Le rôle de l'Aînée (II)
Elle fut la première à ouvrir les yeux le lendemain matin. En silence, elle se vêtit de son vieux jean troué et passa son coupe-vent kaki par-dessus son t-shirt avant de secouer Louise.
Sa sœur grommela en lui demandant quelques minutes de plus, mais Elisa fini par la faire se lever. Elle eut moins de mal avec Jimmy, il avait toujours était plus matinal que Louise.
Elle poussa les petits vers la cuisine et s'installa à la gazinière tandis qu'ils s'asseyaient le plus silencieusement possible sur les chaises de la table de la cuisine.
L'appartement dans lequel ils vivaient était miteux, littéralement. Et cela n'aidait en rien la condition de Jimmy, mais c'était malheureusement le seul endroit qu'ils avaient.
Celui-ci se composait de quatre pièces, deux chambres, (dont une qu'ils partageaient à trois) une salle de bain dans laquelle on trouvait aussi les toilettes, et une autre pièce qui faisait office de salle à manger, de salon et de cuisine. Les murs étaient recouverts de champignons et la moisissure qui s'était accumulée au fils des années aurait pu se tartiner comme de la confiture. Le plancher était gondolé ici et là et Elisa avait même surpris une famille de souris se balader dans l'appartement comme si elle en était la véritable propriétaire.
La jeune fille glissa le reste de lards qu'elle avait ainsi que la moitié de la petite omelette qu'elle venait de faire dans l'assiette de Louise avant de faire de même dans celle de Jimmy.
- Et toi, tu ne manges pas ? demanda le petit après avoir cherché des yeux l'assiette de son ainée sans la trouver.
- Non, je n'ai pas faim, lui assura Elisa avec un sourire.
C'était un mensonge bien sûr, elle avait faim, mais elle se refusait de manger quoique ce soit. Pas alors qu'il y avait à peine pour les petits.
- Allez, mange, commanda-t-elle.
Le petit s'exécuta non sans avoir lancé à sa sœur un regard suspicieux. Louise elle, agrippa la manche de sa sœur dès qu'elle en eut l'occasion.
- Si tu veux, je peux en mettre de côté pour demain. Je n'ai pas faim non plus, lui glissa-t-elle dans un chuchotement.
- Menteuse, j'ai entendu ton ventre. Mange et ne t'inquiète pas, ce soir je ramènerai de quoi manger.
Louise la fixa un moment sans rien dire. Elisa se doutait qu'elle n'appréciait pas sa décision, mais sa jeune sœur finit par abdiquer et mangea en silence.
L'horloge qui sonna sept heures résonna puissamment dans l'appartement et tous les trois se tendirent de concert. Comme à son habitude, la voix d'Adélaïde résonna elle aussi dans l'appartement forte et sèche :
- Elisa, c'est l'heure de mon petit déjeuner ! Apporte-moi ça, fissa !
L'adolescente ferma les yeux en expirant, s'intimant mentalement au calme.
- Allez-vous préparer, fit-elle avec un geste de la tête en direction de son frère et sa sœur. Et Louise...
- Oui je sais, je fais attention à Jimmy.
- Je ne suis plus un bébé ! répliqua l'intéressé.
- Peut-être, mais c'est comme ça, répondit Elisa en lui ébouriffant les cheveux.
- Suis-moi le bébé, renchérit Louise en prenant son frère par la main.
Jimmy grommela encore plus mais un nouvel appel d'Adélaïde pour Elisa lui fit rentrer les épaules et il s'empressa de suivre Louise.
- Xeno ! Ouvre-lui mon frigo, ordonna sa tante. Et ne vous avisez pas de prendre quoique ce soit, ce qu'il y a à l'intérieur m'appartient ! N'oubliez pas que je vous vois, bande de charognards ! beugla-t-elle.
La jeune fille fit demi-tour et attendit que Xeno, l'intendant artificiel d'Adélaïde ne s'exécute.
De tous les intendants artificiels qu'elle avait rencontrés, Xeno était le seul à ne jamais rien dire. Jamais Elisa n'avait entendu le son de sa voix. À croire que celui-ci avait été programmé muet. Quoi de mieux pour Adélaïde qui ne supportait que le son sa propre voix. Malgré cela, celui-ci appliquait à la lettre les ordres de sa tante. Ordres comprenant notamment l'hermétique fermeture du frigo que remplissait Adélaïde avec les Couronnes que le Royaume allouait à son neveu.
Dans les faits donc, ce qui se trouvait dans le frigo n'appartenait non pas à la vieille mais à Jimmy, pourquoi donc devaient-ils se contenter de miettes tous les trois, alors qu'elle avait largement de quoi s'engraisser encore plus !
