Les Cavaliers (VIII)
Le phénomène d'attraction entre son gant droit et la plateforme, laissa Sarah comme désarticulé un instant, comme un ressort reprenant sa position après avoir été trop étiré, son corps freina brutalement à l'extrémité de ce qui leur avait servi d'arène de combat.
Ses pieds s'agitèrent légèrement dans le vide avant qu'elle ne trouve une position plus confortable.
- Léo, hurla-t-elle au garçon. Ta main !
Le jeune homme leva vers la pilote un regard paniqué. Ses pieds battaient le vide avec force.
- Ma main n'est plus aimantée !
- Je sais, elle ne l'est plus avec la plateforme, c'est pour ça que je te demande ta main, on va s'aimanter !
- Quoi !?
La question fut aussi bien prononcée d'un côté comme de l'autre de la ligne.
- C'est une mauvaise idée Sarah. Le fait d'utiliser une polarité différente à chaque extrémité de ta combinaison va drastiquement réduire ses capacités ! s'inquiéta Julie.
- Tu as une meilleure idée ? répliqua la rousse en se saisissant de la main de son adversaire.
Le crissement de la plateforme se fit plus plaintif.
- Je te tiens Léo, ça va aller ! s'acharna la jeune femme en serrant les dents. Je te tiens, je te promets. Je ne vais pas te lâcher !
Les Maîtres du Jeu ne feraient pas d'elle une meurtrière, elle s'en assurerait.
- Ça va lâcher ! déglutit le jeune homme. Je suis trop lourd.
Sarah secoua la tête.
- T'en fais pas, ça va le faire, il faut juste tenir encore un peu.
Tenir, oui, tenir c'était ce qu'il fallait faire, mais la chose devenait de plus en plus difficile pour elle.
À la sueur qui noyait ses mains sous sa combinaison et faisait bouger son aimant, s'ajouter le poids de Léo et le bourdonnement de plus en plus fort du champ magnétique sur la plateforme, signal inquiétant de la polarité qui s'apprêtait à changer.
Ou alors, c'était sa tête qui bourdonnait encore. Elle avait l'impression qu'un étau d'acier lui encerclait le crâne.
Le souffle de Léo s'était fait court.
- MAX ! hurla Sarah.
En chemin Sarah !
- Vite, je t'en supplie !
La jeune femme tira un peu plus sur son bras dans un effort pour faire remonter Léo sans y parvenir.
Et les motos n'arrivaient toujours pas.
Je vais lâcher, pensa-t-elle horrifié. Je vais le lâcher !
Elle resserra ses doigts sur les siens.
- Sarah..., fit-il.
Elle secoua la tête. Non. Non, elle refusait de s'y résoudre. Cette résignation dans son regard, elle le refusait de tout son être.
- Non, gronda-t-elle. On va s'en sortir ! On va s'en sortir, lui cria-t-elle d'une voix chevrotante.
Sa vision s'était désormais réduite aux orbes bleus du Quatre et alors que ceux-ci se remplissaient de larmes, elle eut l'impression d'être happé par un tsunami.
C'était étrange, elle qui avait une peur panique de l'eau...
- Merci, lui chuchota-t-il.
Les premières larmes tombèrent, leurs mains s'échappèrent et Léo disparut.
Sarah resta muette.
Il était tombé, il était tombé, il était tombé ! Non, non...
Il était forcément vivant, sa moto avait dû le rattraper, Sarah l'avait vu, il avait de l'avance sur elle au début de la course. Ça ne pouvait pas être son corps là en bas. Impossible, on ne mourrait pas dans les courses... Non.
Elle ravala la boule qu'elle avait dans la gorge.
- Lucas...Il va bien, hein ? Léo, il va bien, pas vrai ?
- Sarah...
Ça voulait dire quoi ce ton, elle n'aimait pas ce ton.
- Non, gronda-t-elle encore. Non !
- Sarah, tu dois te laisser tomber maintenant ! lui ordonna Matthieu.
La rousse secoua la tête, ce n'était pas possible. Absolument impossible !
Un brusque mouvement fit trembler la plateforme, son mini enregistreur sous sa combinaison était en train de s'enfoncer dans sa peau.
Papa...
Mais qu'est-ce qu'elle faisait là au juste ? Elle ne pouvait pas rester là... Lucas l'attendait surement, et sa mère aussi, les pauvres, ils allaient s'inquiéter si elle restait là !
- SARAH ! rugit son frère. JE T'INTERDIS DE MOURIR !
Elle avait entendu.
Quelque chose claqua dans l'esprit de la jeune femme, comme si une barrière venait de céder, ses dernières forces.
Elle poussa sur ses bras et se laissa tomber dans le vide.
Elle se souvint à peine son atterrissage sur MAX qui lui fit monter une douleur atroce dans tout le corps, elle se souvint à peine du tir de Cheryl dans sa direction, ni de celui de Dylan pour dévier le premier, elle se souvint à peine d'avoir obéi à la Une alors que Delaneau se débarrassait de l'A.R.C de celle qui avait manqué de l'abattre pour suivre la pilote du Un.
Elle ne se souvenait pas d'avoir franchi la ligne d'arrivée, du soulagement de son frère et du reste de son équipe, des exclamations des présentateurs, et pourtant, ce devait être le cas, tout ça était vrai, puisqu'elle était là, non ?
Non ?
Ce n'était donc pas un cauchemar ?
- Sarah ?
La voix de Dylan, à quatre places sur sa droite, la première place.
Elle tourna la tête dans sa direction.
La Une avait un genou à terre, Delaneau aussi et Cheryl et Bret tout à côté d'elle.
Pourquoi ils étaient à genoux ?
Sarah ne le comprenait pas.
Devant elle, Phileas plongea un regard inquiet dans le sien.
- Un genou à terre, mademoiselle Chase, je vous en conjure.
Vraiment ? Un genou à terre ? Et pourquoi au juste ?
Par loyauté, obéissance, reconnaissance ? Mais il n'y avait rien de tout ça ici.
Elle fixa d'un œil las Phileas qui suait à grosses gouttes avant que du mouvement derrière lui n'attire son attention ailleurs.
Lucas était en train de jouer des coudes.
Leurs regards se croisèrent.
Un genou à terre, petite sœur.
C'était ce que ses yeux lui criaient, elle l'avait entendu très clairement.
Oui, Sarah ne se souvenait quasiment de rien, mais alors que le jeu s'effaçait dans son esprit, elle se souvint du feu, ardent, brûlant qui incendiait tout sur son passage, celui qui remuait dans ses veines et manquait de l'étouffer.
Elle mit un genou à terre.
Maintenant elle se souvenait
Et alors qu'on noyait les dix premiers sous une pluie de pétales de rose, elle, n'y voyait plus qu'une pluie de sang.
Du sang rouge.
Rouge écarlate.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top