Et Ils Basculèrent Dans Le Néant (VIII)
Sarah n'avait jamais été de ceux qui boivent. Voir son frère se perdre dans l'alcool l'en avait toujours dissuadé et ce n'était pas non plus compatible avec le fait de piloter. Pourtant, ce soir, elle s'était volontairement laissée tomber dans l'abîme. Se saouler de la sorte avait été son choix. Et cette décision avait été la seule chose sur laquelle Sarah semblait avoir eu un tant soit peu de contrôle dernièrement, alors qu'autour d'elle tout partait en flamme. Les différents verres qu'elle avait descendus avaient rendu le liquide glissant dans sa gorge, familier, réconfortant et chaleureux. Aussi part le Roi, qu'elle avait bu ! Bu jusqu'à ce que ses joues deviennent écarlates, que ses membres pèsent lourd et que les pensées d'autrui se changent dans son esprit en un murmure distant.
Alors comment ? Comment lui était-il possible de courir avec autant d'habileté !? La réponse vint d'Alexandre qui, dans une explication pressée, avait appris à la jeune femme que l'alcool n'avait que peu de prise sur le corps d'un ou d'une Evoluée. L'effet d'engourdissement ne durait jamais bien longtemps, question de survie sans doute. Et il parlait d'expérience. Sarah en aurait pleuré, voilà que même son corps lui faisait défaut, qu'il échappait à son contrôle. Par le Roi, qu'était-elle devenue ? Dans le Royaume, on décrivait les Evolués comme des êtres puissants, trop puissants et dangereux pour ce monde, invulnérable, les rendant effrayants aux yeux des simples hommes et des simples femmes peuplant les quatre Zones de Rose. Or, ici, celle qui avait peur, c'était elle. Jamais la pilote ne s'était sentie aussi peu en contrôle, aussi perdue, autant impuissante et si vulnérable.
Quitte de son état d'ébriété, la pilote suivait Alexandre sans aucune difficulté et heureusement, car son meilleur ami cavalait. Plus vite qu'il ne l'avait jamais fait. Le bruit de leurs pas était étouffé par la moquette au sol, rendant les déplacements des deux jeunes gens presque fantomatiques au sein de cet immense immeuble de verre, pratiquement vide. En total opposé avec les rues bondées de toute la Zone Ouest. Ou à son propre esprit dans lequel mille et une questions tournées sans fin, sans réponse, manquant de l'étrangler.
– Par ici, déclara Alexandre en virant dans le couloir sur leur gauche.
Sarah s'exécuta robotiquement, les yeux rivés sur le jeune homme devant elle dont les pensées bruyantes heurtées les recoins les plus profonds et sombres de son esprit sans relâche. Elle ralentit, épuisée.
– Je ne suis pas censée être capable de faire ça, héla-t-elle.
Le brun lui lança un regard par-dessus son épaule et ses grands yeux bleus passèrent sur elle en un mouvement erratique.
– Sarah, souffla-t-il.
Il avait prononcé son prénom d'une manière qui avait fait se sentir Sarah enfantine. Presque comme s'il l'a grondé. Nous n'avons pas le temps pour ça, murmura sa voix silencieuse sous le crâne de la jeune femme.
– Eh bien, prend le temps quand même ! répliqua la pilote de vive voix et Alexandre sursauta.
Il trotta vers elle, le regard fixé dans le sien et la Quatre se demanda s'il voyait s'agiter son « souffle » comme lors de la dernière fois au sein de la tempête blanche qui avait frappé le Royaume. Ressentait-il sa peur, sa colère, sa confusion ? Était-ce ce qui déclenchait chez lui cette démarche à la fois prudente et urgente ?
– Je n'y arrive pas ! s'exclama la jeune femme une nouvelle fois avant même qu'Alexandre ne puisse ouvrir la bouche.
Toutes les pensées du jeune homme étaient à nues dans l'esprit de Sarah. Pourquoi attendre qu'il prononce à voix haute ce qu'elle entendait déjà ? Et n'était-il pas censé retenir ce qui lui passait par la tête également ? Il savait pourtant ce qu'elle était, il l'avait même su avant elle.
– Ce n'est pas à moi de bloquer mes pensées, Sarah ! lui indiqua-t-il avec un brin de colère.
La Quatre roula des yeux. Génial, voilà que maintenant, elle... elle projetait...?
C'est bien le mot.
Arrête de faire ça !
Non, c'est à toi de le faire !
– J'essaye ! Pourquoi est-ce que tu crois que j'ai bu comme ça ? La seule chose que je devrais être capable de faire à l'instant, c'est comater sur une chaise, le regard vide, comme une personne normale !
– Mais nous ne sommes pas normaux !
– Et tu as eu des années pour t'y habituer ! Moi, je n'ai eu que quelques jours ! Non, ne me touche pas, ajouta-t-elle en grondant. Mes émotions sont miennes.
Le jeune homme laissa retomber contre son corps la main qu'il avait levée.
– Excuse-moi. Écoute, je sais que tu as des questions, mais nous n'avons pas le temps, répéta-t-il. Nous sommes au milieu d'une...
Chasse à l'homme. Fut la chose à laquelle il pensa.
—...Mission de sauvetage, prononça-t-il de vive voix. Dès que nous serons à l'abri, je te promets que nous en reparlerons, mais je n'ai pas toutes les réponses ! Il y a encore des choses chez moi qui...
...me font peur, que je ne comprends pas.
Sarah sentit la bile remonter son œsophage.
– Comment ça ? C'est quoi cet arbre blanc ? Et pourquoi tu penses au Serpent d'Argent ? Alexandre, arrête !
Sous les pensées du brun, les jambes de la pilote cédèrent et dans une tentative de les camoufler, elle se plaqua les mains sur les oreilles. Rien n'avait de sens, et les réflexions silencieuses du jeune homme inondaient l'esprit de Sarah par vagues. Sous forme de simples mots disparates, trop rapides pour qu'elle ait le temps de les appréhender. C'était comme d'essayer de fixer son regard sur un point fixe alors qu'on tourne à grande vitesse. Impossible, a vous rendre malade. Littéralement, et la rousse vida le contenu de son estomac sur le sol. L'odeur manqua de lui faire répliquer son acte. Ce fut libérateur.
– J'entend plus rien, bredouilla-t-elle les yeux humides.
Le calme était revenu. Un grand silence apaisant sous son crâne. Sarah essuya d'un revers de manche sa bouche avant de chercher son meilleur ami du regard. Dans sa confusion, elle n'avait pas vu qu'il était lui aussi au sol, de même que son nez en sang ne l'émeut même pas. Il n'y avait plus rien. Tout est vide. À l'opposé de ce qui l'avait mouvementé juste avant. Un délicieux acouphène l'avait recouvert tout entière et c'était formidable.
– Je n'entends plus rien, répéta la jeune femme en transe.
Une fois de plus, les yeux bleus d'Alexandre s'écarquillèrent de peur. Elle ne fit qu'observer. Sans rien ressentir, sourde à la panique de son meilleur ami dont le sang tachait la moquette sombre du long corridor. Anesthésiée.
Mais ça ne dura pas, à l'instar de son ébriété, la sensation se dissipa en quelques minutes et son esprit ankylosé redevint habité. De nouveau elle s'entendait penser. De nouveau, elle entendait Alexandre, moins fort qu'à l'instant, mais ses pensées étaient bien là, chuchotant sous son crâne. Un à un les sens de Sarah se réveillèrent suivis de près par ses émotions. Toutes revinrent la heurter de plein fouet et les larmes lui montèrent aux yeux. L'agacement, la confusion et puis la peur encore. Pour elle, mais pas uniquement.
– Tu saignes, couina-t-elle la gorge serrée. Est-ce que c'est moi ?
Avait-elle implosé au point de le blesser comme l'autre fois ?
– Non, Alexandre pinça plus fort son nez, transformant son doux ton alto. Non, ce n'est pas toi. Je pense que le sérum ne fait plus effet. Et toi, ça va ? Il hésita un instant, comme effrayé à l'idée de continuer. J'ai cru que je t'avais perdu.
Alors que les lèvres de Sarah s'ouvraient en une question silencieuse, le regard d'Alexandre parcourut son visage.
– Tu étais vide. Pendant quelques minutes, je ne pouvais plus te ressentir. C'était comme si tu n'étais plus réellement là, juste une coquille vide...
Les mots de son meilleur ami glacèrent Sarah jusqu'au sang.
Maintenant, je ressens la peur.
– Ce n'était pas toi ?
– Non ! Je peux ressentir les émotions des autres autour de moi, mais j'ai besoin d'un contact si j'ai envie d'influencer quoique ce soit. Et ce niveau de contrôle, ce n'est pas moi ! expliqua l'Empathe dont la voix avait des accents terrifiés. Je pensais que c'était toi !
– J'arrive à peine à contrôler mes propres projections de pensées et à bloquer celles des autres, répliqua la Télépathe.
– Ou alors ?
– Alors quoi ? Et tu penses encore au Serpent d'Argent.
Elle frissonna. Le train du Roi n'avait jamais eu bonne presse dans le Royaume. Signe ostentatoire de la richesse de ceux vivant à la Capitale, ce serpent, c'était celui qui avalaient la moitié de leur ressources lors du Grand Partage. C'était celui qui, attirant leur regard sur son métal argenté, leur démontraient qu'il n'avait nulle part ou aller, qu'ils étaient coincés chacun dans leurs Zones. Le train était le premier geôlier, recrachant sur eux toujours plus de Paladins et de souffrance.
Le jeune homme la fixa avec déception.
Tu n'es pas censé écouter ce qui se passe dans ma tête, et tu ne l'as pas vu briller au loin alors qu'on était en route pour LeroyCorp
Tout comme je ne suis pas censée être capable de le faire en premier lieu. Non, je n'ai pas fait attention, je te rappelle que je n'étais pas très bien.
Alexandre lâcha un rire nasal qui la vexa un peu.
– Lâche le morceau, c'est quoi ton idée a propres du train ? demanda Sarah qui s'efforça d'élever ses barrières mentales. La voix silencieuse d'Alexandre diminua d'une octave.
