13 | ℙ𝕣𝕠𝕞𝕖𝕤𝕤𝕖 à 𝕥𝕖𝕟𝕚𝕣

𝕌n calme relatif a regagné la maison après le départ fracassant de Nehemiah.

Eliakim et moi avons petit-déjeuné ensemble, comme convenu, toutefois accompagnés d'un silence de mort. Ce dernier nous a suivi jusqu'à mon pick-up, puis tout le long du trajet menant au centre médical du Docteur Huang. Seules les interventions ponctuelles d'Améthyste, qui s'émerveille de découvrir les singularités du paysage texan, m'ont amené un vent de bonne humeur au milieu de la tension ambiante.

— Merci de votre sollicitude, Docteur Huang.

Mon attention se détourne instantanément de mon écran d'ordinateur. J'avise le spécialiste et son patient, qui échangent une poignée de main cordiale en sortant de la salle de consultation sous le regard satisfait de Thys.

— Je vous en prie, Eliakim. Prenez le temps de réfléchir à ce dont nous avons discuté et n'hésitez à me contacter dès que vous en ressentirez le besoin.

— J'y penserai, assure Akim avec un frêle sourire qui disparaît en quelques secondes.

Il m'adresse ensuite un bref regard et se dirige vers le bureau de la secrétaire médicale, juxtaposé à l'entrée de la salle d'attente où je viens de poireauter plus d'une heure. Ceci dit, entre brûler du carburant pour refroidir la chaleur écrasante de l'habitacle de mon RAM et continuer à bosser sur l'affaire de Nehemiah dans le confort du centre médical, le choix a vite été fait.

Je termine de ranger mon PC portable dans mon sac quand le Docteur Huang arrive à ma hauteur.

— Rebonjour, Monsieur Beauchamp. J'aimerais m'entretenir avec vous un instant, si vous le permettez.

— Bien sûr, acquiescé-je en me levant.

Un sourire avenant adoucit les traits du quinquagénaire. Comme beaucoup d'autres, il doit lever la tête pour me regarder. Mais malgré sa stature modeste et ses deux têtes de moins, le Docteur Huang dégage une autorité tranquille. Ses yeux en amande suivent mon mouvement, trahissant à la fois une attention aiguisée et une profonde bienveillance. Je sais par ailleurs, pour avoir collaboré avec lui avec plusieurs victimes, qu'il pèse chacun de ses mots avant de les prononcer.

Glissant les mains dans les poches de sa blouse blanche immaculée, ajustée par-dessus des vêtements eux aussi impeccables, il commence :

— Comme vous devez l'imaginer, votre beau-frère et moi avons longuement discuté. Malgré une certaine réticence au début, il a été très réceptif et notre échange s'est avéré positif.

— C'est une bonne chose.

— Tout à fait. J'ai néanmoins estimé important de venir à vous pour mettre en lumière certains points, dans le strict intérêt de mon patient et en respectant le secret professionnel. Cela va sans dire.

J'opine, l'incitant à continuer tout en occultant l'arrivée d'une Améthyste curieuse à nos côtés.

— Bien, reprend le psychiatre, les mains prêtes à accompagner son discours. À l'instar de la majorité des personnes qui se retrouvent dans sa situation, Eliakim est conscient des risques médicaux liés à son addiction. Essayer de l'effrayer ou de le culpabiliser a très peu de chance de porter ses fruits. J'ai senti en lui une réelle volonté de s'en sortir, mais aussi la présence de doutes qui alimentent ses craintes. Il dit par exemple avoir du mal à s'ajuster à son nouvel environnement. Bien que cela soit encore normal à ce stade, cette partie de son mal être ne s'estompera que s'il ressent que vous croyez en lui. En sa capacité à vaincre son addiction.

Je me retiens de soupirer en levant les yeux à l'idée que ce couillon ose se plaindre de moi.

— Je n'aurais pas accepté de m'impliquer dans sa réinsertion si ce n'était pas le cas, souligné-je, un brin agacé.

— Très bien. Seulement, votre implication factuelle ne suffira pas. Vous devrez montrer votre accessibilité émotionnelle. Plus important encore, faire preuve de patience et vous adapter à son rythme autant que faire se peut.

Mais bien sûr...

« Sans vouloir te titiller, c'est un peu ce que j'essaie de te dire depuis le début, renchérit Thys. Le Docteur Huang a beaucoup plus de tact que moi, je te l'accorde. »

Je lui lance une brève œillade.

Si je devais passer à tous les caprices d'Eliakim, j'aurais dû accepter qu'il se défile pour ce rendez-vous et je ne serais pas là à écouter ces conneries.

Constatant sans doute que son conseil bute contre mon opinion personnelle, le toubib poursuit d'un air compatissant.

— J'ai pleine conscience que vos rapports ne sont pas des plus cordiaux. Mais brusquer Monsieur Día dans son parcours vers la sobriété risque de s'avérer contre-productif.

Je me pince les lèvres alors qu'Améthyste hoche la tête avec approbation.

— En toute honnêteté, Doc, j'ignore si je serais en mesure de lui apporter ce genre de soutien. Il l'obtiendra peut-être de son parrain, une fois qu'il aura commencé les réunions. Je pourrais aussi lui trouver une infirmière qui le chouchoutera et s'assurera qu'il prend bien ses médocs. Ça, c'est dans mes cordes. La disponibilité émotionnelle, beaucoup moins.

