Le Meilleur Camp (I)
Allongée sur le dos, Elisa ressassa une énième fois les évènements et les informations survenues il y avait deux jours de cela.
Le sommeil la fuyait. La besace l'obsédait.
Honoré et la jeune femme avait longuement discuté, comme le chef des Anonymes le lui avait promis. Lui, lui posant questions après questions et elle tachant de ne trébucher sur aucune. Mentant comme une arracheuse de dents.
C'était surprenant, la façon dont cela devenait facile avec le temps.
Et pourtant, la Quatre devait encore se coltiner un surveillant. Margot s'était substituée à Modi et Elisa accomplissait sous son œil aiguisé des tâches subalternes. Toutes, les tenant la plus loin possible de la cabane du meneur.
Il se méfie de moi, compris la jeune femme en se mordant le pouce.
Avait-elle manqué de discrétion ?
Aimée s'agita dans la cuisine et Elisa mit fin à ses spéculations. Elle s'étira et quitta sa chambre modeste mais confortable pour pénétrer dans la cuisine.
- Tu as bien dormi, Caroline ? questionna immédiatement la maitresse de maison en la voyant.
La Maraudeuse sourit. Ce n'est pas Adélaïde qui se serait encombrée de ce genre de considération. Pas plus qu'elle ne lui préparerait d'œufs brouillés ou ne lui ferait du thé chaque matin.
Aimée, c'était la femme à qui on avait imposé Elisa le soir de son arrivée. Une petite dame qui l'avait accueilli avec un grand sourire, des vêtements chauds et sec et de l'onguent à profusion.
Ancienne botaniste de métier, elle avait rendu l'épaule de la jeune femme comme neuve. La douleur n'était plus qu'un lointain souvenir et seules quelques cicatrices éparses continuaient d'exister sur la peau d'Elisa.
- Très bien, comme depuis deux jours.
La Quatre ne mentait pas. Habituée à ne dormir que d'un œil pour veiller sur Jimmy et Louise, elle se surprenait à s'endormir d'un sommeil profond depuis son arrivée, sans que rien ne la perturbe. Néanmoins, son frère et sa sœur n'étaient jamais bien loin de ses pensées et les garnements se faufilaient dans chacun de ses songes.
Cela la maintenait alerte.
- Parfait, Assied-toi. Je t'ai fait des toasts.
Elisa ne se fit pas prier, engloutissant avec joie le repas du matin préparé pour elle, tandis que son hôte s'activait à ses tâches en chantonnant.
La jeune femme l'observa du coin de l'œil.
De taille égale à la sienne, un visage ovale encadré par un carré de cheveux argenté, Aimée dont les yeux verts étaient toujours joyeux, transpirait la bonté.
Une attitude à laquelle la Maraudeuse n'était pas habituée et qui la rendait perplexe. Avait-elle sous les yeux la manifestation d'actes sincères, ou était-ce uniquement un écran de fumée, destiné à lui faire baisser sa garde ?
- Toc, toc, lança une voix guillerette alors qu'elle terminait.
- Bonjour, Margot. Tu es en avance, Carline vient juste de finir de petit déjeuner.
- Salut, grand-mère ! Parfait, alors si elle a fini, hop hop ! En avant !
Roulant des yeux, Elisa remercia Aimée avant de grommeler un bonjour à Margot et de la suivre à l'extérieur.
- Soyez prudentes toutes les deux, et gentille l'une avec l'autre, leur rappela l'ex botaniste.
Les deux jeunes femmes traversèrent un pont de singe, avant de s'harnacher à l'une des tyroliennes et de glisser le long de la canopée en direction du centre du marché.
- Alors, dis-moi, quelle tâche déplaisante je vais devoir effectuer, aujourd'hui ? questionna Elisa en se séparant de son harnais.
Sa camarade lui lança un sourire moqueur.
- Oh, arrête. Ce n'était pas si mal, hier.
- Mais bien sûr ! J'adore m'occuper des latrines ! Tellement agréable et épanouissant. Sans oublier cette délicieuse odeur de-
- De merde ? la coupa Margot, les yeux rieurs.
- Oui, ça !
- C'est drôle, je pensais que tu étais prête à tout ?
- Je suis prête à tout, mais ça ne veut pas dire que je ne serais pas utile à autre chose ! Un truc important, comme la chasse par exemple, déclara la jeune femme, alors qu'elles croisaient un groupe d'intéressés partant vers l'extérieur du village.
- S'occuper des latrines est très important. Tu ne voudrais pas que le village empeste, non ?
La chasseuse entraina Elisa vers une partie du bourg qu'elle ne connaissait pas ; permettant à la Maraudeuse d'ajouter une nouvelle partie à la carte mentale qu'elle s'était faite des lieux.
A force d'aller et venues, ses muscles avaient déjà mémorisés une grande partie de l'espace, mais, elle mettait également un point d'honneur à enregistrer de petits détails supplémentaires.
Cela pouvait aller d'une odeur particulière dans tel lieu, à la couleur du tissu suspendu au-dessus des étals.
Chaque détail avait son importance.
- Et tu sais, si l'on venait à te laisser partir à la chasse, tu serais avec Zeff. Etant donné vos relations, à coup sûr, l'un de vous ne rentrerait pas et l'autre dirait surement qu'il y aurait eu un accident.
La Quatre éclata de rire. Sa camarade n'avait pas tout à fait tort.
- Et eux, ils font quoi ?
