Des Machines et des Hommes (II)


De nouveau isolé, Matthieu fixa la porte un moment avant de tirer une chaise vers lui. Inutile d'essayer de quitter les lieux, la porte était verrouillée, il avait très clairement entendu le verrou électrique s'enclencher. Dans sa loge, les néons clignotaient par intermittence, rendant la petite pièce angoissante.

Ils doivent tirer une grande quantité d'énergie pour la salle principale, comprit-il.

Ses yeux dérivèrent vers le miroir en face de lui et, d'un œil critique, il s'examina. C'est vrai qu'il aurait fait mauvaise impression auprès des Grands.

Il s'était toujours trouvé petit et chétif pour son âge et là, dans ses vêtements, c'était encore plus parlant. Et Lan l'avait obligé à rester plus tard que d'habitude pour la présentation ces temps-ci, faisant naître sous ses yeux marron des poches violacées qui lui avaient été impossibles de cacher.

Avec sa tignasse blonde, son reflet dans le miroir lui renvoyait un aspect fantomatique.

Si je n'avais rien fait avant, je ne serai pas là ! se rappela-t-il avec une bouffée de colère.

Pourquoi eut-il fallu qu'il naisse aussi curieux, aussi...aussi orgueilleux !?

Car s'était bien de l'orgueil qui six ans auparavant l'avait poussé dans le laboratoire de Lan.

Il se revit encore, en train de démolir un à un les pare-feux du secteur Un pour remonter jusqu'à la Capitale, accéder aux dossiers des membres de la Cour, pirater les caméras de surveillance, pour l'espace d'un instant pouvoir observer au-delà du grand mur et prouver à son père que non, rien n'était infranchissable ! Et tout cela sur un vieux modèle d'ordinateur.

Il se rappela aussi les Paladins défonçant la porte de sa maison et l'entraîner à l'extérieur sous les pleurs de sa mère qui hystérique, hurlait qu'il n'avait que huit ans, qu'il ne voulait rien faire de mal, qu'il avait juste été curieux. Qu'il n'était qu'un enfant.

Il était resté en isolement pendant une journée avant que Lan ne franchisse la porte de sa cellule. À partir de là, cela avait été soit le labo, soit...

Il n'avait pas hésité, avait-il seulement le choix de toute façon. Dès lors depuis six ans, Matthieu travaillait pour Lan qui avait immédiatement capté l'intérêt de l'avoir sous sa coupe.

Que quelque chose rate, pria-t-il en observant son reflet dans le miroir. Que quelque chose rate ! Certes, il prendrait la volée, mais Lan n'en sortirait pas sans dommage non plus et à cet instant, rien n'aurait fait plus plaisir au garçon.

Le temps passa et quand son BI sonna, il se leva mécaniquement, ouvrit la porte et se rendit jusqu'à la porte de derrière. Celle-ci donnait sur une allée et, au bout de son extrémité gauche, la voiture de luxe de Lan le klaxonna. Le garçon s'empressa de rejoindre le véhicule et de grimper à l'intérieur.

« N'oublie pas la serviette ! » fut la première chose que lui dit son patron.

Matthieu glissa la serviette sous ses fesses et s'installa en silence.

- Bien, il ne faudrait pas que tu dégueulasses mes sièges !

Lan émit un petit rire et fit tournoyer la clé qu'il avait au bout de son index droit. C'était celle du laboratoire.

- Tu ne demandes pas comment s'est passée la présentation ?

- Comment s'est passée la présentation ?

Lan éclata de rire.

- Bien, tu penses ! Nous avons déjà plusieurs investisseurs, mais après tout, quoi de plus normal. (Il se pencha vers Matthieu) Un BI dépassant la durabilité actuelle, un qui ne fonctionne pas dix ans de suite, mais qui a une longévité aussi longue de son porteur, mieux qui se sert de son porteur pour puiser son énergie ! Fantastique ! Une innovation digne de notre entreprise !

Matthieu se mordit la lèvre.

Une innovation, non, ce n'est rien qu'une laisse ! Une laisse qu'il nous sera impossible d'enlever, comment peux-tu être aussi aveugle, tu t'en fiches ?!

Pour lui, la simple idée de travailler sur le produit le rendait malade.

- Par ailleurs, continua Lan sans paraître remarquer le malaise du garçon. Jette un coup d'œil à ça.

Il lui lança un tas de documents.

- Qu'est-ce que c'est ?

- Les changements que tu dois effectuer pour que l'objet corresponde aux standards du Un et du Deux. Le grossier modèle de la présentation ira très bien pour les gens de ton secteur et celui du Quatre, mais nous au-dessus, nous attendons un minimum de raffinement.

Il se tourna alors vers Marion que Matthieu remarqua alors.

- Des suggestions, ma belle ?

- En pendentif pour les femmes ou en broche pour les hommes pourrait séduire, je pense.

- Excellent. Tu feras ça Matthieu.

- Mais, commença-t-il prudemment. Il va falloir changer énormément de choses, comme la taille des composants et...

- Je ne veux pas le savoir, le coupa sèchement Lan. Je pensais pourtant avoir été clair, tu es à moi ! Tu me dois tout, sans moi, ta misérable petite existence aurait déjà pris fin, tu me dois la vie. Aussi rien de surprenant à ce que celle-ci serve à me satisfaire !

La voiture s'arrêta et Lan d'un mouvement de tête fit signe a Matthieu de quitter le véhicule.

- Tu feras ce que je veux, lui lança-t-il alors que le Trois passait sur le trottoir. Sur ce mon garçon, à demain au labo.

Lan sourit doucereusement, la porte claqua et la voiture fit demi-tour vers le secteur Un, propulsée par l'anti-gravité.

Alors quelque chose étincela dans l'esprit du garçon. Il y avait six ans de cela, il n'aurait pas dû regarder, il aurait dû stopper, détruire, briser, réduire à néant tout ce qui faisait que ce système fonctionnait. Il ne l'avait pas fait, il le ferait un jour.

Les yeux rivés sur la voiture, il réaffirma son vœu.

Il en était capable.    

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