Tous ces liens qui nous unissent (II)

Ce sont des pas à l'étage qui la sortirent de sa contemplation silencieuse. Des pas si léger, si discrets et tenus qu'on avait peine à croire qu'ils existaient vraiment.

Et pourtant, jamais ils n'avaient été si vivants. Déjà quatre jours qu'Elisa était partie. D'abord méfiante pour l'une, un bout craintif pour l'autre, les deux petits prenaient désormais leurs marques dans la maison et auprès de ses habitants et leur sommeil agité s'était changé en longue heures de repos. Une chose bienvenue, tant il semblait qu'ils en étaient dépourvus chez l'odieuse femme qui leur servait de tante.

Un léger sourire étira les lèvres de Julie. Elle s'était fourvoyée, certes l'agitation n'était plus la même, mais il y avait encore de la vie ici et elle se réjouissait de la présence de Jimmy et Louise sous son toit.

Tendant l'oreille, elle patienta quelques instants, s'attendant à les entendre descendre d'une minute à l'autre, mais les bruits s'étaient tu. Qu'importe, ils descendraient bien quand ils en auraient envie.

En attendant...la jeune femme était bien curieuse de savoir ce que faisait sa mère.

Ses yeux noisette dévièrent vers la porte du bureau à l'extrémité ouest du salon et y restèrent un moment.

Par deux fois, l'envie c'était faite sentir chez Julie d'aller écouter ce qui se passait derrière la porte close et seul l'amour inconditionnel qu'elle portait à sa mère l'en avait dissuadé.

Pour autant, elle ne manquait pas de fusiller l'entrée de la salle des yeux.

Elles avaient été si longtemps seules toutes les deux, qu'il lui était difficile d'accepter les allers et venues de plus en plus fréquente de cet homme dans la vie de sa mère.

Ce manège durait depuis près de trois mois déjà...

Julie n'avait absolument pas confiance en ce Bastien.

Ses doigts se mirent à jouer un air agacé sur le comptoir alors qu'elle attendait toujours.

Que faisaient-ils enfin ?

Par le Roi, songea-t-elle. Si jamais...

Elle ne termina pas sa pensée, interrompue par la poignée de la porte.

Une minute lui suffit pour recomposer un masque détaché alors qu'Il pénétrait dans la pièce. Faisant comme si de rien n'était, elle fit mine d'être profondément captivée par l'article qu'elle avait précipitamment ouvert sur son B.I

Bien sûr, il n'en était rien, ses yeux ne prenaient absolument pas en compte les lignes que l'hologramme faisait flotter à hauteur de ses pupilles alors qu'elle le suivait du regard.

Bastien Mercier, flottait entre deux âges, comme sa mère. Il n'avait pas le teint frais des gens du Un sans pour autant avoir les traits tirés de ceux du Quatre.

C'était un Trois. Comme Matthieu.

Eux, bien que moins bien loti que les Deux, s'en sortaient mieux que les derniers de la Zone Ouest.

Cela l'étonnait toujours, la facilité avec laquelle un simple coup d'œil attentif vous permettait de savoir où vous étiez sur l'échelle sociale du Royaume.

La mâchoire de la jeune femme se crispa un instant après lequel, elle continua son inspection à la dérobé.

En soi, l'homme était une aubaine pour sa mère. Et si à cela s'ajoutait l'aspect purement esthétique de la chose, alors l'aubaine devenait une occasion en or.

Musclé sans trop l'être, brun malgré quelques cheveux blancs perçant çà et là de sa chevelure encadrant deux grands yeux bleu clair, il n'était certainement pas désagréable à regarder.

Il avait ce charme facile de ceux qui n'essaye même pas. Sans doute ce qui avait séduit sa mère...Sur l'aspect physique du moins. Tachant de l'éviter au maximum, Julie ignorait ce qui se cachait sous le costume...

Oui, Bastien Mercier était sans nul doute, un bon spécimen pour produire au Royaume une ribambelle de garçon prêt à devenir Paladin.

N'étais-ce pas là, le travail le plus important de ses habitants après tout. En période d'Hiver, les publicités pour la procréation intensive étaient plus que monnaie courante. Il y avait même des tirages aux sorts durant lesquelles, une fois par semaine, les informations d'une femme de la Zone étaient diffusées partout à la télévision par le biais de son B.I.

Une façon de faciliter les recherches pour trouver la perle rare...

C'était à en vomir.

Quand enfin il s'aperçut de sa présence, il eut un mouvement d'arrêt et ses joues halées prirent une teinte rosâtre.

Julie releva un sourcil.

- Ah, Julie...Bonjour, j'ignorais que tu étais déjà debout. Je ne t'ai pas réveillé au moins ?

- Absolument pas.

- Bien.

Comme c'était gênant.

Elle ne cessait de le dévisager et lui, ne savait clairement pas ou se mettre.

Le silence s'étira, longuement, jusqu'à ce que l'homme ne se décide enfin. Dans un raclement de gorge, il se saisit prestement de sa veste, posée sur le dossier d'une des chaises de la table à manger et l'enfila tout aussi rapidement avant d'emboiter le pas vers la porte.

La jeune femme ne pût s'empêcher d'éprouver une certaine satisfaction dans le fait de le voir s'enfuir à toutes jambes. Pour autant, il n'était pas encore sortit, qu'elle éleva la voix :

- Bastien ?

