13ᵉ vol

🏙️

  

Je n'ose pas rentrer.

J'ai deux gros sacs dans chaque main, qui commencent à peser leurs poids, mais la boule d'angoisse bloquée dans mon estomac refuse de me faire avancer.

C'est ridicule, je me stresse tout seul.

  

_ Non, s'il te plaît, écoute-moi ! s'écrie désespérée la voix d'une femme. Je n'en peux plus, je tourne en rond à la maison, je deviens folle sans toi !

Qu'est-ce que c'est que ce bordel ?

Je dépose discrètement les sacs dans le couloir de l'entrée, retire mes chaussures, et attends sagement de comprendre un peu mieux la situation.

_ Je ne suis presque jamais à la maison, tu devrais avoir l'habitude, non ? claque d'une voix ferme et triste Hyunwoo.

Le dos collé au mur, j'écoute la suite de la conversation.

C'est mal, je sais, mais je ne veux pas gâcher ce moment.

Je crois que c'est sa femme qui est là. Et il semble ne pas être très heureux de ce constat.

Inconsciemment, cette situation me plaît.

Inconsciemment, j'aimerais entendre quelque chose de positif.


Mais positif pour qui ?

_ Hyunwoo, ne soit pas comme ça, s'il te plaît, dit-elle, blessée. Je-Je regrette beaucoup, vraiment.

_ Je me doute que tu regrettes, mais ce n'est pas de regrets ni d'excuses dont j'ai besoin. Tu m'as trompé. Je n'ai plus confiance en toi, souffle-t-il, douloureusement. Et puis-

_ Quoi ? Vas-y, dis-le, claque-t-elle, la voix tremblante.

_ Je me suis rendu compte que durant ces dernières années, je n'étais pas aussi heureux que j'aie pu le croire, avoue-t-il, comme un véritable coup de couteau.

_ P-pardon ?

_ J'ai toujours vécu pour les autres Soojung ! crie-t-il, pour la première fois depuis sans doute des années. Toute ma vie, sans exception.

  

Sa voix paraît si éteinte, si triste, si désespérée, si angoissée, si pitoyable.

Mon coeur me fait bien plus souffrir que les secondes précédentes, lorsque je remettais ma propre vie en question.

  

_ J'ai toujours fait en sorte d'avoir de bonnes notes à l'école, pour que mes parents soient heureux, continue-t-il, certainement debout face à elle.

  

J'aimerais pencher la tête et voir si j'ai raison, mais ma discrétion légendaire me force à résister.

   

_ Je me suis trouvé une jolie et gentille femme, assez rapidement, pour pouvoir les rendre encore plus heureux, et ainsi pouvoir leur donner l'assurance d'avoir un fils épanoui, ainsi qu'un petit-fils ou une petite-fille assez tôt, pour qu'ils puissent en profiter. Je leur devais de leur offrir un mariage réussi, confie-t-il, prenant enfin conscience de tout ce qu'il a raté dans sa vie, à cause de cette manière traditionnelle qu'il avait de vivre. Et toi, souffle-t-il ensuite, d'une voix chaleureuse et attendrie. Tu étais si douce, et si gentille. Tu méritais d'être heureuse et choyée, alors c'est ce que j'ai fait, durant huit ans de ma vie.

_ Arrête, s'il te plaît, chouine-t-elle, les larmes inondant certainement ses petites joues que je lui imagine rebondie.