Les deux jeunes femmes s'écartèrent pour laisser la place à un groupe d'une dizaine d'individus poussant brouettes et charriots.
- Eux ? Ils préparent la fête.
- Quelle fête ?
- Celle organisée pour le passage à l'âge adulte de l'une des nôtres.
- Oh, elle va avoir seize ans alors ?
- Bien sûr que non, vingt ! Nous ne sommes plus au Royaume !
Devant l'air circonspect de son invitée, la chasseuse ajouta :
- Ici, quand tu atteins tes vingt années, on organise une grande fête à la fin de laquelle la personne est amenée à décider ou elle veut aller ensuite.
- Je ne te suis pas, avoua Elisa.
Margot soupira, exaspérée.
- En gros, tu as le droit de choisir si tu veux rester ici ou rejoindre un autre clan, ailleurs.
Les yeux d'Elisa s'écarquillèrent !
- Il y en a plusieurs ?
La jeune Anonyme éclata de rire.
- Bien évidement ! Qu'est-ce que tu croyais, que nous logions tous ici ? Nous sommes des centaines de clans ! Ici et ailleurs. La Zone Ouest n'est pas la seule à avoir un Mur ou des gens assez tarés pour tenter de le franchir !
Encore une fois, Margot n'avait pas tort. Mais comme bien des gens, Elisa ne s'intéressait que peu aux autres Zones. On avait suffisamment à faire, à réfléchir. Et puis, à quoi cela servirait après tout. Les membres des autres parties du Royaume étaient des inconnus. De ceux qui vous revenait en mémoire rarement, lorsque l'Hiver quittait l'Ouest, annonçant ainsi le départ de la Loi des Saisons pour la Zone plus au Nord, et ainsi de suite de façon cyclique.
- Mais toi, tu en es, n'est-ce pas ? De la Zone Ouest ? Du Royaume ?
- Était, oui !
La chasseuse décocha un sourire carnassier à la Quatre. Une lueur brulante dans le regard.
- Très heureuse d'avoir échappé à cet endroit de malheur avec mes sœurs.
La Maraudeuse hocha la tête, parfaitement convaincue. Elle chercha dans sa mémoire, l'image des sœurs de sa camarade. Margot avait deux sœurs, une ainée et une benjamine. Toutes les trois blondes aux yeux marron.
Comme Julie, nota Elisa dans un coin de son esprit, avant de froncer les sourcils.
- Comment avez-vous fait ? Pour passer le Mur, je veux dire.
- Oh...ça. On est arrivées il y a sept ans. Juste après la Grande Maintenance. Enfin, on a profité de la Grande Maintenance. Attention, la pente est raide ici, lui indiqua la jeune femme alors qu'elles s'enfonçaient hors-piste.
Au loin, à quelques mètres en contrebas, la Maraudeuse pouvait en tendant bien l'oreille, entendre de l'eau courir. S'agissait-il de la même rivière qui parcourait le No Man's Land ? Elisa n'en savait rien.
Son esprit repartit plutôt vers les derniers dires de Margot. Alors comme ça, elle et ses sœurs avaient profité de la Grande Maintenance ? Et elle qui se trouvait chanceuse ! Voilà que Margot la battait à plates coutures !
- Vous aviez su quand ça allait se passer ? Comment ? Personne ne connaît le jour ou l'heure ! Des gens meurt chaque années dans le No Man's Land, à attendre le bon moment !
Le visage de l'Anonyme s'assombrit. Sa démarche, jusqu'alors souple et fluide se durcit et ses lèvres s'étirèrent en une fine bande colérique.
Pendant plusieurs longues minutes, seuls leurs pas résonnèrent sur la neige moins épaisse. Et la langue de Margot se délit :
- Nous avions été prévenues.
Elle jeta un regard à Elisa.
- Mon frère, poursuivit la jeune femme, était un Paladin. C'est lui qui savait. Quand tu enfiles l'uniforme, dans tes premières années, on t'envoie au Mur. Voilà comment ont à su. Pour en revenir aux Blancs, je suppose que lorsque tu arrives à tirer à vue sur tes voisins, tes amis ou ta famille, ça prouve que tu es totalement acquis au Royaume...
Son visage était déformé par une grimace de rage, ne s'apercevant même pas, que son récit avait glacé Elisa.
- Votre frère vous a tiré dessus ?
Sa question n'était qu'un murmure, alors que brûlante, l'image de Jimmy et Louise apparaissait dans son esprit.
- J'aurais préféré, je crois.
Un lourd silence suivit la réponse. Elisa le respecta, digérant l'information, les mains tremblant légèrement. A quel point le monde dans lequel elle vivait était-il pourrit ?
- Nous étions sensés traverser tous les quatre, Charlotte, Emilie, Simon et moi, continua Margot. Mais au bout du compte, pouf ! Plus de Simon.
Un rire teintée d'hystérie la secoua.
- Il est resté là, pathétique avec son blaster à la main. A nous regarder plonger sous les tirs, au milieu des corps et il est parti. Je me demande s'ils l'ont exécuté pour désertion après. Ou alors il est mort dans le No Man's Land, qui sait, il a peut-être survécu d'une façon ou d'une autre en utilisant son ridicule petit cerveau...
- Alors, il ne te manque pas ?
- Tu plaisantes ? Dans l'hypothèse où je viendrais à le croiser, la première chose que je ferais, ça serait de lui envoyer mon poignard en plein cœur ! Je hais les traîtres !
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