D'une main prudente, il s'assura que son nez ne saignait plus avant de se tourner vers elle.
– Le Serpent d'Argent ne reste jamais bien longtemps stationné en gare. Quelques minutes pour faire débarquer des Paladins, une journée pour transporter les offrandes du Grand Partage à la Capitale, mais entre les deux, on est d'accord qu'il n'est quasiment jamais là, pas vrai ?
– Oui, oui c'est vrai... enfin, sauf si...
Sarah se mordit la lèvre. Non, ce que tentait de lui faire prononcer Alexandre lui était inconcevable. Purement impossible, cela remettrait tout leur plan d'évasion en doute.
– Sauf si...
– Sauf si une Escouade de Blanc est en campagne d'extermination.
Dans ce cas ce n'est pas de la nourriture que le train ramènera à la Capitale, mais le corps d'un Evolué...
Comme pour ponctuer les paroles du jeune homme, au loin, une porte claqua, les faisant sursauter et tendre l'oreille.
– Partons d'ici, déclara Sarah après quelques minutes d'intense écoute.
Rien ne semblait venir dans leur direction, mais ses nerfs à vifs lui faisaient envisager le pire et la sensation d'être traquée ne la quittait plus désormais. Davantage encore après qu'Alexandre lui ait rappelé le Serpent d'Argent et son arrêt bien trop long à la gare. Le jeune acquiesça et tous les deux se remirent en route. Ils ne courraient plus, mais tâchaient de faire encore moins de bruit que précédemment.
– Tu crois que les Blancs ont débusqué un Evolué ? Elisa? glissa Sarah dans un chuchotement.
– Matthieu a dit qu'il a vu ses yeux changer de couleur et a ma connaissance, il n'y a que les yeux de quelqu'un comme nous qui changent de couleur. J'ai un mauvais... pressentiment.
– Nous sommes partis avant que Matthieu nous explique tout en détail. Ça aurait pu être un jeu de lumière, un reflet ou elle aurait pu porter des lentilles de contact ?
– Tu es sérieuse ? Ce genre d'accessoire est bien trop cher pour une Quatre et même si elle en avait les moyens, je doute qu'elle dépense ses couronnes comme ça.
Il marquait un point. L'apparence était le dernier des soucis de la Mauraudeuse. Aussi, si cette déformation de couleur était comme le disait Alexandre le signe que leur camarade était une Evoluée, alors ils avaient un problème. Et si les Paladins étaient après elle, alors ce problème devenait une catastrophe.
– Ce n'est peut-être pas Elisa qu'ils cherchent, avança prudemment Sarah. Ni toi ni moi, s'empressa d'ajouter la jeune femme devant le visage décomposé d'Alexandre.
À défaut de le rassurer, la pilote parvint à lui faire lâcher un rictus amer.
– Je suppose que nous n'allons pas tarder à le savoir ! On ignore si Elisa a été contactée par un Passeur, et si ce n'est pas le cas, ça veut dire qu'elle n'a pas accès au sérum. Et donc qu'elle est identifiable pour un tant soit peu qu'elle utilise... peut importe ce que peut être sa capacité. En fait, je suis sûr que même si un Passeur lui a proposé son aide, elle l'a envoyé chier. C'est tellement son genre.
Sarah ne releva pas le changement de vocabulaire de son meilleur ami. La peur avait toujours était son pire moteur, elle avait ce don de le transformer en ce qu'il n'était pas. Ici, il devenait grossier. Dans d'autres circonstances, son vocabulaire fleuri l'aurait fait rire, elle l'aurait même certainement charrié sur le sujet, mais là, elle opta plutôt pour l'apaisement.
– Enfin ça, c'est uniquement si Elisa est une Evoluée...
Courût d'avance, le brun la fusilla du regard. Elle se contenta d'oser les épaules. Il poursuivit :
– Et admettons qu'ils ne la cherchent pas elle, dans ce cas, c'est moi qu'il cherche, il tapota l'arrière de son oreille droite, donnant envie à Sarah de gratter cet endroit identique sur son propre corps. Le sérum ne fonctionne plus sur moi, Elliot avait raison. Je n'ai plus aucune couverture, autant mettre un néon au-dessus de ma tête et crié aux Paladins de me prendre ! Quant à toi, tu es avec moi en ce moment, tu crois vraiment que si les Blancs me tombent dessus ils te laisseront filer comme ça. Au mieux tu seras chargé de trahison, d'association avec un « rebel » et ça s'est au mieux, car dès l'instant où tu auras besoin d'une autre dose de sérum... Ce sera fini.
Oh comme elle le détestait quand il était comme ça, Par le Roi ! Il lui donnait des envies de lui sauter à la gorge et de lui faire mal. Pourquoi s'évertuait-il à insinuer le doute et la peur chez eux actuellement ? Les risques n'étaient-ils pas assez grands ? Elle se força à déglutir, repoussant le gout acide sur sa langue.
– Je te trouve désespérément pessimiste Alexandre. Pour quelqu'un qui est censé pouvoir contrôler les émotions, je te trouve bien esclave des tiennes. Tu n'es qu'un trouillard, je m'attendais à mieux ! asséna la rousse d'un ton glacial, tout l'inverse du feu qui brûlait sous sa peau.
– Tu peux parler ! C'est quoi la dernière connerie que tu as faite sous le coup de tes émotions ?
Ce fut comme se prendre une gifle et le voir faire semblant de réfléchir quand eux deux savaient très bien à quoi il faisait référence manqua de la faire hurler.
– Ah oui, poursuivit-il. Ta fameuse dernière course, celle où tu as cru que tu pourrais sauver tout le monde. Résultat, à part faire une bonne ratatouille avec le cerveau de ce pauvre Léo Chapman, t'as fait que dalle ! Tu veux que je te dise, je te trouve d'un optimisme écœurant !
Comment osait-il !? Et qu'attendait-elle, les poings serrés contre son corps de la sorte, qu'il continue de parler ? Qu'il continue de penser ? Indécise, Sarah l'observa l'œil noir et la vue troublait de larmes alors qu'il ouvrait une nouvelle fois la bouche. Prête à recevoir une nouvelle salve venimeuse. Or, elle ne vint pas. À la place, l'Empathe ouvrit la bouche, la referma avant de secouer la tête et de cligner des yeux comme dérangés par quelque chose. Lorsque ses yeux bleus la fixèrent de nouveau, ce n'était plus la colère de tout à l'heure qui les faisait vibrer, mais une profonde confusion. Celle-ci se mua en réalisation puis en détresse et un gémissement franchit les lèvres du Quatre.
– Sarah... Sarah, je suis désolé ! Je ne sais pas ce qui s'est passé. Ce n'était pas moi, je ne — .
– Ne pensais pas ce que je t'ai dit ? acheva la pilote pour lui d'une voix chevrotante. C'est bien ce que tu allais dire ? Eh bien essaye encore, car je les ai très bien entendu tes pensées, Alexandre !
Il fit un pas vers elle avant de se raviser. Il se balança de droite à gauche sur ses pieds, ne sachant que faire jusqu'à oser lever une main vers Sarah qui recula d'un pas. Aucun mot n'aurait été plus fort et le jeune homme s'arrêta immédiatement.
– Écoute, je ne sais pas si tu vas vouloir me croire, mais je te le répète, ce qui vient de se passer là, à l'instant, ce n'était pas moi. Je n'avais aucun contrôle, comme pour toi tout à l'heure.
– Bien évidemment !
Le visage d'Alexandre se tordit en une grimace douloureuse et Sarah maudit la pression qui enserra sa poitrine. Elle reprit le pas, laissant au Quatre la possibilité ou non de la suivre sans lui jeter un regard. C'était elle qui menée maintenant, pour aller où, elle ne savait pas vraiment. L'immeuble de verre de Leroycorp était si grand, tellement doté de portes et d'ascenseur, d'escaliers et de couloirs sans fin que si perdre était facile. Trouvé Elisa ici allait se révéler être un cauchemar, mais un de ceux certainement moins douloureux que la scène qui s'était déroulée avec Alexandre. Elle s'efforça de laisser couler ses émotions, fermant un instant les yeux pour se concentrer sur sa respiration, uniquement pour se rendre compte que si la fureur assassine l'avait quitté. Ne restait plus que la douleur. Douleur qui s'effaçait déjà si bien que Sarah chancela prise d'un tournis. Elle s'ébroua déstabilisée et chercha inconsciemment la main d'Alexandre qui vint se glisser dans la sienne.
– Tu l'as encore senti ? questionna-t-il en fouillant son visage de ses yeux clairs.
La jeune femme se contenta d'un grognement avant de s'accroupir. La sensation d'acouphène lui tordait le ventre et lui donnait envie de vomir. Ses sens étaient sens dessus dessous. Était-ce de cela dont le brun avait voulu parler ?
C'est bien ça
– Mais tu as tout de même prononcé ses mots, souffla Sarah d'une voix peinée. Est-ce que tu pensais ce que tu as dit ? Est-ce que j'ai eu tort la dernière fois ?
Son meilleur ami s'accroupit en face d'elle après s'être frotté la nuque et alors que la main du jeune homme s'échappait de la sienne, Sarah sentit les barrières mentales du Quatre s'élever entre eux. La privant ainsi de l'accès qu'elle avait dans l'esprit de son camarade. Lui faisant craindre le pire.
– Ne réponds pas, s'effraya-t-elle. Ce n'est pas grave, ne réponds pas.
Son meilleur ami lui offrit un pauvre sourire.
– Je ne dirais pas que j'aurais fait comme toi, car je ne suis pas comme toi. Je suis moi, et tu es toi. C'est ce que tu m'as dit quand nous étions dans la voiture pour ici. Je n'ai pas le droit de te juger. Tu as fait ce que tu pensais être juste.
– Mais est-ce que ça l'était ? articula la jeune femme la gorge serrée.
– Je ne sais pas, Sarah. Il lui prit les mains. Ce que je sais par contre, c'est que tu m'as convaincu de venir ici chercher Elisa.
