Ce que l'on fait par amour (II)

Il devait bien se l'avouer, la proposition que lui avait amenée Simon, il y a plusieurs mois avait su se frayer un chemin dans son esprit.

Elle avait toujours été là, latente, mais elle était réellement revenue le hanter dans cette salle d'interrogatoire sans fenêtre ou il était resté des heures pieds et poings liés.

Monroe l'avait menacé bien sûr. S'il ne confessait pas, l'Inquisiteur irait lui-même s'arranger pour qu'il n'ait plus de charge sur les épaules.

Sa mère et Sarah étaient tout ce qu'il avait, sa chair et son sang et il avait promis.

Il avait confessé et dans un éclat d'orgueil mal placé et mu par la colère, mettant sa peur de côté, il avait même dit qu'il avait pris plaisir à trouer la tête du Paladin.

Oh bien sûr, Monroe ne l'avait pas cru, le jeune homme l'avait lu dans ses yeux, mais qu'importe.

Il avait seulement besoin de faire un exemple.

Sarah n'avait jamais fait partie de l'équation, c'était là censé être quelque chose entre lui et l'Inquisiteur.

Par le Roi, comme il s'était fourré le doigt dans l'œil.

Et maintenant, ils étaient là, à un tournant décisif et Simon et son conseil ne faisaient que rebondir encore et encore dans sa tête.

Pour autant, il ne pouvait pas se lancer dans cette traversée du No Man's Land comme cela, tout comme il ne pouvait pas se permettre d'attendre le Jour de l'Aveugle pour partir rejoindre les Anonymes.

Non seulement il n'y avait aucune indication concernant le moment ou les B.I du Royaume entreraient en stand-by, mais en plus, il avait le terrible pressentiment que quelque chose de pire allait leur arriver s'ils ne partaient pas le plus vite possible.

Sans compter les Paladins.

Il y aurait forcément des Blancs partout dans le No Man's Land et devant la Gorge aussi pour pêcher les fuyards. Ils y en avaient toujours qui essayaient de fuir.

Et en admettant qu'ils y parviennent, une fois au bout de la terre des Maraudeurs que faire ? Y avait-il seulement un passage ? Un vrai et non une rumeur ?

Lucas ne connaissait personne pour en attester, ceux qui avaient tenté l'aventure étaient soit mort, soit...

Il n'en savait fichtrement rien. En vie ? Mort dévorés par une bête, ou de faim ou de soif ?

Il avait tant de facteurs à prendre en compte...Mais pourtant, ils étaient bien là, les échos d'une vie meilleure chez les Anonymes. Enfin libre, affranchis du Royaume.

Ça remontait à un moment, mais il avait encore le souvenir vivant de ces hommes et ces femmes qui buvaient chez Alix et clamaient venir de l'autre côté.

Des Passeurs, les Enfants de Charon, on les appelait.

Le jeune homme atteint l'immeuble penché plus vite qu'il ne l'eut cru, et s'empressa de monter quatre à quatre les escaliers délabrés jusqu'au seizième étage.

Les mouvements vouaient chacune de ses cicatrices à s'ouvrir de nouveau et il pouvait déjà sentir le sang glisser le long de son dos.

Julie allait vraiment lui en vouloir.

Sa cavalcade ne l'avait pas réchauffé d'un pouce. La neige tombait à gros flocons sans se gêner pour passer à travers les multiples fissures de l'édifice, coinçant Lucas dans un courant d'air glacial une fois le seizième atteint.

Claquant des dents, il s'approcha avec reconnaissance du baril fumant dissimulé à l'écart.

Merci à eux, pensa Lucas en faisant flotter ses mains au-dessus du feu salutaire.

Même les Maraudeurs, aussi durs soient-ils souffraient du froid.

L'autre côté de la passerelle avait tout d'une terre vierge avec son manteau blanc, pas un bruit, pas un geste.

