Plus tu aimes, plus tu sombres (I)

Elisa n'avait jamais vraiment porté d'importance aux civilités en temps normal. La plupart du temps, celles-ci n'étaient que la chimère de sentiment qui n'existaient pas, alors autant sauter par-dessus et arriver tout de suite là où il fallait être. Aussi, elle ne s'encombra de rien de ce genre en faisant valser la porte dérobée de l'hôpital clandestin des Dubois.

Jimmy, seul Jimmy comptait !

Les battants de la porte se secouèrent violemment dans leurs gonds et elle se mit à hurler à plein poumons :

— JULIE, SOLANGE !

Jimmy allait mal, Jimmy allait très mal et elle ne pouvait rien faire.

Les deux femmes descendirent les escaliers menant au sous-sol les yeux écarquillés.

— Faites quelque chose, MAINTENANT ! rugit Elisa dont tout le corps tremblait.

— Tu te calmes tout de suite ! répliqua sèchement Solange en s'emparant de Jimmy.

La jeune femme eut envie de lui faire mal dans l'instant. Comment pouvait-elle lui demander de se calmer ? Ne voyait-elle pas Jimmy !?

— Julie, le masque à oxygène là-bas, s'il te plaît, commanda Solange.

Sa fille s'empressa d'obéir et glissa doucement le masque sur le visage du petit garçon dont les joues rougeoyantes, et les yeux larmoyant ne faisaient qu'amplifier la détresse d'Elisa.

Elle n'avait pas réussi, elle n'avait pas réussi et il était comme ça maintenant.

Par le Roi ; Par le Roi ; Par le Roi !

— FAITES QUELQUE CHOSE ! rugit-elle à nouveau.

— ASSEZ ! Julie, emmène là !

La main de la blonde sur son avant-bras la fit bondir et elle tourna vers Julie un regard venimeux.

— Ne me touche pas !

Elle n'avait jamais vraiment apprécié les contacts physiques. Aussi loin qu'elle puise dans ses souvenirs, ils étaient synonymes de raclées et autres mésaventures peu envieuses. Jimmy et Louise étaient les seuls à pouvoir la toucher, tout comme ils étaient les seuls à qui elle accordait des gestes tendres.

— N'y pense même pas Elisa. Tu ne m'as jamais impressionné plus que ça, je me souviens encore de la petite fille qui est arrivée ici il y a quelques années.

La Maraudeuse gronda.

Allons donc ! Manquait plus que ça, un brin de nostalgie. Ce n'était vraiment pas le moment !

Pourtant c'était vrai, Julie n'avait jamais été impressionnée, c'était elle qui l'avait rabiboché quand elle s'était trainé ici lors de sa première visite dans le No Man's Land.

Elles n'étaient alors que des enfants, des gamines faisant de leur mieux, mais faire le mieux possible n'était pas assez et aujourd'hui, Elisa en était là !

— Jimmy est...

— Entre de bonnes mains, la coupa Julie. Par le Roi, tu grognes moins lorsque je te soigne.

La jeune femme la fusilla du regard.

S'éloignant légèrement de la future Ace, la Joker commença à faire les cent pas. Il fallait qu'elle se calme, qu'elle réfléchisse, qu'elle arrête ces fichus tremblements !

— Essaye te de calmer, lui conseilla Julie qui la regardait faire.

Elle secoua la tête, un gout acre dans la bouche.

— Dis-moi ça encore une fois, et je te gifle !

— Va-y, fais toi plaisir, j'en profiterais pour t'enfoncer une aiguille de tranquillisant à la base du cou, tu sais que je suis douée avec des aiguilles.

Un rictus franchit les lèvres de la Quatre.

Elle devait bien l'avouer, Julie était unique, si la blonde n'était pas impressionnée, elle l'était en son for intérieur. Ils n'étaient pas beaucoup à lui tenir tête comme ça.

— Tu as peur, et c'est compréhensible Elisa, lui lança doucement son amie en tentant une nouvelle approche.

— Je n'ai pas p...

Sa réplique qu'elle voulait cinglante, mourut sur ses lèvres.

C'te bonne blague ! Bien sûr qu'elle avait peur, elle était terrifiée !

Terrifiée pour Jimmy, terrifiée de son impuissance, terrifiée d'être terrifiée.

Elle était une proie !

Une saleté de proie !

Comme le Vieux se foutrait d'elle. Comme il se marrerait à la voir chouiner ainsi.

Une inspiration plus poussée de Solange leur fit tourner la tête en direction de la table d'examen.

Les yeux d'Elisa s'agrandirent.

Non, non, non non !

Là juste en dessous du genou de Jimmy, il y avait une boule, énorme, de la taille d'une balle de tennis !

Elle allait se réveiller, s'était un cauchemar, un simple cauchemar. Elle n'avait pas pu rater ça !

C'était impossible qu'elle ait été incapable de stopper sa crise d'asthme et de ne pas voir le travail de l'hémophilie faire son œuvre sous la peau de son petit frère.

Elle était toujours prudente avec lui. Elle avait donné des règles.

La tête lui tourna et un bruit semblable à un sanglot s'échappa de ses lèvres.

— Elisa...

— Ne me touche pas ! cria-t-elle hystérique.

Encore un peu et elle exploserait, elle leur ferait du mal, elle avait envie de se faire du mal.

— Très bien, alors réfléchit dans ce cas, comment c'est arrivé, demanda Solange.

— Je ne sais pas !

Solange claqua impatiemment sa langue contre son palais et fronça les sourcils.

— Je ne sais pas, OK ! cracha Elisa. Ce truc, ce n'était pas là hier soir ! fit-elle en désignant d'un doigt tremblant malgré elle, la bosse sur la jambe de son petit frère.

— Personne ne t'accuse de quoique ce soit, tu sais, glissa doucement Julie.

— Moi je le fais, répliqua la jeune femme en essuyant rageusement ses yeux.

Merde !

— Peut-être que Louise...Par le Roi, Elisa. Où est Louise !?

La Joker se stoppa net dans ses mouvements.

Louise ?

Sa petite sœur, elle avait oublié sa petite sœur !

Elle blêmit davantage.

Louise !

Avec force, Julie la fit pivoter vers elle, la surprenant.

— Elisa, par le Roi, où est Louise !

— Je...Je...

Rien, le trou noir total. Elle avait tellement été obnubilée par Jimmy qu'elle avait oublié qu'ils étaient trois.

Quelle règle il citerait là, le vieux. La quatre ? Ou peut-être la huit...

Plus tu aimes, plus tu sombres.

Oui.

Oui, c'était sûrement le cas

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