Terrain connu en Terres inconnues (III)


Avec des mouvements d'une lenteur délibérée, la main gauche de la jeune femme tâtonna sa cuisse ou elle avait attaché son couteau, s'imposant un calme qu'il lui était difficile d'atteindre alors que, toujours au-dessus d'elle, le félin la fixait de ses yeux pâles.

Elle pouvait sentir contre son épaule droite, les mouvements de va et viens de sa queue qui se balançait, signe qu'Elisa traduisit  comme de l'excitation.

Ses doigt se refermèrent autour du manche de son petit poignard, qu'elle ramena doucement jusqu'à sa taille.

Encore quelques minutes et l'animal allait bondir.

Sans le quitter des yeux, la Joker commença à entamer la corde qui la maintenait fermement à l'arbre. Le brouillard rendait la chose compliqué, autant que ses doigts rouge et glacés. Avant, arrière, avant arrière. Le bruit de la lame contre l'épais fil de lin, lui paraissait aussi bruyant que les battements de son cœur.

Encore un peu, encore un petit peu, songea-t-elle alors que son regard se perdait dans les orbes translucides du félin.

Elle haleta quand deux branches au-dessus d'elle, les griffes du félin sortirent battre l'écorce dans un craquement sonore au même moment ou sa corde céda enfin, une seconde plus tard, Elisa se jeta dans le vide, l'animal bondissant à sa suite.

La chute, fut à la fois longue et brève. Gratifiant au passage son visage de multiples petites griffures alors que son corps passant à travers les branches, plongeait vers le sol.

Mais quitte à choisir entre le félin et la gravité, elle préférait encore la gravité.

L'atterrissage fut doux quoique étouffant ; la neige, qu'elle avait tant maudite la veille ayant amortie le plus clair de sa cabriole, bien que la pressant dangereusement dans son manteau et ralentissant ses mouvements.

La même chose ne pouvait pas se dire de l'animal, qui après s'être souplement ramassé sur le sol, avançait à pas feutrés dans sa direction, fantôme au pelage noir et argent, en vrai prince des lieux.

Merde, merde, merde, paniqua la jeune femme en refermant plus fermement sa main sur son poignard.

Merde !

Le félin se jeta sur elle, réduisant son monde à un ridicule espace ou les crocs avaient le monopole.

Son sac de toile, positionné contre son ventre, fut le bienvenue, lui laissant une très légère cage pour respirer et se mouvoir. Elle enfonça son arme au niveau du bas ventre de son adversaire qui poussa un grondement de douleur sourd.

— J'ai...encore...des...choses...à faire ! gronda Elisa en ponctuant chacun de ses mots d'un nouveau coup.

Bientôt le sang humain et animal se mélangèrent, glissant le long des deux corps alors que se poursuivait la lutte.

La jeune femme hurla de douleur alors que les griffes de la bête percèrent la peau de ses épaules.

Les crocs toujours plus proches, cherchaient encore et toujours à se saisir de sa jugulaire, mais Elisa c'était trop battue.

Toute sa vie, ça avait été le cas, et même au sol, elle s'était toujours relevée, cette fois ne ferait pas exception !

Hors de question qu'elle meure ici !

Désormais, elle ne savait plus que faire deux choses : Planter et Gronder. En somme elle n'agissait pas différemment du félin, si bien que dans cette étreinte mortelle, il devenait difficile de savoir qui était l'animal.

Le combat lui sembla durer des heures, chacun des combattants s'accrochant férocement à la vie, l'un fut cependant plus fort que l'autre et Elisa déposa finalement sa lame trempée de sang au sol, colorant la neige d'une couleur à laquelle elle était bien trop habituée.

C'était fini, enfin. Elle était épuisée. La bête inerte au-dessus d'elle pesait une tonne. Usant de ses dernières forces elle la fit basculer sur le côté libérant son corps et offrant au vent frais sa peau meurtrie. Ses vêtements n'étaient plus que lambeaux.

