Des Machines et des Hommes (I)
D'une main fébrile, Matthieu écarta l'épais rideau le séparant du reste de la salle. Il y glissa discrètement la tête et observa avec des yeux écarquillés le beau monde s'installer sur les fauteuils, échangeant dans le même temps des salutations polies, verre de champagne à la main, comme si ce rendez-vous n'était qu'une bagatelle.
C'était loin d'être son avis. Pris de panique, il recula abruptement se dissimuler à l'abri.
Tout ce monde ! songea-t-il, le cœur tambourinant dans sa poitrine.
Pourquoi fallait-il qu'il y eût autant de monde ? À sa connaissance, il ne s'agissait là que d'une simple présentation, le produit n'était même pas fini.
Est-ce que je vais devoir monter sur scène !? s'effraya-t-il encore avant qu'il ne se heurtât à quelque chose.
- Hey, regarde où tu vas, petit, je bosse, moi !
Matthieu fit volte-face dans un sursaut pour tomber nez à nez avec un garçon plus vieux que lui, seize ou dix-sept ans peut-être.
- Désolé, bredouilla-t-il, les yeux rivés sur ses chaussures, avant de s'écarter.
- Pff !
Le bourrant de l'épaule, l'adolescent lui passa à côté, les bras chargés de cartons d'où tombaient çà et là prises, micros et autres projecteurs holographiques du dernier modèle.
Laissé seul, Mathieu soupira, il n'était pas doué pour la communication et à la compagnie des hommes, il avait de très loin une préférence pour celle des machines. Elles ne lui apparaissaient pas aussi complexes que les humains. Elles ne mentaient pas, n'asservissaient pas, ne le regardaient pas de haut. Si elles fonctionnaient, alors tout allait bien et si ce n'était pas le cas, Matthieu n'avait qu'à les ouvrir pour voir ce qui n'allait pas.
Chose qu'il ne pouvait décemment pas faire avec ses congénères.
- Ah, le voilà, mon cher petit Matthieu, mon petit génie, mon investissement le plus estimé !
Le garçon leva les yeux en entendant l'exclamation. C'était Marc Lan, le directeur du laboratoire de recherche d'Innotech. Une entreprise sous la tutelle de Leroy Corp, le conglomérat de la famille Leroy.
Un sourire béat étirait les lèvres de son patron, ses cheveux gominés avaient été parfaitement coiffés et il était impeccable dans son costume trois pièces. Venait derrière lui, sa secrétaire, Marion, une femme élancée elle aussi impeccable. Cette vue le fit sentir encore plus petit dans ses vêtements salis et trop grands pour lui.
- Où te cachais-tu donc, mon petit ami ?
Il ne répondit pas, préférant une nouvelle fois regarder ses pieds et ce n'était pas comme si Lan attendait une réponse de toute façon. Déjà, il le prenait par l'épaule pour le ramener du côté du rideau.
L'écartant d'un mouvement, son sourire s'agrandit.
- Regarde-moi ça ! Ils sont tous ici pour moi, s'enorgueillit-il, les yeux brûlants.
Matthieu se força à regarder, mais seul un frisson le parcouru. Si c'était possible, alors la salle était encore plus bondée qu'auparavant.
- Est-ce que...Je vais devoir monter sur scène ? demanda-t-il, le cœur au bord des lèvres.
Lan le tira brusquement en arrière et le garçon leva les yeux vers lui. Tout sourire avait disparu de son visage et l'homme le regardait désormais avec froideur.
- Bien sûr que non, tu es un Trois. C'est moi qui m'en chargerais. Jamais on ne demanderait à quelqu'un dans ton genre de faire une présentation pour nous. Non, mais regarde-toi ! ajouta-t-il en le détaillant de haut en bas. Contente-toi d'utiliser ça !
Il appuya fortement sur son front du bout du doigt, avant de pousser un soupir d'agacement :
- Et cesse d'être aussi avachi lorsque tu es en ma présence, tu m'indisposes.
Le garçon murmura une excuse, mais cela redoubla l'agacement de son patron qui se frotta l'arête du nez.
- Voilà pourquoi je suis un Un et toi tu es un Trois et restera un Trois.
Bien que ressentant un pincement au cœur à s'entendre être rabaissé de la sorte à cause de son secteur, Matthieu n'en éprouva pas moins un immense soulagement en entendant la réponse de son patron, il n'aurait pas à faire la présentation.
- Monsieur Lan ?
- Quoi ? aboya l'intéressé.
- Nous allons pouvoir commencer, les derniers invités sont arrivés, lui indiqua Marion, le doigt sur son oreillette.
Elle fit défiler quelque chose sur sa tablette.
- L'équipe technique et le service de sécurité sont également opérationnels.
- Bien, répondit Lan d'un ton radouci.
Il réajusta sa chemise, inspira un bon coup et ses yeux retombèrent une nouvelle fois sur Matthieu. Glacials.
- Viens ici, toi !
L'attrapant sans ménagement par le bras, Lan l'entraîna dans un couloir avant de le précipiter dans une des loges. Le garçon se laissa faire, trop habitué aux changements d'humeur de son patron quand celui-ci était soumis à une forte pression.
- Reste ici.
- Je ne comprends pas pourquoi je suis ici, si vous n'avez pas besoin de moi, lança Matthieu alors que Lan était sur le point de quitter la pièce.
Les lèvres de celui-ci se relevèrent en un sourire méprisant. À grandes enjambées, il s'approcha et lui saisit le menton.
- Détrompe-toi, j'ai grand besoin de toi, car si jamais il devait y avoir un problème durant cette présentation, même le plus insignifiant, c'est toi qui en subirais les conséquences. (Son sourire s'élargit) Après tout, tu es l'inventeur.
Lan laissa retomber son menton et se dirigea vers la porte.
- Je te sonnerai quand ce sera fini, tu sortiras par derrière ! lui lança-t-il avant de claquer la porte.
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