14 | ℙ𝕖𝕥𝕚𝕥𝕖 𝕔𝕙𝕠𝕤𝕖 𝕗𝕣𝕒𝕘𝕚𝕝𝕖
𝕃a tarte aux noix de pécan de ce Starbucks est tout à fait succulente. Installé dans un coin tranquille, du côté de la baie vitrée donnant sur la rue et le lycée où se tient la réunion d’Akim, je déguste ma pâtisserie avec appétit.
Ce doux mélange de crème fouettée et de sirop de maïs, trônant sur une tarte moelleuse aux noix croquantes, doit être ce qui se rapproche le plus du paradis sur Terre. Je pousse un soupir de plaisir en savourant ma bouchée, plus que soulagé de pouvoir déconnecter mon cerveau de mes tracas du moment.
— Salut. Je peux m’asseoir ?
Je rouvre les yeux, tombant sur le visage d'ange qui va de pair avec la voix suave du type debout à côté de ma table.
Yeux bleus pénétrants. Lèvres fines, étirées en un sourire charmeur souligné par une fossette au menton… En bref, le grand blond qui attend patiemment ma réponse semble tout droit sorti d'une version texane d'une publicité pour un nouveau parfum Axe.
J'ajouterais qu'il est un peu trop jeune et présente bien trop peu de mélanine par rapport au type d’homme qui m’attire habituellement, mais la vie nous envoie parfois ce dont on a besoin, et non ce que l’on veut.
— La place est libre, indiqué-je en lui retournant un léger rictus.
Mon invité ne se fait pas prier. Il s'installe face à moi, sans me lâcher des yeux une seconde, et minaude, son sourire en coin toujours fiché sur ses lèvres.
— Avec un regard pareil, tu dois récolter autant d’âmes qu’une Faucheuse.
— Prends garde, ricané-je sans plus y réfléchir. Je pourrais être tenté d’ajouter la tienne à ma liste.
Un rire franc lui échappe.
— Ne me menace pas de passer un bon moment, mon Séra.
Le boute-en-train appelle une serveuse dans la foulée et commande lui aussi un désert.
— Je voudrais la cuillère tout de suite, ma belle. Merci, ajoute-t-il avec un clin d’œil à l'attention de la rousse.
Sawyer Haddison et sa tendance incorrigible à flirter avec tous ceux ou celles qui lui plaisent.
— Désolé pour le retard, reprend-il en se tournant à nouveau vers moi.
— Ce n'est pas comme si je n'y étais pas habitué, le taquiné-je.
J'ai revêti ma casquette de flic pendant 12 ans. Sawyer a été mon bleu les deux dernières années, avant que je quitte le département de police pour intégrer les Texas Rangers. Ça fait 6 ans déjà, mais nous sommes restés en très bons termes et continuons à nous voir de temps à autre, quand nos emplois du temps le permettent. C'est devenu un excellent flic, quoiqu'un brin borderline. L'impatience est de loin le trait de caractère le plus marqué chez lui, ce qui ne risque pas de changer d'aussi tôt. Ça explique pourquoi il n'arrive jamais le premier aux rendez-vous. C'est aussi la raison pour laquelle il me pique ma bouffe si j'ai le malheur d'être servi avant lui.
— Ça fait un bail qu'on s'est pas vu. Je t'ai manqué ?
Effectivement, la dernière fois que nous avons passé du temps ensemble remonte au soir où j'ai débarqué chez lui à l'improviste, peu après la fin officielle de ma dernière mission. J'étais complètement paumé. C'est dans ce genre de situation que nous sommes le plus proche. Au fil du temps, Sawyer est devenu mon sas de décompression.
Ceci dit, en temps normal, nous n'échangeons qu'à l'occasion. Ce qui nous convient parfaitement.
Je le fixe sans rien verbaliser, alors qu'il éventre ma part de tarte avec la cuillère qu'on vient de lui ramener.
— OK, ça valait le coup de demander, s'esclaffe-t-il face à mon absence de réponse. Dans un jour de vaine, j'aurais peut-être eu la joie de t'entendre me le dire.
Son entrain parvient à m'arracher un nouveau sourire.
— Merci encore d'avoir effacé toute trace d'alcool de chez moi pendant mon déplacement. Je n'aime pas demander de services à la dernière minute, mais étant pris par le temps, je n'avais pas d'autre choix.