— Je l'entend, Monsieur Beauchamp. Notez toutefois que votre beau-frère semble tout à fait capable de gérer sa transition médicamenteuse. Ce dont il a besoin, en dehors d'un traitement et de stabilité, c'est que l'on croit en lui afin que ses progrès se concrétisent sur le long terme. Vous avez déjà pris une initiative admirable en l'accueillant chez vous. Cela implique cependant que vous êtes sa seule famille au Texas. Le traiter comme une personne diminuée risque de le déstabiliser davantage, en plus de creuser le fossé d'incompréhension qui se dresse entre vous.

« En d'autres termes : Eli a besoin que tu sois bienveillant à son égard, même s'il refuse de l'admettre. »

« Je conçois que ce soit difficile pour toi vu votre passif, dont je n'ai aucune idée puisqu'aucun d'entre vous n'a jamais voulu me confier ce qui a causé une inimitié si féroce... Mais si tu veux vraiment qu'Eli retrouve sa lumière, tu as une promesse à tenir. »

Je ronge péniblement mon frein.

Une fois de plus, Akim se retrouve dans le rôle de la victime dépassée par la situation.

Une fois de plus, je suis celui qui peut aller se faire foutre avec ses sentiments pourvu que mon putain de sacrifice le sorte de sa merde.

Je prends une profonde inspiration pour éviter que ma tension monte en flèche.

— OK, je garde tout ça en mémoire. Autre chose ? m'efforcé-je d'ajouter en feignant un calme plat, avant de regarder l'heure sur ma montre.

— Pas dans l'immédiat, non. Sans doute êtes-vous comme moi-même pris par le temps, badine le toubib. Vous avez mes coordonnées, Monsieur Beauchamp. N'hésitez pas à prendre rendez-vous, à l'occasion, afin que nous puissions discuter plus amplement de votre positionnement.

— Mh-mh... Bonne journée, Docteur Huang.

Nous échangeons une poignée de main cordiale, puis je me dirige nonchalamment vers la sortie.

« Ton "Mh-mh" se traduit par : "Attends toujours". Je me trompe ? » lance ma sœur pendant que le médecin salue Akim une dernière fois.

Je la regarde en biais pour seule réponse.

Une fois que son mari a récupéré son ordonnance, nous empruntons l'ascenseur pour quitter le centre. La chaleur extérieure nous frappe de plein fouet à l'ouverture des portes automatiques. Akim soupire et attrape son t-shirt pour s'aérer alors que nous progressons sur le grand parking.

— Ai-je le droit de sortir seul ? lâche-t-il soudain lorsque nous arrivons aux abords de mon pick-up.

Je fronce légèrement des sourcils, assez médusé par son interrogation.

— Bien sûr que oui, finis-je par répondre en déverrouillant les portières. Je ne te retiens pas captif, à ce que je sache.

— Ce n'est pas l'impression que j'ai.

Sur ça, il s'installe dans le véhicule armé de son air renfrogné habituel.

Évidemment, son épouse s'empresse de défendre son attitude exécrable.

« Ne le prends pas au sérieux, Séra. Il est juste encore grognon par rapport à hier soir, cela lui passera. »

Un soupir m'échappe. Je n'en pense pas moins et choisis toutefois de ne pas réagir à la provocation. Grimpant à mon tour à bord, je poursuis aussi calmement que possible :

— Je veux juste que tu me notifies de tes déplacements et que tu respectes le couvre-feu établi à 20h tapantes.

Il acquiesce à peine.

En plus de ma sœur, j'ai les ressources nécessaires pour le pister à la minute près. Où qu'il soit. J'aimerai cependant m'assurer de pouvoir placer un minimum de certitude en ce qu'il me dira.

— Tu souhaites te rendre quelque part ? m'enquiers-je, essayant d'être le plus diplomate possible.

— Pour l'instant, uniquement au centre commercial.

Sans doute pour récupérer ses médicaments. J'ai peu d'inquiétude à avoir quant à un dérapage, puisqu'Améthyste sera avec lui et viendra me trouver à la moindre alerte.

— OK. Je peux t'y déposer.

« Le médecin l'encourage à découvrir la ville et trouver des lieux où il se sent apaisé, m'informe Thys. Il y a-t-il un endroit qui te vienne en tête ? »

Après quelques minutes de réflexion, où je suis un peu distrait par le retour de la pléiade de tics nerveux émanant d'Akim, je réponds à haute voix à son attention.

— Si jamais il te prend l'envie de t'aérer l'esprit, y'a de nombreux espaces verts en ville, proposé-je en l'observant se ronger la peau de l'index du coin de l'œil. Candleridge Park est de loin le moins fréquenté. T'y croisera quelques familles qui viennent pique-niquer autour de l'étang, mais c'est plutôt calme et y'a des sentiers pour la marche.

— J'en prends note.

Son ton, sa posture fermée et sa façon de tourner son attention vers le paysage urbain sont assez évocateurs. Notre conversation s'arrête donc là.

Nous aurions pourtant tant de choses à évoquer, si seulement nous n'éprouvions pas tant de réticences à échanger. Qu'il s'agisse de mots, ou même de simples regards.

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