L'Hôte (I)



Les discussions allaient bon train dans les couloirs, des jeunes gens riaient, se chahutaient, blaguaient, de sorte que l'on avait du mal à croire que durant une demi-heure, seul le silence s'était fait entendre dans le lycée de l'Ouest.

Yeux rivés sur son B.I, Alexandre laissa une fois de plus les sonneries de son appel s'éterniser, pour encore tomber sur le répondeur de sa meilleure amie.

Il jeta un coup d'œil rapide à la pendule. Neuf heures quarante-cinq. Monsieur Benoît les avait laissés sortir de classe une fois l'alarme passée pour aller rejoindre les autres professeurs, afin d'avoir une réunion extraordinaire, comme après chaque fin d'alerte. Or cela faisait déjà près de vingt minutes que les élèves vagabondaient dans les couloirs. C'était très largement suffisant pour que Sarah puisse rejoindre l'établissement, pourtant celle-ci était introuvable et l'adolescent se heurtait constamment à son répondeur.

- Vous n'avez pas vu Sarah ? retenta-t-il auprès de certains de ses camarades alors que l'heure filait de plus en plus.

Mais la réponse était toujours la même, personne n'avait vu la jeune fille.

- Alexandre, on rentre, lui apprit l'un de ses camarades en posant une main sur son épaule alors que les élèves s'engouffraient de nouveau dans l'amphithéâtre à la suite de leur professeur.

À regret, le jeune homme se résigna à les rejoindre sans pouvoir se départir de l'inquiétude qui lui tordait le ventre.

Une fois à sa place derrière le bureau, leur professeur s'excusa pour son retard avant de promener son stylo d'étudiant en étudiant et de faire passer le boîtier de présence dans les rangs. Alexandre s'exécuta, son bracelet émit un bip et il tendit l'instrument au reste de sa classe.

Un coup d'œil rapide au boîtier, et leur professeur commença son cours. Cartes du royaume, décrets royaux et diagrammes se mirent à survoler l'espace de la salle de classe.

- Bienvenus à tous et à toutes à ce cours intitulé : Géographie et Histoire du Royaume des origines à nos jours.

Alexandre esquiva instinctivement l'hologramme d'un décret en baissant la tête.

- Dans ce cours, nous nous attarderons sur les mécanismes de construction fulgurante de notre royaume, sur son souverain, bien entendu, sa politique étrangère et intérieure, mais aussi...

L'adolescent n'écoutait que d'une oreille distraite, sa chevalière n'arrêtait pas de vibrer et le cours ne lui semblait pas particulièrement intéressant. Comme pour la plupart de ses camarades d'ailleurs, même leur professeur semblait déballer sa leçon avec moindre intérêt.

Quoi de plus normal après tout, tous venaient du secteur quatre, et dans celui-ci, on comprenait vite que le Roi n'avait rien à faire des derniers du Royaume. Enfin, derniers du Royaume, pas vraiment en réalité.

- Quelqu'un peut-il me dire à quelle date marque-t-on la naissance du Royaume ?

- À l'an quinze de la nouvelle ère, répondit un garçon.

- Oui, exactement. Et pourquoi ce nom ? Qu'y avait-il avant ?

- C'était ce que l'on appelle « Les neuf terreurs » ? tenta une fille.

- En effet, neuf ans, presque dix, séparant ce que les Anciens avaient nommé « la fin du monde », de la Révolution du 15 Avril 2022. Date à laquelle un homme à la tête d'un parti renversa le gouvernement alors en place. Nom du parti et du leader s'il vous plaît ?

- Le Parti des Hommes Originels. Dirigé par Maximilien Devangarde, répondit une autre camarade d'Alexandre.

Le professeur eut un signe de tête appréciatif.

-Parfaitement, mademoiselle. Le Parti des Hommes Originels, qui deviendra par la suite le corps des Paladins. Que nous connaissons tous.

Un sourire étira alors les lèvres de leur professeur.

- Ensuite, quelqu'un a-t-il une idée de ce qu'il y avait avant, dans l'ancienne ère ? questionna-t-il.

Seul le silence lui répondit. Tandis qu'il observait l'un des moniteurs à côté de lui, celui qui affichait le rythme cardiaque de chaque élève, les mains d'Alexandre devinrent légèrement moites. Après quelques instants où aucune variation ne s'opéra parmi les pouls des étudiants, Mr Benoît reprit :

- Bonne réponse !

Alexandre poussa un discret soupir de soulagement. Cette question, c'était la question-piège, à chaque cours, leur professeur la posait et mieux valait ne pas avoir « mal répondu ». Il n'avait jamais entendu d'histoire sur un ou une élève ayant échoué au test, mais il se doutait qu'il y avait dû avoir des cas, sinon pourquoi reposer inlassablement la question.

