Chapitre 2
— Salut, mec !
Le premier geste de Nino, c'est bien évidemment de m'arracher le pack de bières des mains, ce que j'aurais dû parier pour devenir millionnaire. À l'intérieur de l'appartement qu'Enzo partage depuis quelques mois avec sa sœur, la musique vrombit et les basses dégagent cette sensation étrange qui leur est si familière. Boum. Boum. Boum. Mes parents faisaient la même chose lorsque j'étais gamin et il n'y a que maintenant, que j'ai atteint l'âge quasi adulte, que je me rends compte à quel point lancer la sono à fond pour Noël était peut-être un peu too much de la part de mon père.
— Y'a déjà du monde ? demandé-je en me faufilant dans l'entrée.
— T'es con, t'as vu l'heure ? Il ne manquait plus que toi ! Et la recharge. Bordel, tu tombes à pic.
— Arrête, il n'est pas dix heures, ça craint si vous avez tout bu !
— Y'a encore de quoi faire, va ! Mais maintenant, au moins, on est rassurés pour la suite de la soirée !
En ricanant, je suis mon ami jusqu'au salon. La fumée des joints stagne dans l'air lourd de la pièce, les verres et les bouteilles jonchent la table basse et il me faut quelques secondes pour reconnaître certaines personnes assises tout autour. Garçons et filles discutent, les échanges se mêlent joyeusement. Dans un fauteuil plus loin, deux corps endormis et recroquevillés ont déjà abandonné la partie, serrés l'un contre l'autre.
— Yo Rob !
— Hey mec, c'est à cette heure-ci qu'on se ramène ?
— Tu bois quoi ?
— Bédo en route, aaaaaattention !
— Faites passer par ici, il n'avait qu'à arriver avant !
— Quelqu'un a vu la vodka ?
— C'est qui l'enculé qui a descendu la dernière Despé ?
— Eh, Enzo, tu me remets sa petite sœur ?
— Mais servez-vous putain, j'suis pas votre mère !
— Ma mère, elle te...
— On a dit pas les mamans !
Je me laisse tomber au milieu de toute la troupe en riant. Ce soir, comme d'autres fois, je ne connais pas tout le monde, mais les principaux sont là pour nous faire profiter de leurs conneries. Quant aux autres, je verrais bien au fil des heures, mais leurs fréquentations changent trop vite et trop souvent pour que je les garde en mémoire.
Je reconnais sans mal la plupart des mecs, avec lesquels je traîne en journée, mais il y a bien quelques nouveaux visages cette fois encore. Là, cette fille aux longs cheveux blonds, plutôt jolie. Coincé entre Nadia et Maelle, un brun à lunettes que j'ai peut-être déjà croisé à la fac, mais rien de moins sûr. Cette tête me dit quelque chose, en tout cas, et il détourne rapidement les yeux quand je le regarde, replongeant dans une discussion avec une de ses voisines. La nénette qui revient de la cuisine avec des jus de fruits est également une nouvelle pièce s'ajoutant à l'affaire.
— Ben alors, tu t'es endormi ou quoi ? ricane Enzo en me faisant glisser un verre.
Oui.
— Mais non, j'avais du boulot à finir avant.
— T'es si bosseur, Rob.
— Fous-toi de ma gueule.
J'ai bel et bien pioncé, au final. Maintenant, ça ne m'agace même plus : je pique du nez et c'est tout. La première fois que j'en ai parlé à mon médecin, j'ai flippé. Est-ce que c'était de la narcolepsie ? Est-ce que ma vie allait devenir un putain d'enfer ? Mais non. J'ai vite été rassuré, étant donné que mes symptômes n'avaient absolument rien à voir et que je suis parfaitement capable de rester éveillé si je le souhaite. C'est-à-dire à peu près jamais, mais il faut bien donner le change au quotidien, n'est-ce pas ?
— Tu fumes, ce soir ? demande Mathis un peu plus loin, une roulée entre les doigts.
— Allez. Tu files ?
— Tiens.
Il n'y a que dans ces petites fêtes que je tire quelques tafs, pour le plaisir de me sentir un poil plus détendu qu'en temps normal, et pour la déconnexion que ça m'apporte. Peut-être qu'un jour, je coulerai carrément sur le sol, comme ça. Floutch. La sensation est toujours rapide, même avec seulement quelques gorgées de ma boisson. Ce soir, ce n'est pas non plus une euphorie grisante comme d'autres fois. C'est plus doux et une lente chaleur envahit ma poitrine.
— Qui a eu la dernière news ? demande Nino d'une voix forte.
— T'as encore glané du potin ? s'amuse Oyhana en levant son verre dans sa direction.
Il réplique d'un ricanement et d'un clin d'œil.
— Oh, mais tu es totalement concernée, ma belle ! Ça se passe comment, ta romance avec Dardieu ?
Elle glousse, son rire se transforme rapidement en un son plus fort et aigu.
