Les Cavaliers (II)
Hors du stand, Sarah inspira un grand coup dans l'espoir de dénouer le nœud dans son estomac. C'était étrange cette sensation.
Elle qui d'habitude attendait avec impatience les courses, était désormais terrifiée de se lancer dans l'arène.
Quelle ironie.
Son père la disait forte, mais l'était-elle vraiment ? Sarah en venait à douter. Énormément depuis que la réalité de son geste et ses conséquences c'était entièrement imposés dans son esprit.
Qu'avait-elle fait !?
Elle ne mentait pas quand elle avait déclaré à son frère qu'elle avait seulement voulu l'aider, mais il était vrai aussi que la jeune fille n'avait absolument mesuré l'impact de son action, encore une fois, elle avait agi à l'instinct, usant ses tripes, à défaut de sa tête et quelque part au fond d'elle, elle le regrettait...
Elle secoua la tête. Il ne servait à rien de ressasser. Ce qui était fait, était fait. Il fallait qu'elle se concentre sur le présent, c'était ça le plus important maintenant.
Que lui disait son frère déjà ? Ah oui, tiens-toi en au plan.
Cela la faisait sourire.
Elle n'était pas de ceux qui s'en tenaient aux plans, ni encore moins aux règles. A quoi cela serait-il quand un rien, pouvait tout faire chavirer, mais ici, à cet instant, les règles avaient quelques choses de rassurant.
Oh bien sûr, les Maitres du Jeu aimaient varier les plaisirs, mais il y avait des choses qui restaient immuables.
Aussi par quoi commencer ?
Sarah rouvrit les yeux pour promener son regard devant elle. Quatre kilomètres, un champ de force et une large gouttière que l'on nommait le boyau séparaient, les stands de chaque équipe tous alignés vers l'Ouest, de l'arène.
Forçant ses jambes flageolantes à reprendre un peu de contenances, elle avança tout en continuant sa liste mentale.
Bien que restant à distance, elle pouvait entendre le champ de force crépiter d'ici.
Elle se garda bien de ne pas approcher davantage, ou de lever malencontreusement une main dans sa direction. C'était un coup à finir écraser contre celui-ci, attirée brutalement par le magnétisme contraire entre sa combinaison et le bouclier invisible visant à protéger le public.
Un sourire amer étira les lèvres de la jeune femme. Ah le public, voyeur avide, mécanisme irremplaçable pour que le spectacle puisse avoir lieu.
Ils étaient nombreux à venir voir les courses et désormais, ils étaient encore plus nombreux à parier. Son « petit » spectacle comme l'avait qualifié Monroe, avait déclenché une véritable lame de fond sous laquelle la pilote risquait de se noyer.
Un million de couronnes, on avait misé sur elle un million de couronnes.
En temps normal, elle aurait exulté pour un tel montant, mais les choses étaient désormais bien différentes. Cela n'était en rien une récompense pour son agilité et son habileté sur la piste, il s'agissait là d'un cadeau, un cadeau empoisonné.
Un présent funeste de la part du Roi destiné à mettre fin à sa prestation. Sarah trembla.
C'était bien joué, très bien joué. Quoi de mieux qu'une somme abracadabrante pour déchaîner ses adversaires.
Un million de couronnes.
Un rire étranglé s'échappa de ses lèvres alors qu'aux coins de ses yeux quelques larmes agaçantes se frayaient un chemin.
Ils seraient fous, après tout de ne pas chercher à l'éliminer de la course pour ensuite se partager son gain.
Curieuse de savoir ce qu'ils en pensaient vraiment, Sarah tourna le regard vers les stands adverses. Elle y trouva les autres équipes s'activant comme la sienne pour la course dont l'heure de départ se rapprochait de plus en plus inexorablement.
Elle y trouva aussi son Némésis comme elle aimait à l'appeler, qui venait dans sa direction a grande enjambés, l'œil noir et le visage bouffi de colère.
Elle n'avait jamais pris Delaneau au sérieux, il était doué certes, on ne devenait pas pilote sans un minimum de talent, mais l'animosité qu'il éprouvait envers elle lui passait largement au-dessus de la tête.
