Chapitre 5
Gwendolyn
Je déambulais dans ma chambre, en cherchant le dernier élément pour ma robe. Le bal se déroulerait dans quelques heures et je ne m'étais jamais sentie aussi nerveuse. J'avais pourtant l'habitude de ce genre de soirées mondaines, et même si je ne les appréciais pas, ce n'était pas une source d'anxiété.
La présence de Kaede, le nouveau, me donnait un peu de courage pour affronter cette soirée à laquelle je n'étais pas prête. Depuis notre rencontre, je ne cessais de m'interroger à son sujet et à cet espèce de lien qui semblait nous unir. J'avais l'impression de le connaitre depuis toujours, et je ne saurais comment l'expliquer avec des mots. Était-ce vraiment exprimable ? Ne pouvais-je pas laisser le destin agir sans interférer ? C'était pourtant la meilleure chose à faire, laisser les événements se produire.
Je soupirai de déconvenue. Je savais pertinemment qu'Isa et Alice étaient déjà prêtes et m'attendaient dans le couloir. Mais je prenais tout mon temps, les agaçant sûrement au passage.
Je finis par repérer ce fichu ruban sur le rebord de la fenêtre, prêt à s'envoler. En m'en approchant, je ne pus m'empêcher d'admirer nos jardins. J'adorais passer mes journées à dormir parmi les roses qui dégageaient un parfum des plus envoûtants. Je ressentais à chaque fois un bonheur infini et un sentiment de liberté. C'était mon endroit, là où je m'abritais pour être au calme et oublier les coups durs de la journée.
Le temps filait et, à ce rythme, je serais en retard. Je quittai donc les jardins paradisiaques du regard pour me diriger vers le miroir pour enfin nouer le ruban dans le dos de ma longue robe vaporeuse. Une fois ceci terminé, j'enfilai mes chaussures à talons, aussitôt, je sentis que marcher avec dix centimètres sous les pieds allait être une tâche compliquée, je ne m'y habituerais jamais. Je regardai une dernière fois mon reflet, vérifiant que tout était en ordre, et sortis de ma chambre.
— Tu en as mis du temps ! Tu t'es faite belle pour le nouveau ? M'embêta Alice.
— Mais non enfin.
— Tu sais qu'il te dévore du regard ?
Sans écouter ma cousine, je m'éloignai dans le couloir. Avec mes talons, je n'arrivais pas à marcher, j'avais l'impression de me tordre les chevilles à chacun de mes pas. Après un effort qui me parut surhumain, je parvins enfin à atteindre la porte de la pièce où mon père et ma tante nous attendaient.
Je posai la main sur la poignée, mais suspendis mon geste quand la voix de ma tante, exagérément sérieuse, s'éleva. Je trouvais ça bizarre et je n'étais apparemment pas la seule. Alice et Isa, intriguées, s'approchèrent de moi et nous nous collâmes à la porte pour mieux entendre ce qu'elle disait:
— Alors comme ça Pierre est à nouveau en ville ? Tu sais ce que veut dire l'arrivée de démons ? Ça ne présage jamais rien de bon. Clade a donc prévu d'agir...
— Il fallait s'y attendre non ? Il n'allait pas rester les bras croisés alors que l'Annonceuse et les Sentinelles apparaitront bientôt.
— Que pouvons-nous faire ?
— Rien, du moins tant que la reine ne nous a rien demandé. Restons aux aguets et essayons de profiter de cette soirée le plus possible. Nous ne pouvons de toute manière rien faire de plus.
Je sentis un poids tomber dans mon estomac alors que mes mains tremblotaient sur la poignée dorée. Qui était ce Clade ? J'avais déjà entendu son nom lorsque mon père parlait avec Pierre de Villiers. Mais quel était son rapport avec l'Annonceuse et les Sentinelles, et ça, qu'étaient-ce donc ?
Complètement perdue, je jetai un regard à Alice et Isa qui ne semblaient pas comprendre plus que moi. Ma tête tournait, assaillie par trop de questions, j'avais des vertiges. Voilant mes yeux, ceux-ci m'obligèrent à m'appuyer contre le mur afin de ne pas tomber. Était-ce le choc qui me faisait trembler ainsi ? Pourquoi avais-je envie de vomir ? Je n'avais plus aucune sensation dans mon poignet droit, comme s'il n'était plus irrigué par le sang. Isabelle posa sa main sur mon avant-bras, l'air préoccupé.
— Est-ce que ça va ?
— Une chute de pression sûrement, marmonnai-je.
Après s'être assurée que je n'allais pas m'évanouir, Isabelle toqua à la porte. Aussitôt, les discussions cessèrent et la porte s'ouvrit. Alice et Isa firent mine de n'avoir rien entendu, j'essayais de faire pareil, mais trop de choses se bousculaient dans ma tête. Mon état de malaise était toujours présent et n'allait pas disparaitre aussi rapidement que je le voulais. Malheureusement, je me sentirais comateuse toute la soirée...
En entrant dans la pièce, je remarquai que mon père et ma tante étaient assis l'un en face de l'autre, la mine soucieuse. L'homme qui nous avait ouvert la porte retourna se placer auprès de mon père. Comme je ne l'avais jamais vu, je ne pus m'empêcher de demander :
— Qui êtes-vous ?
— Il s'agit de Gerd, il veillera sur vous trois dorénavant, me répondit mon père.
