Tous ces liens qui nous unissent (III)

La lourdeur de sa dernière phrase encore sur la langue, Julie soupira doucement.

Devait-elle rejoindre sa mère afin de s'excuser où lui laisser un peu de temps et d'espace ? Accepterait-elle seulement ses excuses. Ce qu'elle avait dit là, était terrible et elle avait regretté ses mots à l'instant où ils avaient quitté ses lèvres. Non pas qu'il s'agissait là d'un mensonge ou d'une insulte, mais c'était là une malheureuse vérité. Une de celles qui ne vous quittaient pas, et qui vous marquaient pour toujours.

Dépitée, elle finit par prendre place avec les deux petits à la table, dont les assiettes vides témoignaient de la fin du petit déjeuner. Ils ne bougeaient pas, s'agitant mollement sur les chaises. Peut-être avaient-ils peur de se trouver au milieu de tirs croisés.

Elle leur adressa un sourire penaud.

- Tu sais, commença Jimmy, timide. Elisa aussi est en colère après moi parfois.

- Ah oui ?

Il hocha vigoureusement la tête n'arrangeant en rien ses cheveux châtains désorganisés par le réveil.

- Mais tu sais quoi, ça ira, bientôt ta maman sera plus fâchée.

- Et comment se fait-il que tu en sois si sûr ? questionna-t-elle, le sourire aux lèvres de par l'assurance du petit garçon.

- C'est pourtant évident non ? Ta maman t'aime, alors ça ira. En tout cas, ça marche toujours avec ma sœur, ajouta-t-il après une courte pause.

Lâchant un souffle amusé, Julie embrassa sa joue. Il était gentil et il était agréable d'être témoin d'une telle confiance et d'un si grand amour fraternel.

Elle n'avait jamais eu cela.

Julie était fille unique, non par choix mais par fait. Sa mère était jeune quand elle l'avait eu. Son premier enfant, sa chair et son sang, une fille. Une honte pour son géniteur.

A lui le Paladin gradé, il fallait un fils. C'était là le plus grand accomplissement et sa femme s'était évertuée à le lui offrir, jusqu'à n'être finalement plus capable de transmettre la vie.

Alors il était parti, la désavouant au passage, la laissant seule, épuisée et brisée avec Julie. Désormais pupilles du Royaume.

Mais elles avaient su rebondir, comme si dans le fond, jamais elles n'avaient eu besoin de personne.

Pourtant, la jeune femme qu'elle était désormais, n'oubliait pas les larmes, le déchirement et la colère qui avait bercé ses premières années de vie. Alors oui, elle était devenue un brin méfiante.

Les hommes de sa vie, Julie les choisissaient avec prudence et jusqu'alors peu avait réussi à se frayer un chemin dans le cœur de l'apprentie médecin.

A dire vrai, il n'y en avait eu que deux et l'un venait justement de franchir la porte.

Lucas n'était plus qu'un imposant morceau de neige et la jeune femme ne pouvait qu'espérer que la différence de température entre l'extérieur et l'intérieur suffirait à le réchauffer.

- Par le Roi, Lucas d'où reviens-tu ?

Il leva vers elle ses deux mains du bout desquelles pendaient deux énormes poissons.

- Pas besoin de les congeler comme ça, ricana Louise goguenarde.

- Ils sont énormes ! s'écria Jimmy.

Quittant leurs chaises, tous trois se précipitèrent vers le jeune homme. Il dégageait une fraîcheur glaciale qui la fit frissonner sans même qu'elle l'ait encore touché.

Le souffle du garçon s'échappait par grandes panaches blanches de ses lèvres bleutées et il était désormais secoué d'incontrôlables tremblements.

Le voir ne la fit que plus frémir encore.

- Enlève-moi tout ça, ordonna-t-elle.

- Tu as une fâcheuse tendance à vouloir me déshabiller ces derniers temps.

- Garde ton humour pour toi, ça ne me fais vraiment pas rire ! Tu n'as jamais entendu parler d'hypothermie ?

- Chacun son domaine...

Elle lui lança un regard noir alors qu'elle luttait avec lui pour enlever les vêtements que le froid collait à sa peau. Débarrasser de son manteau et de son haut, ils s'attaquèrent ensuite au bas et se retrouvèrent vite coincés.

- Attends, pousse tes doigts.

La blonde dégagea les doigts de Lucas pour s'attaquer d'elle-même a sa ceinture, se faisant ils échangèrent un regard avant de partir en fou rire.

Heureusement que la pudeur n'était pas de ce moment.

- Je n'y arrive pas, peut-être que si je mets de l'eau chaude dessus.

- Tu plaisantes ? Très bien, mettons quelques règles, ce territoire est hors limite. Pas d'eau chaude, merci !

Il leur fallut près de dix minutes pour résoudre la chose, après quoi, Lucas s'était retrouvé en boxeur, une immense flaque d'eau à ses pieds.

- Merci, glissa-t-il alors qu'il prenait place sur l'un des chaises, emmitouflé dans une large serviette.

Julie avait plus chaud désormais, bien que de ses cheveux humides tombent toujours quelques gouttes dans son cou qui lui donnait envie de s'enfouir sous une épaisse couverture et de ne plus bouger.

Elle poussa devant lui une tasse d'eau citronnée fumante tandis que les petits s'attelaient à une énième partie d'échec -Louise se révélant particulièrement douée pour la chose- en attendant que les vêtements de Lucas ne sèchent dans le sèche-linge.

