Rat du laboratoire
_ Dépose-moi à l'hôpital, réitérè-je pour la quatrième fois depuis que j'ai posé pied sur ce maudit pick-up.
_ Quoi, tu veux vérifier si l'autre connard t'a mise enceinte ?
Je roule des yeux, blasée par la moue boudée qu'Isaac a décidé de claquer sur son visage depuis qu'il a su que ma fleur avait quitté son jardin depuis belle lurette. Il me voyait toujours comme la petite fille avec laquelle il jouait « Effeuiller la marguerite » dans les champs. Or, il est temps qu'il comprenne que j'ai dépassé l'âge d'arracher les feuilles de la marguerite pour trouver mon affirmation. J'irai la chercher moi-même.
_ Nous nous sommes pro-
_ Je ne veux pas savoir. Bon sang !
Isaac bifurque brusquement à droite, me collant violemment sur mon siège, m'incitant probablement à fermer ma gueule. Dommage pour lui, ma langue pouvait se montrer très longue.
_ Isaac, je dois vraiment aller à l'hôpital.
_ Tu es malade ?
_ Non.
_ Alors pourquoi aller ? Je pensais que tu détestais Nantes.
_ Je la déteste, oui, mais j'ai oublié un truc important à la salle de conférence.
Il me jette un coup d'œil furtif, me laissant savoir qu'il ne gobait point mon mensonge.
_ Je dirai à Liam ou Éloïse de t'apporter ton truc si important.
Seigneur, donne-moi assez de patiente pour ne pas bruler ce pick-up.
_ C'est soit tu m'emmènes à ce putain d'hôpital, soit, je prends le bus.
Mon dilemme semble l'exaspérer à haut point vu qu'il ne pipa plus aucun mot.
J'étais conscience que ma nature peste revenait souvent au galop. Ce n'est guère ma faute, ma gentillesse avait tendance à s'éclipser des fois sans crier gare et il fallait surtout dire que je portais mon masque de garce gracieusement et m'allait comme un gant.
Je souris intérieurement quand je le vois prendre l'autoroute vers Nancy.J'avais beau jongler avec ses nerfs, il cédait à chaque fois.
Notre trajet était noyé dans un silence glacial, décoré parfois par les regards noirs d'Isaac auxquels je réponds avec mes sourires espiègles.
_ Ne m'attends pas, l'informai-je avant de sortir du véhicule en prenant bien soin de lui lancer un baiser volant pour m'assurer qu'il ne me détestera pas pour longtemps.
Cette fois-ci, il ne conteste pas et se contente de démarrer la voiture me laissant seule devant le gigantesque hôpital.
J'ignore toutes ses voix qui me chuchotaient d'aller le plus loin possible de ce lieu qui puait la mort et la perdition et m'efforce à entrer. Aussitôt, je me sentis emprisonnée entre ses murs dénudés de couleur qui me donnait l'impression d'être piégée dans un paysage insipide et dénué de vie.
Quelques personnes du staff hospitalier me reconnaissent de loin. Je leur offre mon sourire le plus jaune et me dirige ,tête baissée vers la réception. Une femme d'une trentaine d'année se trouvait devant moi. Chewing-gum ondulant sa langue, lunette abaissée jusqu'au bout du nez, rouge à lèvres saillant, elle déployait en plein jour le parfait cliché de la réceptionniste aigrie.
_ Bonjour.
Bien évidemment, pour accentuer davantage son caractère de vipère, elle me juge de haut en bas avant de m'indigner une réponse.
_ En quoi pourrais-je vous aider ?
_ Je cherche une personne.
_ Sous quel nom ?
Je me tus aussitôt, me rappelant soudainement que je n'avais pas la moindre idée sur le nom de famille ni le prénom de Séraphin.
La vipère s'impatiente, commençant à mâcher plus énergétiquement son Chewing-gum, me donnant soudainement envi de l'étrangler avec.
_ Je reviens dans une seconde.
Je me dépêche pour trouver un siège confortable, allume mon téléphone et me mets dans la peau de super détective. J'ouvre directement Instagram et écris dans la barre de recherche : #HopitalsSeineNantes.
Bientôt des dizaines de publications s'affichèrent, je défile pour trouver celles qui concernent la commémoration d'hier et les passe sous la loupe une par une. Sur l'une d'entre elles, se trouvait un groupe d'homme d'une vingtaine d'années assis sur la terrasse de l'hôpital, je zoome un peu plus et retrouve mon joli inconnu au fond en train de fumer une cigarette. Son visage n'était pas très clair, or fera l'affaire.
Je retourne chez la réceptionniste cette fois-ci avec un screen de sa gueule d'ange _quoique floue_ sur mon téléphone. Je colle l'écran sous son nez.
_ Je cherche cette personne.
Elle balaye mon téléphone de son champ de vision d'un geste hautain de main et me déclare :
_ Désolé, jamais vu. Un prénom et un nom de famille est requis.
