Ordre et Chaos (II)
Ils délaissèrent la cabane sur les coups de quinze heures, les marches de bois de l'échelle grinçant sous leurs pieds.
Dans les rues du dernier secteur, ils croisèrent peu de monde, une dizaine d'âmes tout au plus, bravant comme eux, le froid et le vent. Tout du long, les jeunes gens n'échangèrent pas un mot, planifiant par la pensée, la suite des événements, leur fuite prenant désormais pour l'un comme pour l'autre des allures de délivrance.
Et pour cause, on craignait les caméras figées sur les murs à chaque angles de rues qui par des mouvements circulaires, les fixaient de leurs orbites glacés. On avait peur à chaque crissement de neige qui ne leur appartenait pas, à chaque ombre d'aérostats qui couvraient la neige d'un voile noir en passant au-dessus de leur tête.
On craignait les Paladins, de se faire arrêter, contrôler.
Ils n'étaient plus qu'à quelques pâtés de maison de leur destination quand une symphonie de rire parvint à leurs oreilles. Le spectacle, réchauffa immédiatement Sarah. Comme il était agréable de se voir rappeler que tout n'était pas encore sous le joug des Uniformes.
Tâches de couleurs tranchants radicalement avec ce monde laiteux, ce n'est pourtant pas les enfants engagés dans une gigantesque bataille de neige qui tenait l'attention d'Alexandre, un regard dans sa direction en persuada la rousse, mais Julie qui adossée contre un mur, cheveux d'or couvert d'un bonnet bleu clair, scrutait l'avancement de la bataille avec tendresse.
- Elle te plaît, pas vrai ?
Ce n'était là qu'une simple question rhétorique, la réponse était limpide. Preuve en était les joues rosées ou l'air rêveur que son meilleur ami abordés à la simple vue de la demoiselle, aussi le sourire de Sarah n'était que malice quand se tournant vers elle, il lâcha un :
- Oui...
- Tu comptes faire quelque chose ? Le lui dire ?
- Quoi ! Je non, bien sûr que non ! Je n'oserais jamais !
Hilare, la pilote observa son ami devenir amas de chair écarlate et bredouillante, dont les yeux ne cessaient de faire le chemin entre Julie et le reste du paysage.
- Tu crois qu'elle...qu'elle... ?
- Par le Roi, Alexandre, tu es exaspérant parfois ! Tu veux une réponse, alors vas-y, utilise...tu sais...ton don.
- Non ! Tu es folle ? C'est hors de question !
L'hilarité de Sarah redoubla. C'était si rafraichissant de voir son ami, si sérieux perdre toute contenance de la sorte. Un peu triste aussi, et son sourire à cette pensée, s'estompa légèrement. Qu'il était dur envers lui-même ce jeune homme à ses côtés. Si peu confiant en lui-même pour certaine chose.
- Je ne fais pas le poids de toute façon...
- Faire le poids ? Et contre qui d'abord ?...Lucas ?
L'empathe se dandina d'un pied sur l'autre.
- Oh, Alex...Tu sais que, Julie et Lucas, c'était il y a longtemps. Leur relation n'a duré que quelques mois.
- Peut-être, mais Lucas est...
- Lucas est Lucas et toi, tu es toi ! Arrête de vous comparer !
Elle se baissa pour ramasser une poignée de neige qu'elle modela entre ses mains glacées.
- Parle lui, et pas seulement de ça. Essaye de lui parler de notre petit...plan...
- Et toi ? Qu'est-ce que tu vas faire ? Tu ne viens pas avec moi, paniqua le jeune homme.
- Moi ? Eh bien moi, j'ai une bataille à gagner, glissa-t-elle maligne, en s'élançant vers les gamins.
Je fuis, comprit-elle alors que son projectile atteignait l'un des garçonnets. Je fuis totalement.
Un instant, Sarah fut dégoutée de sa propre lâcheté, un instant seulement avant qu'elle ne s'en ébroue. Qu'importe, que l'Hiver les emporte tous, si c'était là le prix à payer pour revenir en enfance l'espace d'un instant, alors ainsi soit-il. Elle le payerait avec joie, car il était béni le temps ou Lucas souriait plus, sa mère chantonnait davantage et son père était là. Qu'elle était bonne l'époque où il n'y avait pas de leçons, pas de plan d'évasion, pas de piqure ou de mutation.
Et là maintenant, il n'y avait qu'elle tachant d'éviter les projectiles glacées que lui lançaient les gosses. Des adversaires bien moins inquiétants que peuvent l'être les Blancs, songea-t-elle en ricanant, alors que deux des gamins qu'elle poursuivait fuyer devant elle. Sur ceux là, elle avait clairement l'avantage, à moins que...
Oh, les sales mioches ! Ils se lient contre moi !
- Non !!! S'exclama-t-elle avec un excès qui secoua les petits de rire, avant de chuter dramatiquement au sol. Je suis touchée !!