- Et donc, c'est quoi ces trucs que tu as ramené ? Des saumons ?

- Presque, ce sont des truites, ricana Lucas dans son verre. Tu ferais une très mauvaise pêcheuse.

- Chacun son domaine...

- Touché.

La demi-heure qui suivit fit consacré a rattrapé le temps que l'Hiver faisait courir et chacun d'eux s'enquirent de ce qui s'était passé pour l'autre. La saison avait ce don de vous faire dériver les uns des autres et Julie apprécia le geste de Lucas.

Il avait toujours été prévenant avec elle, comme...Un grand frère...Elle le comprenait maintenant.

- Mais je ne comprends pas, le service ne concerne que les hommes âgés de dix-neuf ans. Tu n'en as que dix-sept, la loi...

- La loi est faite par des hommes autrement plus puissants que toi ou moi. S'ils ont décidé que mon service commencerait plus tôt, alors il commencera plus tôt.

La jeune femme lui rendit la lettre sur papier jaunie. Il était terrible qu'un matériau si noble soit utilisé pour transmettre une telle nouvelle.

- Qu'est-ce que tu vas faire alors ?

- Très franchement, je n'en sais rien. J'ai toujours imaginé que j'aurais plus de temps. J'aurais peut-être réussi à falsifier les tests afin de ne pas rentrer dans la milice et devenir...Je sais pas moi, menuisier ? Mais maintenant, je doute que ça soit possible...

- Oui, pourquoi t'ordonner de venir plutôt si ce n'est pour te garder à l'œil.

- Exactement. Et toi, ajouta Lucas après une pause. Que comptes-tu faire ? Huit ans c'est long...

- Tu peux dire une éternité.

Une moue déforma le visage de la Quatre.

- Je serais mariée d'ici-là, souffla-t-elle doucement.

- Peut-être pas.

Julie releva les yeux pour croiser les prunelles vertes de Lucas qui la dévisageaient avec insistance.

- Lucas, je n'ai pas mon mot à dire à ce sujet. Contrairement à ta sœur où à ta mère, je ne bénéficie pas de la protection de quelqu'un comme toi. C'est comme tu l'as dit. S'ils décident de me marier a quelqu'un alors...

- Sauf si quelqu'un se propose avant le gouvernement.

Elle asséna un coup amusé sur son bras, sachant très bien où il voulait en venir.

- Avec des si et des saufs, toi et moi on pourrait refaire le monde.

- Ça ne me déplairait pas. Tu penses qu'Alexandre n'aimerais pas-

- Lucas...prévint-elle.

Un sourire goguenard releva les lèvres du jeune homme. Il avait toujours beaucoup aimé la taquiner concernant ses sentiments pour le meilleur ami de Sarah.

- Quoi ? Si tu as peur qu'il n'ose pas faire le premier pas, tu pourrais le faire toi-même, tu sais ? Comme tu la fait avec...moi...

C'est un jeune chef de famille soudainement écarlate qui détourna les yeux une fois sa phrase achevé, faisant monter un rire dans la gorge de Julie.

- Eh bah alors, tu es gêné maintenant ?

- Qui moi, répliqua-t-il. Gêné qu'une jolie fille m'ait fait une déclaration non. Mais je me souviens que c'était plutôt passionné comme confession.

Cette fois ci, ce fut elle qui sentit ses joues lui chauffer et tout comme lui, elle trouva un intérêt soudain pour ses doigts.

- Très bien, tu m'as eu.

L'apprentie médecin inspira un bon coup.

- Bref, assez parler de moi. J'ai encore du temps pour réfléchir a tout ça, ce qui n'est pas ton cas. Tu comptes vraiment le faire, traverser le No Man's Land et rejoindre les anonymes, je veux dire ?

- Ouais, c'est la seule chose que j'ai trouvé. Je...J'ai peur de ce que je pourrais devenir si je pars pour l'Académie. Tu...Tu veux bien m'aider alors ?

Julie le fixa un moment. Bien sûr, elle ne se voyait pas lui répondre non, mais l'idée que lui et sa famille risque sa vie dans cette entreprise ne lui plaisait que moyennement. Etait-elle prête à assumer le poids de sa participation dans celle-ci ? Et pourtant...Elle devait bien se l'avouer, elle admirait cette volonté qui l'animé, ce refus d'abdiquer et ce choix qu'il avait pris et le menait vers ce que lui avait décidé.

- Ta mère et ta sœur sont au courant ? Elles te suivront ?

Il hésita un instant.

- Je n'ai rien dit pour l'instant, mais je suis persuadé que oui.

- Si tu en es sûr.

La jeune femme le quitta un instant pour revenir avec un épais livre de cuir relié. L'herbier familial, elle l'avait récupéré de son grand père.

Flattant la couverture, elle songea aux longues heures qu'il lui avait fallu pour retenir le nom de toutes ces plantes, baies et autres comestibles ou non. Elle pinça les lèvres. Lucas avait tout intérêt à l'écouter.

- Je dois être la pire amie du monde...

- Où la meilleure amie du monde.

Ça restait à voir.

- Rhabille-toi alors. La théorie, c'est bien, mais la pratique c'est mieux. Nous allons au lac.

S'emmitouflant un peu plus dans la couverture, Lucas grommela.

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