12 | 𝕍𝕒𝕘𝕦𝕖 𝕕𝕖 𝕗𝕦𝕣𝕖𝕦𝕣
ℙenché devant le miroir de la salle d'eau, je termine de rincer mon visage, puis y étale méticuleusement de la mousse avant de commencer à me raser.
Mon regard distrait suit mes gestes mécaniques.
Toute mon attention devrait se porter sur la lame qui racle ma peau, et non sur la journée à venir. Pourtant, ma nouvelle implication dans la vie de ce satané Eliakim Día occupe malgré moi toutes mes pensées.
« ¡ Ay ay ay, qué vista más hermosa !* »
Déconcentré, je m'entaille légèrement la joue lorsque cette voix joviale s'élève dans mon dos.
— Nehemiah, soufflé-je en avisant le reflet de son visage rieur via la glace. On a établi des limites à ne pas franchir.
« Roh, ça va... râle la fantôme en levant les yeux au ciel, bras croisés sur son buste. J'arrive à te pister parce que je connais l'énergie que tu dégages, mais je peux pas deviner où t'es ni ce que tu fais quand je débarque. »
— J'en ai tout à fait conscience. Ça ne t'empêche pas d'afficher un tant soit peu de pudeur dans ce genre de situation.
J'éponge brièvement ma coupure tandis que, en dépit de mon air sévère, Nehemiah explose de rire.
« Alors là ! Si tu t'attends à ce que je ferme les yeux à chaque fois que je te tombe dessus à poil, tu peux oublier. Je suis peut-être plus faite de chaire et de sang, mais me priverais jamais de mater un beau cul et le tien est de compétition ! »
Poussant un soupir blasé, je tends le bras et attrape une serviette avec laquelle j'entoure mes hanches pour couvrir ma nudité.
« Bon, d'accord ! finit-elle par céder sous l'insistance de mon regard peu amène, qui pèse sur elle via le miroir. Je peux attendre que tu finisses de te pouponner. Je crois avoir senti la présence de ta sœur dans la pièce d'à côté. On dirait que je vais devoir me contenter d'elle comme distraction le temps que tu te rendes présentable. »
À peine ai-je le temps d'ouvrir la bouche, elle se détourne et traverse le mur menant à la chambre d'ami.
— Bon sang, Nehe...
Compte tenu de sa personnalité intrusive, je sais pertinemment que les choses risquent de mal tourner si elle reste trop longtemps avec Améthyste. Je me dépêche alors de débarbouiller ma barbe de cette foutue mousse à raser et enfile mes vêtements à la va-vite.
Mes pieds nus dérapent sur le parquet quand je sors de la salle de bain, dans la précipitation la plus totale. Je me stabilise sans mal, mais reste figé sur place. Ce à quoi je m'attendais le moins au monde à l'instant présent, c'est tomber nez-à-nez avec Akim.
La surprise l'immobilise aussi quelques secondes où il me dévisage. D'abord pris de court, puis de son air renfrogné usuel.
Notre échange de cette nuit peut-être encore coincé en travers de la gorge, il adopte instinctivement une posture fermée.
Debout au côté d'Améthyste, non loin d'Eliakim et de la porte qu'il vient tout juste de franchir, Nehemiah profite du lourd silence planant dans le couloir pour prendre la parole.
« C'était donc ça ton urgence familiale... Ta frangine vient de faire les présentations alors, promis, je vais pas te refaire une scène. J'avais pas capté que tu partais sauver ton beau-frère. Vu sa mine de chien battu avant que tu le fasse passer en mode défense, je te pardonne de me laisser tomber un moment. D'ailleurs, je t'aurais accompagné si tu m'avais dit que les produits de la Louisiane faisaient autant saliver ! Je connaissais déjà le modèle caramel chaud, je découvre le chocolat noir craquant et, pour tout dire, je me demande quel goût il a quand il est en pleine forme et qu'il fond dans la bouche.
Elle avise Améthyste, l'air taquin et un doigt aguicheur entre les lèvres.
Peu coutumière, ni même guère friande, de ce genre d'humour, Thys s'en offusque sur le champ.
« Tu parles de mon mari, je te rappelle ! »
Sa réaction outragée ne fait que titiller le côté provocateur qui anime Nehemiah. Cette dernière ricane exagérément, avant de répondre :
« Je sais bien, ma chérie. Mais j'en ai connu beaucoup, des maris, et c'étaient jamais les miens. »
« Vois où ça t'as conduite ! »
Putain, Améthyste, t'as fais exactement ce que je craignais...
Les yeux de Nehemiah s'écarquillent. Sans surprise, son faciès joueur s'assombrit d'un coup.
