. Sauf qu'entre la théorie et la pratique, il existe toujours un écart de maîtrise.
— Écoute... reprends-je d'un ton plus conciliant. Je suis censé être en congés encore quelques jours. Ensuite, je ferai de mon mieux pour que mes obligations professionnelles ne perturbent pas ta réhabilitation. Je te l'assure.
Il me lance un regard en biais, accompagné d'un grognement dubitatif.
Je poursuis sans relever :
— Les imprévus et les urgences font toutefois partie intégrante de mon quotidien. Je n'y peux rien. Et, même si j'ai conscience de devoir fournir de gros efforts afin d'améliorer nos rapports, une chose est sûre : ce que tu as bien pu vivre dans ton enfance, l'éducation que t'as reçue ou même ta situation actuelle... Rien de tout ça ne m'empêchera pas de te rappeler à l'ordre les fois où tu dépasses les bornes. Tiens le toi pour dit.
« J'imagine que ce message m'est personnellement destiné », maugrée une Améthyste ombrageuse.
Je ne lui adresse qu'un vague coup d'œil avant de revenir à son mari désabusé.
— En ce qui concerne Strawberry, elle ne restera que cette nuit. Je m'assurerais qu'elle ne vienne pas te déranger.
Je m'abstiens de lui souhaiter une bonne soirée en quittant la chambre, puisqu'on en est très loin.
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Honky Tonk Stomp* : danse où l'on saute et tape des pieds, souvent associée à l'énergie de la danse country - Séraphin s'en sert comme image pour dire qu'il leur tirera dans les pieds.
le mot en N* : l'usage du mot "nègre" est péjoratif car il renvoie à la désignation des esclaves (considérés comme des sous-hommes en raison de leur couleur/leurs origines), ainsi que des personnes noires par les colons (à l'époque) ou des personnes racistes (encore de nos jours). Il y a eu un large courant de réappropriation de cette insulte par la population noire.
Aux États-Unis, il est aujourd'hui de notoriété publique que les personnes non-noires ne doivent pas utiliser ce mot, quelque soit la situation. Par exemple, si une personne qui n'appartient pas à la culture noire chante une chanson où ce mot est prononcé (par un ou une artiste noir.e), alors elle devra le censurer en le taisant.
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