16 | 𝕄𝕚𝕤𝕤𝕚𝕠𝕟 𝕊𝕥𝕣𝕒𝕨𝕓𝕖𝕣𝕣𝕪 🍓

𝕌ne quinzaine de minutes plus tard, j'entre dans le quartier central d'Arlington. Une ville à l'est de Fort Worth, connue pour son taux de criminalité stratosphérique. Quelques coups d'œil aux ruelles sombres, où des silhouettes traînent à l'abri de lampadaires vacillants, suffisent à attiser la vigilance.

Par commodité, mon gros RAM 1500 entièrement noir, bien que truffé de gyrophares discrets, ne ressemble en rien aux véhicules attribués aux forces de l'ordre. Camouflé derrière mes vitres teintées, je roule au ralenti, suivant les indications du GPS jusqu'à m'arrêter dans une rue déserte, derrière la Dodge Charger de Sawyer.

Il descend aussitôt. J'en fais de même.

— Merci d'être venu, dit-il d'une voix étrangement grave une fois à ma hauteur.

J'opine.

— Alors, c'est quoi le topo ?

Sawyer a du mal à rester immobile et jette des coups d'œil intempestifs par-dessus ses épaules ; tantôt aux alentours, tantôt en direction de la maison défraîchie à 50 mètres de notre position.

— Mon amie est une femme blanche, brune, jeune vingtaine ; 1m65, forte corpulence. Elle se fait appeler Strawberry ou juste Berry. À ce que j'ai compris, il s'agit de séquestration et de tentative de viol en réunion.

— Merde.

— Ouais, comme tu dis...

Après m'être aussi assuré qu'il n'y a personne à proximité, j'ouvre la portière arrière de mon pick-up et soulève la banquette, révélant un double compartiment. Mes armes de poing favorites sont soigneusement rangées dans un plateau matelassé où chacune a sa place attitrée. Sawyer les contemple en me briefant.

— Elle a réussi à se retrancher dans la salle de bains et, pour l'instant, elle tient le coup en attendant que je la sorte de là. Les suspects sont au nombre de trois et au moins deux sont armés.

Je me pince les lèvres lorsqu'il s'empare sans hésiter du Mossberg 590 Shockwave. Les fusils à pompe sont largement utilisés pour les entrées forcées, mais en majorité lors de situations de haute menace. Comme des prises d'otages ou face à des groupes de suspects confinés et lourdement armés.

Le cliquetis familier des cartouches s'enclenchant une par une dans le tube d'alimentation cadence nos gestes machinaux au fil de ses mots. Je choisis un des Smith & Wesson, m'assure que la chambre est vide, puis vérifie le chargeur que je compte insérer tout en demandant, assez perplexe :

— Pourquoi ne pas appeler la cavalerie ?

Mon arme chargée et sécurisée, j'enlève brièvement ma veste, ôte le holster contenant mon SIG Sauer et range ce dernier avec précaution avant d'enfiler un des gilets pare-balles qui se trouvent sous les sièges avant. Il serait très malvenu que l'arme de service d'un ranger soit impliquée dans une fusillade ou, pire, volée. Les autres sont toutes déclarées à mon nom et je porte seul l'entière responsabilité de leur utilisation. Ce qui ne me rend d'ailleurs pas des plus sereins quand Sawyer tient la plus dévastatrice entre ses mains.

Mon regard pèse inconsciemment sur lui. Il grimace en secouant la tête et réponds prestement.

— Berry a refusé. Tu sais bien, le 911 laisse des traces, pose des questions, prévient les proches et tout le tintouin... Et puis, elle bossait comme escorte, alors elle a eu affaire à la justice à diverses reprises. Elle vient juste de trouver un nouveau job, elle a pas besoin que cette soirée merdique vienne tout foutre en l'air.

— OK. T'as essayé d'utiliser ton don pour éviter que ça se produise ?

