Toi mon frère (III)

L'Évolué réfléchit un instant, lèvres serrés, avant de délivrer ses pensées.

- J'ai fait intervenir beaucoup de monde pour venir me chercher, il y a eu des pertes de notre côté ?

- Eh bien deux de nos pilotes ont des blessures mineures, mais rien qu'un petit tour à l'infirmerie ne puisse soigner, le reste n'est que dégâts matériels, en somme donc, rien qui ne puisse être réparé ou qui ait plus d'importance qu'une vie humaine, du moins de notre côté, répondit-il un sourire triste aux lèvres.

Un poids s'allégea dans l'estomac de Cameron. S'il ne souhaitait pas revenir sur le fait d'avoir ou non agis contre les règles de manière irréfléchie, il était soulagé par les mots d'Aloïs. Il s'en serait voulu sans quoi.

- Et Ross, il m'en veut toujours ?

Les coins des lèvres du vieil homme se relevèrent en un sourire.

- Selon toi !? il éclata de rire. Bourru comme il est, tu en as encore pour un moment jeune homme.

L'information renfrogna Cameron. Il avait espéré qu'après une semaine, l'humeur de Ross se serait apaisée.

C'était couru d'avance, ricana Light.

- D'autres questions ?

- Hum...

L'Évolué rassembla ses pensées. Toujours immobile, la cabine faite de verre, leur offrait un panorama impressionnant. Sous leurs pieds, le monde devenait abyssal. Plongeait dans les quasi-ténèbres et le silence, tandis qu'au-dessus de leurs têtes, une vive lumière baignait les rues de la Citadelle et les plateformes.

- Tiens, voilà mademoiselle Jade, fit Aloïs en pointant l'une des plateformes avec son parapluie. Tu devrais vraiment lui parler mon cher. C'est incorrect de faire espérer une jeune femme.

Suivant le mouvement du parapluie, Cameron repéra sa camarade parmi les habitants. Elle fendait la foule, avec une agilité qui lui était propre, la tête haute et les yeux s'attardant partout où ils le pouvaient.

Personne ne pouvait nier la beauté de la jeune soldate. Avec sa peau très pâle, ses yeux verts en amande et ses compétences, la jeune femme était l'objet des convoitises de nombreux jeunes hommes dans l'enceinte de la Citadelle.

Fronçant les sourcils, Cameron se tourna vers Aloïs.

- Je vous apprécie énormément Aloïs, mais ma vie privée ne vous regarde pas.

- Je ne parle que dans ton intérêt. Jade semble te porter une affection toute particulière, affection qui me semble s'être atténuée pour toi avec le temps.

L'insinuation fit rougir Cameron. Il avait en effet eu une aventure avec la jeune femme, et celle-ci n'avait pas été qu'innocente. Mais Aloïs avait raison, les sentiments que la jeune femme éprouvaient pour lui n'étaient pas de ceux que l'Évolué pouvait lui retourner. Plus maintenant désormais.

Il avait une grande admiration pour la jeune femme, de pair avec un très grand respect, mais cela s'arrêtait là.

- Je lui parlerais, concéda Cameron.

Ah oui, et quand ? Tes pensées sont toutes tournées vers une autre fille. Rétorqua Light.

- Il y avait une jeune fille à l'endroit où Ross et les autres m'ont récupéré, est-ce-que...

Qu'est-ce que j'avais dit, grinça Light alors que Cameron laissait sa question en suspens.

- Ah ! les yeux d'Aloïs pétillèrent. La petite Chase n'est-ce pas !?

- Chase ?!

- Son nom de famille voyons !

- Comment est-ce que vous...

L'interphone grésilla et la voix de Baptiste interrompit Cameron.

- Et voilà le travail ! Bonne route messieurs, et Aloïs, pour votre latte, mercredi soir, ça vous convient ?

- Absolument, mon ami.

L'ascenseur s'ébranla de nouveau vers les étages inférieurs et Aloïs ravi, se tourna une nouvelle fois vers Cameron.

- Ou en étions-nous déjà ?

- Sarah ! Vous connaissez son nom de famille, comment ? s'exclama le jeune homme.

C'est pas vrai, tu te souviens même de son prénom...s'exaspéra Light.

Bien sûr, ce n'est pas ma mémoire que Morphée a effacé ! Elle m'a sauvé la vie !

C'est un peu fort, je pense que tu exagères !

Elle n'a pas tenté de me tuer à vue !

Je te rappelle qu'elle avait une barre de fer !

Light, elle m'a montré de l'attention, elle s'est inquiétée pour moi ! Une fille du Royaume !

