Mensonges et Sentiments (I)

Un vent vicieux et froid s'insinuait à travers chaque parcelle décousue de son coupe-vent et les faibles efforts d'Alexandre pour se réchauffer en trottant semblaient vains. Malgré tout, il poursuivit son chemin de la même façon, baissant la tête afin d'éviter que les brusques rafales ne lui fouettent le visage.

Le vent de face ne lui facilita pas la tâche, mais il parvint enfin à atteindre l'immeuble de Sarah.

Celle-ci vêtue d'une tenue de sport sautait d'un pied sur l'autre cherchant sans aucun doute à se réchauffer elle aussi. Ses cheveux roux étaient attachés en une queue-de-cheval, que l'élément furieux lui ramenait systématiquement dans la figure. Elle la repoussa d'une main et adressa un grand sourire à Alexandre.

- C'est pas trop tôt ! J'ai cru que j'allais geler à t'attendre, le taquina-t-elle.

D'humeur moqueuse malgré le froid mordant, il roula des yeux et émit un rire qui se voulait faux, mais son acte ne dupa personne et Sarah lui asséna un petit coup sur l'épaule en représailles non sans dissimuler un autre sourire.

Il était soulagé, depuis les événements survenus deux semaines auparavant, il avait eu du mal à communiquer avec son amie, et cela malgré le fait qu'ils vivent tous les deux dans la même zone et à seulement cinq quartiers l'un de l'autre. Sa masse de travail s'étant alourdi considérablement avec l'approche du Partage et la surveillance constante de l'état de Sarah par les médecins n'avaient laissé que peu de place aux discussions, aussi il était heureux de voir que l'incident n'avait pas eu de conséquences sur la psyché de la jeune fille.

Du moins en surface, il avait bien l'intention de creuser le sujet le plus subtilement possible. Un petit service qu'il devait rendre...

Cette pensée lui tira une grimace, il détestait mentir, et manipuler ainsi Sarah -d'une certaine manière- prêcher le faux pour savoir le vrai, lui faisait se sentir immonde. Une partie de lui ne pouvait s'empêcher de se dire qu'un jour, tout cela lui reviendrait en pleine figure.

- On se met en route ? demanda-t-il en se balançant d'un pied sur l'autre.

Une nouvelle bise mordante s'attaquait à eux et l'immeuble de la jeune fille ne leur offrait qu'un abri dérisoire, aussi espérait-il sans grande conviction qu'une course entre eux réchaufferait ses membres glacés.

Elle opina du chef et ils s'en partirent en trottant, toujours le vent dans la figure. Il grogna de frustration.

- On se gèle à ce point alors que l'hiver vient à peine de commencer ! Tu imagines ce que va donner le reste de la saison !

Sarah lui offrit un sourire compatissant.

- Je ne préfère pas y penser, non !

Il y avait une rumeur dans la Zone.

Une qui voulait que lorsque qu'arriver le moment pour chaque Zones de payer le prix de la trahison envers le Roi, celui-ci commandait du bout des doigts une météo des plus terrible pour en accabler les habitants.

Aussi comme l'hiver avait échu à la Zone Ouest, voyait-on les températures descendre au plus bas.

Alexandre avait le souvenir que son grand-père lui avait un jour raconté que des années auparavant, alors que le Roi devenait Roi, il avait fait s'abattre un hiver si rude sur la Zone, que plus de la moitié de ses habitants s'étaient retrouvés congelés. Pris au piège dans la glace ou bien perdus dans le blizzard. D'autre encore étaient morts de faim car coincés dans les habitations.

Ce tour cruel du Roi n'était-il que rumeur ou s'avérait-il être une vérité ?

Alexandre n'en savait rien et il espérait bien ne jamais à avoir à le découvrir.

Au moins, il ne neige pas, songea-t-il. C'était toujours ça.

Ils trottèrent de bon train un moment et quand leurs muscles se furent réchauffés, ils pressèrent le pas, allant jusqu'à la course.

Il avait été convenu qu'ils se rendent du côté des docks, là-bas, les Chase y avaient un box dans lequel se trouvait MAX la moto intelligente de Sarah.

