Chapitre 1 :
Sillonner les États-Unis, puis brûler un cadavre, un objet précieux, des souvenirs, pour abattre à la racine le mal qui ronge et qui tue. User les pneus de l'impala 67 contre l'asphalte grise des routes américaines, Sam à la place du mort, mais vivant à tout prix. Dévorer des burgers, boire des bières à toutes heures, séduire des célibataires esseulées, puis brûler des cadavres encore, voilà le quotidien habituel des Wincester. On soulève une pierre et on trouve un fantôme, on fouille buisson, un wendigo en sort, en un tour à la morgue, on liste les morsures de vampires et les repas de loups-garous. C'était la vie de Dean jusqu'au mois dernier, jusqu'à ce que lui et Sam surnomment désormais "Le Trou".
L'aîné Wincester descend les marches du perron fleuri de la vieille Gardiner, les mains enfoncées dans les poches de son trench-coat d'agent spécial du dimanche. Le mois d'octobre lui semble plus rude que celui de l'année passée.
Après avoir chassé toute sa vie, Dean flaire le paranormal de loin. Sa rigueur professionnelle l'oblige à explorer de prime abord les pistes rationnelles, mais il ressent un frisson particulier, une ambiance que les bêtes du Purgatoire et de l'Enfer traînent dans leur sillage comme un parfum fétide. Là, rien. Il devine l'air de chien battu qu'aura Castiel en lui annonçant pour la douzième fois qu'ils ont croisé la route d'un monstre humain, et pas d'un monstre Monstre.
Dean soupire. Il ne s'explique pas tout à fait bien sa morosité. L'absence de monstres est une bonne nouvelle. Sinon, il n'aurait pas dédié sa vie à lutter contre eux. Les trois premières affaires, il a été satisfait de s'être trompé, c'était bon signe, puis la lassitude s'est installée. L'ennui. Il se sent comme un psychologue dans un monde où chacun aurait fait sa thérapie. L'impression d'être inutile le ronge, et il a envie d'une bière.
L'Impala souligne la courbe du Soleil avec grâce, impeccablement propre. Les vieilles suspensions grincent quand Dean s'installe derrière le volant. Il faudra vérifier tout ça. D'un œil distrait, il inspecte son bébé, essuie du bout du pouce une trace égarée sur le tableau de bord, se jure encore une fois de mourir avec cette caisse, et met le contact. Castiel s'assoie sur le siège passager avec son air de chien que Dean avait anticipé.
— Alors ? demande-t-il d'un air désabusé.
— Madame Gardiner a empoisonné son mari, soupire son ami. Il n'y a rien de bizarre.
— Mmh... Je suis bien content d'avoir refusé cette part de tarte.
Dean tente de masquer sa déception à l'ange. Castiel l'a vu dans les pires états, furieux, démoniaque même, transportant le Mal originel, mais ce n'était jamais sa faute, alors il pouvait vivre avec ces poids. Là, il se trouve puéril, à presque souhaiter que les embûches se sèment sur leur chemin. Il n'a jamais joui de l'oisiveté d'une vie tranquille, et il se demande en quoi cela peut bien consister, quand on n'a ni femme, ni enfants, ni métier stable.
S'ils ne parviennent pas à mettre la main sur le moindre dossier, Dean est forcé d'admettre que l'idée de Sam se révèle d'une redoutable efficacité. Il siphonne les faits divers en quête d'un incident étrange, et Dean et Castiel vont vérifier sur place. Dans la dernière partie du plan, ils retournent chercher Sam, puis ils bottent le cul du méchant tous ensemble. Les pouvoirs d'ange de Castiel, et notamment son don de télépathie, n'ont jamais été aussi utiles aux yeux de Dean. Seulement, ils ne sont jamais arrivés au bout de leur projet.
— Je suis désolé, Dean. Je ne comprends pas pourquoi nous ne trouvons rien, murmure Castiel. Je devine que tu es déçu.
Dean claque sa langue contre son palais, gêné d'être un livre ouvert pour Castiel, malgré ses efforts pour faire bonne figure. Il se détend, néanmoins. La voix de son ami a toujours eu le don de l'apaiser. Il ne sait pas si c'est l'effet naturel du véhicule qu'utilise Castiel, ou sa partie angélique. Ses congénères ont plutôt tendance à lui glacer le sang. Castiel aussi lui faisait peur, au départ, à l'époque où il débarquait du Paradis avec une grande mission et aucune compassion. Un Terminator brun en imperméable, aux yeux vides, mais d'un bleu irréel, sublime. Maintenant, il est content d'avoir son ami à ses côtés plus de trois jours d'affilée. Ça aussi, ça change.
