Sans Laisse, Sans lois, Sans Limites (III)
L'arbre devant ses yeux n'était certainement pas le plus large, peut-être même pas le plus stable, mais c'est lui qui de par l'échelle qui tombait lâchement sur son tronc était le point d'accès de ce monde suspendu.
Béate, Elisa ne put s'empêcher d'observer ces nombreux ponts de singes courir au-dessus de sa tête en se demandant encore une fois : comment les Blancs pouvaient passer à côté de telles architectures ? Étaient-ils tous aveugles ? Ne voyaient-ils rien depuis leurs drones et leurs chasseurs lorsqu'ils survolaient la forêt ?
Les cheveux sur sa nuque se dressèrent.
Ou bien était-ce autre chose, dans le même genre de ce qu'elle avait vécu à l'entrée ?
- J'espère que tu n'as pas peur du vide, l'interpella Raphaël en commençant son ascension aux barreaux de bois.
- Ça ne m'a jamais posé de soucis pour me rendre dans le No Man's Land.
Elle avait répondu en élevant la voix, pour que tous l'entendent. La jeune femme n'aimait pas les chuchotements dans son dos, et la façon dont les yeux des curieux lui brûlaient l'arrière du cou.
Elle était habituée au commérage chez elle. Elisa connaissait ceux qui les proféraient, aussi ni prêtait-elle qu'une oreille discrète, suffisante pour les remettrent à leurs places quand il le fallait. Mais ici, les règles du jeu était différentes.
Aussi autant prendre les devants immédiatement.
Ses mains liées et son piteux état n'étaient en rien représentatifs de ce qu'elle était réellement.
La Quatre était une Maraudeuse, une femme du No Man's Land.
C'était en soi un symbole de force, de bravoure ! Non, plus qu'un symbole, c'était là un fait et elle en était fière.
Sans compter qu'elle n'oubliait pas que même s'ils vivaient désormais ici, la majorité des gens d'ici étaient de base, des enfants du Royaume.
Ils avaient juste eu plus de chance que d'autres, parvenant à se frayer un chemin au-delà du Mur lors des grandes pannes énergétique.
Oui, en somme, ils se ressemblaient. Ils étaient chanceux.
Alors ne me prenez pas de haut, songea Elisa en leur glissant un regard noir.
A peine eu-t-elle pensé ces mots que la jeune femme se rabroua mentalement.
Elle faisait preuve de bien trop de sentiment, la mission la tendant plus qu'elle ne l'aurait cru. Roulant des épaules pour se délaisser d'un peu d'anxiété, elle se tourna vers Modi, lui montrant tant bien que mal ses mains jointes derrière elle.
- Qu'est-ce que tu attends ?
Sans un mot, les lèvres du colosse se relevèrent en un sourire.
- N'y pense même pas petite, gronda Raphaël au-dessus d'elle.
Comme si on allait prendre le risque de te détacher ici ! Et de toute façon, je doute que tu puisses grimper à cette échelle.
- Alors quel est le plan ? Comment je fais pour te rejoindre ?
La réponse vint de Modi. Le grand homme fit un pas vers elle et la jeune femme recula largement, le fixant sévèrement.
- Même pas en rêve ! grinça-t-elle en comprenant ou il voulait en venir. Absolument hors de question.
C'est pourtant sur l'épaule du colosse qu'Elisa atteint ce monde surélevé, fumante de colère et joues écarlate.
Ses pieds retrouvèrent le sol -si l'on pouvait dire- avec une surprenante délicatesse. L'homme s'arrachant pour ne pas faire peiner son épaule endommagée par son combat précédent avec le lynx. Il s'écarta d'elle, lui paraissant encore plus immense sur l'étroite plateforme de bois sous leur pied. Dévorant l'espace de sa carrure.
- Et maintenant ? Vous m'emmenez voir ce type-là, Honoré ?
Les yeux d'Elisa glissaient de gauche à droite, appréhendant tout ce qu'elle pouvait. Le nombre de cabanes, combien de personnes ils croisaient, la longueur des ponts.