— T'inquiète, c'est rien. T'es toujours là quand j'ai besoin de toi, ça me fait plaisir de te renvoyer la pareille. Comment ça se passe avec ton beauf* ?
Je soupire.
— Pas terrible. On se parle pas beaucoup et il ne mange pas grand chose depuis que je l’ai récupéré. Le truc, c’est qu’il entame bientôt ses TIG* et, s’il ne retrouve pas une bonne condition physique, il risque de se blesser.
— Oh, merde ! croasse-t-il bouche pleine, ses yeux céruléens grand ouverts d'inquiétude alors qu'il ne connaît pas Akim. Et son médecin, il en dit quoi ?
— Que ça devrait aller. Il me préconise de lui laisser du temps pour s’adapter, sauf que…
— C’est pas ta came à toi non plus de jouer de patience en attendant des résultats, s'amuse Sawyer, sans doute ravi de pouvoir me montrer à quel point il maîtrise mes rouages.
— Y’a ça, et surtout le fait que je ne sois pas le plus tendre des hommes. J’ai pensé à embaucher une infirmière pour l’aider avec son traitement, mais le toubib dit que traiter Akim comme une personne malade ne fera que compliquer nos rapports. Du coup je vais être obligé de le surveiller, et ça sans lui montrer que je regarde constamment par-dessus son épaule.
Heureusement, Améthyste sera là pour aider.
— Je vois, souffle pensivement Sawyer. C'est chaud, surtout si vous pouvez pas vous piffrer. Mais, je crois que tu m'as jamais dit pourquoi. Il s'est passé quoi ?
— Affaire complexe, éludé-je sans effort. Ta journée alors, raconte.
— Oh, c’était la routine, mêlée à un zeste d’humour noir, ricane-t-il.
Ce que j'apprécie chez Sawyer, en dehors de la légèreté rafraîchissante qu'il dégage, c'est son respect irréprochable pour ma vie privée. Il a ce flair d'enquêteur qui fait qu'il vise souvent juste. Il pourrait deviner ce qui s'est passé entre Akim et moi en deux ou trois questions ciblées, qu'importe que j'y réponde ou que mes expressions faciales le fassent à ma place. Mais bien qu'il affiche une personnalité assez intense au quotidien, il accepte sans mal de changer de sujet dès qu'il sent que je n’ai plus envie de m’épancher sur mes problèmes.
Il me raconte alors sa dernière intervention de la journée, un appel saugrenu lors d'une rencontre d’amateurs de reconstructions historiques. Deux hommes noirs s'y sont apparemment incrustés sans y avoir été invités.
— Tu les aurais vus ! Il étaient pieds nus, avec des vêtements déchirés, des traces de crasse et de grosses chaînes en pastoc autour du cou et du poignet. Ils ont mis le paquet, ces cons, rit-il en se redressant pour laisser la serveuse poser son dessert devant lui. Quand je me suis pointé, l’organisatrice était toute tremblante. Elle répétait en boucle combien ces indésirables les mettaient mal à l’aise, elle et ses invités. T’imagines bien que pour cette nana, oser souligner que l’esclavage fait partie intégrante de l'Histoire dont elle et ses potes sont si fières était on ne peut plus déplacé. Elle s’est défendue en m’assurant que ce n’est ce qu'elle souhait célébrer. Un vrai sketch, je te jure. Je me suis retenu de rire tout du long. Surtout que j'ai trouvé le sarcasme derrière le prank très bien pensé. Certaines personnes sont trop promptes à effacer les éléments dérangeants de l’histoire de notre grande et belle Amérique, comme s’ils n’avaient jamais existé, pour en glorifier seulement ceux qu'ils souhaitaient retenir. C'est aberrant.
— Certaines personnes ? répeté-je, l'œil malicieux.
— Ouais… Mes compatriotes Blancs. Voilà, je l’ai dit. T’es content ?
— De ne plus avoir à gérer ce genre d’intervention débile ? raillé-je. Oh que oui.
— C’est vrai que Monsieur préfère les gros dossiers !
— Tout à fait.
— Blague à part, tu te réhabitues à la vie civile ? Ça fait quoi, quatre mois que t’as bouclé ta mission.
— Mh.
— L'autre fois, chuchote-t-il en se penchant en avant pour plus de discrétion, tu m’as avoué que plus l’infiltration est longue, plus tu prends de temps à te retrouver. T'es quand même resté dans ce rôle de maton corrompu plus de huit mois. Et puis, y'a aussi ce qui s'est passé avec ce type...