Un rire nasal échappa a la rousse.
– Plutôt forcée à venir ici.
Il ne releva pas.
– Alors, on va la trouver, on va lui faire rendre ce qu'elle a volé et toi, ta famille et la mienne on quitte le Royaume ! Ensemble !
D'un hochement de tête vigoureux, la pilote acquiesça avant d'essuyer son nez d'un revers de manche. Ils parleraient de tout plus tard. De la course, de leurs capacités, de tout ce qu'ils voudraient une fois libre. C'était là une promesse. Mais pour ce faire, ils devaient faire ce pour quoi ils étaient ici.
– Trouvons cette Maraudeuse. conclu-t-elle.
– Et vite, avant que ça, fit le jeune homme en les englobants d'un mouvement circulaire. Ne recommence.
Après consultation, ils décidèrent que c'est lui qui passerait devant. Arguant qu'il pouvait en se concentrant sentir les émotions Elisa. Sarah ne dit rien, il était des deux, le plus expérimenté. mais elle ne put s'empêcher de noter que son meilleur ami changeait. Là où il lui avait dit il y a quelques semaines ne pas souhaiter se faire intrus dans les émotions d'autrui, voilà qu'il le faisait de son plein gré. En était-il conscient, se rappelait-il cette conviction ou avait-il choisi de l'ignorer pour une plus grande cause ? Pour eux tous ? Il les guida d'un pas vif dans le dédale du gratte-ciel silencieux à l'exception ci et là d'une porte claquant dans le lointain. Ils s'immobilisaient alors, tendant l'oreille avant de reprendre la course, se désespérant de minute en minute de ne pas encore être tombés sur la voleuse.
Ils s'engouffraient dans un énième couloir quand la sonnerie de l'ascenseur plus loin devant eux sur leur droite résonna. Le bruit seul les fit s'arrêter, mais c'est la vue de la botte immaculée qui précipita leur retraite. Le cœur battant à tout rompre, Sarah se plaqua aussi profondément qu'elle le pouvait contre le mur, yeux fermés, comme si ce geste pouvait faire disparaître les Paladins qui venaient de sortir de l'ascenseur. Ou mieux encore, la rendre invisible, silencieuse, blanche comme neige.
Une expiration agacée résonna dans le couloir.
– On cherche dans le vent ! Cet immeuble est immense, comment veulent-ils qu'on trouve quoique ce soit ici, grogna une voix masculine à demi étouffée sous un casque à visière. Et dire qu'on devrait faire la fête comme tout le monde dehors... Est-ce qu'il y a vraiment quelqu'un ici au moins !?
La deuxième partie de la phrase avait été murmurée, dans un vain effort de discrétion qui tomba à plat alors qu'une autre voix rétorqua à la première :
– Tiens ta langue soldat ! Leurs Altesses nous ont demandé d'inspecter le bâtiment. As-tu oublié qui ils sont ? Nous obéissons, un point c'est tout ! Mais peut-être souhaites-tu que je fasse part de ton insolence à leurs grâces ?
Cette phrase déclencha chez Sarah un long frisson de peur et alors qu'un silence s'étendait sur le groupe de Paladins au bout du couloir perpendiculaire a leur cachette, la pilote chercha le regard d'Alexandre. Les yeux bleus de son meilleur ami trahissaient la même émotion que celle qui s'animait dans ses propres pupilles grises. Et son visage livide, un reflet du sien.
– Nous devons bouger, articula silencieusement la Quatre.
Bouger et vite, avant que ces muscles ne finissent de se raidirent totalement, rendus amorphe par une émotion que les Paladins n'avaient jamais vraiment inspirée chez elle. Mais c'était fini désormais et l'agacement, le sentiment de révolte que les Blancs avaient alors attisé chez la rousse, n'était plus qu'une brise. À peine un souffle comparait au vent de terreur qui fouettait maintenant ses veines. Ou bien était-ce Alexandre qui sans l'effet du sérum et mû par un sentiment jumeau à elle-même, les clouaient sur place.
– Nous devons bouger, répéta la pilote, luttant contre la brume qui lui enserrait le cerveau.
– On ne peut pas, répondit son meilleur ami de la même façon.
D'un mouvement de tête, il désigna le fond du couloir par lequel ils étaient arrivés et/ou ils avaient trouvé refuge. Au bout une première porte close les narguait — ils s'étaient acharnés dessus sans résultat — et sur le mur opposé se trouvait la porte coupe-feu à une cinquantaine de mètres. Le sang quitta un peu plus les joues de Sarah alors qu'elle comprenait ce qu'impliquait Alexandre. La porte grinçait bruyamment. Si fort, que les jeunes gens avaient grimaçé en la passant, dérangeaient par le son. Aussi, nul doute qu'enfoncer la barre antipanique tirerait à leur unique moyen de fuite un crissement traître. Impossible que les Blancs ne l'entendent pas. Quant au couloir, il ne leur offrait aucune cachette. Épars de tout meuble, toutes plantes, ce n'était qu'une longue bande de moquettes. Un cul-de-sac dans lequel les deux jeunes gens étaient piégés. Si les Paladins décidaient de prendre ce chemin, alors c'en serait fini d'eux. La traque serait finie.
– Non, bien sûr que non, Capitaine répondît fébrilement l'insolent par-dessus les battements de cœur de Sarah.
– Bien.
Les Evolués se plaquèrent davantage au mur. La main d'Alexandre trouva celle de Sarah et elle s'y raccrocha comme depuis des années.
– Continuons, commanda la voix du Capitaine de l'escouade. Plus vite nous aurons fait le tour de l'entreprise et trouvé l'intrus où les intrus et plus vite nous pourrons sortir. Que certains d'entre vous puissent festoyer.
Des rires nerveux ponctuèrent sa phrase.
La tête de Sarah tourna. Ils savaient, ils savaient ! Mais comment ? Les caméras ? Matthieu leur avait assuré les avoir aveuglés avant qu'ils entrent, alors quoi ? Des passants les ayant aperçus ? Le quartier des affaires du Secteur Un était désert les jours de fête, personne n'y mettait les pieds. Alors comment ? Comment !?
Dans un mouvement nerveux, la jeune femme remua légèrement et son poignet droit frappa le mur dans son dos, provoquant un bruit sourd contre son B. I. Les yeux de Sarah s'agrandirent. Son bracelet d'identification ! Ramenant l'objet à hauteur de son poignet, elle l'observa attentivement sans oser le toucher. Il y avait plusieurs années, à l'époque de la Purge et des grandes révoltes à l'encontre du Royaume, la monarchie avait imposé le traçage du tous les sujets du Roi par le biais de cette unique menotte. Un garde-fou pour repérer les traîtres. Mais les effusions de sang avaient été telles, les batailles si violentes et l'économie si ténue que le Royaume en proie aux guerres civiles avait plié. Il avait supprimé le traçage, un choix qui avait plu aux Secteurs les plus hauts de chaque Zone, si attachés à leur vie privée et à la discrétion. Ils étaient rentrés dans le rang et si la Rose s'était pliée, elle n'avait cependant pas rompu. Ses épines avaient continué à faire couler le sang, jusqu'à ce qu'il n'y en ait plus assez à charrier dans les rues et que les autres Secteurs épuisés se brisent.
Ils en étaient là, maintenant, mais jamais le Royaume n'aurait remis cette application en vigueur, non ? Pas après ce qui s'était passé pendant le Grand Partage... Ou bien si, est c'était justement pour ça ? La rousse tourna un regard terrifié vers Alexandre. Il avait les yeux rivés sur le bracelet de sa meilleure amie, comprenant en même temps qu'elle, perdant son souffle, tout comme elle.
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Si les deux amis ne hurlèrent pas en entendant la sonnerie caractéristique du B.I c'est uniquement, car ils avaient perdu leurs voix. Il fallut d'ailleurs à Sarah plusieurs minutes pour comprendre qu'il ne s'agissait pas du sien, ni même de celui d'Alexandre qui laissé échapper des notes aussi fortes, mais de celui d'un des Blancs.
– David, répondit immédiatement le Capitaine.
Sarah pouvait presque se l'imaginer se redressant, le ton de sa voix se faisant plus tendue, apeurée presque.
– Je... Je suis le Capitaine de la trentéunième escouade, votre grâce. Je... Non nous n'avons encore croisé encore personne dans l'enceinte du bâtiment. Non, bien sûr que non, par le Roi, jamais je ne mettrais en doute votre parole. Nul doute qu'avec trois escouades à l'intérieur, nous allons rapidement interpeller quiquoncque... Je, oui Votre Grâce, pardonnez-moi, mon intention n'était pas de vous faire perdre votre temps... Votre Grâce ?
Était-il inquiet ? Cela en avait tout l'air. Des hésitations en passant par son timbre qui tombait vers la fin, tout faisait penser à la jeune femme que ce Blanc était terrifié. Mais peu importait finalement, car Sarah n'avait pas réellement suivi l'entièreté de la conversation. À quoi bon, alors que l'information principale se trouvait au début. Il y avait des officiels dans la Zone. Et pas n'importe quels officiels, des proches du Roi. On n'attribuait pas le titre de « Grace » à n'importe qui. Seulement aux fidèles, à ceux qui croyaient, à ceux qui se rangeaient du côté de la couronne et qui n'hésitaient pas à la servir quitte à desservir tous les autres.
Et ça, c'était sans compter les Paladins, trois escouades de treize hommes armés de blaster, de bâtons électriques et autres armes se promenaient ainsi dans les couloirs. Tout cela était suffisant pour donner à la pilote l'envie de vomir, car comprenant environ soixante-quinze étages, les Blancs pouvaient être partout.
– Il a raccroché...
– Qu'a-t-il dit ? demanda un autre. Devons-nous nous attendre à des problèmes ?
– Qu'est-ce qu'on t'a appris à l'Académie à toi ? Attends-toi toujours à des problèmes. Nous sommes la première ligne de défense contre les Evolués, les traîtres et tout ce qui cherche à ronger la couronne. Le premier bouclier !
– Alors c'est ça ? On nous a envoyés ici pour confronter des Evolués ? paniqua une nouvelle voix.