_ J'ai tout fait pour honorer ma promesse, dit-il, le coeur douloureux. Je ne faisais attention qu'à toi, j'ai trouvé un travail qui paye bien, je voulais que tu vives dans les meilleures conditions possibles. Je ne voulais pas que tu sois cantonnée à faire les poussières et la vaisselle d'un petit appartement en dehors de la capitale, il en était hors de question. Je voulais te voir sourire, à chaque minute de ta vie. Je t'offrais de jolies choses, te câlinais, faisais attention à ne faire aucun faux pas pour ne pas te rendre triste. J'ai tout fait pour toi, et aujourd'hui, je me rends compte que jamais rien n'a été fait pour moi. Parce que jusqu'à aujourd'hui, je ne pensais pas être important, je ne pensais pas que mon avis importait. Seul le bonheur des autres l'était. Mais maintenant, c'est fini, reprend-il, plus confiant et ferme, je ne veux plus de ça. Je veux me sentir libre, et je veux prendre soin de moi. Pour une fois, depuis vingt-huit ans, j'ai envie de faire les choses comme moi je l'entends, faire des choses qui me rendent heureux moi, et non les autres. Je suis désolé, soupire-t-il ensuite, d'une voix fragile. À toi, comme à mes parents. Je suis désolé, vraiment. Mais j'ai envie de changer de vie, j'ai envie de profiter de la vie qu'on m'a offert. Je veux apprendre à m'aimer, et à me choyer moi-même, comme personne ne l'a encore jamais fait.

_ Si tu voulais faire des choses, des choses qui te plaisent, il fallait me le dire ! hurle-t-elle, ne sachant quoi dire d'autres. On aurait fait tout ça ! Regarder tes films préférés, voyager là où tu le voulais, faire les choses comme toi tu l'entendais. Tu as toujours eu ton mot à dire, pourquoi tu n'as jamais rien dit ?

_ Je te l'ai déjà expliqué, je ne savais pas que j'étais important, souffle-t-il, calmement. Ne rends pas les choses plus difficiles, s'il te plaît. Je sais que tu t'en veux, et ça me tue de devoir te faire souffrir, c'est tout ce que j'ai toujours voulu éviter. Mais j'ai ouvert les yeux, enfin, et je ne veux plus de tout ça, confie-t-il, assuré. Je n'avais pas à dire tout ça Soojung. Tu aurais dû me demander ce que je voulais voir à la télé de temps en temps, tu aurais dû faire les choses de toi-même, comme moi je l'ai toujours fait pour toi. Ne me fais pas passer pour le méchant, d'accord ? Je me sens déjà assez comme tel, alors s'il te plaît, n'en rajoute pas.

_ Tu rejettes toute la faute sur moi, alors que tu es aussi responsable. Réfléchi encore, d'accord ? tente-t-elle, réellement désespérée. Il reste une semaine, je n'aurais pas dû venir, je regrette. Oublie cette conversation. On peut encore tout changer, je ferai attention à toi, je te le promets, on fera tout ce que tu veux !

_ S'il te plaît, souffle-t-il, à bout de forces.

_ Tu ne peux pas me faire ça Hyunwoo, non, tu ne peux pas, on devait fonder une famille ensemble Hyunwoo ! Réfléchi bien ! Tu vas le regretter sinon, insiste-t-elle, essayant de le culpabiliser.

Je dois intervenir.

Il ne sait plus quoi faire pour que ça s'arrête. Je ne peux pas le laisser comme ça, il a besoin de moi.

  

Les sacs à nouveau dans les mains, je m'avance.

_ Je suis rentré ! dis-je, enjoué. Oh, pardon.

Ils se retournent vers moi, tous deux surprit.

J'avais tort. Elle n'a pas de jolies joues rebondies.

Non.

Mais elle est si belle.

Idéale pour Hyunwoo.

Ils sont assortis à merveille.

Et ça fait mal.

Son maquillage a coulé et lui donne une mine affreuse, même si ça n'enlève pas de sa beauté.

Elle récolte ce qu'elle a semé, néanmoins, je ne peux m'empêcher d'avoir mal au coeur pour elle.

Mais voir le visage en pleurs de Hyunwoo est bien pire encore. Oui, bien, bien pire.

Mon coeur se brise en un milliard de morceaux.

Comment peut-on le rendre dans cet état ?

Lui qui a toujours voulu rendre heureux son entourage, jamais personne ne s'est dit qu'on devait le rendre heureux lui aussi ?

Peut-être que les gens le pensaient heureux.