« Je suis pas morte parce que je baisais des maris infidèles, Miss Perfection. Je suis morte parce qu'on m'a enlevée, vendue, battue et violée si sauvagement que je me suis vidée de mon sang par tous les orifices possible ! »
Sa colère fulgurante englouti la pièce. Mes poils se hérissent sur mon épiderme, réaction caractéristique en présence d'un esprit en pétard.
« Alors tu ferais mieux d'apprendre à la fermer quand tu sais foutrement rien de ce que t'avances ! »
Paraissant lui aussi ressentir la vague de fureur de Nehemiah, Eliakim frissonne. Les lumières du plafond se mettent à clignoter frénétiquement, ce qui attire son attention, et l'une d'entre elle explose soudain. Nous avons tous deux le réflexe salvateur de protéger nos visages entre nos bras.
Lorsque Akim et moi relevons nos têtes, Nehe a disparu.
— Bon sang ! Que vient-il de se passer ? halète mon colocataire d'infortune.
— Ma baraque est hantée, lancé-je laconiquement malgré la lueur de panique dans ses prunelles. Tu finiras par t'y habituer. Je vais m'occuper de nettoyer les éclats de verre, on petit déjeune dans 15 minutes.
Il fronce des sourcils, se demandant surement dans un premier temps si mon histoire de fantômes n'est qu'une blague de mauvais goût. Puis, décidant de simplement d'ignorer cette remarque, il fini par grogner :
— Je n'ai pas faim.
— Je m'en fiche. En plus des modalités légales de ta réhabilitation, je t'ai remis les règles à respecter sous ce toit. Je te demande même pas de m'adresser la parole si t'en as pas envie. En revanche, j'attends de toi que tu t'alignes aux règles que je viens d'évoquer. On se retrouve donc à table, dans 15 minutes.
Akim me sert une tronche encore plus hargneuse. Mais, au risque de me répéter, je m'en fiche éperdument. Y'en a une autre à qui je dois adresser deux mots pour remettre les choses en perspective.
Comme à chaque fois que Nehemiah se volatilise avec force et fracas, je me dirige vers le débarras pour récupérer pelle et balai. Bien qu'elle affiche encore une moue bougonne, Améthyste sait que nous devons discuter. Elle consent donc à me suivre et laisser Eliakim retourner bouder seul dans sa chambre.
Une fois dans l'autre pièce, je tire sur la chaînette pour éclairer l'endroit. Dès que la porte se referme derrière Thys, je me retourne et embraye :
— Tu te sens mieux maintenant ?
Le désarroi danse dans ses iris limpides.
« Je suis navrée, je... je ne savais pas qu'elle- »
— Qu'est-ce qui t'a échappé quand je t'ai informé qu'elle a eu une fin affreuse ?
« Comment voulais tu que j'imagine un scénario aussi terrible ? » se défend-elle à juste titre.
Son air sincèrement désolé me pousse à redescendre d'un cran.
— Tu ne pouvais pas, je te l'accorde. Mais contrairement à ce que tu sembles penser, le mode de vie de cette petite n'y est pour rien dans ce qui lui est arrivé. Elle sortait de l'université où elle suivait son cursus en communication le soir où elle a été kidnappée. Ses ravisseurs font sans aucun doute partie d'un réseau de trafiquants d'êtres humains. Ils l'ont vendue au plus offrant et la suite, tu la connais.
« Est-ce toi qui a découvert son corps ? » s'enquiert ma sœur, après une courte hésitation.
Je m'adosse à une étagère en soupirant.
— Négatif. Nehemiah ne m'a toutefois pas épargné la vision détaillée de l'agression et de son agonie lors d'une de ses premières crises de nerfs.
La barbarie dont elle a été victime, ses hurlements déchirants, aussi bien que toute la détresse qu'elle a pu ressentir s'agglutinent dorénavant aux horreurs qui nourrissent mes cauchemars.
— En vérité, je n'ai pas encore réussi à localiser sa dépouille. Et, merde, Dieu seul sait combien ça me ronge. Mais depuis quatre mois que je suis dessus non-stop, j'ai découvert très peu d'indices et encore moins de pistes. Nehe a beau m'avoir aiguillé en me montrant pas mal de choses, elle ne sait rien de l'endroit où elle a été emmenée avant d'être agressée, étant donné qu'elle avait les yeux bandés... Elle n'a pas non plus le moindre souvenir des évènements survenus durant les heures qui ont suivi sa mort.
« Mince. »
— C'est assez commun après un traumatisme aussi violent. Le pire pour elle, ça reste quand même de voir ses parents dépérir. Jusqu'à présent, les autorités ignorent ce qui lui est vraiment arrivé. Elle est juste portée disparue et ils estiment qu'elle a pu simplement tout plaquer sans en avertir ses proches. Je suis encore dans la phase où je rassemble assez de preuves tangibles qui puissent attester du contraire.