— Je commence à m'impatienter. Ça fait quoi, vingt ans que je fais ce métier, et je n'ai jamais vu ça. Tu te rends compte ?
Castiel hausse les épaules.
— Une période de pause, ce n'est pas si mal, tu ne crois pas ? C'est peut-être, je ne sais pas, un cadeau de Dieu ?
— Tu parles, pouffe Dean. Ça fait deux mille ans que cet empoté n'a pas daigné accomplir de miracle pour qui que ce soit. Il n'y a pas de raison que ça change maintenant.
— Il pourrait se montrer reconnaissant de tout ce que vous avez fait pour Lui.
— Tu sais aussi bien que moi que Dieu ne fait pas dans la reconnaissance, et qu'il n'est même pas aux commandes, mais en vadrouille sur je ne sais quelle planète à l'autre bout de l'univers.
Castiel soupire, contemple les arbres qui jaunissent par la fenêtre. Il n'a toujours pas bien compris ce système de saisons que son Père a mis en place, et pourquoi elles se manifestent avec autant de violence à certains endroits, ni à quoi elles servent, concrètement, à part à diversifier les fruits. La Création ne l'a jamais autant émerveillé que depuis qu'il a rencontré les Wincester. Ces deux frères ont chamboulé une vie qu'il imaginait éternelle et inébranlable, et à laquelle il n'avait d'ailleurs jamais songé comme à une chose qui lui appartenait. Avant, Castiel ne s'arrêtait pour admirer l'œuvre de Dieu, ni pour se questionner sur ses propres émotions. Jusqu'à Dean et Sam, Castiel descendait sur Terre pour régler des problèmes, puis il remontait chez lui. Jusqu'à Dean et Sam, Castiel ne se posait pas la question de ce qu'il ressentait, ni du bien fondé des ordres qu'il recevait, ni même de leur provenance. Il était un soldat du Seigneur, un brillant Seraphim. Voilà. C'était déjà pas mal. Jusqu'à Dean, c'était pas mal.
— Il faut qu'on s'arrête à la prochaine ville, reprend Dean. J'ai lu sur Google des avis sur un pub qui fait les meilleurs Mac & Cheese de la région.
— Je croyais que tu préférais les tartes et les burgers, répond Castiel, un peu surpris.
— Oui, c'est clair, mais le meilleur Mac & Cheese, c'est quelque chose qui se goûte. Par exemple, j'ai toujours détesté les rognons, mais les meilleurs rognons, je les goûterais. On ne passe pas à côté de la meilleure version de quelque chose.
Il lui jette l'un de ces sourires charmeurs dont il a le secret. Dean est d'une remarquable beauté, avec sa coupe des années 90 et sa mâchoire carrée. Il a une belle ligne d'épaules, une tenue fière, parce qu'il est convaincu d'être petit à côté de son frère. Il se grandit avec des bottines en cuir et de vieilles vestes de motard. Castiel lui a toujours trouvé le charme particulier d'un éternel enfant têtu, un gentil cancre de fond de classe au grand cœur, qui plongerait jusqu'en Enfer pour retrouver ceux qu'il aime. Littéralement.
— Tu troquerais l'Impala contre la meilleure Toyota ? lui lance Castiel, juste pour le plaisir de le regarder s'agacer.
— Laisse Bébé en dehors de ça ! Et depuis quand tu sais ce que c'est qu'une Toyota ?
— Je me suis bien immergé dans la culture de cette époque, disons…
— Ouais, bah je préfère que tu oublies cette marque, et toutes les autres marques qui ne sont pas Chevrolet, d'ailleurs. Il n'y a que l'Impala.
— Je ne peux pas faire ça, Dean.
— Eh beh c'est dommage.
