Et Ils Basculèrent Dans Le Néant (II)

Matthieu s'était assoupit depuis bien trop longtemps quand Lan ouvrit en volée la porte de son étroit bureau. C'était tout du moins ce qu'il en avait conclu après s'être vu secouer comme un prunier par son patron.

— Réveille-toi feignasse, gronda le Deux. Pourquoi crois-tu que tu es ici ? Pour pioncer ? 

Certainement pas, le garçon ne le savait que trop bien. Il était là pour travailler, si travailler voulait dire assouvir le besoin de grandeur et de gloire de son patron. Entre lui et Lan, c'était ce dernier le plus idiot. Aussi Matthieu ne s'étonnait pas que, le Deux, dans son infini bêtise puisse penser qu'âgé de quatorze ans, le jeune Trois pût ne pas avoir besoin de sommeil après avoir effectué tâche après tâche, à la manière d'une bête de somme.

Il ne répondit rien, gardant ses pensées pour lui plutôt que de risquer un autre changement d'humeur. Ils étaient devenus plus fréquents les dernières semaines et toutes les équipes de Lan en avaient fait les frais, sa secrétaire, Marion également, chose étonnante. Si à l'arrivée des membres de l'élite scientifiques de la capitale, son patron s'était trouvé de fort bonne humeur, il avait dans les jours qui avait suivi céder sous le coup du stress et de la pression, se défoulant sur tous ceux qui l'entourait. 

Et voilà qu'à présent, il était à nouveau tout joyeux. 

Matthieu en aurait bien sourit, mais il avait toujours eu du mal avec les personnes inconstantes... 

— Vous êtes de bonne humeur, lança-t-il tout de même. Est-ce que cela a un rapport avec les Aces qui sont descendus dans la Zone depuis la Capitale il y a quelques semaines ? 

— Je t'en pose des questions, moi ? répliqua Lan en plissant des yeux. Mais oui, malgré le fait que mon humeur se porterait encore mieux loin de ta présence, il est vrai que mes amis de la Capitale m'ont rapporté une excellente nouvelle. Ils l'ont retrouvé ! 

— Qui ça ? 

— Ah tiens, toi mon petit génie tu ne sais pas ? Il fut un temps où tu adorais fouiner un peu partout...nargua l'homme.

— Il fut un temps où j'étais libre de le faire, répliqua Matthieu.

L'adolescent s'arrêta net, réalisant ce qu'il venait de dire en même temps que les yeux de Lan se plissaient de colère. Est-ce qu'il venait réellement de rétorquer au visage de Lan ? Un long frisson parcourut Matthieu.

— Qu'est-ce que tu viens de dire ?

— P...Pardon, balbutia le jeune garçon en ayant un mouvement de recul.

Le visage de son patron était devenu écarlate désormais et la veine sur son front battait vivement, témoignant d'une bouffée de colère montante.

— Tu m'accuse de quoi, au juste Quatre ?! Je t'ai sauvé, sans moi tu pourrirais dans l'une des prisons de ton minable secteur ! Tu me dois tout ! C'est grace à moi tout ça ! rugit Lan en se saisissant du col du blond le soulevant de terre.

— Pardon, répéta vivement Matthieu. C'est vrai, vous m'avez sauvé et je vous dois tout ! 

La tête lui tournait soudainement et les battements de son coeur affolés étaient la seule chose qu'il parvenait à entendre alors qu'il restait lamentablement dans la poigne de Lan. Alors que l'haleine mentholée de son patron frôlait ses joues, son cerveau calcula qu'il avait du encore perdre du poids. Ses pieds lévitaient beaucoup trop au-dessus du sol pour qu'il en soit autrement, Lan n'était pas sportif quoique très grand. Ou alors, le Trois était plus petit qu'il ne l'imaginait. 

— J'aime mieux ça, sourit froidement Lan avant de le laisser tomber sur le carrelage froid de la pièce lui servant de bureau. Et pour en revenir à ta question, ce n'est pas qui mais quoi !

Tout en délicatesse, le Deux déposa sur le bureau un objet qui au contact de la surface émit un bruit froid et métallique.

— Et bien, que fais-tu encore par terre, lève-toi. Je n'ai pas de temps à perdre.

Le garçon s'exécuta. Ses jambes tremblantes ne le portaient presque plus et c'est la curiosité qui le fit avancer jusqu'à son bureau. Cela et la perspective ô combien agréable de pouvoir s'assoir sur sa chaise évitant à son postérieur un sol désagréablement humide. Encore une fois il s'arrêta. Il n'avait pas uriné tout de même...? Sans osé regarder, le Trois s'empressa de s'installer à sa place, Lan assombrissant quelque peu sa vision de sa présence à ses côtés.