Il fallait deux heures pour se rendre là-bas, aussi lorsque l'un s'épuisait, l'autre lui passait devant afin de permettre à son compagnon de se synchroniser sur lui. Ils n'eurent recourt à ce procédé que deux fois en tout. Ils couraient depuis qu'ils étaient tous jeunes, aussi ce n'était là qu'une formalité.

Si au début, il détestait ça, Alexandre s'était mis progressivement à apprécier l'exercice. Il s'était aperçu qu'en se concentrant uniquement sur ses pas, le reste disparaissait et ne restait plus alors que le calme et la sérénité et il adorait ça, aussi courrait-t-il autant voire plus que son amie.

Silencieusement, ils firent leur chemin avec pour seul bruit celui de leur respiration longue et calme et seul compagnon l'un, l'autre et les panaches blanches qu'ils expiraient à intervalles régulier. Inutile de parler, lui bien que pas timide était plutôt introverti et elle était toujours en pleine pensée quand ils se rendaient aux docks.

Quelques rayons de soleil nébuleux percèrent quand ils eurent atteint leur destination.

Les docks étaient de l'avis du garçon terriblement moches-et d'ailleurs, on disait les docks, mais il n'y en avait en réalité qu'un seul, immense qui s'allongeait sur des kilomètres et ne parlons pas de la mer ou de l'océan qui n'étaient plus qu'un lointain souvenir-ce n'était que des alignements militaires d'immenses box, posés sur le béton et qui faisaient cinq à six mètres de haut pour quatre mètres de large. Ton gris sur gris. On disait même que des familles vivaient là-dedans.

- Tu penses que c'est vrai qu'il y avait la mer ici avant ? demanda-t-il alors qu'ils parcouraient le dédale que faisaient les box.

Sarah réfléchit un moment avant d'hausser les épaules.

- Je n'en sais rien, peut-être. À quoi bon y réfléchir de toute façon.

- Juste comme ça. Ça aurait été sympa de voir l'océan et de pêcher comme dans la Zone Sud.

- Les gens de la Zone Sud pêchent pour le Roi, ils ne gardent presque pas de poissons et leur périmètre de pêche est délimité par d'immenses tours sur lesquels circulent un millier d'hommes on dit.

- Tu crois que c'est vrai !?

- Peut-être que oui ou peut-être que non. Ce n'est pas comme si on allait pouvoir vérifier un jour non ?

Il soupira, Sarah pouvait parfois être très étriquée.

- Mon père...Non, Lucas m'a dit que notre père venait du continent après la mer.

Le visage de Sarah se fit triste et Alexandre préféra changer de sujet. Son père à elle et a Lucas avait toujours été un sujet difficile à aborder.

- Tu penses qu'il y a des Maraudeurs ici aujourd'hui ?

Les Maraudeurs, c'était le nom que l'on donné aux gens du Quatre qui fourmillaient dans le No Man's Land de la Zone. Ceux qui ne parvenaient pas à trouver un travail et qui faute de quoi, se faisaient mercenaires, voleurs ou encore pilleurs. Elisa était de ceux-là, au grand désarroi d'Alexandre. Et il disait aujourd'hui car l'Hiver les poussaient parfois à s'aventurer hors du No Man's Land pour y trouver de quoi subsister de manière parfois plus que belliqueuse.

Sarah qui marchait devant lui se retourna, sourcils froncés pour lui jeter un regard.

- Il te vient de ces questions à toi aujourd'hui ! Tu ne m'as pas posé cette question les autres fois où l'on est venu.

- Les autres fois ce n'était pas l'Hiver, lui répondit-il sèchement.

L'inquiétude et la peur le rendaient toujours hargneux, mais il n'en éprouvait pas la moindre honte et pour sûr, il savait qu'il avait des raisons d'être anxieux, les lieux n'étaient pas sans abriter de danger.

- Rien ne t'obligeait à m'accompagner, s'hérissa Sarah en retour, sa queue-de-cheval le giflant au passage.

Il grogna encore et pendant plusieurs minutes ni l'un ni l'autre ne parlèrent.

Des enfants, nous sommes des enfants, songea-t-il avec un brin de nostalgie. Profitant de la dispute, il laissa son regard parcourir les box. Non pas qu'il ne l'avait pas déjà fait auparavant, il était venu si souvent...Tous étaient gris, mais parfois çà et là, les Maraudeurs agrémentaient l'uni de quelques graffitis. Box contenant de l'argent, objets de valeurs, possibilité de dormir à l'intérieur et cetera.