C'est ce qu'il reflétait après tout.

_ On en reparle la semaine prochaine, d'accord ? dit-elle alors, suppliante, en quittant l'appartement, les jambes tremblantes.

Une fois la porte d'entrée claquée, je lâche mes sacs, et me dirige vers lui sans plus attendre.

_ Hey, mon coeur, soufflé-je, les larmes coulants discrètement sur mes joues. Tout va bien, c'est fini, soufflé-je à son oreille, les bras entourant ses épaules.

  

Son corps est pris de tressaillements, il pleure en silence, le visage calé dans mon cou.

Ses bras enserrent avec force mes hanches, et je me retiens difficilement de ne pas geindre sous la force qu'il exerce sur moi.

Mes bras se resserrent autour de lui, pour lui prouver qu'il n'est pas seul, et que quelqu'un est là pour lui, pour penser à son bonheur.

_ Ça va aller petit bébé, ça va, tout va bien, soupiré-je, tout en avançant lentement.

  

Il recule pour suivre mes mouvements, et lorsque ses jambes touchent la surface du canapé, il s'y assied, me tirant avec lui.

Mes jambes se retrouvent de part et d'autre de son corps, et la joue humide appuyée contre son crâne, j'essaye de ne pas trop m'appuyer sur lui, peur de peser trop lourd.

Ses bras maintiennent encore fortement mes hanches, et finalement, je me laisse totalement aller, posant ainsi les fesses sur ses cuisses.

_ Merci, souffle-t-il, après de longues minutes de mutisme.

_ Mais pour quoi ? Tu n'as pas besoin de me remercier Hyunnie.

_ Si. Merci, pour tout, murmure-t-il, le visage niché dans mon cou.

_ Je serai toujours là pour toi Hyun. Tu es mon petit bébé à moi, souris-je, en le compressant un peu plus contre moi.

Je m'écarte ensuite légèrement, de manière à pouvoir voir son visage que j'ai pris en coupe, et lui souris tendrement, tout en essuyant ses joues trempées de mes pouces.

Je me penche ensuite vers l'arrière et attrape un mouchoir sur la table basse pour le lui tendre.

_ Allez, mouche, pouffé-je, amusé de le traiter comme un enfant.

Le koala se décroche enfin de mon bassin, et se mouche, sans aucune once de délicatesse, tel le Hyunwoo qu'il est.

Je lui caresse ensuite la joue, tout en le rassurant de mon regard bienveillant.

_ Tu as été très courageux aujourd'hui Hyunwoo. Je suis très fier de toi.

_ Tu crois que j'ai pris la bonne décision ? ose-t-il, en plongeant ses iris rougeâtres dans les miens.

_ J'ai entendu ton discours depuis l'entrée, avoué-je. Tu as dit des mots tellement justes. C'est de ta vie dont on parle Hyunwoo, ton coeur a parlé pour toi. Tu t'es entendu ? Tu as compris ce que tu lui as dit ? Tu dois être heureux, lui ordonné-je. Si tu ne sais pas ce dont ton coeur à besoin, ce dont ton esprit et ton âme ont besoin, alors tu ne le seras jamais. Apprends à t'écouter, d'accord ?

Après de longs instants de réflexion, pendant lesquels je caresse ses cheveux, tout en embrassant son front de temps à autre, il finit par parler, dans un sourire timide et sincère.

_ Je dois avoir pris la bonne décision alors.

_ Fais-toi confiance, souris-je à mon tour.

Je finis par me tortiller sur lui, pour lui faire comprendre de desserrer l'emprise qu'il avait à nouveau sur moi, et me lève une fois cela fait.

_ Ne bouge pas, reste dans le canapé, installe-toi confortablement, je vais préparer des chocolats chauds. Choisis un film en attendant, proposé-je, en filant vers la cuisine.

Je reviens rapidement avec deux tasses fumantes dans les mains, et m'installe à ses côtés une fois les boissons posées sur la table. 