Il fallait dire que la pièce n'était déjà pas bien éclairée, alors comment bien voir quand quelqu'un trouvait le moyen de s'installer pile sous la lampe ? Le blond se garda bien déclarer son avis à haute voix. Patient, il attendit que Lan ouvre de nouveau la bouche, assemblant rapidement une hypothèse quand à la présence de cette sphère sur sa table de travail. Son patron venait bien de dire qu'ils venaient de la retrouver, aussi elle était donc manquante avant cela. Cela se pourrait-il qu'il s'agisse de la chose qu'avait ces deux garçons dans leur sac, la dernière fois ? Matthieu se souvenait très bien du son métallique, il avait bonne mémoire. Un fin sourire se dessina sur ses lèvres avant de s'estomper. Les deux déserteurs avaient-ils été tués ? Si c'était le cas, cela réduisait à néant la menace que lui avait lancée le plus jeune, à savoir qu'il le tuerait s'il disait quoique ce soit. Quelle ironie. 

Ses mains s'étaient remises à pianoter. Il détestait l'inactivité et le besoin de toucher à cette sphère se faisait grandissant à mesure que le silence de son patron s'allongeait. Le blond lui jeta un coup d'oeil. Son patron observait la sphère avec une réfèrence qui lui fit lever un sourcil.

— Qu'est-ce que c'est ? osa-t-il enfin demander.

— Une clé, murmura le Deux. Celle de mon succès.

L'incrédulité de Matthieu s'accentua. Première nouvelle. N'était-ce pas plutôt le nouveau prototype de B.I qui était censé propulser Lan dans la lumière ? Celui sur lequel le jeune garçon travaillait depuis des mois ? Non pas que cela l'enchante. Il avait beau se flatter du travail qu'il avait accompli, ce nouveau B.I ne servirait qu'à écraser davantage les habitants des Secteurs sous le poids du Royaume et l'idée le hérissait au plus haut point. Non, finalement, le discours de son patron ne l'étonnait pas ou plus en réalité. Rien n'avait jamais été assez pour Lan. Il lui fallait toujours tout et plus et le Trois espérait secrètement qu'un jour, ce dernier tomberait sous les innombrables projets qu'il déclarait comme lui appartenant. Et en attendant, l'adolescent était là.

— Et pourquoi me l'avoir amené ? Cette sphère appartient aux Aces, non ?

— J'y viens, gamin. Es-tu as ce point incapable de lire une atmosphère ? s'agaça Lan, ses cheveux gominés attrapant la lumière alors qu'il secouait la tête.

Matthieu lutta contre un haussement d'épaule. Il n'avait jamais compris pourquoi les gens s'évertuaient à "arrondir les angles" comme dirait Lucas. Pourquoi prendre ce genre de précaution en fonction de l'ambiance d'un moment ou d'un instant ? Cela n'avait pour lui pas le moindre sens. Les choses finissaient toujours par être dite, par blesser autant quand elles le devaient ou autre, alors le mieux n'était-il pas d'y aller franchement ? D'arracher le pansement d'un coup sec ? Son patron était pourtant du genre à aller vite. Vite fait bien fait, comme il le répétait continuellement, il ne perdrait jamais son temps en grand discours, bien au contraire. Enfin sauf quand il s'agissait de parler de lui.

— Ne me regarde pas de la sorte. J'ai l'impression d'avoir fait quelque chose de mal ! 

— Vraiment ?

Comment Lan pouvait-il bien se penser innocent alors que Matthieu était la preuve vivante qu'il avait fait quelque chose de mal ? Fallait-il avoir un QI identique au sien pour savoir que garder un enfant de la sorte n'était pas ce que l'on pourrait qualifier de bien ? Idiot, Matthieu. Lan est idiot, ne l'oublie pas, s'exaspéra mentalement le jeune Trois.

Alors, oui. Les garçons travaillaient tôt dans les Secteurs inférieurs du Royaume, mais le blond était presque sûr qu'eux avaient au moins droit à des pauses régulières. Peut-être même avaient-ils droit à de la nourriture ? Oh, pas beaucoup, mais un peu quand même, non ? Depuis combien de temps n'avait-il pas croqué dans quelque chose ?

Son ventre gronda.

— Je suis parvenu à persuader ces messieurs que la vérification qu'ils voulaient effectuer sur la sphère pouvait attendre demain, de sorte que ce soit toi qui la fasses. Un rire secoua son patron. Enfin quand je dis toi, je veux dire moi bien évidement ! 

Bien évidement.

— Pourquoi doivent-ils faire une vérification ? 

— Je n'en sais rien, ils ont parlé du fait que cette chose soit tombée entre des mains ennemies. Alors, hop hop. Fait ce pourquoi tu es là, utilise ton cerveau et vérifie !

