Vie et Mort, Le Grand Partage (III)

- Tu es prête,  glissa Solange en passant la tête dans l'encadrement de la porte de la chambre de sa fille. 

Julie se tourna vers elle et écarta les bras.

- Je déteste cette robe !

- Tu adores cette robe.

- Non, je la déteste et je déteste encore plus le fait de devoir la porter à ce stupide Grand Partage !! Nous n'avions rien à fêter ! Pourquoi se mettre sur son trente et un alors qu'on nous humilie ?! lança-t-elle avec colère.

- Tu as compris, ma chérie. Il s'agit là de nous humilier. Nous avons joué, nous avons perdu...

Assister à cette parodie de spectacle, amener les populations de chaque secteur à se rendre sur la grande place, lieu d'interaction sociale que chaque secteur possédait pour le transformer en un lieu servant à les dessaisir, c'était quelque chose que la jeune femme ne supportait pas.

Aussi son humeur s'améliora-t-elle lorsqu'elle aperçut une fois sur place, Lucas, Sarah et leur mère au loin. Alexandre et ses parents ne devaient pas être très éloignés eux aussi, de même qu'Élisa et les petits. Il était toujours agréable d'avoir un ami dans les moments sombres.

Son esprit vagabonda vers le Trois, puis vers le Un où elle savait que le reste de la bande subissait également cette diminution. Elle se recentra. L'heure était venue d'amener son don...

C'est mâchoire serrée qu'elle fit la queue avec les autres derniers nés des familles de son secteur, son pauvre plat de gratin à la main. Elle enrageait, comme tout le monde, elle était certaine que le plat n'atteindrait même pas l'assiette des aristocrates de la Capitale. A quoi tout cela servait ?!

Il y avait plus de camions que l'année dernière, plus d'escouades aussi. Elle en avait compté treize, rien que sur la place. Cent soixante-neuf Blanc autour d'eux, sur les toits des bâtiments, des véhicules et il aurait été naïf de croire qu'il n'y en avait pas ailleurs, dissimulés dans les rues adjacentes, partout ! Ils étaient prisonniers et elle détestait ça.

Docile, malgré ses jointures crispées, elle fit son don au Paladin tête nue devant le camion.

- Pour le Roi, récita-t-elle sans aucune conviction.

L'homme releva un sourcil.

- Il t'en est reconnaissant.

Elle hocha la tête, désireuse d'en finir au plus vite pour se remettre au travail et fit un pas de côté pour laisser sa place quand il lui demanda :

- Et toi, l'es-tu ?

- Pardon ?

- Es-tu reconnaissante envers notre Roi qui te nourrit et te protège ?

Un rictus faillit échapper à la jeune fille, mais elle parvint à transformer celui-ci en un sourire.

- Je le suis chaque jour, répondit-elle avant de saluer comme il était d'usage.

Il n'était pas de la Zone, aucun d'eux ne l'était. Les Paladins de la Zone Ouest étant eux aussi soumis à la Loi, on envoyait toujours des Paladins issus d'autres Zones. On aurait pu voir la dedans un semblant d'équité, mais cette privation rendait les Blancs natifs de la Zone encore plus revêches et prompts à la violence envers les habitants.

Il la laissa partir et c'est le cœur battant fort dans ses oreilles qu'elle rejoignit les rangs des dix-dix-huit ans.

Devant elle, les plus jeunes, en dessous de dix ans tremblaient de froid. La neige, s'étant invitée à la « fête ».

Elle glissa ses bras autour des épaules de la fillette juste devant elle et l'entendit pousser un soupir de contentement alors qu'elle accueillait avec reconnaissance la chaleur de la jeune femme.

Derrière elle les adultes, femmes et hommes ne faisant pas partie de la milice du Roi serraient également les dents.

Les dons offerts, sur l'écran géant installé au milieu de la place, Phileas commença son discours.

C'était toujours le même ramassis d'idioties, si bien qu'elle ne douta pas un instant qu'un seul membre de la Zone ne l'ait pas écouté. On se contentait de regarder dans le vide en attendant que ça passe. Ici, on gobait beaucoup de choses, mais pas ça. Car là, ça touchait directement les gens et ce qu'ils avaient tant de mal à mettre dans leurs assiettes et économiser tout au long des neuf autres mois de l'année.

L'écran afficha ensuite sous forme de colonnes, l'intégralité des couronnes et de nourriture de la Zone avant de s'affaisser dans un bruit qui fit hurler les oreilles de Julie.

Elle serrait si fort les dents, qu'elle eut peur un instant de ne plus pouvoir ouvrir la bouche sans les endommager.

Et les camions commencèrent à partir, voleurs a réacteurs ravissant le peu qu'ils avaient tous.

C'est au milieu des vrombissements de moteur que survint le premier sifflet, là-bas de l'autre côté de la place, dans le rang des adultes.

S'en suivit un autre et un autre, et des mots aussi. Et tandis que la rumeur grondait et gonflait tel un monstre, un bloc de glace immense tomba sur l'estomac de Julie.

Elle vit à peine la pierre s'élever et atterrir sur la tête du Paladin qui s'effondra. Cependant, il lui fut impossible de ne pas voir les premiers rayons des blasters alors que ceux-ci se dirigeaient vers la foule.

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