Durant ce petit moment, Sarah se sentit mieux, cernée de rires bien que couverte de neige, elle n'éprouvait plus ce froid persistant qui lui broyait les tripes depuis plusieurs jours. Si bien qu'elle aurait aimé que cet instant s'étende encore longtemps, jusqu'à peut-être même jusqu'à ce que tout s'arrête, mais déjà il s'estompait. L'illusion ne dura qu'un instant et déjà le champ de bataille improvisé redevenait silencieux. Les gamins présent ramenaient en vitesse dans la sécurité des foyers,par des parents inquiets, et dans lequel on se souciait un peu moins de ce qui se tramer à l'extérieur.
Haletante, sa respiration faisant naître de grands panaches blancs dans l'air frais, la jeune femme se laissa tomber aux côtés de Jimmy et Louise, repérés plus tôt dans la mêlée.
La petite surveillait son benjamin comme un aigle, mais Sarah fut ravie de constater que, l'un, comme l'autre semblait en bien meilleure forme que la dernière fois qu'elle les avait vus.
Cela remontait à sa dernière course. Partit le petit garçon au teint maladif, agrippé à la manche d'Elisa comme à une bouée de sauvetage, disparue la petite aux traits tirés par la fatigue.
- Tu sembles te porter comme un charme, Jimmy, remarqua-t-elle. Tu as même pu participer !
- La neige ne fait pas mal, lui glissa le garçon, non sans avoir préalablement inspiré dans son inhalateur. Et j'ai bien fait attention à ce que personne ne me touche. Mais s'il te plaît, le dit quand même pas à Elisa.
Louise releva les yeux au ciel.
- C'est plus simple de se sentir mieux quand on mange plus.
- En effet, confirma la Quatre. Donc, vous êtes encore chez Julie et Solange ?
Les yeux gris de Sarah allèrent se poser sur la blonde un peu plus loin.
- Oui, opina Jimmy. Elles sont très gentilles, même j'ai quand même très hâte qu'Elisa revienne.
- Cela ne se dit pas, très hâte que, s'exaspéra sa sœur.
Vexé de la remontrance, le petit tourna vers sa cadette un regard colérique, bras croisés et moue boudeuse sur les lèvres si bien que Sarah préféra intervenir et ainsi diluer une hypothétique dispute.
- Je suis persuadée que votre sœur va bientôt rentrer.
Une simple phrase et déjà Jimmy retrouvait le sourire.
- Tu sais, je t'ai vu à la télévision l'autre fois !
- Idiot, ne lui parle pas de ça, gronda Louise alors que le sourire qui venait de naître sur les lèvres de la rousse se fanait.
-Pourquoi ? Je l'ai trouvée très bien, moi !
- Parce que, tu n'as rien compris bébé !
-Je suis pas un bébé !
- C'est bon, Louise - La jeune femme glissa un timide sourire en direction de la petite - Je suis très heureuse que tu ais pensé que j'étais bien Jimmy !
C'était faux bien entendu. J'étais tout sauf bien, je suis tout sauf bien ! Les souvenirs de sa dernière course lui donnaient des terreurs nocturnes, la tête lui tournait dès qu'on prononçait le prénom de son malheureux adversaire.
Même la couleur rouge qu'elle avait jusqu'à maintenant portée avec tant de fierté, n'avait plus grâce à ses yeux.
Écarlate n'était plus que chaos.
Comment pouvait-il comprendre, ce petit garçon qu'alors qu'elle s'était pensée plus fine que tout le monde, elle n'avait en réalité que suivit un chemin déjà tracé pour elle, un pic vertigineux lui mettant à dos la plupart de ses pairs ? Comment pouvait-il croire qu'elle s'en était sortie sans brûlures ?
Et lorsque doucement, le petit se mit à fredonner inconsciemment la comptine de la Zone, Sarah réprima un tremblement.
« Voilà ce qu'il en coûte de s'opposer à moi », prévenait le monarque de la chanson...
La quatre aurait seulement aimé s'en souvenir plus tôt.
Corrélé à son état d'esprit un nuage sombre passa au-dessus d'eux, les poussant à lever les yeux et silencieux, ils observèrent anxieux, l'un des aérostats de la milice du Roi se frayait un chemin à travers le ciel devenu grisâtre et triste.
- Je n'aime pas c'est trucs, murmura le petit métisse. On dit qu'à l'intérieur, il y a des tas de bombes...
- N'importe quoi ! répliqua Louise. On dit aussi que si tu manges suffisamment de neige, tu finiras par chier un diamant !
- Louise, s'offusqua Sarah. Ton frère n'a que dix ans !
La fillette se contenta d'un haussement d'épaule désinvolte et la rousse fut alors saisie par la ressemblance qu'elle partageait avec sa sœur aînée.
- Tu vois ? lança-t-elle à son frère. N'écoute pas les on-dit, ce ne sont que des mensonges. Moi, je ne crois que ce que je vois !
- Bah, on dirait qu'ils viennent vers nous ! Et eux, je les vois !
Jimmy s'était relevé d'un bond, surprenant la pilote qui dans un geste mimétique se leva à son tour. Il disait bien vrai le petit et elle les voyait aussi à présent, cette escouade de Blanc trancher la neige de leur pas militaire et venir droit vers eux.
Une horde en chasse...
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