L'hôpital de la Zone Ouest situé dans le secteur Un, était du point de vue de Lucas, l'un des bâtiments les plus imposants qu'il connaissait. D'abord par son aspect austère et aseptisé, ensuite car il ne s'était jamais senti à l'aise en présence de ces murs. L'endroit faisait remonter en lui des souvenirs douloureux.

Depuis combien de temps n'était-il pas revenu ici ? Dix ans peut-être?

À mesure qu'il s'approchait du bâtiment de forme cubique, Lucas sentit son malaise s'amplifier, si bien que lorsqu'il franchit la porte d'entrée réservée aux patients du Quatre, il était en nage.

Soit ça, soit à cause de son travail qu'il avait délaissé pour venir jusqu'ici et qui l'avait laissé suintant d'efforts. Le garçon préféra se convaincre de la deuxième option.

La nostalgie le frappa au visage et un goût aigre emplit sa bouche à la vue de l'intérieur, rien n'avait changé. De part et d'autre de l'allée centrale, des rangées de chaises soudées les unes aux autres attendaient d'hypothétiques familles, ou amis. Éparse dans la pièce, on trouvait une plante...ou deux.

Alors qu'il traversait la salle, Lucas tourna la tête vers le mur droit.

Même la grande pendule est encore là.

Il était minuit moins vingt-cinq quand il atteint enfin le bureau d'admission derrière lequel se tenait un garçon plus âgé que lui.

- Excusez-moi, fit-il après s'être raclé la gorge pour tirer l'autre de son écran. Mon nom est Lucas Chase, ma petite sœur a été admise chez vous aujourd'hui...

- Les heures de visite sont terminées.

Lucas s'arrêta avant de se ressaisir.

- Je ne viens pas lui rendre visite, je viens la ramener à la maison !

- Désolé, mais on ne délivre plus de décharge à cette heure-ci. Ce sont les médecins qui s'en chargent et là (il jeta un coup d'œil derrière lui par la fenêtre donnant sur ce qui semblait être une petite salle de restauration) ils sont tous en repos.

Cette-fois si de stupeur, Lucas entre-ouvrit la bouche.

- Vous ne pouvez pas en réveiller un ?

- Hé, ce sont des médecins, ils ont besoin de leurs doses de sommeil !

- Est-ce que je peux au moins voir ma sœur alors ?

- Je vous l'ai déjà dit, à partir de onze heures trente, il n'y a plus de visites.

- Vous pouvez peut-être faire un effort non ? Je n'ai que cinq minutes de retard ! Écoutez, ma petite sœur n'a été conduite chez vous que tardivement. Le couvre-feu était déjà tombé lorsqu'on a prévenu ma mère, c'est pour ça que l'on n'a pas pu venir la chercher plus tôt !

- Aucun autre homme dans votre famille n'était susceptible de venir chercher votre sœur ?

En un bref éclair, Lucas vit son père. Il déglutit difficilement.

- Je...,non, je suis le seul. C'est pour ça que je suis là si tard, finit-il en s'agaçant.

Cet homme ne pouvait-il pas comprendre !?

Celui-ci eut un air peiné.

- Oh...écoute, je suis désolé, mais je peux rien faire, j'ai des règles à respecter, si je les enfreins, pour moi c'est la porte. Je suis désolé.

Avec un soupir, Lucas s'écarta du comptoir et passa une main dans ses cheveux.

Que devait-il faire maintenant ? Retourner au travail ? Son patron le laisserait-il seulement reprendre le travail, sachant qu'il était parti dans la précipitation, sans dire un mot ? Une chose était sûre pourtant, il ne pouvait pas remettre à sa sœur de rester ici. En cette période de l'année, il était tout bonnement impossible à la famille d'assumer les frais d'une nuit passée à l'hôpital par sa sœur.

Un soupir frustré s'échappa de ses lèvres. Il ne lui arrivait pas souvent de s'agacer à propos des lois du Royaume, cela ne servait à rien, n'ayant pas le pouvoir de les changer, mais ce soir son humeur s'y prêtait parfaitement.

Aussi, il ragea face à la ridicule énormité qu'était la loi du Roi. Pourquoi les femmes devraient-elles attendre d'avoir un homme auprès d'elles pour signer tel ou tel papier, pouvoir sortir le soir ou bien même avoir un travail !

Le garçon derrière le comptoir n'y était pour rien, mais ça n'empêcha pas Lucas de lui lancer un regard noir.

Sa chance sembla tourner cependant quand les portes bleu nuit sur sa droite laissèrent passer un troisième individu dans le hall.