– Qui a dit ça ? répliqua sèchement le Capitaine. Personne ! On nous a uniquement dit qu'il était fort probable qu'une intrusion ait eu lieu au sein de Leroycorp. Et même si nous tombions bel et bien sur un de ces monstres, alors quoi ?! Tu comptes fuir comme un lâche ? Quant ta mère, sa sœur ou ta femme seront tuées par l'un d'eux quelle excuse te serviras-tu pour te défendre, j'avais peur ? Pathétique ! Ressaisis-toi, il n'y a pas plus grand honneur et plus grand devoir que de débarrasser le Royaume que de ces anomalies !
– Mais si c'est un Alpha...
La phrase s'arrêta net sous le coup d'une mandale. Sarah savait reconnaître le bruit d'un poing qui s'abat sur vous. Elle y avait trop souvent goûté lors des courses. Aussi, elle grimaça alors qu'une légère commotion se faisait entendre du côté des Paladins.
– Tout le monde meurt, tout le monde saigne, tu en es la preuve vivante, gamin. Maintenant debout !
Ce dernier mot, vociférait avec force, résonna de concert avec le bruit d'une porte qu'on ouvrait sans ménagement pas très loin. Rapidement, les bruits d'une course saccadée leur arrivèrent suivit de près par le bruit caractéristique des blasters que l'on déchargeait sur quelque chose.
Pas quelque chose, songea Sarah alors que les deux jeunes gens retrouvaient l'usage de leurs membres inférieurs, quelqu'un.
Et cela venait droit sur eux.
– En joug ! rugit le Capitaine tandis que les deux Quatres reculait précipitamment dans le fond du couloir qu'ils occupaient.
Le crissement de la porte coupe-feu leur paraissait bien dérisoire maintenant à l'inverse de possibles tirs de rayons bleus.
– Descendez moi tout ce qui passera par cette fichue porte, continua le chef de l'escouade blanche alors que les pas précipités se faisaient de plus en plus proche.
– Capitaine ?
– Personne ne nous a rien dit concernant le statut de l'intrus. Et personnellement, entre vivant ou mort, je préfère qu'il soit mort !
La porte s'ouvrit enfin dans un brutal bruit de métal qui s'éleva dans les airs et l'espace d'un instant tout devint noir.
– Feu !
Dans l'obscurité, les rayons bleutés des blasters filaient comme les feux d'artifices qu'ils avaient pu observer au-dehors avant de s'éteindre à l'autre bout du couloir. Un spectacle qui fascina autant qu'il effraya Sarah.
– C'est une fille, cria un Blanc alors que les néons du plafond de l'entreprise des Leroy se mettaient à clignoter dans un rythme erratique.
Bouge de là, se sermonna Sarah.
À ce rythme, elle serait la prochaine. Dans peu de temps, c'est vers elle et vers Alexandre que se tourneraient les canons des armes.
Bouge ! bouge ! bouge !
Rien n'y faisait, elle restait là, incapable, elle qui avait tant couru pendant le Grand Partage, elle qui avait couru au secours de son frère sur la Grande Plance du Un, elle qui ne faisait que courir depuis tout ce temps, aussi bien a moto qu'a pied. N'en avait-elle plus la force désormais ?
– Comment est-ce qu'elle...?!
La pilote entendit à peine l'exclamation de surprise par-dessus la cacophonie des blasters, mais ce fut pourtant le cas et sa propre stupeur rejoint immédiatement celle qu'avait fait entendre cette autre voix alors qu'Elisa tournée au coin de leur couloir. Dans l'obscurité chaotique de celui-ci, Sarah ne vit presque rien du coupe vent brulé ci et la, de la sacoche de cuir fumante ou de la joue ensanglantée d'Elisa. En revanche, ses yeux ne lui échappèrent pas. Ils étaient grands ouverts, fous de peur et surtout, ils étaient d'argent. Comme ceux des Evolués, comme ses propres pupilles.
– Sarah, bouge ! aboya Alexandre, faisant écho à ses pensées désordonnées.
L'ordre fut cette fois suffisant, la voix de son meilleur l'attint plus fermement que ses propres sermons. Elle pivota sur ses pieds au moment ou Elisa s'engouffrait dans leur couloir et une nouvelle fois, elle se mit à courir. Et si les flammes qu'avaient fait naître les Maîtres du Jeu sur le circuit de course la poursuivaient plus, l'énergie brûlante émanant des Blasters des Paladins vint bientôt siffler à ses oreilles.
– Ils sont plusieurs, cria un Blancs dans son dos.
– Continuez de tirer, répondit le Capitaine.
Un rayon bleu chuinta au-dessus de sa tête, la manquant largement avant d'aller toucher la porte coupe-feu au fond du couloir. Sarah vit horrifié le métal se tordre sous la chaleur avant de céder comme de la cire. Alexandre, Elisa et elle ne survivraient pas à un tir bien porté. Il n'y avait là aucun doute.
– Alex, zigzague ! Ne reste pas en ligne droite !
Cela serait suicidaire ! Encore plus que ne l'était déjà ce qu'ils faisaient. Garder la même trajectoire dans cette situation ne ferait que permettre aux Paladins de les canarder plus facilement. Les lignes droites étaient des pièges dangereux, voire mortels. Combien de fois avait-elle subi les humeurs des Maîtres du Jeu ou les tirs des pilotes ennemis, alors que MAX et elle s'élançaient sur les longs axes du circuit. Le conseil parvint aux oreilles de son meilleur ami et elle le vit se mettre à faire de grand mouvement ample de gauche à droite en ne perdant rien de sa vitesse. Derrière eux, les pas d'Elisa les talonnaient.
Il lui fallut près de deux minutes pour le rattraper et combler la distance entre eux dès lors, ils se mirent à serpenter l'un devant l'autre. Le cœur de Sarah semblait se figer à chaque fois qu'un tir de blaster la frôlait. Et étrangement, ils ne faisaient que ça, la frôler. Certains se perdaient au-dessus de sa tête, d'autres dans la moquette près de ses pieds. Un rayon bleu vint même s'écraser contre l'une des grandes baies vitrées sur le mur de droite, la brisant en des milliers de morceaux. Même à cette hauteur dans le bâtiment, les bruits de la fête au sol grimpaient jusqu'ici, les bases de la musique faisant écho aux battements frénétiques du cœur de la rousse.
En d'autres circonstances, Sarah aurait très bien pu se moquer du manque d'adresse des Paladin. C'était à croire que les tirs étaient animés d'une volonté propre, refusant obstinément de la blesser. Mais son soulagement était bien trop grand et l'adrénaline circulait bien trop vite dans ses muscles pour qu'elle y réfléchisse davantage. Si bien qu'elle ne se questionna pas quand devant eux, cette porte coupe-feu, close précédemment s'ouvrit d'un mouvement brusque, comme poussé de force. Ils s'y engouffrèrent sans perdre un instant, sans un regard en arrière, sans espérer que les Paladins cesseraient leur tir et encore moins leur traque.
Matthieu lui avait dit un jour, alors qu'elle sortait de la course particulièrement difficile, qu'il arrivait parfois au cerveau de faire des connexions qui à premier vu semblaient illogique. C'était sans doute pour cela qu'elle repensait à cette conversation tandis qu'elle dévalait ceux de Leroycorp, défiant la mort à chaque marche. C'était peut-être aussi pour ça qu'elle ne pouvait s'empêcher de songer à tous ces escaliers qu'elle avait descendus dans sa vie. Ceux de son immeuble dans le Quatre, qu'elle survolait presque le matin, par peur de rater un bus l'amenant simplement en cour. Ou encore pour rattraper Lucas, armée du sac d'ordures que c'était à son tour de jeter, par le Roi. Aller de haut en bas n'avait jamais fait peur à Sarah, car jusqu'alors ce mouvement répétitif avait été synonyme de jours plus gais, il avait trahi son impatience pour une chose ou une autre. Mais là, ici et maintenant, sous le feu des blaster, talonnaient par la meute blanche, il avait pris des allures de chute. Et elle n'était pas sûre de pouvoir s'en relever.
Alexandre et Sarah étaient désormais au coude à coude, mais l'étroitesse de la cage d'escalier rendait leur course difficile. Par deux fois, Sarah manqua de tomber alors que son meilleur ami et elle entrèrent en contact au coin d'un virage pris avec trop de vitesse.
– Cesser le feu ! hurla une voix quelque part au-dessus de sa tête.
Celle-ci ne l'atteint qu'un instant alors qu'ils se jetaient dans un nouveau couloir à perdre haleine. Cette courtoisie ne durerait pas. Une fois la voie dégagée, les Paladins tireraient de nouveau, Sarah le savait. Alors qu'ils filaient vers l'avant, les yeux gris de la pilote distinguèrent l'ascenseur à l'extrémité de ce couloir de mort. D'instinct, ses jambes se mouvèrent un peu plus vivement.
Plus vite, songea-t-elle. Plus vite !
Sur sa droite, Alexandre poussa un gémissement qu'elle entendit à peine, sa propre voix mentale ayant pris toute la place sous son crâne. Rien d'autre ne comptait, mis à part sa fuite. Ni le bleu au reflet glacé lui brûlant la rétine en passant près de son œil gauche, ni le bruit du verre éclatant sous un assaut furieux de blaster, ni le vent frais de l'extérieur lui mordant le visage, ni les râles, ni le souffle chaud sur sa nuque. Rien, rien à part l'ascenseur. Une seule chose l'obsédait désormais, les portes cuivrées qui s'écartaient pour elle et ce tintement. Comme un appel, des bras sécurisants dans lesquels Sarah allait enfin pouvoir se réfugier.
Prise dans son élan, elle ne s'arrêta qu'au contact de son corps contre la paroi du fond de la cabine. L'impact brutal la renvoya en arrière et elle laissa tous ses membres choir sur le sol froid de l'ascenseur. Tremblante, en nage, sa poitrine s'élevait et s'abaissait dans un rythme erratique. Le coin de ses yeux exorbités virent passer une ombre près d'elle. Alexandre, sans aucun doute, lui murmura son cerveau groggy. Elle tourna la tête et la dernière chose qu'elle vit, ce sont les portes se refermer, les Paladins se saisir d'Alexandre et Elisa sur sa droite ; le doigt sur le bouton de clôture de leur caisson de cuivre.
