La Chute (I)


La veille au soir, Cameron s'était réveillé comme il l'avait prévu sur les coups d'une heure trente du matin. Pas un bruit ne parcourait les couloirs. Il avait enfilé de vieux vêtements et était sorti à pas feutrés de sa chambre. Il avait ensuite remonté le long corridor faiblement éclairé par les panneaux lumineux des sorties d'urgence, et quitté le niveau B sans se faire remarquer.

Une fois dans le grand hall, les mains posées sur la barrière de sécurité du plateau B, il avait observé attentivement celui se trouvant au-dessus de lui. Les gardes y faisaient leurs rondes et dans quinze minutes, ils descendraient à son niveau, y resteraient vingt minutes, puis se rendraient au niveau inférieur et ainsi de suite avant de faire le parcours en sens inverse. Et cela jusqu'à l'aube.

Toujours aussi silencieusement, il avait pris la direction des niveaux inférieurs, et une fois au dernier, s'était frayé un chemin dans le passage, comme d'habitude. Il avait débouché dans l'alcôve, dans laquelle scintillait l'eau du petit lac souterrain baigné par les rayons de la lune qui plongeaient à travers la cheminée de pierre.

Il avait frissonné de plaisir à la sensation du froid sur sa peau à travers les interstices de son t-shirt et de sa veste, juste avant de faire surgir ses ailes, sa peau s'ouvrant pour les libérer

Encore une fois et comme d'habitude, il s'était enthousiasmé de ses deux membres qui faisaient partie intégrante de son corps, de la douceur des plumes, de leur noirceur. Et de la facilité avec laquelle il pouvait les faire apparaître, lui qui avait tant souffert la première fois.

Suivant sa routine, il avait ensuite fléchi les genoux, déployé ses ailes et s'était élevé avec vélocité vers le haut de la cheminée, il avait replié légèrement celles-ci sur lui-même lors du passage critique et avait surgi à l'air libre tel un bouchon de champagne.

Il s'était ravi du vent sur son visage et dans ses cheveux, s'était livré à quelques acrobaties avant de piquer vers la forêt de pins. Enfin, au centre de l'espace dégagé au milieu des arbres, après s'être posé, il avait profité, simplement profité. Loin de l'étouffement des souterrains, de la pression et des attentes que l'on avait de lui.

Il avait scrupuleusement suivi la même routine, comme il le faisait depuis trois ans déjà.

Aussi, comment aurait-il pu savoir qu'un Anonyme déboulerait vers lui, que celui-ci serait poursuivi par cinq Paladins qui l'exécuteraient d'une balle en pleine tête. Par-derrière. Comment aurait-il pu prévoir que c'était lui désormais qui était mis en joue ?

Il avait tout fait de la même façon que d'habitude. Une chose avait changé, mais elle était minime, si triviale qu'il n'y avait pas prêté attention.

Light ne s'était pas manifesté.

Il était peut-être là, le problème.

- Ne bouge pas, l'Évolué, ou je te jure que je te troue la peau, fit l'homme qui avait tiré.

Cameron se contenta de fixer le cadavre. Le choc provoqué par l'exécution de l'Anonyme, lui avait fait ressortir ses ailes. Il releva ensuite la tête pour confronter du regard les hommes en blanc qui reculèrent précipitamment.

Les lèvres de Cameron se relevèrent en un léger sourire. Cette simple action leur avait fait peur.

- Ne fais pas le malin ! cria un autre les mains serrées autour de son arme.

Il était jeune. Dix-neuf ans peut-être ? Une nouvelle recrue de toute évidence. Pas encore très habile, et encore moins habituée à croiser la route d'un Évolué.

- Doucement, murmura Cameron alors que ses assaillants rechargeaient leurs armes.

Malgré son apparente assurance, la sueur qui lui emperlait la nuque commença à courir le long de son dos. Son pouls s'accéléra.

Light, appela-t-il d'un ton pressé.

Aucune réponse ne survint et Cameron sentit la panique le gagner. Il avait l'habitude des batailles, ce n'était pas le problème. Mais il n'avait jamais opéré sans son partenaire.

- C'est bien, commenta le tireur en baissant légèrement son arme. Maintenant, tu vas venir avec nous...

Il enjamba le corps sans vie pour se rapprocher de Cameron qui eut un mouvement de recul.

- Bouge pas !!! hurlèrent les compagnons du premier, leurs armes miroitant d'une couleur bleutée.

Le jeune homme mourrait d'envie du contraire ! Comme il aurait adoré s'élancer dans les airs, là, maintenant et les laisser sur place. Mais il savait que le moindre mouvement de sa part entraînerait des salves de tirs auxquelles il n'aurait pas le temps de réchapper.

Il finirait alors sur un tapis d'herbe, transpercé lui aussi d'une balle en pleine tête. Son sang lui ferait alors une jolie auréole autour du crâne et voler ne serait alors plus une possibilité.

Il força ses jambes à rester en place, luttant contre la peur et d'une voix désespérée, il appela de nouveau :

Light !!

Presque immédiatement, deux minuscules perles grises se détachèrent de sa ceinture, touchèrent le sol aux pieds de l'homme à quelques mètres de lui pour exploser en volutes de fumées épaisses.

Vol ! ordonna Light.

Sans attendre, Cameron déploya ses ailes, alors qu'autour de lui des cris et des tirs bleutés perçaient la fumée pour se perdre de tous côtés. L'un le toucha à la cuisse et le jeune homme poussa un cri de douleur. Il serra les dents et vaille que vaille bondit vers l'azur.

Une fois à l'abri dans les nuages, la cuisse brûlante, un mélange de peur ancienne et de colère nouvelle, le firent se répandre en obscénités.