— Ouais, mais t’en fais pas pour moi. Ça va.
Sawyer se calle à nouveau au fond de son siège et me toise, dubitatif.
— T’oserais quand même pas mentir à ton ancien coéquipier, qui est aujourd’hui devenu ton meilleur ami ?
— Qui a décrété qu’on est meilleurs amis ? l'interrogé-je, sourcils froncés.
— T’en fais souvent, des soirées pyjama chez d’autres gens ?
Ce n’est pas vraiment ainsi que je qualifierais les rares soirées qu'on passe ensemble. Il a toutefois raison sur un point : je le considère comme un ami. Un ami qui m'est très cher.
— À la tienne, BFF* !
Sawyer porte un toast enjoué à cette amitié. Je lève mon verre en riant de bon cœur et trinque avec lui.
Je dois dire que j'admire sa détermination à plaisanter de tout, sans jamais vouloir se compliquer la vie. Vu la sombre enfance qu'il a eue, je comprends aisément sa devise : « Profiter du meilleur et enjamber le pire ».
J'ignore combien de temps nous passons à rire et discuter avant qu'une vague de mouvements sur le trottoir du lycée n'attire mon attention. Après une petite minute, je distingue Akim aux côtés d'une femme. Comme Améthyste, elle le dépasse de quelques centimètres en taille. Faisant toutefois deux fois sa corpulence. Un regard, que j'identifie comme maternel, découle d'elle tandis qu'elle parle à Akim. Ce dernier hoche la tête en fixant son téléphone, visiblement nerveux.
— La réunion est terminée, souligné-je à l'attention de Sawyer. Je n’ai pas vu le temps passer, merci d'être venu me tenir compagnie.
— Avec plaisir. Voici donc ta terreur de beau-frère, observe-t-il en suivant mon regard. Vu sa faculté à te foutre en rogne ces cinq dernières années, je l'imaginais plus avec une aura de "connard charismatique" que de "petite chose fragile".
J'adresse une œillade maussade à Sawyer avant de revenir à Akim. Flottant dans son pull, jadis à sa taille, lèvre pincée comme s'il était sur le point de prendre une décision qui lui coûte, il suscite effectivement l'envie de le délester de la charge qui lui pèse dessus, plutôt que de le détester. Il relève la tête et je sursaute quand mon téléphone vibre sur la table. Je l'attrape pour constater qu'il s'agit d'un message venant de lui, m'annonçant qu'il m'attend sur le trottoir.
— L'addition, s'il vous plaît, beugle Sawyer.
D'abord tourné vers le comptoir, avec une main levée, il ajoute en se détournant vers moi.
— Tu peux y aller, c'est moi qui régale.
— Merci, je te le revaudrai, déclaré-je en me levant.
— Oh, c'est rien. Un câlin et on est quitte.
Il se lève à son tour, les bras grands ouverts.
— Haddison...
— Quoi ? Allez, je le mérite ! Tu sais que je le mérite.
Je pousse un soupir, mais ne peux résister ni à son sourire ni à l'entrain qui brille dans ses yeux. Je m'avance alors et le gratifie d'une accolade. Le sale gosse en profite pour me plaquer une bise sur la pommette, malgré le trillions de fois où je lui ai répété de s’abstenir de ces démonstrations d'affection.
— Je t’ai eu ! se réjouit-il, les yeux pétillants à présent de malice.
Je bougonne.
— T’es chiant, sérieux.
— Je dirais plutôt adorable. Mais c’est qu’une question de point de vue ! À bientôt, mon Séra, me salue-t-il avec un clin d’œil.
J'opine pour toute réponse, prends une grande inspiration, et me dirige lentement vers la porte du Starbucks.
___
Beauf : contraction de "beau-frère"
TIG (Travaux d'intérêt général) : sanction pénale qui consiste à travailler de façon non rémunérée au profit d'un organisme habilité pendant une durée d'heures définie lors de la condamnation.
BFF : se traduit par "Meilleur ami pour toujours" (Best Friend Forever).
Chose promise, chose due !
Un nouveau personnage rejoint l'histoire : le rayonnant Sawyer.
Que penses-tu de lui ? De sa relation avec Séra ?
Comment sa description te l'as fait imaginer ? 👀
Et as-tu envie de le revoir bientôt ?
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top