Sarah hurla.
Une seconde, c'est au sens de la jeune femme tout le temps qu'il avait fallu pour que cela se passe et pourtant le cri qu'elle poussa sembla durer des heures. Une fois celui-ci mort dans sa gorge, Sarah fut prise d'une quinte de toux incontrôlable, lui faisant monter les larmes aux yeux. Sa course folle et le choc ayant rendu sa respiration laborieuse.
– Pourquoi ? croassa-t-elle. Qu'est-ce que tu as fait !
Appuyée contre la paroi de droite, les mains sur les genoux, Elisa reprenait son souffle. Ses cheveux châtains lui collaient au front.
– Qu'est-ce que tu as fait, répéta la pilote d'une voix tremblante.
– Tu veux dire juste à l'instant ? Rien de bien différent de d'habitude. J'ai sauvé ma peau et la tienne par la même occasion.
Le sarcasme dont faisait preuve Elisa ne plut pas du tout à Sarah.
– Et je devrais te remercier ? questionna froidement la rousse en se relevant.
Un rire échappa à la Mauraudeuse.
– Eh bien oui, pourquoi pas. Ça ne te coûterait rien et je te signale que si je n'avais rien fait, ces abrutis t'auraient eu.
– Et Alex ? Ils l'ont eu lui. Ils l'ont eu alors qu'il était juste à côté de moi !
– Non, ce n'était pas le cas, sinon il serait là, la contredit la Maraudeuse d'un ton monocorde.
– Il était à côté de moi et toi derrière. Il y avait de la place pour nous trois ici, il aurait dû être avec nous.
– Non, ce n'était pas le cas, sinon il serait là, la contredit la Maraudeuse d'un ton monocorde.
– Il était à côté de moi et toi derrière. Il y avait de la place pour nous trois ici, il aurait dû être avec nous.
– Peut-être bien...
– Peut-être bien ? C'est tout ce que tu trouves à dire ? On était venu pour toi ! Et maintenant, Alex est...
Il fut impossible à Sarah de finir sa phrase. La boule dans sa gorge était trop serrée et la bile sur sa langue trop amer. La vision de son meilleur ami aux mains des Blancs se rejouait encore et encore dans son esprit. Le jeune homme avait pourtant prévenu que venir ici était une mauvaise idée, mais elle avait insisté, butée, n'en démordant pas, elle lui avait forcé la main autant que l'avait fait Julie. Elle était donc coupable, elle avait poussé le Quatre, son confident dans les mains de leurs ennemis avec son entêtement.
– Ah, fit Elisa en prolongeant la syllabe. C'est donc moi qui devrais dire merci ? Ne me fais pas rire. Je n'ai jamais rien demandé moi. Alors, dis-moi, pourquoi je devrais te remercier ?
Les yeux verts de la jeune femme la fusillait du regard, mais ni celui-ci ni le venin dans sa voix n'intimidèrent pas Sarah. Pire, ils ne firent qu'accentuer le sentiment de colère qui la parcourait. Pour autant, la rousse tenta de se contrôler. Ne s'étaient-ils pas tous rendus ici pour tendre la main une dernière fois à la Maraudeuse ? Les yeux de Sarah tombèrent sur la besace de sa camarade.
– Tu as volé quelque chose dans ce bâtiment. Donne-le-moi, ordonna-t-elle en tendant la main vers la Quatre qui s'empressa de réajuster sa charge dans son dos. Toi et moi, on va redonner ça à Matthieu et Calliope.
L'image de son meilleur ami lui apparut en flash devant les yeux et elle la repoussa le plus loin possible. Si elle se perdait dans celle-ci, elle allait craquer.
– Tu penses sincèrement que je vais te dire oui et que tout ira bien dans le meilleur des mondes ensuite ? répliqua Elisa en relevant un sourcil. Vraiment ? Après être allée aussi loin, tu penses que je vais te donner ce que tu veux parce que tu le demandes gentiment ? C'est très mal me connaître, Chase, ajouta la jeune femme froidement.
La mâchoire de Sarah se crispa. Presque aussi durement que celle de sa camarade de secteur. Elle parcourut le visage décidé de la Maraudeuse et ce qu'elle vit, la couleur de ces iris dans lesquels la rousse fut happée un instant, manquèrent de dérider son air sévère pour laisser apparaître une espèce de stupéfaction désormais familière. Elisa avait des yeux d'argents. Ainsi la théorie d'Alexandre se révélait être plus que cela, c'était une vérité. Une qui comme l'avait avancé le jeune homme rendait la situation encore plus périlleuse.
Et pourtant...
Un sourire narquois se dessina sur les lèvres de Sarah.
– Je pourrais dire la même chose, railla la rousse.
Désormais consciente de leur similarité, la pilote entendait très clairement l'appel. Cette force, ce sentiment étrange qui s'agitait au fond de son être et qui bien plus sûr que ses propres yeux, lui assurait que oui ; toutes les deux étaient des Evoluées. Son regard jumela celui de la Maraudeuse, donnant aux yeux déjà gris de la jeune femme une teinte lunaire, comme deux astres dans un ciel obscur. Si la balance des forces avait toujours tangué de l'une à l'autre par le passé, elles étaient de l'avis de Sarah sur un pied d'égalité à présent.
Boudant volontairement la petite voix alarmante sifflant dans un coin de sa tête, la jeune femme réaffirma sa position. Certes, elle ignorait tout ce dont Elisa était capable, mais il en allait de même pour sa camarade à son encontre. Elle répéta d'un ton ferme :
– Donne !
– Et pour quoi faire, Sarah ? s'écria la Quatre. En quoi toi tu en as besoin !?
À peine les mots prononcés que son air furieux se dissout pour laisser apparaître ce que Sarah perçut comme du remords. L'insulte qui suivit finit de la convaincre. Les mimiques changeantes d'Elisa lui rappelèrent quelque chose. Elle était passée de la surprise à la colère et aux remords dans un laps de temps très court et si la pilote ne doutait pas que les deux premières émotions lui étaient adressées, en dire de même pour la dernière n'était pas chose aisée. Cela ne collait pas. Elisa comme elle l'avait si bien évoqué n'était pas de ceux qui avaient des remords ou regrets. Elle, elle était tranchante, acerbe et dure. Rien n'avait d'emprise sur la Maraudeuse, rien n'avait de poids... enfin, mis à part..
La connexion se fit instantanée. Elisa n'était finalement pas exempte de fardeau, elle en avait même deux. Se pouvait-il que toute cette histoire ait un rapport avec Louise et Jimmy ? Une idée pas si incongrue quand on savait qu'Elisa était prête a tout pour sa petite sœur et son petit frère.
– Elisa..., commença Sarah.
La fin de sa phrase ne vint jamais. Les deux jeunes femmes se retrouvèrent plongaient dans le noir après qu'un soubresaut ait secoué la cabine. Déstabilisée, la rousse trébucha vers l'arrière et ses mains s'agrippèrent à la barre de sécurité. En face d'elle dans l'obscurité, il eut un mouvement de tissu et le bruit d'un objet métallique tombant au sol se fit entendre. Une deuxième secousse ébranla l'habitacle et le son métallique se déplaça.
– Merde ! lâcha la Maraudeuse alors que quelque chose venait frôlait le pied de la pilote.
Dans un clignotement, la lumière revint et Sarah regarda à ses pieds. Près de sa basket gauche se trouvait la besace.
N'y pense même pas
La voix mentale d'Elisa fit frissonner la Quatre, encore étrangère à la présence éthérée de la jeune femme sous son crâne. Les deux jeunes femmes s'épièrent en chien de faïence, guettant le moment où l'une des deux ferait le premier geste. Elles agirent finalement de concert, manquant l'une et l'autre de se prendre de vitesse. La Maraudeuse s'élança dans la direction de Sarah quand celle-ci se baissait afin de se saisir du sac. D'un mouvement vif et brutal, Elisa envoya son genou dans l'estomac de la pilote dont le souffle se bloqua.
Elle lâcha un gémissement de douleur et d'un coup de pied, elle écarta l'objet qui traînait au sol. Celui-ci partit de l'autre côté de la cabine, loin des deux Quatre non sans avoir envoyé une décharge douloureuse du pied jusqu'au tibia et la cuisse de Sarah. Sans attendre que la rousse se soit remise, Elisa sauta en direction de la sphère. Désormais dans le dos de sa camarade de secteur, la benjamine des Chase en profita pour la propulser d'un coup d'épaule contre l'une des parois de l'ascenseur.
– Arrête, hurla la jeune femme alors que la voleuse se retournait pour lui asséner un coup.
Celui-ci manqua et le poing d'Elisa s'écrasa contre le panneau de fer du fond de la cabine. Elle gronda.
– Fous-moi la paix, Chase ! Pourquoi tu ne peux pas t'occuper de ton cul !
L'ascenseur laissa échapper un gémissement inquiétant auquel elles ne prêtèrent guère d'attention. Trop occupées à s'échanger coup sur coup. Sarah devait se l'avouer, elle s'était fourvoyée. Naïvement, elle avait pensé pouvoir usé de sa capacité pour prédire à l'avance les mouvements de sa camarade, mais forcé de constater que cela était plus difficile qu'elle ne l'avait envisagé. Pour ne pas dire impossible. Le flux continu des pensées d'Elisa se heurtait avec sa capacité à réfléchir à ses propres mouvements, ses propres réflexions. Dans cette situation, Sarah se retrouvait dans l'incapacité de compartimenter toutes les informations lui parvenant. Tout n'était que mélange difforme et cacophonie bruyante lui faisant tourner la tête.