D'accord, d'accord...tu es plus juste dans tes paroles, je te l'accorde, mais ça n'empêche rien au fait que je ne comprends pas du tout ta fascination pour cette fille. Jade aussi s'inquiète pour toi.

Tu es sérieux !

Très !

Énervé, Cameron s'arracha à sa discussion avec Light. Il était extatique à l'idée d'en apprendre sur la jeune fille de l'usine.

Aloïs éclata de rire.

- Ma parole, mais qu'as-tu fait ces dernières années Cameron ?! Ta petite sauveuse est une pilote, et elle a sa petite renommée par chez elle.

- Oh !

Les paroles de la jeune fille lui revinrent en mémoire. Elle lui avait effectivement dit qu'elle était pilote et c'est d'ailleurs avec une drogue obtenue lors d'une de ses courses que la jeune fille lui avait permis de s'accrocher jusqu'à la venue des renforts.

- Oui, c'est vrai elle me l'avait dit, murmura-t-il pour lui-même. Et sinon ?

- Et sinon quoi ? demanda Aloïs en relevant un sourcil.

- Qu'est-ce que vous savez d'autre sur elle ! s'exclama Cameron.

- Ah, et bien pas grand-chose à dire vrai, seulement ce qu'on veut bien nous dire à la télévision lors des courses.

- Je ne vous crois pas, vous faites partie de ceux qui en savent beaucoup ici.

- Oh, tu me surestimes mon garçon. Tu es intrigué ? ajouta-t-il après une courte pause.

- Oui...et reconnaissant !

Et amoureux

Amou... quoi ? Non, bien sûr que non ! Tu dis n'importe quoi.

Vraiment ? Pourtant quand on mentionne cette fille, ton rythme cardiaque augmente, ta chaleur corporelle également de même que ton taux d'ocytocine. De ce que je sais, ce sont les symptômes de l'amour.

Eh bien tu as encore beaucoup à apprendre alors ! s'agaça le jeune homme. Arrête avec ça !

- Pourquoi ne pas venir regarder les prochaines courses  avec nous ? Les commentateurs sont rarement avares d'informations et si tu veux en savoir plus sur ta pilote, n'est-ce pas là le meilleur moyen ?

Cameron réfléchit un instant. Les courses des Zones étaient suivies même ici par beaucoup de monde, et bien que n'étant pas antisocial, le jeune homme appréciait sa solitude.

- Je vais y réfléchir.

Ils se turent, Cameron ayant épuisé momentanément sa liste de questions. Ressassant les derniers événements dans son esprit, quelque chose lui semblait étrange, bien qu'il ne parvienne pas vraiment à mettre le doigt dessus.

- Nous y sommes, fit Aloïs, tirant Cameron de sa torpeur.

Ils avaient atteint leur destination, l'ascenseur se stoppa devant une longue passerelle au-dessus du vide. Mesurant plus d'un kilomètre et seulement éclairée d'une led tous les mètres. Une fois dessus, on ne pouvait qu'être saisi par le silence qui régnait et par l'hypothèse d'une chute si probable depuis cette passerelle ne pouvant accueillir qu'une personne à la fois tant elle était étroite.

Aussi, ils étaient peu à descendre aussi bas dans la Citadelle, le passage en décourageant plus d'un et en sommes, ce n'était pas plus mal. Ce qu'il y avait derrière la porte au bout de cette passerelle suspendue était bien trop important.

Cameron passa devant, à l'aise. Il n'avait jamais éprouvé la moindre peur à traverser ce pont à l'inverse de beaucoup. Pourquoi aurait-il peur quand il savait que toutes chutes inopinées se stopperaient d'un déploiement d'ailes ?

Aussi, il mena le chemin devant Aloïs dont l'entrain n'avait pas cessé. Une fois devant la porte de l'autre côté, la main sur la poignée le jeune homme se stoppa subitement. Il avait trouvé, il savait ce qui l'ennuyait avec le comportement d'Aloïs. Comment avait-il pu oublier une information aussi importante jusqu'à présent ?

Demande lui, je suis curieux aussi, s'enquit Light avec empressement.

Faisant volte-face, il scruta les yeux bleus d'Aloïs.

- Oui ? demanda celui-ci.

- Pourquoi est-ce que vous m'avez indiqué ce passage vers l'extérieur ? Vous êtes aussi sous les ordres d'Iris non ? Mais elle n'est pas au courant de ça, pas vrai ? Qu'est-ce que vous attendez de moi, qu'est-ce que vous cherchez ?

Hé ! Je rêve ou il a réprimé un sourire ! Ce type est bizarre Cameron !