Le brouillard s'était dissipé, et dans son immense fatigue, Elisa eu la drôle d'impression que les branches d'arbres cherchaient à se refermer sur elle, ce fut à peine si elle remarqua les bottes s'approcher d'elle alors qu'elle glissait au fond de l'abysse.

***

C'est le bruit caractéristique du crépitement d'un feu qui la ramena à elle, un goût métallique dans la bouche.

Pour autant, elle n'ouvrit pas les yeux, un instinct de préservation lui dictant d'écouter avant de faire le moindre mouvement.

Ou alors c'était encore le Vieux.

Elle était encore en vie...Il avait raison le bougre, elle était vraiment une putain de chanceuse...

Feignent toujours l'évanouissement, elle écouta : Ils étaient plusieurs à en juger par le nombre de pas. Peut-être cinq ou six.

Plusieurs odeurs flottaient dans l'air. Celle alléchante de la viande en train de cuire sur le feu et une autre, se rapprochant plus de celle du tabac, sans pour autant en être.

Quelques mouvements légers lui apprirent également qu'elle était attachée et que ses plaies avaient été soignées. Le vent ne les harcelait plus, soulageant Elisa d'une douleur piquante, bien que ses hôtes l'aient laissé dans la neige.

Elle se gelait le cul.

Des pas se rapprochèrent d'elle et un craquement de genoux lui appris que la personne s'était maintenant mise à sa hauteur.

La Maraudeuse feinta toujours.

— On devrait la tuer, déclara une voix aigre.

— Zeff, doucement par là-bas. Elle s'est défendue. Tout simplement, répliqua une voix féminine.

— Quoi, maintenant ? Tu prends sa défense ? Elle a tué Masha !

— Toujours dans le mélodramatique ! Ce n'était qu'un lynx ! Tu en as d'autres !

— Ce n'était pas qu'un lynx, c'était Masha et je la connaissais depuis la naissance !

— Vous me cassez les oreilles tous les deux, alors bouclez là ! Ramène tes fesses par ici Zeff, laisse-la tranquille. Et Laurie, ton cataplasme, il avance ?!

— Je ne sais pas où tu as vu qu'un cataplasme se préparait dans un claquement de doigt, mais si tu penses aller plus vite que moi, je t'en prie, prend ma place ! lança une deuxième voix féminine, plus jeune que la première.

L'un d'eux expulsa un crachat sur le sol.

— J'vois vraiment pas pourquoi on devrait s'occuper de ses blessures pour l'interroger. Elle serait pas plus encline à nous répondre si elle n'est pas au mieux de sa forme ?

— T'es con ou quoi, tu veux qu'elle nous claque entre les doigts, avant de nous répondre ?

— Moi, ça me plairait bien, fit Zeff.

— Dommage qu'on ne t'ait pas demandé ton avis.

— Margot ! Sérieusement vous commencez vraiment à me gonfler. C'est Honoré qui l'interrogera, point barre ! Je vous rappelle à tous les cinq, qu'à la base, nous sommes en chasse ! Le Clan a faim...

— Si Masha...

— Silence ! Si je t'entends encore te plaindre à propos de ce lynx, je te fais bouffer son cadavre !

Un sourire étira les lèvres d'Elisa.

— J'comprends mieux pourquoi on dit que personne ne vous trouve, fit-elle narquoise en ouvrant les yeux sur le groupe d'Anonymes. Faut dire que votre hospitalité laisse franchement à désirer.

Le groupe était composé de cinq personnes. Trois hommes et deux femmes dont les yeux s'étaient tournés vers elle.

La Quatre pencha la tête sur le côté :

— Vous êtes des Anonymes, non ? continua-t-elle en relevant un sourcil. Quel vaine, et moi qui vous cherchais...

L'un des hommes, le plus âgé des trois, fit pivoter ses jambes dans sa direction, un sourire aux lèvres.

Le feu de camp créant des ombres inquiétantes sur sa peau sombre.

— Et bien félicitation ma petite dame, on dirait bien que tu nous as trouvé.

Une putain de chanceuse...

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