À la grande frustration de Sarah, Elisa se retrouva à avoir l'avantage. Répétition agaçante de ce qui avait toujours été. Un coup bien placé sous le menton finit de mater la jeune femme qui s'écroula au sol. Rageuse, dans un effort mû par l'amertume, la pilote balaya la cabine de ses jambes dans l'espoir de faucher celles de son adversaire. Son idée fit mouche et le son de la chute ravit Sarah d'une satisfaction mauvaise.
Une nouvelle fois, la cabine de cuivre remua sous ces assauts. Crissant lourdement, comme un cri d'alarme, elle s'ébranla encore et à la terreur de la Quatre, leur arène de métal les aspira vers son sommet alors qu'elle plongeait vers l'abîme.
***
Était-elle morte ? Cela expliquerait bien des choses. À commencer par le fait qu'elle ne sentait plus rien. Pourtant, elle entendait encore. Le bruit de sa propre respiration, bien sûr, mais aussi le doux ronronnement de l'ascenseur alors qu'il descendait les étages à allure de croisière, le tintement des portes s'ouvrants, le son de plusieurs inspirations brutales et surprises et pour finir, la voix angoissée de son frère :
– Sarah !
Par le Roi, ce qu'elle détestait entendre le ton déchiré percer par la gorge de Lucas. Luttant contre la lourdeur immobilisant son corps, elle souleva les paupières et le canon d'un blaster s'enfonça dans sa joue.
– Elle est vivante, indiqua la voix du Paladin accroupi à ses côtés.
– Vraiment ?
L'incrédulité de la seconde voix la fit presque rire. C'est exactement ce qu'elle se disait.
– Dans ce cas, ramène-là par ici.
L'ordre fut exécuté immédiatement. La jeune femme se sentit relever sans ménagement et les jambes branlantes, guider par un debout autoritaire et une poigne de fer, on la bouscula à l'extérieur de la cabine. La pilote chancela jusqu'à une paire de bras qui l'enserra dans une étreinte sécurisante et protectrice.
– Doucement, gronda son aîné par-dessus ses cheveux.
– C'est l'évoluée ? questionna un Blanc alors qu'elle sentait que le Paladin prêt d'elle la scannait de son casque.
– Bien sûr que non, claqua la voix de Calliope. Elle est avec moi !
– Comment expliquez-vous que nous l'ayons retrouvé ici dans ce cas.
– Attention à votre ton, soldat ! Non seulement vous semblez oublier les règles, mais je doute également de la validité d'un interrogatoire en ces lieux. Pour finir, dois-je vous rappeler mon nom et mon statut ? menaça la brune.
De sa place dans les bras de son aîné, Sarah s'autorisa un sourire discret. Il fallait dire que le spectacle était édifiant. Bien qu'encadrés par toute une escouade de Paladins, son amie du Un avait pris les rênes de la situation et s'y accrocher. Calliope démontrait ici toute l'autorité liée à son rang. À elle seule, elle formait un bouclier entre l'escouade et eux.
Il y eut une pause, longue. Sarah n'eut aucun mal à se représenter le Blanc pincer des lèvres sous son casque devant la brune. Sans doute frustré d'être ainsi rabroué, mais qu'importe, la loi du rang s'appliquait et Calliope était ici, celle a qui cette loi servait le plus.
– Bien, concéda l'homme. Dans ce cas, allons-y.
– Aller où ?
– Dehors, ma Lady. J'ai reçu l'ordre d'appréhender toutes personnes ayant pénétré par effraction dans l'enceinte du bâtiment.
– Ledit bâtiment étant Leroycorp et mon nom étant Leroy, je doute que l'accusation que vous portez ici soit encore valide.
– Je ne suis pas sûr de ça, ma Lady.
L'homme en blanc devant Calliope, le chef de cette escouade à n'en point douter, glissa ses mains dans son dos et claqua des talons. Sa visière de casque laissait apparaître des yeux noirs qu'il gardaient résolument au-dessus d'eux.
– Les ordres sont les ordres ; et bien que je ne puisse remettre les vôtres en question du fait de votre statut, comme vous l'avez rappelé, la loi du Rang s'applique partout et à tout le monde. Il plongea ses prunelles dans celles de la jeune femme. Et ceux que l'on m'a confiés à mon entrée dans le bâtiment surpassent de loin ceux que vous voudriez bien me donner.
Le silence vint cette fois de l'héritière des Leroy et alors que Sarah se mettait à frissonner, Lucas se tendit considérablement contre elle. À dire vrai, ils s'étaient tous certainement contractés sous l'information. Après tout, au-dessus d'un ordre provenant d'un membre du Secteur Un, on trouvait ceux de la Cour et au sommet, il y avait le Roi.
Interdit, les jeunes gens restèrent muets et l'homme annonça une nouvelle fois :
– Allons-y.
– Ma sœur est blessée, indiqua Lucas d'une voix blanche.
Peut-être dans l'espoir de ralentir une rencontre qui les terrifié d'avance ?
– Je vais bien, ne put-elle s'empêcher de répondre dans un murmure.
Le chef d'escouade tourna vers Sarah un regard impassible avant de répondre au jeune homme.
– La tête saigne généralement en abondance. C'est impressionnant, mais bénin dans la plupart des cas. Avancez, s'il vous plaît.
Contraint et encadré par les treize hommes de la petite brigade, le groupe se mit en marche.
– Ça va ? s'enquit Lucas.
– Oui, oui, ça va.
Un doux euphémisme, vraiment. Mais la pilote se sentait vaseuse, ce qui rendait difficile la construction de ses barrières mentales. Il y avait quelque chose d'encore plus angoissant et oppressant à entendre les pensées vagabondes et terrifiées de son aîné.
– Où est Elisa ? murmura finalement la rousse à ses camarades dans un souffle après avoir cherché cette derrière à droite et à gauche.
Tous lui rendirent des regards incrédules.
– On pensait que tu pourrais peut-être nous le dire, répondit Matthieu qui la dévisageait comme si une deuxième tête lui avait soudainement poussé. Vous êtes partis si vite avec Alexandre.
La mention d'Alex fit monter un goût de bile dans la gorge de Sarah.
– Elisa était avec moi dans l'ascenseur, choisit-elle de répondre. Elle avait une besace et... Je crois que tu avais raison à propos d'elle.
Le visage juvénile de Matthieu se figea dans une expression sérieuse et grave.
– Sarah, il n'y avait que toi dans la cabine.
Un poing de glace s'enfonça dans l'estomac de la jeune femme. Elle avait filé. La Quatre ignorait comment, mais Elisa avait pris la fuite.
– Et Alexandre, la pressa Julie, ses grands yeux noisettes exorbitées.
La gorge de Sarah se fit sèche au contraire de ses yeux qui se remplirent de larmes.
– On a été séparés.
Lèvres tremblantes, la jeune femme baissa la tête et sur sa droite, Julie laissa échapper un gémissement de détresse. De manière succincte, la télépathe entreprit de leur raconter ce qui leur était arrivé après qu'ils se soient séparés. À voix basse, gardant pour elle l'épineux sujet de leur statut respectif d'Evolués qui pesait chaque minute un peu plus sur Alexandre, Elisa et elle.
Déjà graves et sérieux, les visages s'assombrirent davantage et Sarah accueillit avec reconnaissance la main chaude de son frère quand celle-ci se glissa dans la sienne. Après avoir tant couru, les jambes de la jeune femme lui faisaient mal, ses muscles se crispant à chaque nouveau pas. Comme un râle de frustration.
Docile, elle suivit les Blancs tandis qu'ils exécutaient le chemin inverse et redescendaient les nombreux étages de la tour de Leroycorp. Elle perdit le compte au bout d'une dizaine, lassée de ces murs immaculés et de cette odeur de trop propre, bien trop lointaine de celle flottant dans son Secteur. Cela lui agressait le nez.
Dans une distraction mal venue, son esprit et ses pensées prirent un chemin obscur, s'attardant sur une seule question : et maintenant, qu'allait-il se passer ? Son cerveau ne lui apporta pas de réconfort. Il amena avec lui, une a une des hypothèses toutes plus noires que la précédente. Si bien que dans ce tunnel sombre, elle fut presque soulagée d'apercevoir autant de lumière ou bout du couloir.
Ils venaient d'atteindre le rez-de-chaussée.
Ce sont les aboiements des chiens qui firent se figer le groupe des jeunes gens. Il n'y avait plus de chiens domestiques dans les trois derniers secteurs de la Zone Ouest. Les canidés demandaient pour la population démunie un entretien bien trop important, la ou les habitants peinaient déjà à s'occuper d'eux et de leurs familles de manière convenable. Les chiens avaient délaissé les maisons pour le No Man's Land ou ils se mouvaient en meute comme leurs cousins les loups. Certains Maraudeurs se risquaient même à les chasser pour de la viande, mais c'était les bêtes qui faisaient la loi. Et s'il arrivait que dans le Un, une riche famille s'offre le luxe d'avoir un animal, ceux qui n'avaient pas retrouvé l'instinct primal n'en devenaient pas moins brutaux. Gardes loyaux de par la force, ils servaient dans les rangs de la milice blanche. En son sein, disait-on, on accentuait davantage leur côté agressif et sanguinaire. Ils devenaient des tueurs conscients.
Ils furent délogés de leur immobilité par les Paladins qui les poussèrent vers l'avant-arme au poing. Même Calliope avait perdu de sa superbe.
La lumière des projecteurs aveugla Sarah immédiatement et la Quatre du attendre quelques minutes avant que ses yeux ne se fassent à cette nouvelle attaque. Chaque grondement des chiens résonnait dans ses os. On les plaça en une ligne droite parfaite de façon à être perpendiculaire a celle formée par les comparses des hommes qui les avait escortait dehors. Cette position fit monter un frisson d'effroi dans le dos de la pilote. Trop de fois déjà, elle avait vu des ennemis de la couronne postés à l'identique. Dans les minutes qui suivaient, ils n'étaient plus rien. Un amas de corps sur le sol, inerte. Pas une menace, juste un tracas fugace.
– Qui commande ici ? lança Calliope avec autant d'aplomb qu'elle pouvait.
Une voix claire et féminine lui répondit :
– C'est moi.
