Tous ces liens qui nous unissent (I)

Mademoiselle,

Malgré la qualité de votre entretien et de vos notes, nous sommes au regret de vous annoncer qu'il vous manque cependant, certaines qualités essentielles afin de pouvoir accéder au statut d'Ace.

En effet, votre profil ne correspond pas dans son intégralité à la ligne de recherche du BRC.

Il vous sera possible de retenter votre chance d'ici huit ans, comme la législation l'exige.

C'était la huitième fois que Julie relisait ce mail et encore une fois, les mots restaient les mêmes, inchangés, marquant à jamais son échec.

A l'attention de Mademoiselle Dubois Julie, Sujet du Roi n°4046140001568.

Oui, c'était bien elle, aucun doute. Elle ne deviendrait jamais une Ace.

La vue de la jeune femme se troubla et elle retint à grande peine un gémissement dépité. Si elle avait pu, elle aurait volontiers lancé son Bracelet d'Identification à travers la pièce.

Elle savait pertinemment que cette décision n'était en rien motivée par ses notes ou son entretien. Un mensonge, voilà de quoi il s'agissait.

Il y a encore peu de temps, elle faisait la fierté de ses professeurs !

Que s'était-il passé ?

Rien n'avait changé dans sa manière d'apprendre, de comprendre et de faire, rien.

La jeune femme pouvait même soutenir qu'elle avait brillé lors de son entretien, rien ne pouvait aboutir à ce refus.

Rien.

Hormis...hormis son appartenance au Quatre. Le Quatre qui avait élevé la voix, le Secteur qui s'était soulevé l'espace d'un instant pour se retrouver à genoux sous l'Hiver, comme sous les Paladins.

Voilà ce qui avait changé.

Et la jeune femme ne pouvait s'empêcher de croire que les choses ne reviendraient à la normale.

Bouillante de colère, elle abattit son poing sur le comptoir de la cuisine ; le geste rageur envoya une vague de douleur parcourir tout son bras. A défaut d'arranger les choses, il la calma tout de même un peu.

Elle essuya le reste de larmes qui perlait à ses yeux et s'intima au calme, il fallait qu'elle réfléchisse. Que faire maintenant ? Toute sa vie avait été tournée vers le fait d'aider les autres, le statut d'Ace comme but final. Or désormais, tout lui était enlevé et le futur n'apparaissait plus que sous la forme d'un brouillard opaque pour la jeune femme.

Cette sensation d'impuissance lui fit rater un battement de cœur.

Elle avait l'habitude du contrôle, tout dans la médecine était une histoire de constance. Ses mains et ça, c'était tout ce qu'elle possédait.

Julie ne pouvait pas prétendre à parcourir le No Man's Land comme le faisait si bien Elisa, pas plus qu'elle ne pouvait rejoindre les arènes de courses comme Sarah, et elle n'était certainement pas une privilégiée comme Calliope.

Elle était née femme dans un monde d'hommes et cela réduisait de façon abjecte le spectre de ses possibilités.

Retenter sa chance d'ici huit ans...Julie ne s'y trompait pas. Jolie façon que voilà pour s'assurer de son départ d'une autre course au titre tellement prisé. En temps voulu par ses détracteurs, elle aurait alors vingt-quatre ans, et à cet âge-là, la plupart des jeunes femmes étaient déjà mariées, de gré ou de force, que cela leur plaise ou non.

Etant pupille du Roi, la jeune Quatre n'y couperait pas, c'était ici la loi. L'administration royale y veillerait.

Un frisson parcourut la jeune femme alors qu'une grimace déformait ses lèvres. Elle se voyait déjà au bras de Phileas, autorité et loi ici dans la Zone en lieu et place du Roi, la menant sur la Grand Place de son secteur pour célébrer un mariage avec un parfait inconnu... La vision, même fugace, était bien trop vive dans son esprit.

L'apprentie médecin soupira, hagarde et descendit du tabouret sur lequel elle était pour se diriger vers l'évier.

Le froid et l'inactivité avaient engourdi ses muscles.

Peut-être une boisson chaude lui ferait-elle du bien.

Un second soupir lui échappa en découvrant le triste spectacle que lui offraient ses placards vide. La loi avait fait son office, lait, miel et autres produits de consommation dit non nécessaire avaient déserté les étagères. Tant pis, elle se contenterait d'un peu d'eau chaude et de citron.

Ils savaient tous si bien le faire, se contenter de ce qu'ils avaient...

Mais pas elle, au risque de paraître égoïste, ou bien effrontée, elle avait toujours voulue plus. Même sans se l'avouer à haute voix. C'était ce goût de davantage, cette envie d'autre chose, d'agir qui la faisait vibrer, vivre, tout simplement.

Et pourtant, à l'instant présent, Julie regrettait amèrement le temps plus simple d'avant le Grand Partage.

Tout était devenu plus maussade depuis celui-ci. Qu'il s'agisse du temps ou bien des gens. Même son propre toit s'était assombrit.

Tachant d'éviter son reflet dans le miroir posé au mur près du comptoir, la blonde glissa un regard autour d'elle.

Dans cette pénombre, le salon et la cuisine lui paraissaient plus petits. Déjà vétuste et peu meublé, l'espace était encore plus froid, si bien que l'unique tapis de moquette marron trônant au centre de la pièce ne parvenait pas à réchauffer l'ambiance.

Et que dire du carrelage blanc, celui-ci ne lui rappelait que trop la neige tombant encore et toujours à l'extérieur.

L'effervescence qui faisait habituellement coutume chez elle, n'était plus, et avait laissé place à un silence oppressant, que seule la grande pendule du couloir brisait de son monotone tic-tac.

Une horreur.

Ce bruit la rendait folle.

Encore un peu, et elle finirait par hurler.

De même que les doubles fonds dans les placards et les tiroirs qui ne désemplissaient pas d'onguent et autres remèdes, la trappe cachée menant à leur petit hôpital clandestin ne s'ouvrait plus depuis des jours. On ne venait plus les voir, on avait trop peur et sa mère et elle en mourrait petit à petit.

La situation avait quelque chose d'ironique, sa vie avait quelque chose d'ironique.

Car alors que tout semblait lui filer entre les doigts, comme un souffle de vie s'échappant de ses lèvres, bien loin de se sentir légère, elle se sentait écraser un peu plus par le poids de celle-ci.

Impuissante.

Voilà ce qu'elle était, et par le Roi, ce qu'elle détestait ça.

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