La porte ouverte, Elisa retira les aliments qui composaient le petit déjeuner de sa tante et les prépara comme à son habitude.
- Prépare-moi mon café aussi, et ne t'avise pas d'y mettre du sel comme la dernière fois car...
- Je te vois, murmura Elisa tandis que sa tante prononçait son mantra à voix haute. Pas si je me mets comme ça vieille bique, ajouta-elle en se tourna de sorte que Xeno ne puisse pas capturer ce qu'elle faisait et le transmette à sa tante.
Elle crachat abondamment dans la boisson noirâtre avant de dissimuler son méfait sous une épaisse crème de lait.
Ravie, elle posa le repas et la boisson sur un plateau et se dirigea vers la chambre d'Adélaïde.
La chambre était plongé dans la pénombre et quand elle en franchit le seuil, la lumière s'enclencha et lui offrit le désagréable spectacle de sa tante allongée dans son lit, une cigarette aux lèvres. Toutes deux s'observèrent en silence. Du coin de l'œil Elisa parvint à distinguer la télévision à travers l'épaisse fumée grisâtre, elle émettait au plus bas, si bien qu'Elisa n'entendait qu'un fin filet de voix s'échapper des haut-parleurs. C'était la seule de l'appartement, et il n'était pas rare de l'entendre à travers les murs. L'odeur du parfum d'Adélaïde – lourd et gras – planait dans la chambre manquant de faire tirer au cœur la jeune fille.
- Il a encore fait du bruit, lâcha Adélaïde d'une voix traînante en expirant un nuage de fumée. Je pensais avoir été claire, je vous donne un toit, je vous nourris, alors je ne veux pas vous entendre !
Un sourire mauvais étira les lèvres d'Elisa alors qu'elle observait sa tante d'un œil furieux. Adélaïde était la sœur du père d'Elisa et si elle avait un jour était d'une quelconque beauté, il n'en était plus rien désormais.
- Tu as quelque chose à dire ? lui demanda-t-elle en la fixant de ses yeux marron profondément enfoncé dans leurs orbites.
Elisa ne dit rien, se contentant de fixer sa tante d'un regard torve.
Adélaïde ne s'en émeut pas plus que ça et continua avec un soupir :
- J'avais dit à ton père de ne pas s'encombrer d'une femme comme ta mère, mais ce poltron n'en a jamais démordu et ces deux imbéciles, ont trouvé judicieux de procréer. Et vous êtes nés. Et eux sont morts. Et moi, je me retrouve avec deux petites crétines et un mioche portant les mêmes tares que sa mère !
La hargne de sa tante fit se crisper les poings d'Elisa.
-Je te le dis, les malades, les impotents, et les incapables, ont devraient tous les exterminer. Ça rendrait un grand service à la société !
La jeune fille desserra les poings, ignorant la douleur que ses ongles avaient infligé à ses paumes et le goût du sang dans sa bouche a force de s'être mordue l'intérieur des joues, elle expira :
- Enfin quelque chose sur laquelle nous sommes d'accord. Et pourtant regarde toi, tu es toujours la...
Un nouveau sourire naquit sur les lèvres d'Elisa, elle aurait pu rouer de coups sa tante sans effort, mais voir le visage de celle-ci tourner à l'écarlate sous les coups de ses mots était bien plus satisfaisant.
- Comment oses-tu espèce de sale petite ingrate ! Sors de ma chambre, tout de suite !
Il était inutile de lui dire, et l'adolescente recula nonchalamment en dehors de la pièce en attrapant au passage quelques couronnes qui trainaient sur le buffet !
- Rend moi cet argent tout de suite ! hurla Adélaïde
- Il s'agit de l'argent de Jimmy ! rétorqua Elisa au même débit.
- Xeno, empêche-les de sortir !
Couronnes dans la poches et sac à dos sur l'épaule, la jeune fille traversa rapidement l'appartement pour rejoindre Jimmy et Louise à la porte d'entrée.
Les visages des petits trahissaient leur inquiétude, aussi elle passa son bras autour des épaules de Louise et attira son petit frère contre elle.
- Xeno n'a aucune forme physique Adélaide, alors à moins que tu ne bouges ce qui te sert de postérieur de ton horrible lit, regarde nous partir et continue de beugler !
- Mais vous reviendrez, vous revenez toujours, vous n'avez pas d'autres choix que de revenir !
- Elle a raison, glissa Louise dans un murmure sous les obscénités de leur tante.
Elisa serra l'épaule de sa petite sœur.
C'était vrai, c'était malheureusement vrai, mais pour l'instant elle s'en moquait.
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