- Bordel, Light, mais qu'est-ce que t'as foutu ! ragea-t-il en serrant les dents.

Tu veux dire là-bas ? Je t'ai sauvé la vie. Je ne pensais pas avoir à te l'expliquer, ça semblait évident !

- Ouais, c'est ça, tu m'as sauvé. Avec trois heures de retard ! J'aurais pu y passer.

Mets ta colère sous un mouchoir pour l'instant, ils nous suivent.

- Pardon !?

Light lui montra à travers les nuages cinq drones qui s'élevaient silencieusement à sa poursuite. Le cœur un tant soit peu rassuré du garçon s'effraya de nouveau.

- On ne peut pas rentrer tant qu'ils nous suivent, déclara le jeune homme plus pour lui que pour son camarade en esquivant une première volée de tirs.

Alors débarrasses-toi d'eux.

- Oh, merci beaucoup ! Quel conseil avisé ! répliqua Cameron avec agacement.

D'un vif mouvement d'ailes, le jeune homme piqua vers la cime des arbres, deux drones à sa suite tandis que les trois autres filaient au-dessus de lui pour lui bloquer toute échappatoire.

Conscient de la technique adoptée par ses assaillants, le jeune homme esquissa un sourire. Il piqua plus abruptement vers les arbres jusqu'à s'enfoncer totalement au milieu des pins. Là, il slaloma entre les troncs avec aisance, évitant les tirs des drones qui se perdaient parfois dans l'écorce à seulement quelques centimètres de lui.

Ross est sur la ligne, je suppose que tu ne veux pas lui parler pour l'instant ? lui indiqua nonchalamment Light à un moment, alors qu'une balle venait de lui frôler la tête.

- Je ne sais pas si tu as remarqué, mais je suis un peu occupé là toute suite ! répliqua-t-il une pointe d'hystérie dans la voix.

Très bien, je lui dis de patienter alors.

- Et pourquoi ne pas lui demander de laisser un message pendant que tu y es !

Et je change ton répondeur par : Bonjour, je suis actuellement en train d'essuyer une attaque, je ne peux donc pas vous parler pour l'instant, mais dans le cas où je m'en sortirais vivant, laissez un message après le bip et je vous rappellerai ?

- Light ! menaça Cameron.

Cette petite querelle faillit lui coûter la vie, il s'en était fallu d'un cheveu. Heureusement, il se reprit très vite et quelques minutes plus tard, il parvint à semer l'un de ses poursuivants qui après avoir raté une manœuvre alla s'écraser au sol pour le plus grand bonheur de Cameron. Sa joie fut pourtant de courte durée.

L'impact du drone sur le sol souleva une vague de poussière et de gravats en même temps qu'il fit naître une onde de choc qui heurta à la fois le jeune homme, mais également l'autre drone qui, chahuté par la puissance de l'explosion devança Cameron en roue libre, le pilote ayant perdu contrôle de sa machine.

Le brun eut plus de chance. Après avoir été soufflé, lui aussi s'était retrouvé sans repère, comme privé de ses ailes pendant un court instant avant de percuter avec violence une branche au niveau du ventre qui l'arrêta net.

Le choc lui arracha un cri de douleur alors qu'un inquiétant craquement envoyait une pulsation de douleur parcourir tout son corps.

C'est sonné et vaseux qu'il assista à la collision du drone qui le suivait avec l'un des trois qui le précédait. Le pilote de celui-ci n'ayant pas eu le temps de faire une manœuvre d'évitement contrairement à ses deux collègues, qui effectuèrent une remontée en flèche avec leurs engins dans des rugissements de moteurs et des bourrasques de vent.

Si Cameron faisait bien le calcul, le nombre de ses poursuivants s'était retrouvé diminué de moitié et il était certain que cela n'aiderait pas les survivants à cesser leur assaut. Il reprit donc son envol, chaque battement d'air de ses ailes lui étant douloureux, chaque respiration lui arrachant une grimace tout aussi douloureuse.

Qu'importe ! pensa-t-il. Si tu ressens de la douleur, alors tu es en vie, lui avait maintes et maintes fois répété Ross lors de leurs entraînements. Il devait donc continuer de voler coûte que coûte sans quoi, il se savait perdu.

Malheureusement pour lui, un vent de malchance semblait avoir poussé la nouvelle de sa présence en dehors des limites de la forêt et le jeune homme se retrouva alors avec une nouvelle formation de drone après lui. Ils étaient désormais dix à le chasser comme un animal et Cameron faisait appel à toutes ses ressources pour leur échapper.

La fatigue commençait à se faire sentir chez le jeune homme. Il ignorait depuis combien de temps la poursuite avait démarré, mais il se sentait de plus en plus faible. La douleur de sa jambe touchée était de plus en plus cuisante et les battements de ses ailes avaient considérablement ralenti.

Ils te repoussent vers le Secteur Un, Cameron, s'alarma Light alors qu'ils survolaient des habitations et qu'une alarme se mit à retentir. Mais le jeune homme parvenait à peine à la distinguer à cause de la douleur.

Celle-ci était devenue si intense, qu'il ne parvint pas à répondre à son camarade. Et, même s'il l'avait pu, il était totalement cerné, la seule chose qui lui était encore possible de faire, c'était d'avancer.

Ton rythme cardiaque est passé sous les cinquante battements minutes, Cameron ! Cameron ! Tu perds de l'altitude !

Encore une fois, le jeune homme ne parvint pas à répondre, sa respiration devint laborieuse, sa vision se troubla et il fut brusquement attiré vers le sol.

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