Devant lui, Sarah soupira et lui lança un regard dans lequel flottait encore de l'agacement.

- Si jamais il y a des Maraudeurs, toi et moi on détale ! Bien évidemment que je ne vais pas te faire rester. S'il y en avait qu'un seul à la limite un bon coup dans les choucrettes et je m'en débarrasse, mais ils ont tendance à opérer-

- En meute, ouais, finit le jeune homme amer.

- C'est une bonne stratégie tu vas me dire, fit remarquer Sarah.

Elle se tourna vers lui en grimaçant.

- Tu te souviens de ma dernière course ?

Il hocha la tête en partageant sa grimace. Sa meilleure amie avait été éliminée grâce à l'effort combiné de deux autres pilotes. Elle s'était retrouvée avec la jambe dans un sale état. Les duels physiques entre pilotes étaient la normalité pendant les courses, c'était même ce qui attirait le plus le public, mais ce fait rendait Alexandre malade, plus encore car sa meilleure amie était la cible préférée de certains autres pilotes et à ce stade ce n'était pas autre chose que de l'obsession que le brun trouvait franchement malsaine.

- Je ne comprendrais jamais pourquoi tu aimes tant ce « sport » ! dit-il en encadrant le mot de guillemet. Á chaque fois tu te prends des coups.

- Hé ! Je ne prends pas toujours des coups, j'en donne aussi ! Quant à savoir pourquoi j'aime tellement courir, et bien...

Le regard de Sarah se fit lointain. La jubilation et la tendresse qu'elle émettait était si transparentes à Alexandre qu'il ne put réprimer un sourire.

- Ton père, devina-t-il.

- J'ai ça dans le sang Alex, acquiesça-t-elle.

Ils arrivèrent au box des Chase quelques minutes plus tard, sans encombre à la plus grande joie de l'adolescent. Sarah se servit de sa paume pour ouvrir et tous deux s'engouffrèrent à l'intérieur.

Immédiatement sa meilleure amie alluma les lumières dévoilant la pièce jusqu'alors plongée dans l'obscurité.

Plutôt petit bien que confortable, l'entrepôt des Chase renfermait les possessions les plus importantes de la famille. Allant des affaires liées à la course en passant par celles d'Aaron le père de son amie, on y trouvait surtout MAX le bolide écarlate de Sarah.

L'ensemble faisait qu'Alexandre avait toujours l'impression d'être un intrus dans la pièce, la cinquième roue du carrosse et plus particulièrement dans le cas présent, la troisième roue du bolide.

Aussi préféra-t-il rester légèrement à l'écart le temps que Sarah salue son partenaire.

- Bonjours MAX, roucoula-t-elle doucement, arrachant un sourire au brun.

Bonjour Sarah, je suis ravi de te voir ! Bonjour également Alexandre.

- Bonjour MAX, ça faisait longtemps, lança-t-il timidement.

Quatre mois, six jours et soixante-douze heures, pour être exact.

- Quelle précision ! Alexandre qu'est-ce que tu fais près de la porte, viens enfin ! Combien de fois je vais devoir te dire, que ça ne me gêne pas ! Lucas non plus, ne fais pas l'idiot.

- Désolé, fit-il avec un sourire timide.

C'était plus fort que lui, chaque fois qu'il venait, il avait la sensation de plonger un peu plus dans l'intimité des Chase, la pièce était tellement chargée d'émotions !

Il adressa une prière silencieuse au père de son amie en lui demandant d'excuser son intrusion, roula des épaules et se rapprocha de la rousse.

Elle se retourna et lui tendit un carton plein à craquer. Il pesait lourd dans les bras du jeune homme.

- On doit faire l'inventaire, de tout ce qui se trouve dans les cartons, sauf ceux de mon père évidement.

Il eut un sourire en coin.

- Ah, je comprends mieux pourquoi tu m'as demandé de venir. Les joies de l'inventaire !

- Hé, ça sert à ça les amis, répliqua-t-elle taquine.

Il rit et les deux adolescents se mirent au travail.

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