La cherchant du regard comme le reste du groupe, Sarah vit d'abord une silhouette se détacher de la chaîne armée devant eux. Élancée et gracile, la jeune femme qui leur faisait face était belle. Parfaite, même, si bien qu'en la voyant, la rousse fut subjuguée et que durant l'espace d'un instant toutes pensées cohérentes la quittèrent. Une longue chevelure de lis encadrait un visage d'ivoire ovale et sans défaut, faisant ressortir deux grands yeux bleus azur. Un sourire presque doux étira une bouche en cœur teinté de pourpre.
– Je m'appelle Mélanie, mais vous pouvez aussi m'appeler Cîme.
Ce prénom chantait. Il avait déclenché chez Sarah une réaction si forte, si incontrôlable que tout son corps vibrait. Chaque molécule de son être semblait se consumer, chauffée à blanc par quelque chose sur lequel la jeune femme n'avait aucun contrôle et qui lui donnait à la fois envie de courber l'échine et de se rebeller. La Quatre s'oublia et ne revint à elle que lorsqu'un coup atteint son épaule. Troublée, elle jeta un regard confus à l'homme à l'uniforme derrière elle.
– La Dame a demandé comment tu t'appelais.
– Sarah, répondit la rousse d'une voix piteuse.
Il lui était impossible de soutenir le regard de cette vision. Cette femme était trop, tout simplement et cela n'était pas normale.
Les yeux de Sarah passèrent pourtant outre Mélanie pour se perdre derrière elle alors qu'une voix familière se tordit de douleur. Si moche, que les larmes s'emparèrent de nouveau de sa vue.
– ALEXANDRE ! hurla Julie qui l'avait également reconnu.
La blonde fit un pas en avant avant d'être interceptée. On la tira en arrière et elle tomba sur les fesses.
Fronçant ses magnifiques sourcils, Mélanie se tourna de moitié :
– Markus, arrête de jouer !
– Je ne joue pas.
La voix était chaude, si bien qu'elle aurait presque pu être agréable, mais ce ton, cette nonchalance à l'accent mutin alors que la voix d'Alexandre ne trahissait que de la souffrance, lui faisait perdre tout attrait.
– Je m'informe, corrigea le dénommé Markus.
Il était le reflet exact de la jeune femme devant eux, si bien que le mot : « jumeaux » s'imposa de lui-même dans l'esprit de Sarah. Cheveux de neige sur peau laiteuse, sa coupe courte rehaussait de hautes pommettes. Un visage superbement ciselé se tourna vers eux et lorsque ses yeux bleus acier accrochèrent les siens, la jeune femme ne put s'empêcher de frémir. Il y avait chez ces êtres quelque chose défiant le naturel, une empreinte malsaine et dérangeante. Comme une justice, un contre poids à leur trop grande beauté.
Dans le dos des jumeaux, le corps d'Alexandre gisait au sol et ne sortait de ses lèvres que des gémissements douloureux.
– Avec toi, on ne sait jamais, grommela Mélanie sans prêter la moindre attention aux inflexions déchirantes de Julie.
Se tournant vers Sarah et son frère, Cîme ajouta en se penchant légèrement en avant :
– Vous deux, je sais qui vous êtes !
Elle semblait ravie, ses yeux pétillaient d'une gaieté qui tranchait comme l'acier. La benjamine des Chase eut envie de fondre en larmes.
– La petite crise, sur la Grande Place de votre Zone, ajouta-t-elle sur le ton de la confidence.
La petite crise ? Était-ce vraiment comme cela que l'on avait perçu sa tentative de secours alors que son frère se faisait flageller aux yeux de tous ? Comme une petite crise ? Ce même évènement qui avait entraîné tous les coureurs de la Zone Ouest dans compétition a mort sous l'égide de la loi du Jeu du Feu et du Sang ? Cette décision qui avait fait d'elle, à défaut d'une sauveuse une meurtrière ? Sarah parvenait à peine à appréhender ce que venait de dire cette femme et l'inspiration haletante de Lucas à sa droite lui indiqua qu'ils partageaient le même sentiment.
Mais ce n'était pas comme si elle était encore là de toute façon. Plus entièrement du moins. Une moitié d'elle-même était au sol, écrasée par la culpabilité auprès de son meilleur ami. Ce n'était pas possible, non. C'était une chose que de s'imaginer le pire pour ses proches, mais c'en était une autre que de le voir s'accomplir sous ses yeux. Ici, l'horreur était concrète, une véracité dure et solide. Alexandre était bien là, aux pieds de ces deux courtisant.
Ne décrochant rien de plus qu'un mutisme choqué de la majorité du groupe, Cîme préféra tourner son attention vers Julie dont les pleures perçaient la nuit. En cette nuit de fête au sein de la Zone Ouest, ils dénotaient trop fortement dans l'air. Roulant des yeux, la courtisane enfonça ses deux mains dans les poches de son trench-coat beige.
– Ma douce, ça suffit ! Ça ne sert à rien de couiner comme ça, c'est indécent et il n'est même pas pur !
– Qu'est-ce que vous entendez par : Il n'est pas pur ?
La voix brisée de son frère fit presque sursauter Sarah. C'était depuis leur sortie, la première fois qu'il prenait la parole et il semblait si loin, tellement éloigné, comme un marin en mer. Perdu au cœur d'une tempête.
La question sans doute amusante, pour lui, fit pouffer Markus. Sa sœur écarquilla ses grands yeux de biche et sa bouche s'entrouvrit en un O surpris.
– Vous n'êtes pas au courant ? – elle désigna Alexandre d'un mouvement de pouce — c'est un Evolué !
Une bulle de terreur implosa en Sarah. Ils savent, ils savent, ils savent, ILS SAVENT ! la tête lui tourna et avant qu'elle ait pu faire le moindre geste, elle se vida abondement vers l'avant. Ces écarts alimentaires du début de soirée vinrent s'étendre sur le bitum à ses pieds.
– Oh par le Roi, s'écria Mélanie à la vue du dégoûtant spectacle en pinçant le nez alors que son jumeau laissait échapper un grondement indigné.
La Quatre entendit vaguement Matthieu par-dessus les battements frénétiques de son cœur.
– Ce n'est pas possible, nia-t-il tandis que la rousse cherchait vainement la main de son frère.
Elle devait le toucher, il devait l'agripper, la soutenir, sans quoi... sans quoi...!
Vexation oubliée, les Jumeaux partagèrent un sourire éclatant.
– On ne se trompe jamais, déclara Markus.
– Le saviez-vous ? commença Mélanie en apposant un de ses pieds bottés sur la poitrine d'Alexandre. Il y a plusieurs façons d'identifier un Evolué. Voir ses pouvoirs en action, repérer son Souffle ou encore observer ses yeux. N'est-ce pas Aven ? Fit-elle en souriant à son frère.
Elle s'accroupit lentement, de manière à venir frôler le visage d'Alexandre du sien.
– Après tout, les yeux sont les miroirs de l'âme. Et les tiens m'ont dit tout ce que je voulais savoir.
Sous elle, le jeune homme remua légèrement et un faible gémissement courut sur ses lèvres.
C'est une commotion sur sa gauche qui fit fléchir la tête de Sarah. Secouée de sa torpeur, elle parvint enfin à détacher son regard du corps meurtri d'Alexandre. Là, juchait sur l'épaule d'un Blanc, Elisa ruait comme une démente, tordant son corps dans tous les sens. Les hurlements de l'autre Quatre étaient si forts, qu'ils en devenaient indécents au milieu de cette aphasie collectif.
– LACHEZ-MOI, LACHEZ-MOI ! JE DOIS Y ALLER, LAISSEZ-MOI PARTIR !
Le Paladin jeta sa camarade de Secteur au sol et l'insulte qu'elle voulut lâcher fut endiguée par un coup de cross bien placé. La Maraudeuse s'effondra au sol après un horrible bruit sourd qui fit tressauter Sarah.
– Tellement peu de classe se désola Cîme
– Sauvage, renchérit Aven.
Les jumeaux quittèrent la jeune femme des yeux et leurs regards de glace se posèrent sur l'homme à la tête de la nouvelle escouade qui venait d'apparaître.
– Elle tentait de s'enfuit par derrière. Avec ça.
L'uniforme leur montra la besace d'Elisa.
– Ah oui, ce truc fit Markus d'une voix traînante.
– Personnellement, je m'en moque, mais tu sais comme c'est important pour Papa, répliqua sa sœur.
– Est-ce qu'on peut juste en finir maintenant ? C'était marrant, mais là ça commence à me gonfler. J'aimerais voir ailleurs, t'as déjà vu la Zone Sud, toi ?
Alors que les yeux du jeune homme aux cheveux pâle se mettaient a briller d'un air rêveur, les traits de Cîme s'adoucirent. Une expression d'extrême douceur se peint sur son visage alors qu'elle observait son frère jumeau.
– Patience, on va y aller. Mais je suis d'accord avec toi. Tout ce cirque n'a que trop duré. Bien, vous l'avez apuré ?
– Oui, votre Grâce. – Le chef d'escouade jeta un rapide coup d'œil à la forme d'Elisa, silencieuse à ses pieds — c'en est une, comme vous l'aviez suggéré.
– Je ne suggère pas, Capitaine. Jamais, j'agis, j'ordonne, je sais, mais je ne suggère jamais. La suggestion c'est pour les faibles.
– Je... Oui, Votre Grâce.
– Et lui ? questionna Markus que l'ennui semblait momentanément avoir quitté. Pourquoi est-il là ?
Félin, il s'approcha de l'escouade où entravé entre deux Paladins se trouvaient un jeune homme blond en tenu tout aussi blanche que les leurs. Seules différences, le bâillon sur ses lèvres et l'épais collier étrangleur a son cou. À l'approche d'Aven, il remua, l'œil noir, se devisa la tête pour éviter un contact, sans résultat. On le maintenait trop bien et lorsque la main du courtisan se posa sur sa joue, l'inconnu cessa toute résistance, sa respiration jusqu'alors saccadée s'apaisa et son air revêche disparut, laissant apparaître un étrange apaisement. Il était calme.