Une lueur amusée traversa le regard d'Aloïs, mais c'est avec sérieux qu'il lui répondit :

- Je n'attends de toi mon cher Cameron, rien de plus que ce que je te crois capable d'accomplir. On t'a confié à toi et a d'autres, comme on confira plus tard encore la mission de faire changer les choses. En bien où en mal, personne ne peut encore le dire, mais toujours est-il que pour cela, il te faut voir, connaitre, écouter, apprendre et ce n'est pas chose que tu peux faire ici. Il est fini le temps où l'on pouvait te protéger en t'enfermant ici. Bientôt, tu seras amené à te battre réellement, pour quelque chose de bien plus grand que toi où moi, et ce jours-là, je veux que tu aies toutes tes chances.

Le vieil homme serra l'épaule du jeune homme avant d'ajouter sur le ton de la confidence.

- Quant à Iris, j'estime être suffisamment vieux pour prendre mes décisions seul et en assumer toutes les conséquences.

- Mais elle n'est pas au courant, hein ?

Aloïs se contenta d'éclater de rire et de faire demi-tour, laissant le jeune Évolué songer à ce qu'il avait appris. Cameron le héla tout de même.

- Vous ne venez pas !?

- Je ne voudrais pas m'immiscer entre toi et Light et les vieilles personnes comme moi ont leurs habitudes, là tu vois, ça va bientôt être mon quart d'heure de Soul, répondit gaiement Aloïs.

Cameron souffla alors qu'un léger sourire naissait sur ses lèvres. Aloïs était tout en contradiction et en mystère, et lorsque Cameron pensait le comprendre, le vieil homme lui glissait inexorablement d'entre les doigts.

Ne pouvant s'empêcher de penser qu'encore une fois, celui-ci en savait bien plus qu'il ne voulait le dire, le jeune homme haussa les épaules, abaissa la poignet et ouvrit la porte.

Il fut aussitôt happé par la vague glacée s'échappant de l'intérieur et il frissonna tandis que dans son dos la voix d'Aloïs s'éleva une nouvelle fois.

- Mais ou avais-je la tête enfin ! Cameron, tiens !

Le jeune homme se retourna juste à temps pour attraper la veste que lui lançait son aîné.

Pas n'importe quelle veste, s'effara le jeune homme. La mienne !

- Je ne voudrais pas que tu attrapes froid, expliqua Aloïs avec tendresse avant de tourner les talons une bonne fois pour toute. Cameron l'observa remonter dans l'ascenseur, sidéré avant de se mettre à rire.

Tu vois, asséna Light. Il est bizarre !

Secouant la tête, l'Évolué pénétra dans la salle. Celle-ci était obscure, aussi, il s'arrêta après avoir fait dix mètres alors qu'un panneau se détachait du mur. Il s'agissait d'un panneau de contrôle et sachant qu'il ne pourrait poursuivre sa progression dans la salle sans avoir au préalable prouvé qu'il en avait l'autorisation. Il se plia à la règle et tapa sur l'écran lumineux le mot de passe lui permettant de progresser.

Le sol s'illumina alors de centaine de petites lumières, éclairant partiellement la salle plongée jusqu'alors dans l'obscurité.

Il se dirigea ensuite vers le fond de la pièce se guidant à l'aide des pulsations lumineuses dans le sol en accord avec son propre cœur. Il resserra sa veste autour de ses épaules en frissonnant. Il faisait toujours incroyablement froid ici, et il se demanda encore une fois comment Light, faisait pour supporter.

J'ai la peau dure...

- Très drôle.

Cameron se stoppa. La vitre devant lui devint moins opaque, les lumières pulsant au sol lui permettant de distinguer un minimum les choses.

Il s'attarda un moment sur son reflet. La première fois qu'il était venu, il avait onze ans et désormais, le petit garçon de l'époque avait laissé place à un jeune homme. Il avait beaucoup grandi et atteint un taille qui lui semblait raisonnable, ses muscles s'étaient développés et avec eux sa force et son endurance. Du petit garçon de l'époque, il ne lui restait plus que ses fossettes, ses cheveux brun et ses yeux bleu-vert.

Tu es très beau, le taquina Light.

Il leva les yeux.

Ferme-là et descends !

L'excitation de voir la personne qui lui était le plus proche fit s'accélérer les battements de son cœur. Le rythme des lumières changea.

J'arrive.

Impatient, Cameron observa la vitre se faire de plus en plus diaphane et sortant des ténèbres, Light vint flotter devant ses yeux. Boule de lumière brillant avec intensité à chaque parole.

- Comment vas-tu ?

Plutôt bien.

- Et les autres ? Ils dorment ?

Un rire secoua Light.

On ne dort jamais je te rappelle, non. Ils attendent, ils rêvent.

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