— Merde, tout le monde est déjà au jus qu'on a baisé ?
— Vous n'êtes pas ensemble ?
— Mais non, y'a sa meuf qui traîne encore. Et puis Dardieu, je te rappelle ! Ce mec est sale.
— Pas sa bite, apparemment, lance une voix.
— Eh, je dois rien à personne, moi ! Elle est cool sa bite. Je comprends qu'il chope facilement, il a juste à baisser son froc.
— Ça va mal finir, ces histoires, grommelle Mathis en soupirant. Personne n'a pensé à prévenir sa nana ?
— Elle sait, dit un autre.
L'alcool coule facilement. J'observe Enzo me resservir malgré mes faibles protestations pour la forme et suis distraitement l'échange. Les petits potins de la faculté sont toujours amusants et il y a longtemps que j'ai cessé de m'étonner de la rapidité avec laquelle ils se répandent. Pire qu'une traînée de poudre : Nino. Généralement, ça a un rapport avec ce qu'il se passe dans le lit des gens. Autant dire que s'il trouve quoi que ce soit dans le mien, qu'il me prévienne, j'aimerais bien.
La discussion va bon train, j'enchaîne les biscuits et à peu près n'importe quoi de mangeable qui est sur la table basse, pendant que mon regard s'évade un peu. La fatigue pèse depuis que j'ai couru hier. Non, pire : j'ai tapé un sprint. Peut-être que je devrais faire quelque chose pour mon ventre, mon poids, si je n'arrive pas à faire un cent mètres sans être épuisé pendant deux jours ? Enfin, j'imagine que ça, combiné au reste, ça n'aide pas.
Sans trop y penser, je fais le tour des têtes présentes ce soir, passe sur les nouveaux visages et accroche un regard définitivement posé sur moi... et qui se détourne, encore une fois.
Le binoclard brun. Le mec sourit tranquillement et répond à ses voisines qui ne le lâchent pas d'une semelle, je me rends compte. C'est le genre de gars un peu trop mignon sous ses airs d'informaticien caché derrière d'épaisses lunettes. Il faut croire que ce genre plait aux filles, tiens. Qui aurait imaginé que le Don Juan des temps modernes était un geek à culs de bouteilles ?
— Martin ! Viens m'aider pour les pizzas ! appelle Nino depuis la cuisine.
C'est le brun, que j'observe sans trop y penser, qui se détache de l'ensemble pour le rejoindre. Menu comme il l'est, cela ne fait pas une grande différence et les deux filles se rapprochent aussitôt comme s'il n'avait jamais été là. Tant pis pour ce type, trouver une place est un art à ce stade de la soirée !
— C'est qui ce mec ? demandé-je alors qu'Enzo s'appuie nonchalamment contre moi, joyeusement éméché.
— Martin ? Il est en LEA, c'est un bon pote d'Audrey. Pourquoi ?
— Non, rien. Je ne me souvenais pas qu'il venait aux fêtes.
— Tu te pointes pas souvent, toi non plus, mais ça fait quelques fois qu'il vient avec les filles. Il était temps que tu sortes de ta grotte, mon gars !
Je retiens un grognement. J'aime ces soirées tranquilles, même alcoolisées et enfumées, mais je dois bien avouer que mon lit gagne la plupart des batailles avec des arguments de poids.
— Ça va, ça ne fait pas si longtemps, maugréé-je.
— Tu rigoles ? Dardieu a eu le temps de se rouler dans trois pieux différents depuis la dernière fois !
Je lui envoie mon regard le moins impressionné ; le mec en question est réputé pour son absolu manque de respect envers sa petite-amie et celle-ci... est reconnue pour ne jamais réagir, quand bien même elle est au courant. Peut-être un truc entre eux. Pour ce qu'on en sait, personne n'a jamais dit qu'elle n'était pas présente durant les fameux ébats. À creuser, je dis.
— Je suis pas mal occupé, soupiré-je. Mais c'est cool de sortir de temps en temps, merci pour l'invit'.
— Occupé à quoi ? Mec, on a quasi le même planning et je me souviens parfaitement que t'as pas de taff à côté !
— Je fais des trucs.
— Genre. Toi. Des trucs.
Je dois bien avouer que si j'avais un autre caractère que le mien, le petit sourire narquois de Enzo m'aurait tapé sur le système. Mais je ne suis que moi. Ce que mon camarade peut penser me dépasse et ne change de toute façon rien à mes prévisions.
Lesquelles impliquent indubitablement un lit, des livres et une liste longue comme le bras de films cools.
Quand les deux filles de plus tôt se lèvent tout à coup en scandant le nom de Martin, je tourne la tête. Elles se ruent dans la cuisine en gloussant comme des pintades. Ah ouais, je ne savais vraiment pas que c'était la mode du moment, les geeks. Dingue.
Remarquez, c'est toujours plus intéressant que le gros sympa de la bande !
Langues étrangères appliquées
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