Chapitre 4

— Désolé.

La voix de Martin est si basse que j'ai failli ne pas l'entendre après qu'il m'a marché sur le pied par accident. Je peux sentir son souffle chaud sur mon menton ; il est à peine plus petit que moi, mais sa minceur m'a fait croire qu'il l'était bien plus.

— C'est bon.

Je ne peux pas le distinguer dans la pénombre, mais je suis certain de pouvoir ressentir son regard sur moi, comme durant toute la soirée. Il me perturbe, mais je n'en saisis pas la raison : je ne connais pas Martin. Le contexte de notre rencontre n'est pas des plus propices à faire connaissance, en prime, alors ça n'arrange rien à tout ça. C'est peut-être un mec qui a des problèmes psychologiques, pour ce que j'en sais. Il y a quelques autistes dans mes modules, ils sont cools, mais parfois on ignore sur quel pied danser avec eux quand ils réagissent différemment.

Ça ou j'ai balancé une connerie dans la soirée, ou un jour où il était présent et je n'ai pas fait attention à lui et...

— Eh ?

Un chuchotement. Je tends l'oreille, ma curiosité naturelle aussitôt attisée. C'est le deuxième mot qu'il me dit de la soirée, après « Désolé ». On progresse, on progresse.

— Ouais ?

— Ça te dirait qu'on sorte ensemble ?

Euh ?

Pendant quelques secondes, j'en oublie jusqu'à la sensation distrayante de ses mains sur moi. Ou alors je ne sens plus que ça, je ne sais pas. Je n'ai pas l'habitude de ce genre de situation, ou si ça arrive c'est parce que quelqu'un déconne ou a perdu un pari.

Il appuie sur ma peau nue. Ses vêtements me griffent au moindre tremblement de son corps. Ce placard est beaucoup trop étroit. Et lui, trop chaud contre moi.

Qu'est-ce qu'il m'a demandé, au juste ?

Sortir avec lui ?

— Euh, t'es sérieux, là ? soufflé-je.

Bien sûr que non. Ma question est stupide, mais je ne peux pas m'en empêcher. C'est déjà rare qu'une fille pose les yeux sur moi, alors un mec ? Est-ce que je suis passé dans une autre dimension pendant la soirée ? Oh ! Putain, je suis bourré, c'est pour ça. Martin aussi et, maintenant que j'y repense, bien plus que moi. C'est peut-être pour ça qu'il est agrippé à moi comme ça. Ses mains sur mes pectoraux mous sont un peu gênantes à force, il s'est pris pour mon soutif ? Pas que je n'aime pas, mais j'aurais bien émis des principes, vu l'évolution de la conversation...

— Tu connais beaucoup de mecs qui plaisantent là-dessus ?

Cette fois, c'est à moitié un murmure et un grognement, et j'étouffe un rire en l'entendant, amusé malgré moi par sa réplique. Ouais, il est sérieux pour ce soir, dira-t-on. La situation me dépasse déjà et le pauvre va regretter au réveil, si jamais il s'en souvient. Moi aussi, je pense, parce que la seule réponse qui me traverse n'est pas celle que j'aurais imaginée sobre. Je crois. En attendant, son ivresse audacieuse est plaisante et, du coup, particulièrement attrayante.

Quand ses mains exercent moins de pression contre moi, je les retiens avant d'y songer.

— Pourquoi pas ? dis-je cette fois. Enfin, je n'y connais rien en mec, par contre, mais je suppose que j'ai déjà une bonne partie du mode d'emploi, hein ?

Ça me semble un peu débile, dit comme ça, et d'ailleurs le bruit qu'émet Martin me le confirme. Ah oui, je suis con, mais il ne le sait pas encore. Comme ça, au pire, je fais passer mon « oui » pour une boutade si ça cafouille.

— Tu te fous de ma gueule ?

— C'est pas censé être ma réplique, ça ?

— Je vais t'embrasser.

— C'est une menace ?

— J'aurais dit une promesse, j'ai d'autres arguments pour ça.

Une main s'échappe des miennes et se faufile le long de mon torse, descendant jusqu'à ma ceinture défaite, m'arrachant un frisson. Il fait chaud dans ce minuscule placard et je ne regrette en rien l'absence de mes vêtements. À croire que Nino l'a fait exprès.

Le métal de ma boucle cliquète et je surprends mon cœur à battre plus vite. Où se trouve l'autre main de Martin ? Elle n'est plus en ma possession, je ne m'en rends compte que maintenant.

Je sursaute en sentant le bout de ses doigts s'aventurer sur ma joue. Son torse se presse plus fermement contre moi.

C'est un peu bizarre.

Mais pas désagréable.

— Tu ne m'arrêtes pas ? murmure Martin, sa voix incertaine.

— Il faut ?