— Tu te doutes bien que c'était ma première idée, mais je ne parviens à remonter le temps que d'un ou deux quarts d'heure. Elle est restée coincée là-bas trop longtemps avant de m'appeler... Et de ton côté, t'es accompagné d'un de tes fantômes du moment ? Ça nous donnerait un avantage considérable.

— Négatif. Nehemiah s'est embrouillée avec ma sœur ce matin. Je risque de ne pas la revoir avant quelques jours.

— Tu m'étonnes, vu comme tu me l'a décrite elle a l'air complètement barrée, rit-il inopinément.

— Vous vous seriez bien entendus, soufflé-je en jetant un œil autour de nous.

— De ouf ! Et ta sœur, alors ?

— Éperdument accrochée à son mari... Le point positif, c'est qu'elle m'aide à garder un œil sur lui. Paré ?

Un air grave de retour sur son visage, Sawyer charge et verrouille une cartouche dans la chambre en manipulant la pompe d'avant en arrière. Le "clic-clic" métallique du mouvement résonne dans l'air sec de la nuit. Il enclenche ensuite la sécurité.

— Paré.

— Tu portes un gilet ?

— Pas besoin. Si ça tourne mal, je nous ramène 30 minutes en arrière.

Je soupire et le retient par le col alors qu'il entame un pas sur le côté.

Le bleu m'interroge silencieusement, mais comprends bien assez vite quand je sors mon gilet supplémentaire. Il marmonne quelque chose d'inintelligible, dont je me fous royalement, et, motivé par mon regard intransigeant, finit par ôter sa chemise pour enfiler le gilet pare-balle.

— Là, on peut y aller, décrété-je.

Sawyer ronchonne encore un peu dans sa barbe pendant que je referme le compartiment sécurisé, puis verrouille ma voiture, toujours en état de vigilance. Il boutonne volontairement sa chemise bûcheron de travers, ébouriffe ses cheveux, et se gifle le visage d'une main jusqu'à obtenir une teinte rosée manifeste. Je me demanderais quelle mouche l'a piqué si je ne l'avais pas déjà vu jouer le coup de l'ivrogne à diverses occasions.

— On y va.

Et c'est parti pour la mission Strawberry.

Le laissant mener la danse, je lui emboîte le pas. Nous traversons la ruelle principale à pas de loups, sous un éclairage faiblard, et empruntons le trottoir d'en face que nous remontons jusqu'à la vieille maison qui accaparait l'attention de Sawyer. Il lève le point, signalant un arrêt, et s'accroupit derrière un tas d'herbes hautes. Je suis la cadence et pose un genou à terre derrière lui. Mon arme tenue entre mes mains fermes, je lance un regard circulaire autour de nous.

RAS*.

Je reporte alors mon attention vers Sawyer, qui pointe la fenêtre juste au-dessus de nos têtes et murmure :

— Berry est dans cette pièce. Je vais attirer les autres dans l'entrée, qui débouche sur la pièce principale. Ils m'ouvrent, j'entre, tu sécurises, je récupère les armes, puis ma pote.

— Reçu, opiné-je.

Sawyer m'indique de le suivre droit devant avec un signe de main. Je m'exécute, grimpe les escaliers du porche dans son sillage et me place discrètement près de l'encadrement de la porte d'entrée, dans le sens d'ouverture de la porte moustiquaire.

Mon poids fait légèrement craqueler le bois sous mes pieds alors que je me balance d'un appui à l'autre, les yeux levés à la recherche de caméras de sécurité. Je n'en vois aucune et l'avant de la maison est toujours vide de passage. Entre-temps, Sawyer ouvre la porte moustiquaire et s'appuie contre le chambranle, cachant le canon court derrière sa cuisse et mon corps dans l'ombre de sa carrure.

— Hé ! beugle-t-il en cognant sur la porte comme un fou. Je sais que t'es là, bébé. Faut qu'on parle, alors sort !

Aucun signe de réponse.