Dans le pub, Castiel regarde Dean s'oublier dans son Mac and Cheese, toujours interloqué par ce spectacle. Son ami gémit de bonheur, du fromage lui dégoulinant des lèvres. Castiel, lui, a pris une limonade pour faire bien, car il a compris que les restaurateurs n'aiment pas les clients qui prennent des tables sans rien consommer, mais il peine à manger. Ça ne lui sert à rien, et en tant qu'ange, ce n'est pas intéressant. Puis manger oblige fatalement le véhicule à évacuer. Cela semble à l'ange une effroyable perte de temps. Il essuierait bien le fromage qui tache le beau visage de Dean, ceci dit.
— Tu veux goûter ? lui propose Dean en lui tendant le plat.
— Je risque de ne pas beaucoup en profiter. Pour moi, c'est un plat de gras et de gluten à plus de mille kilos calories la portion.
— Arrête de dégoûter les gens et essaye, ça me fait plaisir.
Dean lui tend sa fourchette, et Castiel songe à la traînée de salive qu'il y a laissée avant de se saisir du couvert. Il n'y a encore pas si longtemps, ce genre de détails ne lui procurait aucun effet. C'étaient des cellules parmi d'autres, et il était le seul à les voir, mais depuis plusieurs mois, un bourdonnement particulier l'étreint au contact de son ami.
— Si ça te fait plaisir, je vais goûter ton Mac and Cheese.
Dean sourit de contentement en voyant son ami piquer les pâtes dans son plat. Sam n'accepterait jamais de faire ce genre d'écarts, avec son intolérance au lactose et sa tendance à grossir pour un oui ou pour un non. Il l'aurait fusillé du regard en gobant une salade. Mais Castiel est un compagnon moins rabat-joie. Il le laisse boire de l'alool avant midi, manger n'importe quoi et écouter la musique trop fort. Parfois il se contente de lui signaler qu'il atteint un seuil critique pour son audition, mais il suffit à Castiel de le toucher pour lui enlever ses acouphènes, alors pourquoi s'en faire ?
L'ange l'imite en fourant une bouchée un peu trop grosse dans sa bouche, l'air concentré. Dean sourit. Ce mec est adorable. Il a le caractère qu'il aurait natutellement attribué aux anges, s'il n'en avait pas rencontré et découvert qu'ils n'étaient pas des êtres de douceur et de compassion, mais des combattants sans âme. Castiel est différent, plus torturé, plus gentil, plus humain, en somme. Aux yeux de Dean, il est le meilleur ami dont on puisse rêver, même s'il disparaît sans donner de nouvelles à sa convenance.
— Alors ? demande-t-il avec impatience.
— Alors, ça a le goût de molécules, comme je l'avais imaginé.
Et comme il constate que Dean est un peu déçu, Castiel s'empresse d'ajouter :
— Mais de bonnes molécules ! Les molécules de gras sont un peu différentes des autres, plus moelleuses..., improvise-t-il avec empressement. Si j'avais été humain, je suis certain que j'aurais adoré.
De toutes les leçons que Castiel a apprises au cours de son voyage sur Terre, le mensonge est l'une des plus précieuses. La vérité n'est pas toujours la bonne solution, et mentir peut être bénéfique. Quand l'ange voit le sourire satisfait de Dean, il sait qu'il a bien agi, et son cœur se réchauffe.
S'il tentait d'expliquer à son ami la manière dont il perçoit le monde, Dean ne comprendrait pas. Il pourrait lui dire que l'univers lui paraît comme une multitude de couleurs ; que l'âme des hommes se superpose à leur corps, à travers ses yeux ; qu'il peut regarder et toucher les odeurs, connaître le parfum des sons, sentir les émotions des autres lui caresser la peau ; mais ce serait trop peu. Il pourrait dire que la réalité est plate d'un certain angle, et divisée en d'innombrables dimensions d'un autre, qu'on pourra la résumer en formules mathématiques quand l'humanité en aura les moyens. Il pourrait dire que le temps n'existe plus dès qu'il franchit les portes du Ciel, qu'il peut percer l'intangible comme un stylo transperce une feuille ; que suivre Dean lui demanderait un effort considérable, s'il n'avait pas de véhicule, car son ami ne serait plus qu'un point parmi les points ; et qu'il s'accommode à l'inconfort de son corps d'emprunt pour rester auprès de lui. Il pourrait tenter d'expliquer tout cela, mais il voit déjà son compagnon bâiller d'ennui, et lui répondre une boutade bien sentie que Castiel saisirait à moitié. Il soupire. Son expérience humaine lui manque, elle avait une saveur qui se noie dans le Tout de son quotidien angélique.