– C'est... un pisteur, mon seigneur, se reprit le chef d'escouade dont le manque de vitesse de réponse fut accueilli par un regard ou brûlait l'impatience.
– Je sais ce qu'est un pisteur, crétin. Ma question était de savoir pourquoi avez-vous senti le besoin d'en emmener un avec vous ?
Les yeux bleurs d'Aven étaient fixés sur le chef d'escouade, menaçant, glacial, si bien que l'interlocuteur du courtisan se mit à trembler, un discours incohérent dévalant ses lèvres. Et qui pour l'en blâmer, certainement pas Sarah, elle tremblait aussi de tous ses membres.
– Ce pourrait-il, Capitaine, que vous doutiez des dires de ma sœur ?
Les accents chauds de la voix de Markus avaient laissé place à un hiver polaire. Il n'y avait qu'animosité dans sa voix, colère et dédain. La benjamine des Chase, s'effraya davantage en songea que peut-être, oui peut-être, l'homme en blanc allait lui aussi se faire rouer de coups. Et si la violence n'était pas chose rare dans son univers, dans son état actuel, elle n'était pas certaine d'avoir la force nécessaire pour en supporter le spectacle. Son cœur se mit à cavaler de plus belle, lui faisant craindre qu'il ne s'échappe de sa poitrine.
– Je, NON ! Absolument pas, non, votre Grâce !
Abandonnant le jeune homme blond captif, Aven fit son chemin vers l'homme en deux mouvements aisé.
– Menteur, déclara-t-il en levant sa main droite vers le visage casqué du chef d'escouade. Sarah se crispa, et celui-ci eut un mouvement de recul au moment ou la voix de Mélanie s'élevait :
– Markus, assez !
Son jumeau se figea en plein geste pour lui adresser un regard colérique auquel elle ne répondit que par une main tendue dans sa direction. Avec affection et sourire, elle parvint à dissoudre l'agacement de Markus qui revint vers elle à grands pas. Mélanie effleura sa joue d'un mouvement tendre et se tourna une nouvelle fois vers le groupe.
– Vraiment désolée, mais comme vous venez de le voir, mon petit frère s'impatiente.
– On a qu'une minute et demie d'écart, s'exaspéra Markus.
– Tut !
Arquant un sourcil vers le jeune homme elle l'arrêta une seconde fois, non sans qu'il ne roule des yeux. Sarah les observait à la fois fascinée et terrorisée. Elle chercha une nouvelle fois la main de Lucas, le lien unissant les deux courtisant faisant trop fortement écho a celui qu'elle partageaient avec son aîné. Les doigts de Lucas trouvèrent les siens et d'une pression la rousse fut quelque peu rassurée. Il était là, comme toujours. Tout irait bien, il veillait sur elle, et elle sur lui. Ils iraient bien.
– Aussi, continua Cîme sans être plus dérangée que cela. J'enjoins fortement le troisième Evolué se trouvant ici a sortir des rangs.
Hormis une inspiration brutale de Calliope, personne dans le groupe ne fit de pas en avant. Comment Sarah aurait-elle pu, alors que le simple fait de rester ici debout lui paraissait tenir du miracle tant ses jambes flageolaient.
– Allons, n'ai pas peur, tenta de persuader la jeune femme aux cheveux de neige.
Son ton de miel fut immédiatement rejoint par celui plus rêche de son frère.
– Ne nous oblige pas à user de la manière forte. Je ne suis même pas sûr qu'il y survivrait.
D'un geste du menton, Aven désigna Alexandre derrière lui et Sarah manqua d'oublier comment on respirait. Non, non. Ils n'oseraient pas si ? Quel mal lui faire de plus, son meilleur ami gisait déjà au sol, à bout de force. Ce n'était pas possible, elle n'allait pas être le déclencheur, l'instigatrice officieuse de la mort du jeune homme, non. Alors que faire ? Un pas en avant ? Et ensuite, qu'adviendrait-il d'elle, d'eux tous ? La mort n'était pas quelque chose qu'elle envisageait. Pas encore, pas maintenant.
Elle manqua de jaillir de sa peau lorsque les doigts de Lucas serrèrent une nouvelle fois les siens, sans tendresse, mais avec force. Celle du désespoir. La pilote parvint enfin à tourner ses yeux gris vers son aîné. Ce qu'elle vit acheva de l'asphyxier. Plus que la peur, la terreur régnait maîtresse dans les prunelles vertes de son frère. Se pouvait-il qu'il ait compris, qu'il l'ait percé à jour et sache que c'est d'elle dont parlaient les deux courtisant ? Non, ce n'était pas ça, elle en avait la conviction, c'était autre chose. Il avait peur pour elle, oui, mais pas à cause d'un fichu statut, d'un gène changeant, rien de tout cela. Il avait peur de sa réaction, de ce feu qui l'animait parfois. Dévastateur, inconscient du monde. Ne portait-elle pas le sobriquet de Flamme, après tout.
Et n'était-il pas beau son surnom ? Flamme, combustion spontanée à la suite d'une réaction. Changeante, fragile, en proie aux coups de vent. Vacillante. Comme ses propres forces à l'instant dont le manque la clouait sur place.
– Eh bien alors, rien du tout ? s'étonna presque Mélanie.
Ses yeux bleus balayèrent leur petite rangée tremblotante avant de s'immobiliser sur elle et la benjamine des Chase su. Elle sû dès lors qu'il n'avait s'agit pour les jumeaux que d'un jeu. Jamais ils n'avaient eu besoin qu'elle se dénonce, ils savaient déjà tout ce qu'elle était. L'attrait était peut-être dans le fait de la voir se décomposer sur place, frémissante et en larmes... Tiraillée entre ce qu'elle devait faire et ce qu'elle pouvait faire.
– Bien, dans ce cas tu ne nous laisses pas le choix, conclut la courtisane, un accent tranchant à tout ses mots.
Le bleu laissa place à l'or dans les prunelles de Cîme et un souffle de couleur identique se détacha bientôt d'elle, menaçant, furieux, gigantesque. Celui-ci s'éleva rapidement avant de s'aplatir en une onde qui déblaya l'endroit avec violence. Autour d'eux, Sarah eu le temps de notait les chiens s'affaissaient en couinant et les véhicules blindés osciller dangereusement juste avant que le flux doré ne la traverse de part en part. Pendant un instant, rien ne se passa puis ce fut comme si une vanne venait de céder. Un barrage entier même, alors que d'innombrables pensées s'insunaient sous son crâne. Et elles tournoyaient, vibrionnaient à la rendre malade. Pressant sur elle comme un étau, plus fort que ce qu'elle n'avait jamais expérimenté jusqu'alors.
La Quatre poussa un hurlement de douleur.
– Arrêtez, stop, arrêtez ça !!
Mains contre les oreilles, en une tentative désespérée d'assourdir la tempête en elle, la rousse sentit ses jambes se dérober et elle finit sur le sol. Ses cris de douleurs redoublèrent à l'instar des voix mentales qui prenaient encore et toujours de l'ampleur. Un brouhaha infâme, crissant comme de la craie sur un tableau noir.
– Arrêtez, taisez-vous ! rugit Sarah à travers ses larmes. Taisez-vous !
S'en était trop ! Assez, assez, assez !
– Taisez-vous ! martela-t-elle en sentant un boule de colère enfler dans sa gorge.
– Taisez-vous ! réitérèrent des voix familières.
En vain, elles étaient toujours là, grouillantes, et la pilote n'avait aucun contrôle.
– Laissez-moi tranquille !
– Laissez-moi tranquille !
Ces cris firent ouvrir les yeux de Sarah. Quelque chose ne va pas, songea-t-elle alors qu'un sentiment de malaise l'a saisissait.
– Quelque chose ne va pas !
Là, voilà c'était ça ! Elle tourna la tête vers ses camarades une boule d'angoisse obstruant sa gorge.
– Qu'est-ce que vous faites.
– Qu'est-ce que vous faîtes, doublèrent une nouvelle fois les voix de ses amis.
Sarah eut un mouvement de recul. Ils semblaient ailleurs, crispés bien droit. Mais ce qui choqua le plus la jeune femme, ce furent leurs yeux. On y lisait l'incompréhension, mais plus encore l'effroi. Alors qu'ils restaient statiques, les yeux de ses amis eux, remuaient de peur, de gauche a droite, perdus.
– Qu'est-ce qui se passe ? questionna Sarah dont l'hystérie fut docilement reproduite par ses camarades.
– Qu'est-ce qui se passe ?
– Arrêtez ça !
– Arrêtez ça !
Un couinement terrifié s'échappa des lèvres de la benjamine des Chase. Ils le reprirent dans la seconde et le son parut cruel aux oreilles de la rousse.
– Pourquoi vous faites ça ? sanglota-t-elle en ramenant ses genoux à elle.
L'écho fut terrible et pendant les minutes qui suivirent, chaque supplique, chaque pleur se quadruplèrent, reprit par son aîné, Matthieu, Calliope et Julie. Épuisée, Sarah finit par s'immobiliser, silencieuse, trop choquée pour faire quoique ce soit et attendant la fin. Avec un peu de chance, tout ça finirait par la consumer, aussi, elle réagit à peine lorsque Markus s'accroupit à ses côtés.
– Regarde-moi, ordonna-t-il.
Elle obtempéra et le courtisant l'étudia un instant.
– Tu as du potentiel, déclara-t-il.
D'un mouvement de pouce, il essuya une traînée de larme. Le contact la fit frissonner et puis, plus rien. Uniquement le silence, plus de pensées parasites, plus de sentiments. Uniquement un vide bienheureux. À côté d'elle, Aven détourna son beau visage du sien et Sarah suivit le mouvement. La vue de l'inquisiteur Monreau ne l'inquiéta en rien, pas plus qu'il ne la surprit. Après tout, il avait bien dit qu'ils se retrouveraient. Les lèvres de l'homme remuèrent, un sourire mauvais étira les coins de sa bouche et la Quatre se reçut un coup de pied en plein visage.
Oui, c'est à ce moment-là que tous...
Basculèrent dans le néant.
A suivre...
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