« Seigneur, que de malheur. Je suis d'autant plus navrée d'avoir réagit de façon aussi virulente à son égard. »
— Tu lui diras ça quand tu la reverras.
« Je n'y manquerai pas, assure ma cadette avant de reprendre. Dis, Séra, je ne voudrais pas me montrer indiscrète, mais cela me turlupine. Nehemiah était-elle jadis un homme ? »
— Mh, elle l'assumait pleinement et croquait la vie à pleines dents. Un peu trop au goût de certains. Ça explique en partie qu'aucun agent n'accorde de crédit à sa disparition soudaine.
La majorité de mes collègues sont pourtant capables de retourner ciel et terre pour retrouver une petite blonde innocente, même s'ils n'ont que l'ombre d'un doute concernant la situation. Mais, jusqu'ici, personne au bureau des Ranger ne semble s'inquiéter du sort d'une jeune trans d'origine nicaraguayenne.
Améthyste m'adresse un sourire compatissant.
« Tu as toujours eu le cœur sensible face à l'injustice. J'espère que tu pourras poursuivre ton investigation malgré la présence d'Eli et que tu élucideras enfin le meurtre de cette malheureuse. »
— Je l'espère aussi.
Comme j'espérais, du plus profond de mon cœur, épingler le connard qui a ôté la vie à ma petite sœur il y a de ça deux ans.
Toutes mes enquêtes ne se déroulent malheureusement pas comme je le souhaiterais.
« Séra... »
La voix timide de ma sœur me sors de mes sombres pensées.
— Oui ?
Nos yeux perçants s'accrochent, avec la douceur d'antan.
« Je conçois que cette cohabitation soit tout aussi inattendue et délicate pour toi qu'elle l'est pour Eliakim. Je m'excuse sincèrement de t'avoir autant sermonné depuis mon retour inopiné dans ta vie, mais il est si... perdu ! Je me fais un sang d'encre pour lui, à chaque seconde qui s'écoule, et je souhaite vraiment qu'il puisse prendre ce nouveau départ dans les meilleures conditions. »
— Je comprends, marmonné-je. Lui et moi, on est juste... trop différents. Mais tu as raison, il a besoin de mon aide. Alors je vais prendre sur moi et redoubler d'efforts pour aplanir les angles.
« Merci, grand frère. Allez, viens. » lance-t-elle en m'ouvrant ses bras.
Un rire étonné m'échappe.
— C'est la récompense à ma promesse de bonne conduite ?
« Cesse donc de tout analyser, Ranger Beauchamp ! rit-elle en retour. J'ai juste envie de te faire un câlin et je suis sûre qu'à toi aussi, ça te manque. »
— Tes câlins forcés ? m'esclafé-je avant de reprendre sous son regard faussement blasé. C'est vrai, ils me manquent... Tu me manques, Thys.
« Je sais, soupire-t-elle en se blottissant contre mon buste. Et il faut que tu saches que si je ne me suis pas montrée à toi ces deux dernières années, c'est parce que je craignais que ma présence dans le monde des vivants te contrarie. Je craignais qu'au fond de toi, tu penses que je ne suis pas passée de l'autre côté car l'auteur de ma mort reste un mystère. Mais si je suis encore là, c'est pour Eliakim. Je ne voulais pas que tu t'entêtes à me convaincre de l'abandonner lorsque je t'aurais avoué cette vérité. Alors, j'ai égoïstement choisi de me cacher de toi. Mais tu peux être sûr que je n'ai jamais cessé de m'inquiéter de ton bien-être. »
La joue callée contre sa tête, j'opine et resserre mon étreinte. Je n'ai aucun mal à comprendre son raisonnement, puisque c'est exactement la façon dont j'aurais réagit.
Améthyste et moi sommes tous deux butés comme des ânes, alors savoir qu'elle restait sur terre à cause de cette enflure n'aurait fait que créer de regrettables tensions entre nous.
— Merci de me l'avoir dit, petit soleil.
« Merci d'avoir répondu à mon cri de détresse. »
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Traduction « ¡ Ay ay ay, qué vista más hermosa ! » : Ouh lala, quelle belle vue !
Coucou,
Après quelques mois d'absence, me revoici !
J'essaie de me remettre dans le bain, mais c'est toujours difficile après une longue pause. Même après plusieurs relectures et quelques améliorations, je ne suis toujours pas 100% satisfaite de ce nouveau chapitre. Je me dis que le plus important, c'est qu'il ait au moins vu le jour, haha
N'hésite pas à me dire ce que tu en penses. La suite devrait bientôt arriver.
Gros bisous. ✨
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