— Castiel ?
— Heu... Oui ?
— Waouh, le Mac & Cheese a eu plus d'effet sur toi que je l'aurais cru. Il faut que tu arrêtes de m'admirer comme ça. Même pour moi, ça devient gênant ! Et bois ta limonade avant qu'elle refroidisse.
— C'est une boisson glacée... réplique Castiel, avant d'exécuter l'ordre, vaguement mal à l'aise.
Dean étouffe un rire et le détaille avec tendresse. Il ne changerait Castiel pour rien au monde. Il lui semble qu'il est l'être le plus doux et le plus candide de l'univers. A travers les stores du pub, Dean contemple le ciel gris. Cette période est trop calme.
— Et si cette absence de paranormal couvait quelque chose ? Si ça se trouve, les Monstres sont en train de préparer un plan…
— Dean…
— Quoi ?
— Je comprends que ce soit difficile pour toi de te reposer. Tu as toujours vécu dans l'angoisse de quelque chose, alors ce calme peut te sembler troublant, mais parfois, la vie est simple. J'ai vu s'enchaîner des centaines d'années durant lesquelles il ne s'est rien passé de spécial. Tu devrais profiter de cette période pour essayer quelque chose que tu as toujours voulu faire.
— J'ai l'impression d'avoir fait tout ce que je voulais. J'ai fait la fête à ne plus en pouvoir, les trucs un peu fous, c'est mon quotidien, les voyages aussi, même s'ils se bordent aux bourgades américaines, je trouve une fille dès que j'en ai envie, j'ai même fait des plans à plusieurs…
— Des plans à plusieurs ? répète Castiel d'un ton hébété.
Un sourire narquois se dessine sur les lèvres de Dean. Il repousse son plat vide, et comme Castiel n'avance pas beaucoup sur la limonade, il en siffle une gorgée au passage avec un air de conspirateur, puis il lance :
— Toi, mon pote, tu n'as pas suffisamment regardé de films pornos.
— J'ai regardé la vidéo du plombier, celle dans le bar, et l'autre dans un parc, comme tu me l'as recommandé, mais je n'aime pas trop ces émissions. Le jeu d'acteur n'est pas très bon, et ils passent quand même beaucoup de temps à avoir des rapports sexuels. On perd le fil de l'histoire.
— Ce n'est pas pour le jeu d'acteur qu'on consomme ce genre de médias, Castiel.
— Pourquoi vous les consommez, alors ?
Dean réfléchit, embarrassé par le sujet qu'il a lui-même lancé, puis il explique simplement :
— Parce que c'est excitant et que ça stimule pour une séance de plaisir en solitaire.
De l'autre côté de la table, l'ange le détaille très sérieusement, l'air de méditer sur de saintes paroles. Il demande enfin, d'un ton grave :
— Tous les humains s'excitent en regardant les autres simuler des actes de reproduction ?
La serveuse qui passait récupérer leurs plats poursuit finalement son chemin. Dean éclate de rire, fouille ses poches en quête de liquide pour payer son fabuleux Mac & Cheese, et tend la limonade à Castiel :
— Tu as l'intention de terminer ça ?
Castiel regarde les résidus de salive de Dean qui ornent sa paille. Son ami ne peut pas les voir, comme il ne voyait pas ceux sur la fourchette. Il lui semble en tirer un plaisir inconvenant, alors il secoue la tête :
— Non, tu peux finir. Je n'aime pas être obligé de faire pipi.
Dean hoche la tête, manifestement convaincu, termine la boisson, étouffe un rot bruyant avant d'aller régler l'addition au comptoir. Il récupère sans difficulté le numéro de la serveuse au passage, et quitte le pub, satisfait.
Une fois dans la voiture, Castiel contemple le bout de papier plié sur le tableau de bord, gravé au stylo du numéro de téléphone de la serveuse. Il se sent nerveux.
— Pourquoi as-tu pris le numéro de cette jeune femme ? Elle vit loin du bunker. Tu comptes revenir pour la voir ?
Dean ricane, contemple le morceau de papier comme un trophé :
— J'avais envie de me prouver que j'étais encore dans le coup, puis j'ai lavé ton honneur, souffle-t-il en lui faisant un clin d'œil. Et non, je ne retournerai pas ici pour elle, je n'ai plus vingt ans, et elle n'est pas si jolie.