Le moindre détail comptait. Quant à son cerveau, il calculait déjà combien de pas ils avaient parcouru pour arriver jusqu'ici, combien de minutes il lui faudrait pour fuir une fois l'objet en mains.
Elle en tremblait d'avance, sans qu'elle puisse identifier s'il s'agissait là de peur ou bien d'excitation.
Le pont qu'ils traversaient oscillait doucement sous leur pas, de quoi rendre malades tous ceux souffrant de vertige ou d'acrophobie.
Un sourire amer étira ses lèvres. Désolée, Chase. songea-t-elle.
Cet état de fait cependant, ne semblait pas gêner le moins du monde les natifs, qui eux, se pressaient à grand pas sur les planches étroites et espacées des passerelles.
Raphaël lui adressa un regard par-dessus son épaule :
- Oui, notre chef, c'est ça.
- Et à quoi il ressemble votre chef ? C'est lui qui va décider de mon sort, c'est ça ? Est-ce que je dois m'attendre à me faire taper sur les doigts pour m'être défendue contre le gros chat de Zeff ?
Modi pouffa derrière elle, amusé.
- Tu as d'autres questions, ou ça va aller ? répondit Raphaël sans pour autant répondre à ses interrogations.
Rien qui changeait de l'ordinaire en soit.
La Quatre n'était pas si loquace habituellement, mais elle éprouvait ici le besoin maladif d'obtenir des réponses. Ne serait-ce qu'une ou deux afin d'apaiser les battements de son cœur bien trop rapides à son goût.
Le Vieux lui avait déjà dit : Règle n°10, Ne fonce pas dans un merdier si tu sais pas comment t'en sortir.
- Il ne ressemble à aucun autre, reprit le chasseur. Quant à ta dernière question, oui c'est lui qui décidera quoi faire de toi. Et dans le cas où tu resterais parmi nous, surveille tes arrières, Zeff à la rancune facile.
Je m'en serais douté, pensa-t-elle. Il n'y avait qu'à voir les regards assassins que celui-ci lui lançait.
Ce n'était pas la dernière fois qu'elle voyait Zeff, elle en était certaine.
- Je me méfie des personnes qui ne ressemblent à aucune autre, lança la jeune femme.
Elisa savait d'expérience que tout le monde se ressemblait, il y avait toujours un truc, un toc, un moment qui nous ramenait à autrui et c'était pour ça que les êtres humains étaient si doués pour se faire du mal les uns aux autres. C'était la base de la règle numéro quatre.
- Et moi, je me méfie des jeunes femmes qui traînent seules dans les bois.
- Il y en a d'autres qui apprécient.
Cette fois-ci Modi éclata de rire. Un rire profond, ressemblant plus à un aboiement qu'autre chose.
Cela mit fin au débat. Inutile d'aller plus loin. Autant en garder sous le coude. Raphaël n'était pas son ennemi, aucun d'entre eux ne l'état d'ailleurs. Pour autant, la Maraudeuse, ne pouvait pas non plus les traiter d'alliés.
Ils n'étaient que des pions, un moyen d'atteindre son objectif. Rien de plus, rien de moins.
Il faisait froid là-haut. A moins qu'il ne s'agisse simplement de ses vêtements trempés qui lui donnait cette impression. Le soleil perçait après tout.
La cabane devant laquelle ils s'arrêtèrent enfin se situait parmi les plus hautes du village. Pas bien grandes comparée à certaines, un brin usée, la Joker ne savait pas trop quoi en penser.
Si ce que le chasseur lui avait dit jusqu'alors était vrai, Honoré était leur chef, or ici, pas d'opulence, pas de signe distinctif trahissant une marque hiérarchique au sein de cette communauté.
Que dalle.
Par quoi ce type pouvait-il bien tous les tenir ?
Elisa trépignait, et tandis que Modi prenait appui sur l'une des barrières entourant la cabane, Raphaël frappa deux fois.
La porte s'ouvrit sur un homme d'une soixantaine d'années tout au plus et là où la Quatre l'aurait habituellement détaillé avec attention, elle se figea sur place.
Pétrifiée d'effroi.
Il était rare de voir les morts debout...
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