Elle mentait, ça sautait aux yeux. Je suis sûre qu'elle n'a même essayé d'analyser l'image avant d'ouvrir son gros bec.
_ Pense à coller tes lunettes à ta rétine, peut-être que tu verras mieux, crachai-je avant de tourner les talons.
Allez Alora fais chauffer tes méninges, tu n'es pas venu jusqu'ici pour rien !
Alors que je m'apprêtais à attaquer de nouveau la petite vipère, une femme de ménage me bouscula accidentellement, m'envoyant presque par terre.
_ Oh mon Dieu, je suis désolée !
Je reprends mon équilibre, jauge un bon moment la petite dame qui avait une expression alarmée sur son visage. Doucement, le bout de femme commence à ressembler à ma nouvelle justicière.
Nos chères femmes de ménages, ces bonnes dames qui connaissaient chaque recoin de ce bâtiment, chaque visage qui dépasse le seuil de cet hôpital.
_ J' ai besoin de vous, madame, lui dis-je en prenant sa petite main tandis qu'elle me regardait, perplexe.
_ Je vais te montrer un visage et je vous prie de me dire tout ce que vous connaissez sur lui.
La bonne dame se pince la lippe inférieure, sceptique.
La pauvre, je l'avais prise au dépourvu. Hélas, c'était mon seul espoir et je n'allais pas la lâcher.
_ Regarde, je vérifie son badge puis reprends. Anaïs, c'est vraiment une question de vie ou de mort.
Bon j'abusais légèrement, toutefois, c'est réellement un meurtre que j'allais commettre si je ne retrouve pas Séraphin dans les heures qui suivent.
Elle ne me répond toujours pas, alors je fais sortir mon téléphone et lui montre le visage en plein écran. Je scrute minutieusement l'expression de son visage et en un bref moment, elle passe de l'appréhension à une sorte de curiosité.
_ C'est monsieur Saphir Lawrin, chuchote-t-elle telle une évidence.
Lawrin...
Son nom de famille me disait quelque chose, cependant je n'arrivais pas à trouver l'origine.
_ Qui est ?,demandai-je, à l'affut.
C'est à son tour de me dévisager lentement.
_ C'est un doctorant, il mène ses recherches dans les laboratoires de l'hôpital.
J'assimile doucement ces informations qui me giflèrent l'une après l'autre. J'ignorais comment je devrais réagir à la découverte de cette identité dont j'étais obsédée des années.
Mon séraphin n'a jamais été loin, il résidait pendant tout ce temps-là entre les quatre murs qui ont vu mes parents tracer leur chemin.
C'était trop pour Moi.
Ma pression artérielle chuta périlleusement et un vertige soudain s'empara de moi.
_ Mademoiselle, un verre d'eau ? me propose Anaïs, inquiète.
Je bouge négativement la tête et m'assois maladroitement sur une chaise derrière moi.
_ Où pourrais-je le trouver ?, la questionnai-je, les mains encore tremblotantes.
_ La plupart du temps, il passe ses nuits dans le laboratoire et ne le quitte qu'à l'aube.
C'était un rat des labos comme fut mon père et ma mère.
Je hoche la tête et la remercie solennellement avant d'envoyer un message à Isaac lui prévenant que je n'allais pas passer la nuit à la maison. Comme prévu, il m'envoie des dizaines de menaces et d'insulte que je laissai en remis. J'avais d'autres chats à fouetter pour le moment ou plutôt d'autres rats.
Nul besoin de demander où se trouvaient les laboratoires, je ne les connaissais que trop bien. Tandis que chaque personne normale passait son enfance à jouer aux poupées ou aux voitures, mes parents avaient décidé de me jeter dans l'univers de la chimie et biologie depuis mon plus jeune âge. Bien que l'accès aux laboratoires hospitaliers était et est toujours strictement interdit aux enfants, mon père trouvait toujours une façon de m'infilrer au sein de son atelier de science m'introduisant à chaque fois à un nouveau équipement de laboratoire.
L'admiration et l'enthousiasme qui embrasaient mon être à chaque fois que je montais au troisième étage de cet hôpital maudit se sont maintenant transformés en une profonde nostalgie. Les laboratoires, dans toutes leur splendeur se dévoilent à moi, là où la science et l'exploration se mariaient en harmonie. Les souvenirs imprégnaient chaque recoin de ses murs, les échos des rires de mes parents résonnèrent encore fort et intarissables. Je ne pouvais plus y entrer, ceux qui me cachaient derrière leurs tabliers blancs étaient maintenant six pieds sous terre.
Je m'adosse contre le mur froid et fermai doucement les yeux, visualisant mon père avec son bécher entre les mains et ma mère qui se lamentait de ses lunettes de sécurité qui lui serraient beaucoup trop le derrière des oreilles.
_Tu as confondu laboratoire et cimetière.
La voix glaciale me fit brusquement sursauter. Je me dépêche fissa d'effacer les larmes qui coulaient sur mon visage avant de refiler gauchement mon masque de garce.