Le ventre de Castiel s'est gonflé de chaleur au clin d'œil que Dean lui a adressé. Ces symptômes étranges qu'il a remarqué depuis un moment semblent s'intensifier. Il décide de ne rien dire à Dean, histoire de ne pas l'inquiéter inutilement. Avec l'état dans lequel il est, il lui bondirait dessus pour l'exorciser. Mais voilà, Castiel a souvent chaud quand il croise le regard de son ami. Il sent son corps gronder comme l'orage à son contact. Il aime leur proximité quand ils se battent pour s'entraîner, surtout quand Dean lui tombe dessus et éclate de rire. Ce n'est pas pareil avec Sam. Il a remarqué quelques fois les mêmes effets sur le corps de Dean, comme ses mains ont été moites un soir, après qu'ils aient beaucoup bu et qu'ils se soient parlé un peu trop proche. Dean lui avait dit une énième fois qu'il l'aimait, que Castiel faisait partie de la famille, pour lui, et l'ange adorait l'entendre dévoiler ses sentiments. La famille céleste qu'il avait toujours connue ressemblait plutôt à un camp militaire. Il appréciait le côté farceur de Gabriel, mais les autres suscitaient en lui une admiration mêlée de terreur. Castiel ne connaît pas de mot humain approprié pour décrire ce qu'il ressentait vis-à-vis d'eux. Les familles humaines ne fonctionnent pas de la même façon.
— A quoi tu penses ? demande Dean, coupant Castiel dans sa reflexion. Ça doit faire une heure que tu n'as pas décroché un mot.
— Je pense que je suis heureux d'être ici avec toi, murmure l'ange avec un sourire.
Les joues de Dean se colorent légèrement. Voir l'effet que ses mots provoquent à son compagnon font comme une décharge d'électricité dans l'estomac de Castiel. Il gigote pour se défaire de la sensation trop intense, puis sort son smartphone pour taper ses symptômes sur son navigateur. Il a vu Sam en faire autant, un jour qu'il avait un rhume. Castiel lui avait appuyé sur le front et désintégré le virus avant qu'il puisse nuire, puis il lui avait longuement expliqué que les gens mouraient parfois pour moins que cela, avant.
Internet lui annonce une gastro, mais la maladie, en plus de ne devoir durer que deux ou trois jours, semble pénible. Il reconnaît néanmoins la fièvre, les sueurs, les maux d'estomac, mais tout cela ne lui fait pas mal. C'est presque agréable. Et puis il ne voit pas comment un ange pourrait attraper la gastro.
— Tu es malade ? souffle Dean par-dessus son épaule.
Castiel sursaute et coupe prestement son téléphone, manque de le faire tomber dans la panique, puis jette à son ami un regard assassin.
— Mais comment peux-tu regarder la route et lire sur mon écran en même temps ?
— Des années d'entraînement ! réplique Dean avec fierté. Sam fait tout le temps ce genre de choses quand je conduis... Tu ne m'as pas répondu. Tu es malade ?
Soudain très gêné d'avoir cette discussion avec Dean, sans toutefois s'expliquer pourquoi, Castiel détourne son visage vers sa fenêtre pour en masquer les rougeurs. Les symptômes redoublent, mais il n'a pas envie de vomir pour autant. Ce n'est pas une gastro. C'est plus important.
— Oui, non, je ne sais pas. Je ressens des choses étranges, en ce moment. Je souffre peut-être d'une espèce de mal humain, ou quelque chose du genre.
— Un mal humain ?
— Oui... Je me dis qu'en passant autant de temps sur Terre, et avec vous, je ressens peut-être un mal du pays de type angélique.
Dean réfléchit un instant avant de lancer :
— Comme un mal du Paradis ?
— Voilà.
— Ça existe ?
Castiel hausse les épaules. Il n'a pas envie d'avoir cette discussion avec Dean. Il n'avait pourtant jamais été embarrassé par lui jusqu'à présent. Il lui semblait qu'il pouvait tout lui dire, que son compagnon ne le jugerait pas, qu'il rirait un peu à la rigueur, mais même cette façon de s'amuser de tout, Castiel l'aime bien. Pourquoi ne peut-il pas lui faire part de ses symptomes ?