Je me colle à lui, les jambes repliées contre mon torse, et son bras se pose instinctivement autour de mes épaules. Je me positionne d'une meilleure manière, au creux de son bras, la tête posée sur son épaule et pose le plaid sur nos corps déjà chauds.

_ Très bon choix de film, marmonné-je, tout en soufflant sur ma tasse.

_ Très bon choix d'activité. Merci pour le chocolat, sourit-il en buvant une gorgée de celui-ci.

_ Tout le plaisir est pour moi.

💤

_ Seok ? Seokkie ? entends-je au loin.

_ Mmh ? acquiescé-je, en relevant la tête, les yeux à moitié ouverts.

_ Tu t'es assoupi, le film est fini, signale Hyunwoo, en me caressant la joue.

_ Oh non, mais je voulais le voir pourtant, râlé-je, en me frottant les yeux.

_ On le regardera une nouvelle fois, ne t'inquiète pas, souffle-t-il du nez, amusé.

_ Mmh, tu as raison. Tu vas où ? grommelé-je en le voyant se lever.

_ Préparer le repas du soir.

_ Non attend ! le stoppé-je. Aujourd'hui, je veux que tu sois chouchouté, encore plus que les autres jours ! Retourne dans le canapé, je vais préparer ! dis-je, en me levant à toute vitesse pour rejoindre la cuisine.

_ Laisse-moi au moins t'aider, tente-t-il de marchander.

_ Non, c'est une surprise, soupiré-je, en le poussant vers le salon, ouvert sur la salle à manger et cuisine.

_ D'accord, d'accord, pouffe-t-il, résigné, en s'affalant dans le sofa.

🌮

_ À table !

_ Ça sent très bon ! sourit-il en arrivant en quatrième vitesse. J'ai faim ! s'écrie-t-il ensuite, ses baguettes à la verticale dans chaque main. C'est quoi ?

_ Enchiladas au poulet ! m'écris-je, heureux d'avoir réussi quelque chose de nouveau.

_ Ça a l'air si bon ! dit-il, des étoiles dans les yeux. Viens vite à table !

_ J'arrive, j'arrive, pouffé-je, le plat dans les mains. Tu me laisses le temps de te servir, ou tu manges dans le plat ? me moqué-je.

Il tend son assiette, l'eau à la bouche, et attend sagement que je sois servi à mon tour, avant d'enfourner la première bouchée entre ses lèvres impatientes, sans même penser à l'éventualité que la nourriture puisse être chaude.

  

Hyunwoo ? La douleur ? C'est pour les enfants ça.

  

_ Alors ? m'enquis-je, les yeux grands ouverts.

_ Parfait, comme d'habitude ! dit-il, le sourire jusqu'aux oreilles.

_ Ah, je suis content ! tapé-je dans mes mains, vraiment heureux d'avoir pu lui redonner le sourire.

   

Le fixant, amusé, j'avance l'index jusqu'à lui, et pousse sur son front, pour qu'il se déride.

Riant de bon coeur, je le vois me regarder, intrigué.

    

_ Tu fronces toujours les sourcils quand tu manges, pouffé-je, attendris.

_ Ah, sourit-il, comprenant enfin mes faits et gestes. Je ne le contrôle pas.

_ J'avais cru comprendre, souris-je à mon tour, en terminant mon repas.

_ On va un peu à la salle ce soir ? demande-t-il alors, son assiette déjà vide.

_ Tu veux pas plutôt aller à la piscine ? suggéré-je. Ça fait longtemps que je n'y suis plus allé, et j'aimerais vraiment y retourner.

_ Je n'aurais pas pu rêver meilleure idée ! avoue-t-il, réellement enjoué.

_ Tu as l'air d'aimer ça aussi, je suis content, pouffé-je, euphorique.

_ Si je pouvais vivre dans l'eau, je le ferais ! décrète-t-il comme réponse.

_ Tu ferais un magnifique triton, plaisanté-je, avec sincérité.

_ Si seulement, souffle-t-il, rêveur.

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