Sanctuaire blanc

Bruissement de blouses blanches, parfum chimique subtile flottant dans les airs, doux vrombissements des machines à l'instar d'une mélodie envoûtante.

Le laboratoire, comme dans mes souvenirs d'enfant, respirait l'intellectualité et la créativité. Chaque geste était calculé au millimètre près, le moindre faux pas pouvait être fatale. Je m'étais déshabillée de mes couches d'impulsivité au seuil du portail. Certes la nostalgie et la colère aient taillé mon âme profondément jusqu'à ce que chaque recoin de cet hôpital me paraisse geôle, toutefois, mon respect pour ce lieu dépassait mes propres sentiments. Le laboratoire avait toujours été mon lieu sacré, mon sanctuaire.

Ma mère avait l'habitude de m'appeler « Ma petite sorcière ». Le mélange des différentes substances, cette curiosité de connaitre le produit final, ce suspense de voir les molécules interagir curieusement entre elles, tout cela faisait chavirer mon cœur,  même lorsque j'avais encore le biberon dans ma bouche.

Nous étions seuls, Saphir et moi, dans cet asile blanc rempli de myriades de produits chimiques et doucement, et doucement, l'adrénaline retrouve naturellement son chemin dans mes veines.

J'attends qu'il se lave les mains, je le suis en faisant de même puis il me tendit silencieusement une blouse probablement appartenant à l'une des chercheuses.

_ Ferme ta blouse, porte tes g-

_ Porte tes gants, ton masque et tes lunettes de sécurité. Je connais la chanson, soufflai-je.

Il s'approche à pas feutré de moi jusqu'à ce que mon corps ressente son aura. Il incline légèrement la tête en parcourant chaque millimètre carré de mon visage, tandis que je humais sauvagement son parfum mentholé.

J'étais en feu. Aucune réaction exothermique au sein de ce laboratoire pouvait produire autant de chaleur que mon corps était en train d'émettre sous son regard de braise. Son charisme était étouffant et j'en mourrais asphyxiée, mais avec le sourire aux lèvres.

Délicatement, le dos de sa main caresse la longueur de mes cheveux noirs jusqu'à leurs pointes qui arrivaient à mon nombril frôlant par la même occasion mes côtes.

Je manquais affreusement d'oxygène.

_Alora, murmure-t-il doucereusement en approchant ses lèvres de mon oreille. Range tes putains de cheveux.

Le renversement abrupt de son ton me fit l'effet d'une claque. Aucune retorque intelligente me vint. Je le regarde, hébétée, s'éloigner indifféremment de moi comme s'il ne venait pas de me jeter dans un des ascenseurs émotionnels les plus vertigineux.

Je pris sur moi pour ne pas bruler l'arrogance collé à son visage par un des acides à côté de moi et range simplement mes cheveux en une haute queue de cheval comme demandé.

_ Comment as tu obtenu l'accès aux laboratoires d'hôpital ? Un simple doctorant ne mettra jamais pied ici, lui demandai-je.

_Chérie, moins de paroles et plus d'actes. Rince les burettes avec de l'eau distillée et prépare les tubes d'Eppendorf.

Alora, surtout calme toi.

_Je ne suis pas ta stagiaire.

_Oh merde j'ai oublié. Montre-moi ton diplôme de doctorante ?

_Je suis en première année de fac de sciences.

_Exactement, va rincer les burettes.

Connard.

Je me dirige vers l'étage, attrape la solution d'eau distillé et suis les commandes de monsieur le doctorant. De son coté, il avait déjà sorti un tissu animal congelé qu'il commence à écraser avec son mortier et son pillon. Sexy.

Je chasse les idées lubriques qui commencent à prendre forme dans ma tête et organise le matériel.

_ Seigneur, même à six ans, mes parents me donnaient des tâches plus crédibles, marmonne-je.

_ Arrête de parler, tu pollues l'air.

Je lui offre mon doigt d'honneur sous mes gants et me positionne à côté de lui, mettant sur la pointe des pieds pour jeter un coup d'œil sur ce qu'il marmotte.

_ Quel tissue ? demandai-je.

_ Le cœur d'une souris blanche.

Le bout d'organe parfaitement écrasé, il déchiquète une partie. Je lui tends un tube d'Eppendorf où il met minutieusement son échantillon.

Saphir était parfaitement concentré, cillant à peine, ce qui lui donnait un air appliqué beaucoup trop séduisant pour mon pauvre cœur. Comme quoi, ce n'est pas que le cœur de cette défunte souris blanche qu'il excellait à écraser, mais même le mien, et certainement beaucoup d'autre.

Est-il en couple ? fiancé ? marié ?

_ Apporte-moi cinq cents microlitres de solution tampon.

Son ordre m'arracha violement de mes élucubrations et me ramène soudainement à la réalité où ce connard pense que je suis sa bonne.

_ Pas avant que tu m'aies expliqué la procédure, répondis-je en croisant mes bras sous ma poitrine, d'un air grave.