— Bon, et qu'est-ce qui t'arrive exactement ? reprend Dean, remarquant l'attitude peu loquace de Castiel.
— Je... mmmh... J'ai une espèce de vibration dans le ventre, comme si des abeilles avaient construit une ruche à l'intérieur de moi. Parfois, j'ai chaud, et je ne comprends pas pourquoi. Il y a des moments où je me sens bouillonnant. Pourtant, je n'ai pas de fièvre, je ne peux pas attraper de virus, alors je me dis que mon mal est peut-être d'ordre psychologique.
— C'est curieux, ce que tu me racontes, Castiel.
L'ange évite soigneusement d'avouer à son ami qu'en plus de tout cela, il pense à Dean à chaque minute où il n'est plus là, et qu'il ne se sent soulagé qu'en sa présence, tant qu'il reste à bonne distance et qu'il n'essaye pas de le faire manger avec ses couverts, du moins.
— Ça a commencé il y a combien de temps ? poursuit Dean.
— Ça s'est intensifié depuis quelques mois, mais j'ai l'impression que c'est là depuis des années.
— Et est-ce que, par hasard, ça se manifeste en présence d'une personne en particulier ?
Le cœur de Castiel bondit dans sa poitrine. Il a l'impression que le sang de son véhicule se vide de son crâne. Il voudrait pouvoir disparaître à cet instant précis, se volatiliser comme du temps où il avait des ailes, mais le voilà coincé dans cette prison de chair qui lui fait sentir des choses étranges.
— Comment... comment l'as-tu deviné ? bafouille l'ange.
— Je l'ai deviné parce que tu n'es pas malade, Castiel. Tu es amoureux.
Nouvelle chaleur, au niveau du cœur, cette fois-ci. La nouvelle résonne en Castiel comme une profonde vérité. Pourtant, cela lui semble absurde. Ce sont les humains qui se sentent amoureux. Les anges peuvent aimer mais ils ne sont pas programmés pour aimer autre chose que Dieu, et les Hommes éventuellement, mais au sens large du terme.
— Je ne peux pas... Ce n'est pas possible que je sois amoureux. Je ne sens rien comme les humains... Je n'expérimente pas la vie au même niveau que toi. Pour moi, tout ceci est une sorte de grande simulation.
— Oui, c'est ça, Morpheus ! Laisse les cuillères tranquilles et écoute-moi deux minutes. On est tous passés par là, Sam, moi, même ce salopard de Crowley du temps où il était vivant. On n'échappe pas à l'amour. Alors peut-être que c'est plus naturel pour les anges que tu le crois, ou alors c'est le fait d'avoir passé autant de temps dans ce corps et auprès de nous, mais tout ce que je peux te dire, c'est que tu as un sérieux béguin.
— Un béguin, répète Castiel comme un mot secret lui ouvrant les portes d'un nouveau monde.
Maintenant qu'il fait le lien entre les émotions qui l'étreignent et les histoires que les hommes se racontent depuis l'origine du monde, les mots de Dean lui semblent être la logique même. Castiel n'éprouve pas envers Dean l'amour que Dieu éprouve envers sa Création, comme il se l'était imaginé. Il en est amoureux, d'un amour qui s'est construit à l'ombre de sa conscience, tout au long des années qu'ils ont partagées, entretenu dans le jardin de ses désirs cachés, et exposé soudain à la lumière du jour. Castiel aime Dean, pas comme un père aime son enfant, mais comme un amant. Voilà pourquoi il apprécie tant lui taper dans les abdos ; pourquoi il adore sentir leurs peaux s'effleurer par accident ; pourquoi il aime évoquer les souvenirs de leur proximité, sa façon douce de le regarder, de chahuter avec lui, de lui dire qu'il est important. Voilà pourquoi c'est lui qui s'impose fatalement à son esprit, quand le véhicule est pris de ces érections involontaires qu'il se plaît de plus en plus à soulager.
— Tu as peut-être raison, murmure-t-il simplement au bout de sa longue réalisation.
Dean fait un joli bruit de satisfaction, mais à la surprise de Castiel, il ne le tanne pas de questions. L'ange hésite un peu, de crainte de dévoiler son affection. Il ne voudrait pas que le comportement de Dean change vis-à-vis de lui. Il pressent que ce genre d'informations peut faire basculer une relation de manière irréversible. Il demande simplement :
— Est-ce que le désir sexuel vient naturellement avec l'amour ?