C'était à se demander si tout le monde n'était pas mort. Le jeune homme avait pourtant évité deux patrouilles pour venir ici.

Les rusés.

C'est qu'ils avaient l'avantage maintenant les uniformes, vu qu'ils se confondaient parfaitement avec la neige. Heureusement qu'il savait écouter. Heureusement qu'ils n'étaient pas discrets. Pourquoi l'être, le but était de faire savoir à tout le monde qu'ils étaient là.

La vue de l'étroit passage, unique chemin pour se rendre dans le No Man's Land n'aida en rien le garçon à se réchauffer.

Par le Roi, mais comment avait-il fait avant pour traverser, lui qui avait une peur bleue de la hauteur.

Il déglutit.

Il fallait qu'il se décide, il n'allait pas être vaincu par une stupide planche de bois. Á deux cent mètres du sol. Au-dessus d'une fosse électrifiée...Peut-être que s'il fermait les yeux...

Il roula des yeux. Il était ridicule, bon sang ! Mais qui essayait-il de tromper ?

— T'admires le paysage Chase, ricana dans son dos une voix qu'il reconnut sans mal.

— Peut-être bien, Delois, répliqua-t-il.

Elisa ricana davantage et vint se placer à côté de lui.

Ses joues caramel étaient barrées de rouge et ses lèvres avaient bleuis.

Lucas se décala encore pour lui faire un peu plus de place.

— Qu'est-ce tu fous là, alors ?

— C'est moi que ça regarde.

— Pas faux.

Inutile de lui demander pourquoi elle, elle était là. Personne dans son entourage n'ignorais les aller et venu de la jeune femme dans le No Man's Land. Elle le connaissait bien, mieux que lui, mieux que tout le monde.

Un nouveau rire le tira de ses pensées. Il n'aimait pas ce son. Il n'était pas de l'acabit de celui de Sarah, Julie ou Calliope. Le rire d'Elisa était toujours prompt à de vilaines moqueries, c'était un rire cassant, méchant qui ne faisait que l'énerver.

— Quoi, ne me dis pas que t'a replongé. C'est Alix qui va plus savoir où donner de la tête, t'avais une sacrée descente dans mon souvenir.

— La ferme, gronda-t-il.

Comme, il s'y attendait. Elle appuyait déjà sur un point sensible. Oui, il avait eu des problèmes d'alcool. Mais c'était du passé, il avait quatorze ans.

C'était cette période sombre ou son père lui manquait trop, ou le poids était trop lourd, ou il voulait juste oublier.

Et il l'avait fait. A grand coup de gnôle et d'à peu près tout ce qui était liquide et comestible. Jusqu'à en oublier Sarah qui commencait à « réellement »courir, sa mère, les cours, tout ! Absolument tout.

Quelles mauvaises fréquentations il avait eu à l'époque...

Quand il y repensait, c'était peut-être là qu'il trouvait la force de traverser à l'époque, dans l'alcool.

L'idiot qu'il était. L'égoïste.

C'était Solange qui l'avait sorti de ça. Sa joue gauche se souvenait encore de la gifle magistrale qu'il avait prise et ses oreilles du sermon interminable.

Le reste n'était plus qu'une ombre.

Du passé tout ça, se réaffirma-t-il.

— J'ai besoin de truc...

Elisa releva un sourcil.

— Pour traverser le No Man's Land...Avec ma mère et Sarah, acheva-t-il et le manque d'assurance dont il fit preuve l'agaça.

Ça ne manqua pas et la jeune femme éclata d'un rire tonitruant.

— Ça ne marchera jamais !

— Qu'est-ce que t'en sais !

— Un mot, une syllabe. MAX.

L'immense sourire qu'elle avait s'agrandit.

— Ta sœur est bien trop attachée au jouet de son papa pour le laisser derrière elle.

— Fermes-là.

— Où bien quoi ? questionna la jeune femme alors qu'il faisait un pas vers elle.