— Pourquoi aurions-nous besoin d'un protecteur ? le coupa Isa.
Mon père ne répondit pas. Il était comme sous le choc de la discussion avec ma tante. Le silence qui s'était installé devenait oppressant, Claire décida de ne pas attendre davantage et sortit, nous entraînant. Avant de quitter la pièce, je jetai un regard interrogateur à mon père, auquel il ne répondit pas et nous sortîmes pour nous rendre au bal.
Qu'est-ce qui valait un air aussi inquiet et des paroles graves ? Je ne comprenais rien, et c'était sûrement ce qui m'angoissait le plus. L'ignorance était peut-être pire qu'une vérité blessante.
La soirée ne semblait pas prometteuse et j'en avais déjà marre avant même qu'elle ait commencé. Je ne savais même pas danser comme il fallait et ce n'était pas quelque chose qui m'intéressait. Mon état de futur malade n'arrangeait rien.
Je soupirai vivement alors qu'Alice, friande de ce genre de soirée, me lançait un regard noir devant mon manque flagrant d'enthousiasme. Je l'agaçais probablement maintenant, mais une fois que tous les garçons seraient à ses pieds, elle aurait vite oublié le désagrément de mon soupir.
En attendant, mes yeux repérèrent le nouveau. Il était très élégant et son regard, contrarié, me transperça. Il portait une boucle d'oreille pendante, ce qui lui donnait un petit côté rebelle, mais il ne me laissa pas le temps de l'observer plus et se fondit dans la foule.
Restant près du buffet, je tentais de faire tapisserie, refusant les rares demandes de garçons qui voulaient danser. Je m'ennuyais, la seule chose qui m'intéressait, à cet instant précis, étaient les petits fours à côté de moi. Il ne fallait pas que j'en mange trop, Alice me ferait forcément remarquer ce manque de discernement.
Je finis par quitter la table couverte de mets et me dirigeai vers le balcon intérieur qui surplombait la salle. Le rejoignant par l'un des escaliers, je gravis lentement les marches. Mes angoisses ne m'avaient pas quittée et mon malaise non plus, je m'interrogeais tout en m'appuyant à la rambarde.
Observant les gens, je remarquai Alice danser avec un jeune homme aux longs cheveux bleus. Je l'avais sûrement aperçu au lycée ce garçon, il ne m'était pas inconnu. Elle n'avait d'yeux que pour lui et ne prêtait aucune attention aux autres garçons qui la reluquaient avidement.
Excédée par son succès constant, je détournai le regard sur ma soeur. Elle regardait la salle d'un air apathique, comme blasée d'être ici. Je savais qu'elle ne s'était toujours pas remise de sa séparation avec Friedrich Darglass et c'était pour cette raison qu'elle refusait de danser avec un autre que lui. Peut-être devrait-elle essayer de passer à autre chose ? Ce n'était pas ma vie amoureuse après tout. Je cherchai Kaede, ce cher nouveau, du regard. Mais je fus déçue de ne pas le voir. Pourquoi se cachait-il ?
Je me sentie tout à coup nerveuse, j'avais l'impression d'être espionnée, comme si un regard était posé sur moi. Un frisson me glaça jusqu'au sang et me paralysa, j'étais vacillante. Je ne pouvais plus respirer et je compris après quelques secondes que quelqu'un avait plaqué sa main sur ma bouche et mon nez.
D'un mouvement brusque, mon agresseur me tira en arrière, son autre main plaquée sur mon estomac. La force exercée sur celui-ci était si forte qu'elle risquait de me faire vomir, et j'en déduisis qu'il s'agissait d'un homme. La tête commençait à me tourner, je me sentais mal, je n'avais plus de forces pour tenir debout seule.
À travers le brouillard de mes pensées, j'entendis l'homme déclamer :
— Vous avez une très belle fille, monsieur le duc, il serait dommage qu'elle ne survive pas à cette entrevue.
— Que voulez-vous, Clade ?
— Des renseignements. C'est simple, vous êtes l'un des proches de la reine, vous savez sûrement qui sont les Sentinelles et l'Annonceuse. Il suffit de me donner leur identité pour que votre fille ne risque rien.
— Seraient-ce des menaces ? Vous n'arriverez à rien ainsi.
La poigne du fameux Clade se resserra, la réponse de mon père ne lui plaisait visiblement pas. Je n'arrivais presque plus à respirer, seul un mince filet d'air parvenait encore à mes poumons, je suffoquais contre la main de l'homme.
— Dommage pour toi.
Alors qu'il chuchotait ceci à mon oreille, il s'approcha à nouveau de la balustrade avant d'éclater de rire. Un rire dénué de sentiment qui me glaça le sang. L'assistance était comme paralysé, les secondes passaient au ralenti, figeant le temps dans le givre. L'atmosphère semblait s'être refroidie à l'entente de la raillerie de Clade. Je ne compris son intention que lorsqu'il me poussa dans le vide.
Je tombai. Mon coeur battait à tout rompre, je ne pouvais me raccrocher à rien. Une larme silencieuse coula sur ma joue. J'allais mourir, ma vie s'arrêtait avant même d'avoir vraiment commencé. Je ne voyais rien à travers la buée de mes larmes, le sol se rapprochait pourtant, je ne l'apercevais pas, mais je le pressentais. Mon esprit s'éteignit et fut remplacé par l'inconscience.
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