— Un peu, mon neveu. Et je vais même te dire, la ruche dans ton estomac, c'est ton désir qui se manifeste.
Castiel pose les mains sur son ventre comme une femme enceinte. Quelle étrange machine que le corps humain, songe-t-il. Les ondes qui traversent l'univers se manifestent en sensations méconnaissables. Il aurait imaginé le désir comme un frétillement sur la peau, et pas comme un feu qui dévore les entrailles.
Sur le siège conducteur, Dean ne tient plus en place. Castiel amoureux est une idée qui lui plaît, surtout que son ami semble particulièrement tourmenté. Il ignore son pincement au cœur. Pourquoi serait-il déçu ? Castiel ne lui appartient pas. Il appréciait seulement l'idée d'avoir un ange comme ami, qui l'aide au quotidien et auquel il apprend la vie. L'arrivée d'une tierce personne dans leur petit équilibre paraît inévitable et naturel, mais il se sent déçu. Il songe au jour où Sam a annoncé partir faire ses études à Stanford. Ce même élan de possessivité l'avait saisi, mais c'était différent, bizarrement moins personnel. Il se rend compte qu'il considérait sa relation avec Castiel autrement, plus intime et privilégiée. Comme le silence devient embarrassant, il reprend, incertain :
— Alors, qui est l'élue de ton cœur ? Un autre ange ? Une humaine ?
— Heu..., bafouille Castiel en rougissant. C'est-à-dire que ce n'est pas très clair…
— Comment ça, pas clair ?
— Eh bien... Je ne sais pas... Je pense que je suis un peu confus.
Dean, remarquant la teinte écarlate de son ami, fronce les sourcils, puis décélère légèrement le rythme effréné de l'Impala. Il leur reste une vingtaine de minutes avant d'arriver, et il a bien l'intention de lui tirer les vers du nez avant leur retour au bunker.
— Comment ça confus ?
— Je n'ai pas tellement l'habitude d'être humain aussi longtemps, alors je pense qu'il y a peut-être des sentiments forts que je confons avec le fait d'être amoureux..., improvise l'ange, en panique.
— Castiel…
— Oui ?
— Est-ce qu'il s'agit par hasard de quelqu'un que je connais ?
Le silence de l'ange sonne aux oreilles de Dean comme une affirmation. En proie à des spéculations, il constate le peu de filles présentes dans leur entourage. Il pourrait s'agir de Jodie, ou alors de cette conne de Rowena. Il n'ose pas s'imaginer que ça puisse être leur mère, à lui et Sam. L'idée lui retourne l'estomac. C'est pourtant le plus probable.
— Tu sais, Castiel. Tu es mon ami et je peux tout entendre, je ne te jugerai pas. Et puis, tu as raison, dans toutes ces expériences que tu vis, tu peux confondre certaines choses et te sentir perdu...
Castiel donnerait n'importe quoi pour se dissoudre de la surface de la Terre à cet instant précis. Il lui semble que Dean a compris qu'il s'agissait de lui, et l'ange ne saisit pas comment il peut être si perspicace.
— Dean, je ne suis pas sûr de vouloir avoir cette conversation maintenant.
Dean tente d'étouffer son soupir de soulagement. La tension entre eux a subitement grimpé, et il ne se sent pas prêt à entendre Castiel lui dire qu'il désire devenir son beau-père. Feignant la déception, il réplique d'un ton résolu :
— Je comprends et je le respecte, mais il faudra bien que tu m'en parles à un moment, tu le sais, n'est-ce pas ?
— Je sais... souffle Castiel en réponse. Je sais.
*********
Bon bah les amis, c'est le retour, enfin je crois. J'ai commencé la série Supernatural il y a quelques temps, et j'adore les personnages et leur évolution. Bref, vous connaissez la chanson, il y a ce ship qui traine, à moitié officiel, et je ne pouvais pas ne pas écrire dessus. Je ne sais pas si j'ai encore des lecteurs, je ne sais pas si quelqu'un parmi vous a déjà vu cette série un peu ancienne, mais ça me fait plaisir de l'écrire alors...
A très vite !
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top