Séraphin se dressa éhontément devant moi, une main fourrée sur son jean bleue et l'autre portant son badge.
Sa beauté m'ébranla encore or je me fis violence pour ne laisser montrer aucune trace d'intimidation. Je m'étais enfuie telle une gamine lorsqu'il a posé la main sur moi, j'avais déjà dépassé le taux d'humiliation admissible. Je me devais de reprendre mes esprits peu importe combien ses émeraudes m'enflammait.
_ Saphir.... Murmurai-je en me détachant du mur faisant un pas vers lui.
Je remarque que son prénom fructifié par ma langue ne le laissait guère indiffèrent. Un éclat de perplexité brilla intensément dans ses yeux de jade.
Je me permets de le scruter par tous les angles possibles maintenant qu'il s'est dévoilé à moi sous la lumière loin de l'obscurité nocturne dont il semblait tant fantasmer. Je découvrais cette créature qui m'a hanté, tourmenté et qui m'a aussi donné ce si mince de comprendre mon passé. Peu importe les mensonges qu'il comptait déblatérer, je savais que cette âme devant moi avait la clé unique de mon passé.
Son expression était neutre, il refusait de me sonder à son tour, ancrant ses yeux dans les miens comme s'il avait peur de se perdre.
_ Tu n'as rien à faire ici, Alora.
Je ris d'un rire jaune en arrachant mes yeux de son être pour les poser derrière lui, regardant de plus près ces fameux laboratoires.
_ Tu as raison Saphir, ma place est dans le cimetière où vous avez tous envoyé mes parents, sifflai-je en posant un doigt accusateur sur son abdomen.
Ses sourcils se froncèrent et l'incompréhension peigna ses traits.
Quel merveilleux acteur.
_Je ne sais pas de quoi tu parles et je manque fortement l'envie de savoir.
_Tu mens !
_D'accord je mens, c'est moi qui ai tué tes géniteurs mais chut c'est un secret ne le dis à personne.
Il se foutait de ma gueule le batard.
Il me détourne son dos et s'apprête à entrer au laboratoire. Je réagis promptement, encerclant son bras par ma main l'empêchant de me fuir à son tour. Encore une fois, son contacte me frigorifie jusqu'à la moelle épinière, des frissons à l'instar de flocons gelés s'infiltraient dans mes veines tel un venin.
Je n'étais pas la seule à être dévastée par l'union de nos peaux, sa peau nue contre ma main frissonna rapidement.
_ Séraphin, ne me fuis pas encore.
Je laissai mon cœur parlait cette fois-ci car il en avait marre d'être terré dans son mutisme, il fallait qu'il exprime son besoin, qu'il crie au visage de celui qui l'a tant tourmenté qu'il était en nécessité de cette vérité salvatrice qui pourrait lui offrir la paix...ou pas.
Son surnom provoque en lui une armada de sentiments qui s'enchevalèrent dans ses yeux tels des fils entremêlés me prouvant une nouvelle fois que je ne me trompais point sur son identité.
Il se balança soudainement vers la défensive et ôta brusquement son bras de ma main en me dévisageant comme si c'était la première fois qu'il me voyait.
_Tu me confonds avec quelqu'un, me répondit-il simplement.
Je m'esclaffe en passant une main tremblotante sur la touffe de cheveux, à peu ,de tirer sur ma chevelure lui montrant à quel point je pouvais être démente.
_Je te confonds ? Tu penses aussi que je suis folle, que j'hallucine ? Ah, peut être que ce n'est pas le cimetière où il faut que j'y aille mais le département psychiatrique ! Mais allez tous vous faire foutre bande de menteurs et de meurtriers ! criai-je en pleine gorge.
Très vide un régiment de sécurité débarqua, alarmés par mes abois. Saphir jura sous sa barbe puis cacha presto son courroux par un visage pacifique et professionnel avec lequel il confronta la sécurité contrairement à moi qui bouillonnait encore de rage.
Un des gardes tenta de m'attraper le bras mais fut très vite arrêter par Saphir qui se met entre nous.
_Vous ne la touchez pas, déclame-t-il d'une voix tellement calme et froide qu'elle givra tout de suite le gaillard.
Bien que l'autorité de Saphir fût flagrante sur eux, le garde ne céda pas tout suite affichant une mine sceptique tout en gardant une œillade menaçante sur moi comme si j'étais un animal en rage qu'on devrait apprivoiser.
_Elle vient de perdre ses parents, elle est en état de choc et surtout inoffensive. Vous pouvez dispensez, continue-il d'un ton intransigeant.
Il manie l'art du mensonge avec une telle subtilité que j'en viens même de l'admirer.
Les gardes obéirent finalement non sans me lancer des regards dubitatifs qui me donnent envie de me transformer réellement en animal en rage prêt à enfoncer ses crocs dans leurs testicules.
Saphir n'ajouta plus aucun moi. Horriblement silencieux, il mit son badge sur le lecteur et la porte du laboratoire s'ouvra majestueusement.
_Entre.
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