— Je veux pas que tu me quittes, insiste Sawyer d'une voix faussement altérée, tout en continuant à tambouriner. Et ce négro impuissant que tu baises pour me rendre jaloux, ben il te traitera jamais aussi bien que moi !

Bordel, c'est le coup de grâce. Je me pince les lèvres, avec une réaction épidermique à l'entente de ce mot. Une telle insulte, sortant de sa bouche de blanc qui plus est, suffirait à ce qu'on se fasse bêtement allumer, et il le sait !

— Qui c'est, le négro impuissant ? s'indigne un homme en ouvrant la porte à l'arrache.

— Toi, crache Sawyer.

À partir de là, tout s'enchaîne.

Sawyer donne l'assaut, dégageant le passage d'un grand coup d'épaule dans la porte. Il entre et se déplace immédiatement sur la droite, dos au mur.

Mon rythme cardiaque accélère, mais ma concentration reste accrue. Je retiens d'une main la porte moustiquaire, qui se referme déjà, puis pousse à mon tour violemment sur la porte en bois. Le but étant de déloger toute personne qui se tiendrait encore debout derrière.

Tandis que j'avise deux hommes, debout yeux écarquillés autour d'un canapé délavé, la porte d'entrée bute sur quelqu'un au lieu de claquer contre le mur. Le black baraqué qui a accueilli Sawyer jure et bondit. Il brandit un putain de Glock alors que Sawyer lui hurle de ne plus bouger.

Le canon de l'arme n'est qu'à quelques centimètres de mon buste. L'adrénaline bouillonne dans mes veines comme de l'huile sur le feu et pulse dans mes tempes. Rien n'indique que l'homme compte abdiquer, bien au contraire. Alors, ni une ni deux, je saisis son poignet et le tord vers le haut en me décalant à l'intérieur de la maison. J'assène ensuite un coup de pied véloce dans le creux de son genou, le forçant à tomber au sol tandis que je termine l'arc de cercle qui me conduit dans son dos.

— À genoux et mains derrière la tête, aboyé-je avant d'ajouter, le regard à présent tourné vers les deux suspects tenus en joue par Sawyer. Tous les trois !

Le grand baraqué et le typé caucasien s'exécutent.

Dos au mur, j'avise rapidement les lieux, mon Smith & Wesson à nouveau sécurisé entre mes mains. Le Glock de mon suspect lui a échappé quand je l'ai déséquilibré et le latino tatoué n'a pas l'air très certain de vouloir se servir du calibre coincé entre son tricot de peau et son jean. Il se contente pour l'instant de l'empoigner nerveusement.

— T'es sourd ? s'impatiente Sawyer, toujours en position. Jette ton arme au sol et croise tes putains de mains derrière ta tête !

C'est le soubresaut dont le latino avait besoin pour obtempérer. Il se débarrasse de son flingue comme s'il lui brûlait les doigts. Ce qui me soulage d'un poids.

J'ai beau savoir que Sawyer est capable de remonter le temps si jamais quelque chose tourne mal, je ne peux m'empêcher de craindre qu'une colère mal contenue le pousse à tirer sans réfléchir.

— Pousse le vers moi. Toi aussi, ordonne-t-il à l'homme agenouillé à mes pieds.

— Mais vous êtes qui, putain ? s'époumone ce dernier.

— Ton pire cauchemar, grogne le bleu en lui jetant un regard noir. Alors ferme bien ta grande gueule.

Un soupir blasé m'échappe. Apaiser les tensions a toujours été son point fort...

J'avance et termine de pousser les armes aux pieds de Sawyer. Une fois qu'elles sont hors de portée de ces criminels, je me déplace dans le séjour. Ouvrant toutes les pièces qui disposent d'une porte pour vérifier qu'une quatrième menace ne se cache pas dans l'ombre.

— RAS, annoncé-je, le pouls ralentissant déjà.

Ma phrase à peine terminée, quelqu'un sort en trombe de la salle de bains.

___

RAS : Rien à signaler.

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