Il était du Deux, ça devait être pour ça, aussi elle se contentait généralement de répliquer à ses piques avec un brin de sarcasme, il la faisait rire.
Mais là, alors qu'il avançait si furieusement vers elle, la rousse se redressa un peu plus et carra les épaules. Il lui semblait qu'il allait lui rentrer dedans à pleine vitesse sans s'arrêter.
Ce fut presque le cas.
Il s'arrêta si proche d'elle que leur épaules entrèrent violemment en contact et leur nez se touchaient presque quand il baissa les yeux pour la fixer sombrement.
- Qu'est-ce que t'as foutu, Chase !
- Ecarte-toi de moi ! répliqua la jeune femme en faisant un pas en arrière.
Il fit un pas en avant, les poings crispés.
- Tu ne pouvais pas détourner le regard, hein ! Tu t'es sentie obligée de faire ton intéressante et de nous entraîner avec toi, pas vrai !? Désolé, mais je ne tomberai pas avec toi !
Cette fois-ci, Sarah le repoussa de toutes ses forces, leurs lourdes combinaisons rendaient la manœuvre difficile, mais elle réussit tout de même à gagner un minimum de place.
- Je t'ai dit de t'écarter de moi !
Ils haletaient, comme s'ils avaient déjà fait la course et les éclats de leur voix n'étaient pas passé inaperçues.
- Laisse la tranquille, lança Bret en s'interposant entre les deux pilotes.
Sarah fixa sa nuque avec incrédulité, le garçon du Trois et elle ne s'étaient jamais vraiment adressé la parole.
- Tu es sérieux, crétin ! Comment tu peux prendre son partie, tu es conscient que ta petite personne est aussi en péril ?!
Bret eu une hésitation pendant laquelle il tourna la tête vers Sarah.
- Je sais, déclara-t-il. Mais, j'ai une petite sœur et je...
- Je quoi, la coupa une voix féminine. Tu aurais, foncé à travers la foule toi aussi ? Cette blague ! Me fais pas rire, tu n'aurais jamais eu le cran, tu n'es pas quelqu'un de courageux.
- Cheryl, salua froidement Sarah.
Malgré le respect qu'elles avaient l'une pour l'autre, elles ne s'étaient jamais bien entendu.
Bret renifla avec dédain et la pilote à l'uniforme bleu foncé leur adressa un sourire sardonique.
- Un million de couronnes, si on s'allie c'est très largement possible ! s'enhardie la jeune femme avec un regard pour Delaneau.
L'intéressé lui rit au nez.
- Mais qu'est-ce qu'on en a à foutre d'un million de couronnes si on meurt tous dans le processus pour les avoir !
Le garçon se tourna une nouvelle fois vers la rousse.
- Jeu Feu et Sang ? Mais merde Sarah !
De rage, il lança son casque en direction du champ de force.
Celui-ci s'y écrasa en crépitant avant d'être propulsé dans l'autre direction.
La benjamine des Chase le fixa stupéfaite. Sarah, il l'avait appelé Sarah, pas tricheuse, ou Quatre, mais par son prénom, Sarah !
A quel moment les choses avaient-elles changées à ce point.
- C'est facile pour quelqu'un du Deux de dire ça ! répliqua une autre voix. On n'a pas tous la chance de vivre dans le satin !
L'adolescente pivota rapidement vers le garçon.
- Tu es du Quatre Léo ! s'étrangla-t-elle. Tu as vu ce qui s'est passé, tu sais ce qu'ils ont fait à mon frère ! Tu vas en cours avec lui !
Le jeune homme évita soigneusement son regard.
- Je suis désolé, mais comme tu n'as pas pu détourner le regard sur ça, je ne peux pas détourner le regard sur Un million de couronnes. J'ai aussi une famille à m'occuper et à protéger.
- Non..., fit Sarah d'une voix blanche.
Elle refusait d'entendre ce qu'il avait dit. Il était du Quatre, on se serrait les coudes dans le Quatre, s'était comme ça que les choses fonctionnaient, n'est-ce pas ?
N'est-ce pas ?
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