- Oui, Julie ?

- Je tenais juste à vous rappeler que je connais plus d'une façon de vous faire disparaître.

C'est le choc, pur et dur qui se peint sur le visage du prétendant de sa mère alors qu'elle laissait sa menace en suspens, une émotion qui passa bien vite malgré tout, alors que Bastien accusait le coup.

Son regard s'adoucit, ses lèvres se relevèrent en un sourire quelque peu timide mais pas moins doux :

- Je n'en attendais pas moins d'une demoiselle aussi intelligente que toi.

Les doigts de la blonde se crispèrent autour de son verre d'eau devenu froid.

Ainsi donc, il était coriace. Soit.

L'homme lui adressa un geste d'au revoir de la main et s'engouffra à l'extérieur pour aller se perdre dans l'immaculée blanche.

L'apprentie médecin dévisagea la porte jusqu'à entendre les bruits de pas des petits résonner de nouveau sur les marches de bois de l'escalier menant à l'étage.

- Jimmy ne court pas ! Tu vas tomber !

- Non, je vais pas tomber, laisse-moi tranquille !

- Elisa a dit de te surveiller, gronda Louise. Alors tu fais ce que je dis un point c'est tout !

- N'importe quoi, tu es même pas une adulte en plus !

Vêtus de leurs pyjamas, le frère et la sœur émergèrent dans le salon. Julie remarqua immédiatement les joues rouges du petit, mais celui-ci n'en fit rien alors qu'il se précipitait dans ses bras.

- Julie, j'ai faim !

- Malpoli ! On dit bonjour, d'abord ! s'exclama la petite agacée.

- Bonjour d'abord !

La jeune femme éclata de rire. Le premier de la journée. De toute évidence, Jimmy était d'humeur taquine, ce qui ne plaisait que très moyennement à son ainée qui le fusillait du regard.

Comme Louise pouvait lui rappeler Elisa parfois. La première n'était qu'un plus jeune reflet de la seconde, poussant la similitude jusque dans la gestuelle et des frissons parcouraient Julie quand elle s'imaginait la petite peut-être suivre les pas de son amie dans le No Man's Land.

- Vous avez bien dormis ? Tu n'es pas trop essoufflé ? questionna-t-elle en caressant la joue de Jimmy pour diffuser l'atmosphère tant que le mauvais sentiment qui s'était emparé d'elle.

Ils répondirent par l'affirmatif et elle s'empressa de chercher de quoi leur remplir le ventre.

Bien que maigre, les repas frugales que sa mère, et elle parvenaient à leur offrir semblaient suffire pour le moment, mais pour combien de temps ?

Jimmy s'était d'ailleurs écrié le premier soir, que c'était le meilleur repas qu'il avait jamais mangé.

Simple politesse ou triste vérité, Julie n'en savais rien, mais son cœur s'était pincé douloureusement.

Ils attaquaient voracement le repas quand sa mère sortit du bureau.

Cheveux lâchés et joues teintées de rose, elle lui apparaissait si différente de ce à quoi elle était habituée. Plus joyeuse, plus jeune, plus sereine...Un changement si important que la jeune Quatre releva un sourcil.

- Bastien est déjà partit ? s'enquit sa mère en renouant ses cheveux.

- Oui, tout à l'heure. Il avait s'en doute des choses à faire.

- Tu lui as proposé un café ?

Elle ne répondit pas, prétextant faire la vaisselle, se faisant, elle mit immédiatement la puce à l'oreille de sa mère qui poussa un gros soupir avant de s'avancer jusqu'à elle après avoir ébouriffé les cheveux de Jimmy.

- Il va falloir que tu fasses des efforts ma chérie.

- Nous n'avions plus de café de toute façon.

- Ce n'est pas le problème, tu aurais pu lui proposer autre chose.

Encore une fois, Julie garda le silence. Elle cherchait à se dédouaner, elle le savait bien. Mais pour ce qui était d'elle, l'envie de parler de Bastien avec sa mère ne faisait franchement pas partie de ses priorités.

- C'est un homme bien, continua sa mère. Il est gentil, doux attentionné et plus important encore, je l'aime et IL m'aime.

Le rictus qui s'échappa des lèvres de la jeune femme tomba avant même qu'elle eut le temps de réfléchir plus amplement, de même que la phrase qu'elle asséna ensuite :

- Ça, ça reste à voir. Il t'aimera toujours quand tu lui diras que tu es stérile ?

Elle, habituée à des gestes précis et calmes, sentit ses mains brusquer les ustensiles sous l'eau mousseuse, dans un parfait miroir du sang qui battait dans ses veines.

- Julie ! s'exclama sa mère au moment où Jimmy demandait :

- Ça veut dire quoi stérile ?

Aucune réponse ne vint. Julie se mordant la lèvre n'osait plus croiser le regard de sa mère. Inutile d'être devin pour y être sure d'y croiser, la peine, la colère et peut-être même de la déception.

Par le Roi, était-elle idiote ? Comment avait-elle pu sortir cela ?!

- Maman, commença-t-elle d'une voix qu'elle découvrir enrouée par la culpabilité.

Mais c'était trop tard, sa mère avait déjà tourné les talons et s'engageait dans les escaliers en direction de sa chambre à l'étage.

- Maman ! rappela encore une fois Julie en vain.

Une porte se claqua et le silence s'abattit de nouveau.

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