La colère lui fit claquer la langue contre son palais et sa raison se détourner d'elle au dernier moment.

Il n'était pas ce genre de personne.

— Oh, je t'en prie hein, me sort pas cette connerie du genre : Je ne frappe pas les filles. Toi et moi, on sait très bien que je t'en collerais une autre !

Elle rit du nez. Un rire moqueur encore.

— Vraiment Lucas. Toi et ta sœur, vous me faites pitié. Vous vivez dans le passé.

— Et toi dans le futur, peut-être, répliqua-t-il irrité.

— Que dalle, rien à foutre du futur. Moi je vis dans le présent, il y a que le présent qui compte, l'avant et l'après c'est rien. Mais toi, regarde.

Elle frappa du revers de la main sa poitrine au niveau du cœur, juste là où il avait fait son tatouage.

— Les morts sont morts Lucas, faut les laisser où ils sont.

— Tu ne comprends rien.

Pour lui, il n'était pas question de passé, de présent ou même de futur. Ce n'était pas là ce qui faisait qu'il se levait le matin, la nostalgie du passé ou l'espoir d'un futur. Non ce qu'il faisait c'était pour elles.

— C'est les choses qu'on fait par amour ! déclara-t-il.

Ils se fixèrent intensément et Lucas vit le visage d'Elisa changer. Il regretta dans l'instant ses paroles. Il s'avait pourtant pour Jimmy et Louise...

Les traits d'Elisa se durcirent un peu plus, ses yeux s'assombrirent et il ouvrit la bouche :

— Idiot, le coupa la jeune femme.

Elle détourna le regard.

— Ce que l'on fait par amour...L'amour nous rend idiot, il nous rend faible et quand tu es faible, tu es mort...

Elle eut un reniflement dédaigneux, comme si elle chassait quelque chose qui la gênait et Lucas, peu à l'aise s'approcha de la planche de bois. Il avait l'impression que cette phrase ne lui était pas vraiment destinée. C'était plus à elle-même qu'elle disait ça.

Désireux de mettre fin à cette conversation, il mit un pied sur la plateforme et inspira un grand compte, mais c'était sans compter Elisa qui le tira en arrière.

— Qu'est-ce que tu fous ?

— Donne-moi ta liste et bouge pas de là ! Crois-moi, tu es trop doux pour ce monde-là.

Il s'apprêtait à répliquer sans politesse quand elle plongea ses yeux dans les siens.

— Lucas. Je suis peut-être quelqu'un de détestable, mais la famille je sais ce que c'est et la tienne à besoin de toi, surtout maintenant.

— Tu peux parler...

— C'est exactement pour ça que je te demande ta liste. Avec ta tête de premier de la classe, tu vas nous faire tuer tous les deux. Tu penses bien que je ne compte pas te lâcher les basques si tu viens avec moi, alors fais-nous plaisir et laisse-moi faire.

Ils se fixèrent encore et il eut la très nette impression de passer un accord ensemble, un accord tacite, un de ceux qui n'ont pas besoin de mots.

Il hocha la tête, lui fit sa liste orale et elle s'engouffra dans les terres des Maraudeurs.

Elle en revint plusieurs heures après, alors que le feu dans le baril avait presque cessait de crépiter et que Lucas ne s'apprête à partir.

Il avait douté d'elle. On leur apprenait à se méfier de tout le monde...

— Tiens, voilà.

Elle balança à ses pieds un sac dont il jeta un rapide coup d'œil au contenu. Corde, couteau, carte...presque tout s'y trouvait.

— Merci, murmura-t-il un peu honteux.

— Ne me remercie pas. Entends-moi bien, si vous mourrez là-dedans, je serais la première à dépouiller vos cadavres...

 Elle ne plaisantait pas. Lui non plus.

Ils échangèrent un regard.

Ce que l'amour nous faisait faire... 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top