- Il est vrai que nous ne savons rien de cette période. Alors pourquoi cela me demanderez-vous ? La réponse est simple, souhaitons-nous vraiment hériter d'une histoire qui a engendré neuf à dix années de guerre sanglante, autant entre nous, qu'avec des êtres qui n'amènent encore aujourd'hui que destruction et peur ? Qui se plaisent à dévaster des familles ?

Plusieurs élèves eurent des murmures approbateurs. Il était de notoriété publique que leur professeur avait perdu sa femme et son enfant à naître durant une alerte ayant entraîné l'explosion de l'immeuble où ils habitaient.

- Pourquoi avoir gardé deux dates de l'ancienne ère ? questionna Alexandre que le sujet des Évolués mettait mal à l'aise.

- C'est une bonne question, pourquoi garder les dénominations 2022 et 2012 alors que nous utilisons désormais le calendrier Maxilien ? Eh bien, tout simplement pour ne pas oublier (il fit une pause). Les années 2000 marquent les heures les plus sombres de notre histoire, tandis que l'intronisation de notre roi au pouvoir et l'établissement du nouveau calendrier marquent le début d'une nouvelle. Se souvenir de ces dates comme elles le sont, avec leur propre appellation, nous sert à tous de mise en garde, de rappel à propos de ce qu'il y a eu de pire pour que nous puissions pleinement apprécier ce que nous avons maintenant, aujourd'hui dans le présent et ensuite, dans le futur.

L'enseignant fit démarrer une vidéo du bout des doigts, l'hologramme en trois dimensions s'agrandit et s'étira au-dessus de la classe.

On y voyait le roi, ou plutôt Maximilien Devangarde, avant que celui-ci ne le devienne. Dressé sur une estrade, costume impeccable, l'air autoritaire qu'il abordait alors aurait pu le vieillir davantage, si de petites rides de rire ne l'avaient pas adouci quelque peu.

Sans doute, les vestiges d'une époque plus heureuse.

Le discours qu'il prononçait arrivait à son terme et avec force et conviction, il finit par déclamer cette phrase que tous les enfants du Royaume connaissaient :

- Une nouvelle ère commence, la nôtre !

Mr Benoît fit taire l'hologramme, Alexandre frissonna.

- Attaquons maintenant la suite de notre leçon...

Le cours se poursuivit ainsi, suite de questions réponses entre les élèves et le professeur qui glissait çà et là de plus amples informations et cela jusqu'à ce que l'heure du repas ne sonne.

- Monsieur Robins, deux mots s'il vous plaît ?! l'interpella Mr Benoit alors qu'Alexandre s'apprêtait à suivre ses camarades à l'extérieur de l'amphithéâtre.

Le jeune homme obtempéra, de toute façon il n'avait pas le choix, il était interdit de désobéir a un supérieur.

Anxieusement, il descendit vers son professeur, l'examinant soigneusement au passage, cherchant la moindre faille sur son visage lui permettant de découvrir ce que l'adulte lui voulait. Se pouvait-il qu'il eut échoué au test ?

Son cœur se perdit dans de frénétiques battements. Non, c'était tout bonnement impossible, jamais encore il n'avait échoué à aucun exercice, pas une fois !

Mais et si c'était le cas ?

- Monsieur Robins, commença son professeur, inquiétant un peu plus le jeune homme qui sous le coup de l'émotion, coupa net celui-ci.

- Monsieur, si vous me retenez par rapport à mon comportement en cours, le fait que je vous ai posé des questions... Ou même par rapport au test, je vous assure que... Que...

- Qu'est-ce que vous me baragouinez là, Robins ? fit son enseignant en arquant un sourcil. Je tenais simplement à vous apprendre que Mademoiselle Chase avait été emmenée à l'hôpital. Elle y est actuellement interrogée par les Paladins.

-... Oh.

Le jeune homme sentit immédiatement la tension sur son ventre se relâcher. Il n'était pas en danger.

- Et Sarah, se reprit-il. Pourquoi est-elle à l'hôpital, que lui est-il arrivé ? Pourquoi les Paladins l'interrogent-ils ?

- J'ignore les détails, répliqua Mr Benoit avec un revers de la main. Inutile de vous exciter de la sorte. Quoiqu'il en soit, ajouta-t-il en rangeant ses documents. Dites-lui bien de se remettre, j'ai parié sur elle pour la prochaine course.

Sur ce, il indiqua la porte à Alexandre et tous deux sortir de la salle.

- ... Je lui dirai.

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