Matthieu le gratifia d'un regard dubitatif. Les mains ennemies c'était certainement celle de son patron, si on lui demandait son avis. l'adolescent était loin de croire que les Aces le couvrirait de gloire lorsqu'ils apprendraient que Lan s'était emparé de la sphère pour lui-même. Un véritable idiot, se désola encore le blond. Peut-être l'était-il lui aussi, s'il venait réellement à étudier cette chose, mais heureusement, contrairement au Deux, cela n'était pour lui que strictement professionnel...le personnel n'entrant en ligne de compte que si Lan menaçait de le frapper ou autre.

— Et si jamais du oses faire la moindre chose compromettante afin de me desservir, je...

Ah, voilà. Là il retrouvait son patron. Maintenant c'était personnel ! Il laissa se dernier énumérer la liste de ses punitions en cas d'échec comme à son habitude. Notant tout de même que cela en faisait beaucoup pour un seul corps, tout en examinant du coin de l'oeil la sphère.

— Bien, et maintenant je pars. J'ai l'immense privilège d'être invité à la réception des Leroy se soir. Je serais absent un moment, alors ne reste pas les bras ballants et travaille ! Peut-être que durant la soirée, je me trouverais enclin à te rapporter une ou deux douceurs venant de ce qui te sert de Secteur. Si tant est que cela est mangeable. Comment parvenez-vous à vous nourrir avec ces choses atroces qu'on trouve dans le Trois et le Quatre ? C'est un miracle que vos espèces soient encore là ! Je te le dis, mon cher petit génie, tu as de la chance de m'avoir. J'ai certainement contribué à ta longévité.

Voilà comment Lan le laissa, non s'en lui avoir jeté un dernier regard rempli de dédain avant de claquer la porte qui se verrouilla dans un cliquetis. La routine en somme.

Tant mieux, il n'avait jamais été doué pour les interactions sociales. Lan lui faisait ici une faveur.

Après quelques minutes d'observation, les yeux de Matthieu fixèrent furtivement son écran. Eleven viendrait peut-être ce soir encore. Il était dans les habitudes du pirate informatique de lui tenir compagnie et si d'aventure, Matthieu avait été agacé par ces intrusions intempestives, il devait bien avouer qu'il apprécié les visites virtuels de celui-ci -Dans une certaine mesure, il était tout de même terriblement impoli de pénétrer là ou l'on était pas attendu. Et il était toujours déterminé à remonter sa trace de toute façon, Eleven lui présentant un défi de taille.

La sphère n'était pas lisse sous ses doigts. Elle arborait d'inombrables reliefs, comme des veines courant sur une peau nue. C'était là, une très belle oeuvre. D'un gris patinée, la lumière faisait courir d'innombrables ombres sur sa surface et quand au cours de son étude, son pouce fit se mouvoir l'une de ses lignes rugueuses vers la gauche, l'enthousiasme du Trois grandit. Un puzzle ! Voilà ce qu'était cette objet.  Redoublant de curiosité, les mains du garçon s'activèrent sur sa surface, cherchant avec méthode et patience la bonne combinaison et lorsque la sphère émit un son prometteur il poussa même un cri de joie. 

Mais ce n'était là que le début. Les Aces avaient bien travaillé et Matthieu du résoudre près d'une dizaine de puzzles de plus avant qu'enfin, il touche au but. Il était onze heure et malgré l'absence d'Eleven ce soir-là auprès de lui à travers son écran, plongé de la sorte dans son travail, le garçon n'avait pas vu le temps passer. Et cela était terriblement rafraichissant.

Identique aux pétales d'une rose, les parois de l'orbe s'ouvrirent et ce fut tout.

— C'est tout ? s'outra Matthieu.

Voilà qui était décevant ! Non, il y avait forcément autre chose. Que lui avait-il échappé ?

La fleur métallique entre les doigts, il n'entendit même pas la porte s'ouvrir dans son dos. Ni même les pas qui venait jusqu'à lui, pourtant le son de l'arme qu'on charge parvint très clairement à son cerveau. Certainement un mécanisme de défense...

Doucement, il pivota sur sa chaise.

Matthieu oscillait entre frayeur et étonnement, ne sachant pas trop ce qui lui causait le plus de choc. Le revolver dans la main d'Elisa ou bien ses yeux...

Les yeux, définitivement les yeux ! 

Ce n'était pas la première fois qu'il était ainsi pointé avec le canon d'une arme. Il ne faudrait pas que ça devienne une habitude non plus, se lamenta le garçon. 

— Nous savons tous les deux de quoi je suis capable, alors donne-moi la sphère, ordonna la jeune femme.

Il émit un petit couinement.

Une chose était sûre en tout cas, il n'était décidément pas doué pour les interactions sociales...
























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