Encore un truc que je ne saisis pas, dans tout cet ensemble. J'ai dit oui, il me semble. Pour sortir avec lui. Et je n'ai pas dit non pour qu'il m'embrasse. Du moins, dans mes souvenirs et ce n'est pas assez vieux pour que j'aie déjà oublié, malgré mon état... ah, est-ce que j'ai parlé dans ma tête uniquement ?

Je sens son corps s'appuyer un peu plus encore. Se pencher sur moi.

Ses doigts glissent de ma mâchoire à mon cou, entourent ma nuque. Puis, lentement, à tâtons dans l'obscurité, un contact doux, piquant et hésitant à la fois s'avance, d'abord sur le coin de ma bouche. Il se repositionne, dérive plus sûrement et presse de nouveau. Ah, un baiser. Je le laisse faire, essayant de me concentrer sur ce moment particulier et inattendu.

Son chaume de fin de soirée n'est pas si dru qu'il me semblait sur l'instant, je m'en rends compte quand son menton frotte contre ma peau. Est-ce que c'est une réflexion bizarre ?

Un second baiser, léger, se pose sur mes lèvres cette fois, plus assuré parce que je ne me soustrais pas à ses tentatives.

Une odeur de rhum transcende son baiser, mais je ne vais absolument pas me plaindre. C'est agréable. La sensation de ce mec contre moi, la façon dont il m'embrasse, timidement d'abord puis plus fermement jusqu'à ce que sa langue glisse jusqu'à ma bouche et me demande l'accès.

Et j'accepte. Qui l'eût cru ? Je n'avais pas envisagé un tel revirement de situation durant cette soirée, mais...

Ah, bordel, Martin embrasse plutôt bien. Très bien, même. Il m'embarque. Sa langue me rend brûlant quand elle me cherche et me trouve, et je m'aperçois qu'il y a bien longtemps que ce n'était pas arrivé. Peut-être jamais. Je sens la monture de ses lunettes se soulever légèrement en touchant mon nez. Son corps mince se presse définitivement contre moi. Est-ce qu'il ne ferait pas plus chaud qu'avant là-dedans ? Dans mon caleçon, ma queue a décidé de s'en foutre que ce soit un mec qui envahit ma bouche.

La paume dans ma nuque se crispe vaguement et son autre main se rappelle à mon bon souvenir, glissant derrière ma ceinture et contre mon boxer. Je me sens brûlant. Est-ce que j'étais si en manque qu'avec un baiser et un doigt contre moi, je bande comme pas possible ? Est-ce que ça va un peu vite ? Je me le demande. Si ça avait été une fille, ça n'aurait rien eu de perturbant et ce serait même le but de m'enfermer dans un placard pendant sept putain de minutes. Alors vu ainsi, ça me convient. Et puis, ce que va découvrir Martin là-dedans ne lui sera pas inconnu, il a un modèle similaire. Enfin, si son doigt descend... un peu plus...

À tâtons à mon tour, je bouge les mains et trouve les cheveux de Martin. Ils sont doux et épais quand mes phalanges s'y enfoncent. Sa langue contre la mienne est plutôt joueuse et entreprenante, plus sexy que je ne l'aurais imaginé, et j'ai presque envie de rire lorsqu'on échange soudain un relent alcoolisé. Martin s'écarte alors de moi, son souffle chaud chatouillant mon visage.

— Je...

Un cliquetis résonne et il s'interrompt. Le corps de Martin se sépare du mien en une seconde, ses mains me quittent et nous ne restons en contact qu'à cause de l'étroitesse du placard. La déception glisse dans mes pensées, avant que je puisse y réfléchir réellement.

— Et sept minutes, les mecs ! scande la voix de Nino quand la lumière nous aveugle. Ça va, vous êtes en vie ? Désolé, hein, vous n'avez vraaaaiiiiment pas de chance au jeu, vous deux !

Martin bondit pour sortir comme s'il avait un ressort aux pieds. Le temps que je me bouge, je l'aperçois au loin avec un sourire tandis qu'il frappe dans la main de son amie. Je ne sais pas quoi penser.

— Rob, ça va ? demande Enzo en s'approchant. Bordel, c'était un four votre placard, là !

— Ouais... marmonné-je, les yeux rivés sur la silhouette titubante qui s'installe plus loin.

Et j'ai encore beaucoup, beaucoup trop chaud, ce que je n'avais aucunement prévu ce soir. J'ai de la chance d'avoir pu me débarrasser de mes fringues avant d'entrer là-dedans, mais maintenant... maintenant, j'ai l'impression que le corps de Martin s'est incrusté dans le mien. C'est une sensation étrange, à laquelle je ne suis pas habitué. Non, vraiment.

Qu'est-ce qu'il vient de se passer, au juste ?



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