Il me jauge, blasé, me donnant l'impression d'être un fardeau, alors que c'est lui qui m'a invité à entrer.

Parce que tu étais à deux doigts de lui faire subir l'humiliation du siècle.

_ Je dois amplifier un gène à l'aide de la PCR.

_ Quel gène?

Il me lance un regard désabusé, mais répondit quand même.

_HER2.

Je sourcille lorsque j'entends cette abréviation qui a résonné plus qu'une fois dans les discussions entre ma mère et mon père.

_ C' est un oncogène, affirmai-je, suspicieuse.

(Oncogène= gène impliqué dans le cancer)

_ Bravo Sherlock.

Remarquant que j'étais immobilisée sur place pendant de longues secondes, il finit par aller chercher sa propre solution tampon m'abandonnant dans ma confusion.

_Tes recherches visent le métabolisme du cancer, commençai-je lentement à comprendre.

_Ta perspicacité m'étonnerait toujours, me répondit-il ironiquement.

Il cherchait encore entre les étages. Je ne me retournai pas vers lui, beaucoup trop obnubilée par les facettes cachées de mon Séraphin qui se dévoilèrent doucement, l'approchant de plus en plus à mon passé, à mes parents.

Je fixe le mur blanc devant moi et murmure d'une voix à peine audible.

_Le même domaine que mes parents...

Il m'entendit, toutefois il resta de marbre, s'assit sur son tabouret puis enroule les manches de sa blouse pour entamer la procédure. Je me tendis encore plus quand je vis une brulure virant au noir juste au-dessus de son poignet, amplifiant mes doutes et forgeant ma suspicion.

Jusqu'à quand me mentirais-tu Séraphin ?

_ Non pas seulement tes parents, la plupart des chercheurs aujourd'hui consacrent leur temps à comprendre les mécanismes sous-jacents du cancer. Le monde a besoin le plus tôt possible d'un traitement curatif sana oublier que -

_Tu as quel âge ? Le coupai-je dans son monologue puant la langue de bois.

Il prit mal mon désintérêt pour sa cause et celles des souverains chercheurs. Ma folle curiosité le gênait. Or, les questions n'effraient que les menteurs et mes questions étaient pourtant des plus simples.

_ Vingt-deux ans.

Plutôt jeune, très jeune pour un simple doctorant. En France, la thèse du doctorat ne peut être entamée qu'avec vingt-trois ans, La plupart consacraient jusqu'à deux, trois années pour la finir.

_ Tu avais dix neuf ans quand mes parents sont morts, lui informai-je. J'en avais quinze.

Encore une fois, il me balance son silence en pleine gueule. Je le regarde magner ses solutions avec finesse et habileté que c'en était presque hypnotisant, toutefois demeurait une tache noire qui me gênait un tantinet dans ma contemplation.

_ D'où vient ta brulure Saphir, questionnai-je avec un brin éloquent d'espièglerie.

Ma question sembla l'ébranler fortement. Le bécher où se trouvait la solution tampon lui glisse de la main et explosa contre le carrelage. Il ne bougea pas d'un poil, fixe les débris de verres jonchés sur le sol puis regarde curieusement la brulure sur son avant-bras comme si il la découvrait pour la première fois avant de lever ses yeux aussi noirs que la nuit sans lune qui  n'étaient maintenant qu'un abime béant avec des éclats de rage et de terreur.

Sa colère si soudaine m'étrangla, empêchant l'air d'entrer dans mes poumons.

_ Je vais aller chercher de quoi nettoyer, bafouille-je en lui tournant le dos or il me coupa net dans mon élan et m'attrapa violemment le bras jusqu'à m'arracher un gémissement de douleur.

Il s'était transformé d'un clin d'œil. Plus aucune trace du doctorant charismatique, je ne voyais plus qu'un animal en rage prêt a me dévorer parce que je lui avais posé une simple putain de question.

_Tu vas te barrer d'ici Alora et ne jamais plus revenir. Que tu sois traumatisée par la mort de tes géniteurs ne fait pas de moi ton baby-sitter. Pigé ?

Les larmes me montèrent très vite aux yeux et bientôt la douleur de mon bras violenté s'estompe devant un supplice lancinant qui me déchire le cœur.

Non.

Séraphin me protège.

Séraphin ne me fera jamais de mal.

Je le dévisage, avec mes peines et afflictions or je ne recevais aucune pitié en retour juste une haine cruelle et injuste.

Entre les éclats de flammes, j'avais perdu mon ange et avait cueillit le démon à bras ouverts.

Ses ailes, jadis pures, blanches et étendues,

Se fanent maintenant, plongées dans l'obscurité des nues.

Comme des plumes déchues, elles traînent leur chagrin,

Témoins silencieux d'un amour perdu, d'un destin incertain.

Je me dégage de son étreinte froide et sans vie, le fixe lentement, sachant que Séraphin était maintenant perdu à tout jamais.

_Tu as raison Saphir, je t'ai bel et bien confondu avec quelqu'un, finis-je par prononcer.

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